Interviews de M. François Bayrou, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale et président de Force démocrate, à Europe 1 le 18 mai 1998 et à RTL le 20, sur le refus de M. Alain Madelin de faire partie de l'UDF et notamment sa décision de rejoindre l'Alliance RPR UDF avec son parti Démocratie libérale.

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Média : Emission Journal de 8h - Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RTL

Texte intégral

Europe 1 le lundi 18 mai 1998

Europe 1 : Samedi, François Léotard a été chahuté par ses amis ou ses anciens amis du parti dont il avait été, autrefois, le président d’honneur. Chahuté et sifflé comme Gilles de Robien, comme d’autres, comme votre nom. Est-ce que vous estimez que vous avez bien fait de ne pas y aller ?

François Bayrou : D’abord, je n’étais pas invité. C’est l’esprit de division. Vous observerez les résultats de l’esprit de division. Le premier, c’est que ce n’est pas Jospin qui est chahuté, ce n’est pas Le Pen qui est chahuté, c’est Léotard et Robien, c’est-à-dire des personnalités éminentes, membres de cette famille politique, fondateur de cette famille politique pour l’un et membre éminent pour l’autre et c’est des alliés comme moi. Non pas les adversaires, mais les amis. Cela c’est l’esprit de division. Deuxièmement, c’est bien entendu un signe que l’opinion reçoit très mal. Vous avez lu les éditoriaux, ce matin ! C’est un signe que l’opinion reçoit très mal parce qu’elle avait entendu, vendredi, quelque chose qui allait dans le sens de l’union et puis samedi, c’est au contraire l’explosion d’une famille politique. Je crois que l’esprit de division nuit à l’avenir de l’opposition et à celui de l’Alliance.

Europe 1 : Autrement dit, Alain Madelin qui recommande une démocratie libérale, samedi, ne s’est comporté ni en libéral ni en démocrate ?

François Bayrou : En tout cas, c’est ce qu’ont dit ceux qui étaient dans la salle.

Europe 1 : On parlait de l’UDF comme d’une morte. Alain Madelin l’a abandonnée, est-ce que vous allez en faire autant ?

François Bayrou : L’UDF, c’était un projet que Valéry Giscard d’Estaing avait eu, auquel Raymond Barre avait travaillé et qui est un projet, pour moi, toujours d’actualité. C’est de faire vivre ensemble dans l’union la plus étroite possible – et je trouvais qu’elle n’était pas assez étroite, c’est pour cela que j’ai proposé son rassemblement – les familles de la droite ouverte et du centre, de la droite humaniste et du centre, les familles libérales et démocrates-chrétiennes. C’était cela le projet. Ce projet, à mes yeux, est toujours d’actualité.

Europe 1 : Avec l’UDF ?

François Bayrou : Avec ce que l’UDF deviendra. Il y aura, à cette place-là, une famille politique nouvelle. Je souhaite que nous la fassions le plus nombreux possible, tous ceux qui veulent rester et vivre ensemble et que nous le fassions si nous le pouvons, dans un esprit détendu et si possible amical à l’égard de ceux qui appartiennent à l’opposition. L’Alliance repose sur le pilier RPR et le pilier de cette famille-là. Même si Alain Madelin a voulu sortir de cette famille politique, je suis certain que l’espace que cette famille occupe sera désormais rempli par ce que l’UDF deviendra.

Europe 1 : Mais l’Alliance a été élaborée et signée par le RPR et l’UDF. Or, il n’y a plus d’UDF. Est-ce que l’accord qui crée l’Alliance n’est pas déjà caduque ?

François Bayrou : Non, je crois que l’Alliance est une nécessité pour donner à tous ceux qui militent dans l’opposition, la certitude que l’on travaille en commun et qu’on a un avenir commun, un destin commun. De ce point de vue-là, l’Alliance est indispensable. Mais l’Alliance ne peut pas s’accommoder de l’esprit de division. L’Alliance est faite pour que les gens se respectent, soit plutôt amis les uns avec les autres que hostiles. Autrement dit, c’est une maison commune et elle ne peut pas se bâtir sur l’esprit de division.

