Texte intégral
Monsieur le commissaire de la République,
Messieurs les généraux,
Mesdames, Messieurs,
Est-il besoin de dire le plaisir que j'éprouve à présider la séance de clôture d'une session régionale de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale ? D'autant que cette session s'est tenue à Lille !
Rassemblés pour une réflexion en commun sur les problèmes de défense, auditrices et auditeurs représentent les principaux secteurs d'activité d'une région à laquelle vous savez combien je suis attaché.
Le général POZZO DI BORGO vient de tirer des conclusions de vos rapports sur la défense militaire et la politique de recherche et développement pour la France de l'an 2000. Aux félicitations qu'il vous a adressées pour la qualité et le sérieux de vos travaux permettez-moi d'ajouter les miennes.
Je voudrais que vous sachiez tout l'intérêt que le gouvernement porte aux activités de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale. Son rôle est essentiel pour que, dans notre pays, la défense soit mieux et plus largement perçue dans ses différents aspects.
Depuis que je dirige le gouvernement, j'ai eu, à deux reprises, l'occasion de m'adresser aux sessions nationales de l'IHEDN à l'occasion des séances d'ouverture. J'ai pu ainsi faire le point des orientations prises et des actions engagées par le gouvernement sur les questions de fond qui touchent à notre défense. J'ai pu inviter les auditrices et les auditeurs à appliquer leur réflexion à des sujets sur lesquels le débat doit être ouvert.
C'est ainsi que j'ai appelé leur attention sur les conditions de mise en oeuvre d'une politique de protection des populations, sur les dispositions à envisager face à la montée du terrorisme, ou encore sur le problème du pacifisme, point que je développerai dans un instant tant il me paraît important.
S'agissant des sessions régionales, ma présence ici aujourd'hui témoigne de l'importance que j'ai tenu à leur donner. Elles me paraissent devoir s'inscrire dans le cadre de la politique de décentralisation décidée par le gouvernement.
L'un des objectifs de cette politique est précisément de permettre à chacun de participer plus activement, là où il vit, aux grandes tâches d'intérêt national et par conséquent à celles qui concernent la défense.
Dans cette perspective, j'ai demandé que soient accentuées les activités régionales de l'Institut par une double action :
– accroître le nombre de sessions,
– élargir le recrutement.
Le rythme annuel de cinq sessions est atteint pour le cycle 1982/1983. Il était de 3 il y a deux ans. Ainsi l'Institut pourra exercer, en province, une action plus continue et répondre, mieux que par le passé, à l'attente d'un nombre croissant de candidates et de candidats, de tous horizons, qui manifestent leur intérêt pour les questions de défense.
Mais développer les sessions régionales, c'est aussi élargir leur audience en les ouvrant davantage à des catégories de citoyens qui y sont encore insuffisamment représentées. Elles doivent en effet permettre une prise de conscience plus nette, partout et dans tous les milieux, des impératifs d'une politique de défense.
C'est pourquoi, aux côtés des militaires, des représentants du secteur public, des professions libérales, des entreprises commerciales, industrielles ou agricoles, des différents cultes, qui ont et doivent garder leur place dans les sessions régionales, je mentionnerai, parmi ceux qu'il convient d'accueillir en plus grand nombre, les élus locaux – maires, conseillers généraux et conseillers régionaux – mais aussi les fonctionnaires locaux dont les responsabilités se sont accrues du fait même de la décentralisation.
Je citerai aussi tous ceux qui, exerçant des fonctions représentatives au sein des organisations syndicales, des mouvements associatifs ou des organisations professionnelles, se trouvent au contact de larges fractions de la population et peuvent, ainsi, oeuvrer très efficacement pour la diffusion de l'esprit de défense.
Une place plus grande doit également être réservée aux représentants des enseignements primaire, secondaire et technique qui ont un rôle de premier plan à jouer dans la formation des nouvelles générations. C'est à eux que revient souvent la tâche de répondre aux interrogations de notre jeunesse sur l'avenir.
Comment parler d'avenir sans évoquer l'angoissante question de la guerre et de la paix ? Ouvrir davantage l'école sur la vie et préparer les jeunes à assumer leurs futures responsabilités doit être une préoccupation constante de ceux qui animent notre système éducatif.
C'est dans cette perspective que le ministre de l'éducation et le ministre de la défense sont convenus, à ma demande, d'engager un programme d'actions concertées afin d'améliorer l'information des jeunes filles et des jeunes gens sur les nécessités de la défense et la finalité du service national. Plus généralement, il s'agit de favoriser, au sein des activités scolaires, le développement de celles qui peuvent contribuer à l'affermissement de l'esprit de défense de la nation.
