Texte intégral
Q - La victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine a secoué le sommet climat. Comment l'avez-vous vécue ?
R - Une immense déception bien sûr. D'autant que, avec environ 1 million de voix d'avance, Hillary Clinton est l'élue du peuple, contrairement à ce qu'affirme la propagande qui utilise les résultats pour opposer peuple et élite. Et puis, depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992, c'est la première fois dans l'histoire des négociations sur le climat que le leader d'un grand pays affirme aussi violemment son climato-scepticisme. C'est une rupture.
Q - François Hollande ainsi que John Kerry ont un peu utilisé la méthode Coué à Marrakech en voulant se persuader que rien ne pourrait entraver la mise en oeuvre de l'accord de Paris. Partagez-vous leur conviction ?
R - Ce n'est pas une méthode Coué mais la volonté, réaffirmée, d'être ferme sur l'application de cet accord. A posteriori, je remarque que si je ne m'étais pas battue pour obtenir son entrée en vigueur avant le rendez-vous de Marrakech et donc l'élection de Donald Trump, la COP22 aurait pu mal tourner. Des pays qui ont beaucoup d'efforts à faire auraient profité du choc américain pour ne pas ratifier. Il y aurait eu un coup d'arrêt. Or l'entrée en vigueur obtenue sert maintenant de bouclier.
Q - Cet accord est-il irréversible ?
R - Un retrait des États-Unis, qui représentent 18% des émissions mondiales de GES, serait symboliquement très grave. Mais l'accord de Paris resterait malgré tout applicable puisqu'on serait toujours, avec les autres pays l'ayant ratifié, au-dessus des 55% d'émissions de GES nécessaires pour son entrée en vigueur. Quant à une dénonciation par Washington de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques [CCNUCC], je n'y crois pas. Quand George Bush a refusé de ratifier le protocole de Kyoto, il n'a pas pour autant dénoncé la convention-cadre de Rio.
Q - Sans se retirer, les États-Unis peuvent ne pas honorer leurs promesses...
R - Oui, et à la limite ce serait plus grave encore. Sans dénoncer formellement l'accord, l'administration américaine pourrait en effet mener des politiques contraires aux objectifs fixés à Paris en ne respectant pas ses engagements sur la réduction des émissions de GES, en encourageant les énergies fossiles et donc en s'exonérant de lutter contre le réchauffement. Mais les enjeux économiques peuvent contrer cette tentation. Lisez l'appel lancé à Donald Trump cette semaine par des centaines de grandes sociétés américaines pour qu'il respecte l'accord de Paris...
Q - Après l'«historique» COP21, que retiendrez-vous de cette COP22 ?
R - D'abord, qu'aucun pays n'a contesté la crédibilité des engagements financiers pris par les pays développés pour aller vers les 100 milliards promis aux pays en développement d'ici à 2020. J'entends bien sûr des ONG demander toujours plus, mais une COP, ce n'est pas une course à l'échalote! C'est l'application forte et obstinée des décisions prises. Avancer à 2018 l'adoption des règlements d'application de l'accord de Paris est aussi une victoire. Maintenant, je vais continuer à m'impliquer avec le réseau diplomatique français afin que les pays émetteurs renforcent leurs ambitions de réduction des émissions et traduisent dans leur loi leurs engagements, comme je l'ai fait pour la France avec la stratégie bas carbone.
Q - Quand la France s'engagera-t-elle clairement sur un plan de décarbonisation qui permettra d'atteindre zéro émission nette en 2050 ?
R - La France est en avance sur l'Europe. Elle a déjà établi sa stratégie bas carbone à l'horizon 2030, ce que les autres pays européens n'ont pas fait. Il nous reste à prolonger cette stratégie au-delà de 2030 pour parvenir à la neutralité carbone en 2050. Déjà, au niveau européen, la France a accepté de passer son effort de -35,5 à -37% pour la réduction, entre 2005 et 2030, de ses émissions dans les secteurs du transport, du bâtiment, de l'agriculture, des déchets, etc. La baisse du coût des énergies renouvelables nous y aidera, ainsi que la fiscalité verte, la finance verte, l'innovation. Les pays du monde entier ont salué le leadership français, c'est une fierté. (…)
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 2016