Europe 1 : Alain Madelin a dit samedi et encore hier soir, sur France 3, qu’il était prêt à rejoindre l’Alliance pour la renforcer. Est-ce qu’il doit adhérer à l’Alliance, est-ce qu’il a sa place dans le système que vous êtes en train de définir ?

François Bayrou : Essayons de ne pas nous faire d’excommunication réciproque. Pour moi, en tout cas, c’est l’esprit de rassemblement que je souhaite. Donc, je n’ai pas envie de dire qu’Alain Madelin n’a pas sa place. Je regrette ce qui s’est passé samedi. Pour autant, je sais qu’il nous revient à nous, Force démocrate, ceux qui appartiennent aux autres familles de l’UDF, ceux qui, à Démocratie libérale, veulent continuer à vivre dans cette union, il nous appartient à nous de construire l’ensemble nouveau qui réunira la droite humaniste et le centre.

Europe 1 : Il y avait Démocratie libérale et Force démocrate. Force démocrate reste Force démocrate. Est-ce que vous voulez accueillir ceux qui, comme François Léotard, les adhérents directs sont partis ou vont partir ?

François Bayrou : Je ne crois pas que cela puisse se faire par ralliement. Je pense qu’il est indispensable, si nous le souhaitons, que nous construisions ensemble une famille politique nouvelle, personne ne se ralliant à personne, personne n’entrant dans la maison de l’autre. Nous construisons une maison commune ensemble – en tout cas, c’est ce que je souhaite – un parti politique nouveau qui sera un pilier de l’Alliance et qui permettra à chacun d’apporter sa tradition politique. Si cela ne se faisait pas, Force démocrate adhérerait à l’Alliance en tant que tel.

Europe 1 : Est-ce que vous estimez que l’attitude de Démocratie libérale et d’Alain Madelin ont été claires, samedi, à l’égard du FN ?

François Bayrou : Le jour où les décisions qui doivent être prises le seront, ce sera parfaitement clair.

Europe 1 : C’est-à-dire ?

François Bayrou : Vous le savez et vous le comprenez très bien : il y a des présidents de région qui ont été élus et qui ont constitués des majorités avec le FN, ils ont été exclus de l’UDF. Il faut que, désormais, ce soit clair à l’intérieur de la propre famille.

Europe 1 : Un lieutenant de Léotard, Donnedieu de Vabres, déclarait que l’Alliance n’était pas le parti du président. Vous pensez cela aussi ?

François Bayrou : C’est un parti qui a des liens avec le président de la République, des liens chaleureux : le président de la République est un repère, mais pas un homme politique de l’opposition, c’est le chef de l’État.

Europe 1 : Alliance est le parti de qui ?

François Bayrou : Alliance est le parti de tous ceux qui souhaitent construire l’opposition et lui rendre le pouvoir.

Europe 1 : Une opposition ou une droite plurielle, c’est cela ?

François Bayrou : Droite et centre alliés pour former une grande famille politique moderne.

Europe 1 : Sans le FN ?

François Bayrou : Sans le FN. C’est d’ailleurs l’article 1, si j’ose dire, de la déclaration de l’Alliance.

Europe 1 : Et Jacques Chirac, c’est pour vous une référence ou la référence ?

François Bayrou : C’est le président de la République et c’est un homme avec qui nous devons avoir des liens chaleureux. C’est le seul pouvoir qui reste aujourd’hui à l’opposition. C’est clair. Nous avons perdu le gouvernement, nous avons perdu la majorité. Le seul pouvoir important qui reste, c’est le président de la République. Il faut qu’on soit proche de lui et mais avec lui si j’ose dire.

Europe 1 : J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le livre que vous avez publié chez Grasset « Il portait J’écharpe blanche ». C’est l’aventure des premiers réformés des guerres de religion à l’Édit de Nantes, de la révocation à la Révolution. Je vous cite : nous sommes par tradition nationale, dites-vous, des combattants de guerre civile et quand ne nous pouvons pas en trouver de grandes, nous en inventons de petites non moins irréductibles et non moins nuisibles.