Le succès de cette entreprise ne peut résulter que du rapprochement de deux communautés : celle des cadres militaires et celle des personnels enseignants. Deux communautés qui sont souvent restées éloignées l'une de l'autre en dépit des missions complémentaires qu'elles ont à exercer au regard de la formation civique et morale de notre jeunesse.
Je souhaite, enfin, que les sessions régionales – comme c'est aujourd'hui le cas à Lille – puissent accueillir un plus grand nombre de femmes. Que ce soit en raison des responsabilités croissantes qu'elles assument dans notre société, ou de leur vocation naturelle d'éducatrice, il importe que leur voix se fasse plus largement entendre dans la réflexion de la nation sur la défense.
Cette réflexion, nous lui avons donné une impulsion nouvelle avec le débat sur la loi de programmation militaire.
Ce texte, qui a été voté le 20 mai dernier, couvre la période 1984-1988. Le vote intervenu constitue un événement important. Conformément à la volonté du président de la République, notre pays a ainsi témoigné de sa volonté de sécurité et d'indépendance.
Cette loi contient les dispositions nécessaires pour que le niveau d'équipement de nos forces soit renforcé. Un engagement solennel a été pris dans ce domaine.
Pour mettre en oeuvre la politique de défense définie par le gouvernement, la France doit en effet se doter d'une armée adaptée à la fois aux impératifs techniques dictés par les formes nouvelles de combat et aux réalités sociales et politiques de notre temps.
La loi de programmation a défini, pour les années à venir, le volume de nos armées et le calendrier de réalisation des matériels.
Dans ce cadre, il doit être clair pour chacun que la conscription demeure un des fondements de notre politique. C'est pourquoi le service national – dont le service militaire est la forme essentielle – est en cours d'aménagement pour tenir compte tant des besoins du pays que des aspirations des jeunes Français.
Nous n'avons, pour l'instant, agi qu'à la marge. Lorsque les décisions concernant le nouveau modèle d'armée, qui fait actuellement l'objet d'études très approfondies, auront été prises, il sera alors possible de préciser le volume des effectifs, la répartition entre les différentes catégories de personnel et donc les incidences sur le service national.
Je relève également que si, dans le cadre des études menées au sein du ministère de la défense, une réorganisation de l'armée de terre est envisagée, ce n'est pas la perspective d'une réduction limitée des effectifs qui est à son origine. Une telle réduction aurait pu se faire dans les structures actuelles sans grande difficulté. Ce que nous recherchons, c'est une meilleure adaptation des structures actuelles de l'armée de terre aux objectifs qui lui sont assignés.
Notre pays est lié par des alliances. Dans ce cadre, il faut que nous soyons en mesure d'intervenir avec plus d'efficacité aux côtés de nos partenaires.
C'est une des raisons pour lesquelles la création des F.A.R. (forces d'action rapide) a été décidée. Leur grande mobilité, leur logistique légère, leur puissance de feu multiforme leur permettent d'intervenir plus tôt, plus vite et plus loin que nous ne pourrions le faire actuellement, si le besoin s'en faisait sentir.
C'est aussi la raison pour laquelle le dispositif de l'armée de terre va sans doute être rééquilibré au profit du nord de la France. Nous considérons en effet les plaines du nord de l'Europe occidentale comme une des voies de pénétration éventuelle. Il se trouve que Lille est actuellement le siège de la deuxième région militaire. Des divisions opérationnelles sont implantées dans cette zone, mais le commandement de la région a une fonction avant tout territoriale. Nous envisageons de lui confier un rôle plus opérationnel qui répondrait à ce voeu de rééquilibrage entre le nord et l'est de notre pays.
Quoi qu'il en soit, je constate que la loi de programmation militaire, telle qu'elle a été votée, répond aux voeux de tous les Français. En effet, les critiques qu'elle a soulevées de la part de l'opposition n'ont eu pour motif que l'assurance de la voir pleinement respectée. Il y a donc eu une grande convergence de vues sur le fond.
Ce point est important, car le gouvernement souhaite qu'un large consensus se dégage en matière de politique de défense. C'est en effet la meilleure garantie de l'efficacité des dispositifs qui doivent assurer à notre pays, dans le respect de ses alliances, l'autonomie de ses décisions et sa sécurité.
Globale et multiforme comme le sont les menaces auxquelles notre pays doit faire face, la défense, pour être efficace, ne peut être que l'affaire de tous. C'est donc dire l'importance que revêt sa dimension régionale.
