Texte intégral
Q. – Pouvait-il avoir raison seul contre tous ou presque ? Aimé Jacquet a donc conduit l’une des plus belles équipes de France de football de l’Histoire en finale contre le Brésil. La France en finale contre les dieux du football. Sacré Jacquet ! Il aura, quoi qu’il arrive désormais, vaincu le mal français de la critique, quand ce ne fut pas de la médisance. Deux ans de travail à voix basse, une équipe soudée qui se tient par les épaules pendant l’hymne national, les visages de tous ces joueurs qui sont l’expression d’une France plus belle qu’une campagne Benetton – united colors –, le football qui produit du lien social, partout dans les centres-villes et les banlieues, entre les centres-villes et les banlieues et jusqu’aux femmes qui crient plus fort que les hommes : « On a gagné. » Quelle Coupe du monde ! Jacquet, quand même magnifique ?
R. – Oui, je crois qu’il faut surtout saluer son travail.
Q. – Enfin !
R. – Je pense, en effet, qu’il y a eu beaucoup de critiques à une époque.
Q. – Est-ce qu’on a suffisamment défendu Jacquet à ce moment-là ? Y compris vous, d’ailleurs ?
R. – Pas suffisamment, je pense, face à cette campagne un peu lancinante, à ces moqueries. Je me rappelle lorsqu’il avait annoncé la sélection, ces 48 heures où on l’a un peu persiflé par rapport à cela.
Q. – Beaucoup disaient : « 22 ? Mais c’est ridicule ! »
R. – Je crois qu’aujourd’hui, on a la preuve d’un travail patient, rigoureux. Il a su créer une équipe réellement, avec beaucoup de solidarité, de générosité. Moi, je suis allé les voir à Clairefontaine : on sent, au-delà de tous les clichés, qu’il y a réellement quelque chose qui se passe dans cette équipe.
Q. – Est-ce qu’au moins cela pourra servir de leçon ? Ce mauvais mal français qui n’est pas une clause de style, mais qui existe : ce côté à se battre les flancs, à se critiquer ?
R. – On peut espérer que quelques enseignements seront tirés. Mais je suis un peu sceptique.
Q. – Thuram : c’est peut-être l’expression de cette équipe assez miraculeuse. Voilà un défenseur qui met deux buts alors qu’il n’en n’avait jamais marqué jusqu’ici, pas même à l’entraînement.
R. – Je crois que c’est une équipe très solidaire et donc, ce qui s’est passé avec Thuram ne m’étonne pas. Il y a un jeu très collectif où chacun joue sa partition, mais toujours dans le souci du collectif. Thuram a donc senti que c’était possible et il y est allé. Il y a eu une réaction formidable au but marqué par la Croatie. Il fallait vraiment être rapide pour suivre les deux buts. Je crois que cela a libéré l’équipe. On lui a reproché à un moment de ne pas mettre de buts dans la deuxième phase. Eh bien voilà, l’équipe de France a marqué deux buts, hier soir.
Q. – Vous avez entendu ce qu’on criait partout en France, hier soir, c’est « Thuram-président ! » Cela renvoie un peu à ce que disait Dominique Bromberger : ceci montre tout ce dont le football est investi, aujourd’hui, y compris dans le champ politique.
R. – Je crois que le football est vraiment à la fois un phénomène planétaire, culturel. C’est un sport qui représente quand même le populaire, la banlieue. Moi, je vois bien, avec les jeunes, puisqu’on a beaucoup d’initiatives avec les jeunes autour de cette Coupe du monde : il n’y a pas d’écart entre eux et les joueurs de l’équipe de France. Parfois on me dit : ce sont leurs stars. Non, ce ne sont pas leurs stars, il n’y a pas cette admiration avec de la distance. Moi, je me suis promenée avec Basile Boli à Lyon l’autre fois, et à Vaulx-en-Velin : Basile Boli joue au foot comme eux jouent au foot. Il y a donc un rapport particulier.
Q. – Il y a même une reconnaissance au fond ?
R. – Oui, mais je dirais que c’est une reconnaissance, pas par rapport à quelqu’un qui est loin, mais plutôt par rapport à quelqu’un qui est très proche. Il faut voir, par exemple, le rapport des jeunes des quartiers de Marseille-Nord avec Zidane. C’est un rapport de proximité, ce n’est pas un rapport lointain.
Q. – Est-ce que cette Coupe du monde est un outil politique pour vous ? Est-ce que ce n’est pas, au fond, une réponse très concrète à ce débat qui occupait la scène politique française, il y a à peine quelques mois. Tenez, sur l’intégration, par exemple ?
R. – Je pense que cette équipe montre, au-delà des différences, qu’on peut construire ensemble, si on ne rejette pas l’autre, si on essaye de travailler chacun avec son apport. Je crois que c’est quand même un des grands enseignements de cette Coupe du monde. Parfois, je pense à certains quartiers et j’ai envie de dire : voilà, il faut que l’on fasse comme l’équipe de France, qu’on arrive à ne pas rejeter l’autre, mais au contraire à faire avec l’autre. Et quand on fait avec l’autre, en général, on s’en sort.