François Bayrou : C’est la France et c’est ce qu’il a de triste dans l’Histoire de la France, c’est que nous passons notre temps à nous déchirer à l’intérieur de nos villages gaulois. Je pense qu’il faut que cela change.

RTL le mercredi 20 mai 1998

RTL : Il y a apparemment de l’accélération dans l’air, à propos de l’union de l’opposition. Comment expliquez-vous l’unanimité avec laquelle, hier, les députés UDF ont proposé de constituer un groupe parlementaire commun à l’Assemblée, avec le RPR ?

François Bayrou : Nous sortons d’une période, d’une année qui a été une période noire ou grise pour l’opposition, et chacun a le sentiment que, désormais, si nous voulons être à la hauteur de nos responsabilités, il faut reconstruire. Et reconstruire, il est évident pour tous que c’est dans l’unité qu’il faut le faire, que, naturellement, chacun a sa sensibilité, sa manière de l’exprimer, mais que cela ne doit pas nous empêcher de travailler ensemble, de nous rapprocher, de nous retrouver dans un ensemble commun, dans une maison commune.

RTL : L’union précède la rénovation ?

François Bayrou : L’union, c’est la rénovation. Et la rénovation, c’est forcément l’union. Vous le voyez bien parce que chaque fois qu’il y a division, le jugement de l’opinion, de vous-même, des éditorialistes et des observateurs, est très sévère. Donc, c’est ce sentiment de l’urgence de la reconstruction et que nous puissions, avant l’été, présenter à l’opinion le visage le plus compréhensible, le plus simple et le plus uni possible, qui explique le mouvement du groupe unanime, comme vous l’avez dit, hier matin.

RTL : Avant de parler de groupe parlementaire, les dirigeants du RPR ont l’air de préférer mettre en place l’Alliance elle-même ?

François Bayrou : Chacun a son jugement sur le rythme et chacun a son jugement sur la méthode. Mais je suis certain que les élus, en tout cas – les parlementaires, les députés – vont défendre leur point de vue qui est de commencer par le plus simple. Nous sommes ensemble à l’Assemblée nationale, nous avons à examiner les mêmes sujets, les mêmes lois, est-ce que nous pouvons rapprocher notre travail ? Mon sentiment est que cette volonté d’unité est très majoritaire à l’Assemblée nationale, alors il faut naturellement que les mouvements politiques se mettent au diapason.

RTL : En tout cas, il y aura bien la réunion constitutive de l’Alliance la semaine prochaine ?

François Bayrou : Je ne fais pas seul le calendrier de l’Alliance, donc je vous répondrai que quand j’aurai rencontré mes amis.

RTL : Un mot sur l’UDF : Alain Madelin et son parti en sont sortis, est-ce que l’UDF existe encore ?

François Bayrou : Je regrette en général beaucoup les divisions, il me semble que la vocation d’un responsable politique, c’est de rassembler, de faire vivre les gens ensemble, de les rapprocher plutôt que de les diviser. Il demeure que sur cet espace que l’UDF incarnait, l’espace de la droite modérée et du centre, il y a beaucoup, beaucoup de gens qui veulent vivre ensemble, qui ne comprennent pas qu’on se sépare, qui tire la sonnette d’alarme et qui, en tout cas, sont, pour eux-mêmes, déterminés à ce que nous construisions une force politique moderne qui les réunisse ; c’est, je crois, ce qui se passera.

RTL : Force démocrate entrera dans l’Alliance en tant que telle, ou bien à l’intérieur d’une UDF ?

François Bayrou : Force démocrate a deux choix, ou bien nous arrivons à construire à partir de cette UDF, qui est en crise, une formation politique solide et qui se tienne, qui incarne cet espace de la droite modérée et du centre, et ainsi c’est cette formation politique nouvelle qui y entrera – Force démocrate pèsera naturellement à l’intérieur de cette formation politique nouvelle, mais pas seule, ce n’est pas une affaire d’hégémonie, ni de ralliement –. Au contraire, nous voulons privilégier une démarche commune et rassemblée. Autrement, si cela ne se faisait pas, Force démocrate entrerait bien entendu comme un des trois mouvements constitutifs de l’Alliance.

RTL : À vous entendre, les différences, les divergences entre l’UDF et le RPR sont gommées maintenant ?