Chacun comprend bien que la France ne peut faire face à un conflit extérieur et mettre en oeuvre sa stratégie de défense qu'à la condition que sa capacité de résistance soit également assurée au-dedans. Cela suppose que, dans toutes les hypothèses de crise, puisse être pris un ensemble de mesures et de dispositions ayant pour objet d'assurer, sur tout ou partie du territoire, la liberté d'action des pouvoirs publics, la sécurité des installations essentielles à la vie de la nation, la mobilisation et la répartition des ressources économiques, la protection physique et la survie des populations.
Pour tenir compte de l'infinie variété des situations et décider des mesures les mieux adaptées, il convient d'associer à cette mission les échelons administratifs appropriés : c'est-à-dire les zones de défense, les régions et les départements. Ils constituent la base de notre organisation de défense civile et de défense économique.
À cet égard, un décret récent vient de préciser les pouvoirs des commissaires de la République qui ont, chacun dans leur circonscription, la responsabilité de mettre en oeuvre les mesures non-militaires de défense. Je précise que la mise en oeuvre de ces mesures ne peut se concevoir sans une étroite coopération avec les représentants, élus, des collectivités territoriales ainsi qu'avec l'ensemble des organisations professionnelles qui ont un rôle à jouer en matière de défense. Elle ne saurait davantage se passer d'une information des populations concernées.
Le rôle des circonscriptions territoriales n'est pas moindre au plan militaire puisque c'est dans leur cadre, qui est aussi celui de la nécessaire coordination des mesures militaires et civiles de défense, que s'effectuent l'entraînement et la mobilisation des réserves ainsi que la mise sur pied des unités chargées de la défense opérationnelle du territoire. Le caractère territorial de cette organisation revêt une importante signification. C'est, en effet, sur le plan local et régional que, par le jeu du rappel et de l'entrée en action des réserves, se manifesterait, de la manière la plus concrète, l'adhésion populaire à la défense de la nation.
Point de convergence des solidarités géographiques, historiques est humaines, la région peut enfin mettre à la disposition de la défense un capital moral exceptionnel. Est-il besoin de le souligner ici, dans cette région frontalière du Nord, où tant de combats et d'épreuves se sont succédé depuis des siècles ? Notre sol en porte encore la trace.
Cette région, plus que d'autres, sait ce que signifie la guerre. Elle sait aussi que ce n'est pas en niant les périls qu'on parvient à les conjurer.
Je pense notamment à certains thèmes pacifistes qui rencontrent, chez nombre de nos voisins d'Europe du Nord, un écho non négligeable.
Il existe en Europe, comme aux États-Unis, des hommes et des femmes qui agissent au nom de la paix, qui manifestent leur attachement à la paix, qui crient, face à un monde surarmé, qu'ils veulent vivre en paix.
Comment ne pas partager leurs espoirs ? Comment ne pas être sensible à leurs appels.
De Jean Jaurès à Aristide Briand, combien de voix se sont élevées, en France même, pour défendre la cause de la paix, pour alerter les hommes à la veille d'un conflit qui a ruiné l'Europe ? Comment ne pas penser que les voix qui s'élèvent aujourd'hui sont une part de notre conscience ?
Encore faut-il, comme la dit le président de la République, “ne pas confondre le pacifisme comme postulat et la paix comme résultat”.
Si des hommes et des femmes se lèvent au nom de la paix, c'est d'abord à cause d'une inquiétude, voire d'une angoisse diffuse. La crise économique n'épargne aucun pays. Le fléau du chômage qui s'est développé parallèlement est une première cause de cette angoisse. L'effritement progressif de ce qu'il était convenu d'appeler la “détente” entre l'Est et l'Ouest en est une deuxième.
Au fil des vingt dernières années, le monde occidental a ressenti un soulagement. Il voyait s'éloigner les tensions de la guerre froide. Chacun se prenait à penser qu'une sorte de “modus vivendi” pourrait être trouvé. L'intervention des forces armées soviétiques en Afghanistan puis la répression des aspirations légitimes des travailleurs polonais ont provoqué un choc et sérieusement ébranlé cet espoir.
La constatation qu'en dépit des déclarations de bonnes intentions, le potentiel militaire du Pacte de Varsovie s'est renforcé d'une manière telle qu'il a créé, en Europe, un déséquilibre des forces, a également provoqué un choc dans l'opinion. Dans ce contexte, les Européens comprennent qu'ils seraient les premiers atteints par un cataclysme nucléaire.
Pour répondre aux inquiétudes qui se manifestent, l'une de nos tâches les plus urgentes doit être de rappeler certaines vérités d'ordre politique et militaire.
La première a trait aux valeurs et aux systèmes politiques entre lesquels se partage l'Europe. La seconde au déséquilibre des forces.
Nous ne pouvons être d'accord avec les atteintes aux libertés en Union Soviétique et en Europe de l'Est. Nous ne pouvons ignorer la volonté permanente du système soviétique d'étendre toujours plus loin son contrôle.