Q. – Il va falloir que les politiques se mettent en short et un ballon au pied. Les footballeurs arrivent à faire du lien social, ce que jusqu’à présent, les politiques n’ont pas su faire.
R. – Il faut faire attention : le lien social, c’est aussi – je vois pour les jeunes – le sport évidemment, mais pas que le sport, c’est aussi la formation, c’est aussi l’emploi. L’idée que le sport pourrait être la solution à tous les maux, ce n’est pas une idée que je partage. Le sport doit rester une source d’épanouissement, de joie, de rencontre avec l’autre. Mais l’insertion passe avant tout par le recul des difficultés.
Q. – Comment allez-vous faire ? Même si la France est battue par les Brésiliens – mais elle ne le sera pas à mon avis –, quelle Coupe du monde magnifique ! Lundi, on fera la fête, mais mardi, comment allez-vous faire pour qu’on n’ait pas à nouveau des verrous entre la ville et la banlieue ?
R. – Mon idée est que tout ce qui s’est passé autour de la Coupe du monde, à la fois dans son rapport aux équipes, ce qui s’est passé dans les stades avec la convivialité, la fête, ce qui s’est passé autour des stades avec toutes ces rencontres de jeunes comme « Cité foot », « Banlieues du monde », « Quartiers du monde », il y en a eu des centaines, est-ce que l’on arrête tout cela le dimanche soir ? Ou est-ce que l’on se dit : Coupe du monde ou pas Coupe du monde, en 1999 on recommence tout cela ! Moi, j’ai commencé discuter avec les associations, les élus qui ont construit, avec le ministère, toutes ces initiatives, il y a un consensus pour dire qu’il faut mettre des moyens et, en 1999, on reprend les mêmes initiatives et pas qu’autour du foot d’ailleurs, car cela peut être autour de la musique, autour du basket, du roller, autour de l’échange. Et puis, on pourrait finaliser tout cela à la rentrée 1999 par une immense fête du sport et de la jeunesse. Voilà, on va mettre des
moyens là-dessus.
Q. – Attention, il va falloir être aussi têtue, entêtée et solide dans sa tête que Jacquet !
R. – Je n’ai pas les qualités de Jacquet, mais je suis assez déterminée.
Q. – Les Brésiliens, vous les connaissez bien ? Ronaldo, Bebeto, Rivaldo… ils vous font rêver ?
R. – Je ne les connais pas personnellement ! C’est une équipe qui fait rêver. Tout le monde d’ailleurs espérait une finale France-Brésil. C’était la plus belle affiche qu’on pouvait avoir, mais je pense qu’au vu des derniers matchs, c’est tout à fait jouable pour la France.
Q. – Et le bilan ? On peut déjà le faire, pour vous, la ministre des sports ? Ce matin, vous vous dites que cela a été une belle Coupe du monde déjà ?
R. – Je crois que cela a été une belle Coupe du monde, justement par cet aspect convivial, par le fait qu’on ait réussi quand même à ce que la fête sorte des stades, que le moins possible de personnes, de jeunes soient exclus de cette fête. Donc je pense que c’est une belle réussite. Ceci dit, moi, je crois qu’il ne faudra jamais oublier ce qui s’est passé à Lens et à Marseille. Des groupes – néonazis pour certains – ont essayé d’utiliser le sport pour faire passer leur haine. La fête est réussie, mais il ne faut pas oublier le maréchal des logis Nivel. Il ne faut pas oublier ce qu’ont vécu les habitants de Lens, ce jour-là.
Q. – Là aussi, il y a une réflexion politique à mener contre cela ? Elle était engagée avant, mais elle va se préciser après ? Est-ce qu’il y a des mesures à prendre ?
R. – Il y a des mesures qui existent. Il faut appliquer la loi sur la lutte contre les hooligans, l’interdiction de stade. Je pense qu’il y a surtout de la prévention pour éviter le plus possible que la violence rentre dans les stades. Quand je dis cela, je ne pense pas aux grands championnats, mais aux championnats cadets. On a quand même eu des incidents très graves, cette année, entre équipes. Il faut faire beaucoup de prévention.
Q. – Est-ce que le lien social, ce n’est pas la meilleure prévention ?
R. – Bien sûr que c’est la meilleure prévention, mais en se disant que la violence, les dérives de la société ne s’arrêtent pas aux portes des stades. Donc il faut aussi, dans les stades, agir contre cela.
Q. – Allez, mouillez-vous un peu ! Combien dimanche ?
R. – Je ne donne jamais de pronostic. Face au Brésil, on pourrait faire le même score qu’hier soir. Ce serait très bien.
Q. – C’est pas mal. Moi, je me mettrais un peu plus. Ils n’ont plus rien à perdre, donc ils vont s’y mettre tous comme des fous des deux côtés.
R. – J’espère que l’on évitera les prolongations parce que, nerveusement, cela commence à devenir difficile.