François Bayrou : Non, non. Moi j’essaie de relayer ce que l’opinion, ce que nos sympathisants ou ceux qui voudraient l’être et qui se désespèrent de nos bêtises, ce qu’ils disent et pensent. Je n’ai jamais entendu, pour ma part, un sympathisant de l’opposition nous reprocher nos différences. Ils comprennent très bien qu’il y a des gens plus à droite et d’autres plus au centre. Ils le comprennent tellement qu’ils savent que c’est le cas dans leur famille, dans leur entourage. Deuxièmement, ils savent que c’est le seul moyen d’occuper un espace assez large pour représenter la majorité un jour. Ils n’ont pas envie qu’on se rétrécisse. Mais ils ne supportent pas que nous fassions de ces différences des divisions, eh bien je suis comme eux, c’est comme cela que je fonctionne ou que je pense. Je ne suis pas choqué que Charles Pasqua existe, au contraire ! Je trouve que ce qu’il dit est important, intéressant et qu’on pourrait trouver beaucoup d’autres responsables qui sont, comme cela, plus à droite, plus nationalistes. Je ne suis pas choqué qu’ils existent, je trouve cela très bien. Simplement, je sais qu’il y a ce grand espace de la droite modérée et du centre qui a des aspirations, des valeurs originales et qui entend être écouté, qui entend exister, et être reconnu.

RTL : Deux exemples précis et d’actualité : le projet de loi de lutte contre l’exclusion va être voté en première lecture cet après-midi. Le RPR veut voter contre, l’UDF s’abstenir. Pensez-vous qu’il pourra y avoir une position commune finalement ?

François Bayrou : Je suis très prudent. Pour l’instant, nous avons des positions tranchées qui viennent non pas de l’analyse du texte exactement. Nous avons à peu près les mêmes critiques et le même jugement lorsque quelque chose va bien dans le texte. On sait bien que c’est un grand souci mais, pour simplifier, le RPR dit : puisque nous sommes dans l’opposition, opposons-nous, nous avons un devoir d’opposition. Et l’UDF dit : parce que c’est l’exclusion, nous avons un devoir de montrer que nous y sommes sensibles. Je crois que les deux points de vue se défendent, simplement, si on peut harmoniser, qu’au moins les deux points de vue s’expriment en étant respectueux l’un de l’autre, je trouverais cela bien. Si nous pouvons trouver une position commune, encore mieux.

RTL : À propos du rapport de Madame Tiberi, le RPR crie au complot orchestré par les socialistes. Suivez-vous totalement le RPR dans cette mise en cause ?

François Bayrou : Je pense que ces affaires sont très profondément nuisibles, non pas seulement à l’opposition, un parti, mais aussi à l’image que se forment les Français des responsables politiques.

RTL : Est-ce qu’il y a manipulation possible de la justice ?

François Bayrou : Moi, je ne le sens pas comme cela. Je ne crois pas qu’il y ait de manipulation orchestrée, je pense qu’il y a des difficultés entre justice et pouvoir politique et, peut-être, ces difficultés de relations sont-elles accrues par l’ambiance actuelle de réforme de la justice et l’incompréhension qu’un très grand nombre de magistrats manifestent à l’égard de ces textes. Moi, je ne sens pas de manifestation politique, mais je ne suis pas informé sur les détails.

RTL : Suivez-vous le RPR quand il fait une comparaison entre les emplois fictifs de la mairie de Paris et le salaire de Lionel Jospin, du temps où il n’avait pas d’affectation au quai d’Orsay ?

François Bayrou : Non, je crois d’ailleurs que c’était uniquement démonstratif de la part du RPR. Il y a un scandale grave, c’est le nombre – et il est très important – de hauts fonctionnaires qu’on appelle « au placard », et pas seulement de hauts fonctionnaires, dans les chaînes de radio et de télévision, c’est la même chose, des gens dont, pour se débarrasser, on les met au placard, mais ce n’est pas ceux qui en sont victimes qui sont les responsables directs. Je crois qu’il faut réformer la France de ce point de vue-là aussi, la haute fonction publique en a besoin.