C'est par référence à cette situation que la France a pris place dans une alliance : l'alliance Atlantique. Il s'agit d'une alliance défensive. Ce qui veut dire qu'il n'est pas dans l'intention d'aucun de ses membres de préparer ou d'envisager on ne sait quelle guerre dont on voit trop bien les ravages effroyables qu'elle provoquerait.
En revanche, il est de notre devoir de ne pas laisser s'instaurer des déséquilibres militaires. Ce serait prendre le risque d'amener le camp en situation de force à utiliser cet avantage pour exercer des pressions politiques inacceptables.
C'est la raison pour laquelle la France a pris position sans ambiguïté en faveur de l'implantation des “Euromissiles”. Il faut en effet que l'équilibre soit rétabli.
Une négociation est en cours, à Genève, entre l'Union Soviétique et les Etats-Unis d'Amérique. Il faut que, de cette négociation, résulte un nouvel équilibre dans le domaine des missiles à portée intermédiaire, fût-ce par le déploiement, total ou partiel, des PERSHING II et des missiles de croisière chez certains de nos alliés.
Je rappelle également que la France a proposé la convocation d'une conférence sur le désarmement en Europe, permettant de réduire les risques de guerre naissant de l'accumulation des armes conventionnelles.
L'équilibre est essentiel. En quoi le fait de se déclarer “dénucléarisé” pourrait-il donner la certitude que la menace nucléaire ne sera pas utilisée par celui qui aura, lui, conservé son propre armement ?
La France, pour sa part, a depuis longtemps choisi de se déterminer en fonction de la réalité des menaces : c'est-à-dire non seulement les missiles qui ne peuvent atteindre que l'Europe, mais également les missiles intercontinentaux qui peuvent atteindre aussi l'Europe.
C'est précisément pour cette raison qu'elle se refuse à voir ses forces incluses dans un décompte qui ne concerne que la première des deux catégories de missiles que je viens de citer.
L'équilibre est essentiel aussi parce qu'il est un préalable à toute négociation sérieuse sur le désarmement. Nous ne parviendrons à faire diminuer le niveau d'armement que si l'un des camps n'a pas le sentiment d'accroître ainsi la menace qui pèse sur lui.
Bien entendu, le constat lucide de la nécessité de l'équilibre des forces ne suffit pas. Ce n'est pas ainsi que nous répondrons totalement à l'attente de ceux qui espèrent en un monde plus paisible et plus chaleureux.
Nombreux sont, en particulier parmi les jeunes, ceux qui ont été déçus par les échecs accumulés sur la voie du désarmement. Ils se disent que si les gouvernements n'arrivent pas à s'entendre, il suffit de désarmer unilatéralement pour donner l'exemple et prouver en quelque sorte le mouvement en marchant. Une telle analyse recèle, vous le comprenez bien, un danger extrême. Les démocraties occidentales, qui bien sûr seraient les seules à s'engager dans cette voie, pourraient s'y perdre. Elles pourraient perdre leur bien le plus précieux – j'allais dire leur âme – c'est-à-dire la liberté.
Pour autant je refuse de me résoudre à un constat d'impuissance. La désescalade en matière d'armements est indispensable et nous devons aboutir à une réduction significative du potentiel nucléaire des deux superpuissances qui excède leurs […].
Je ne crois pas qu'il y ait d'autres voies possibles.
La France s'associerait sans nul doute aux efforts de désarmement, dès lors que l'écart considérable qui sépare ses forces de celles des plus grandes puissances serait suffisamment réduit. Elle ne peut, en effet, prendre le risque de faire passer son propre potentiel de défense en dessous du seuil de crédibilité et de suffisance qui est actuellement le sien.
La France entend être à la fois forte et non agressive. Elle jouera toujours un rôle pacifique et s'appliquera à éliminer les causes de tensions internationales. Ce qui signifie par exemple que nous ne cesserons de plaider en faveur d'un monde plus équitable non seulement entre les pays de l'hémisphère nord et ceux de l'hémisphère sud mais aussi entre les pays industrialisés qui doivent s'appliquer à stabiliser les relations économiques et monétaires en mettant un terme au dérèglement que nous observons actuellement.
Monsieur le commissaire de la République,
Messieurs les généraux,
Mesdames, Messieurs,
Je tenais à vous apporter, comme Premier ministre, ces quelques éclairages sur la politique qui est celle de la France.
Je vous invite à poursuivre les réflexions engagées durant ces semaines de travail en commun. Employez-vous à faire fructifier votre acquis sur les problèmes de défense dont vous mesurez, à présent, la place qu'ils tiennent dans les préoccupations du gouvernement.
Par avance, je vous en remercie.