Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à France 2 le 27 août 2007, sur la rentrée sociale, la politique salariale et le pouvoir d'achat.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Tout à l'heure, vous allez rencontrer N. Sarkozy. La semaine  dernière, il avait rencontré F. Chérèque. Avez-vous le sentiment  que le Président veut calmer une rentrée que les syndicats disent  déjà agitée ?  
 
"Calmer", je n'en sais rien. Je pense que cela demande qu'on le  rencontre. Je pense qu'il veut prendre le pouls et évoquer certains  dossiers avec nous. On ne peut pas se plaindre que le président de la  République ait des contacts relativement réguliers avec les responsables  syndicaux et patronaux.  
 
Mais avez-vous le sentiment qu'il veut calmer le jeu ou pas ?  
 
Je ne sais pas s'il a besoin de "calmer le jeu", on verra cela tout à  l'heure. En tous les cas, c'est l'occasion pour moi de faire le point sur  des dossiers qui sont importants pour nous, et des mécontentements - il  y en a : sur le pouvoir d'achat, sur la franchise médicale, sur les  fonctionnaires. Et puis, je verrai bien, lui, s'il veut me solliciter sur  quelques points, on verra cela tout à l'heure.  
 
Alors, justement, le pouvoir d'achat ce sera la question centrale ?  
 
C'est une des questions importantes aujourd'hui, oui, effectivement,  puisque, mis à part la question des heures supplémentaires, dont on  verra ce qu'elle donnera - mais je suis quand même assez sceptique, je  l'ai toujours dit - sur le reste, à la fois, les prix augmentent, au-delà de  ce que dit l'indice, 1,1 sur un an ; il y a des produits que les gens  consomment tous les jours, qui augmentent de manière importante, +  3,5 %, par exemple pour les loyers ; + 4,5 % pour l'assurance santé  privée ; le pain qui va augmenter, le blé, etc. Donc, cela, c'est un vrai  problème. Et, en la matière, tant pour les fonctionnaires que pour les  gens du privé, pour ce qui concerne le Gouvernement, le Smic  notamment, le Gouvernement n'a rien fait. Donc, c'est là des points  clés.  
 
Mais pour l'essentiel des salaires, ce n'est pas le président de la  République, ce sont les patrons.  
 
Non, il ne les fixe pas. Il fixe indirectement [via] les salaires dans la  fonction publique, puisque, là, il est patron, le Gouvernement est  patron. Mais dans le privé, il a des marges de manoeuvre. Il a les marges  de manoeuvre du Smic notamment. Il peut aussi conditionner certaines  aides ou exonérations de cotisations patronales à des augmentations de  salaires, dans le privé également, cela il peut le faire. Pour le moment,  rien n'a été fait en la matière. Donc, sur les heures supplémentaires,  c'était insuffisant, je l'ai dit...  
 
Les heures supplémentaires, c'était l'idée : il faut travailler plus  pour gagner plus. Vous, vous n'y croyez pas ?  
 
Non, on va voir ce que cela va donner. D'ailleurs, d'abord, cela va être  un coût budgétaire important. L'un des rendez-vous clés, cela va être  dans les mois à venir. Parce que, là, on est en train de dépenser plus,  avec le paquet fiscal, et à la fin on risque d'avoir moins. C'est le  contraire du slogan, d'une certaine manière. Si la croissance n'est pas  au rendez-vous, et contrairement à ce que dit le Premier ministre, qui  pense qu'on fera 2,25 % de croissance, la plupart des experts dit "non",  on sera malheureusement en dessous. Cela veut dire qu'on aura dépensé  plus avec le paquet fiscal, beaucoup de dispositions ne concernant pas  les salariés d'ailleurs, et en même temps, on aura moins de recettes  fiscales et sociales. Cela va être la quadrature du cercle à un moment  donné.  
 
Vous, vous pensez qu'il y aura une augmentation des impôts ?  
 
Je ne sais pas comment... Ou alors, ils feront un plan de rigueur. S'il y a  plus de dépenses et moins de recettes, comment vont-ils faire à un  moment donné ? Si parallèlement on continue à dire qu'on va respecter  les engagements européens - et à un moment donné, il y aura un  problème ; si la croissance n'est pas au rendez-vous, il y aura un  problème. C'est le seul domaine d'ailleurs où il n'y a pas de rupture en  fait, d'une certaine manière, c'est la politique économique : on est dans  une vision de la politique économique qui n'a pas changé. Et ce qui va  être important à un moment donné, pour tout le monde, c'est : quelle est  l'évolution de l'emploi, de manière réelle ? Quelle est l'évolution du  pouvoir d'achat ? C'est cela qui va peser à un moment donné dans la  considération des salariés.  
 
L'autre dossier, c'est le service minimum. La loi a été votée. Allez-vous  tenter d'empêcher son application qui est prévue en janvier  2008 ?  
 
Vous savez que, même s'il n'y a pas réquisition et assignation, ce que  nous avions demandé, il y a quand même des points qui ont été votés  dans cette loi avec lesquels nous sommes en désaccord. Maintenant,  cela va se passer dans les entreprises ou dans les branches, puisque cela  suppose qu'il y ait des négociations, y compris d'ailleurs dans des  entreprises où cela fonctionnait bien ; on va redemander aux syndicats  de renégocier. La RATP, par exemple. Donc, je ne sais pas comment  cela va se passer dans ces entreprises, mais c'est là que cela se situe  pour le moment. Et la manière dont cela se passera, on va voir.  
 
Les sondages semblent montrer que les Français sont plutôt  favorables à cette idée
 
Oui, mais attendez, vous savez, cela fait toujours partie des  contradictions. Je le dis toujours, c'est comme le travail le dimanche. Si  vous demandez à quelqu'un : voulez-vous que les magasins soient  ouverts le dimanche, il va vous répondre "oui". Et si on demande à la  même personne : est-ce que vous, vous voulez travailler le dimanche,  elle va vous répondre "non". Donc, cela c'est pareil pour le service  minimum. Si un jour de grève, vous devez vous déplacer, quelle que  soit la raison, eh bien, oui, vous avez envie d'avoir un train. Mais si on  vous dit : est-ce que vous, vous acceptez de ne plus jamais faire grève,  ils vont vous dire "non". Donc, cela fait partie des contradictions  permanentes.  
 
Sur les fonctionnaires : F. Fillon, disait hier qu'il y aurait une  compensation, en termes de salaire par rapport à la baisse des  effectifs. Cela vous satisfait-il ?  
 
Non, ce n'est pas nouveau, entre nous. Déjà, pendant la campagne  électorale, on a expliqué aux fonctionnaires : acceptez des diminutions  d'emplois, on coupera la poire en deux, la moitié sera réaffectée à des  augmentations de salaires. Non. Ce que nous disons, mais cela fait trois  ans que j'explique cela, plutôt que de discuter de manière comptable, de  dire "tant d'emplois en moins dans la fonction publique, cela fait tant  d'économies", que l'on regarde enfin quel doit être le service public,  alors c'est la fonction publique, mais plus largement que la fonction  publique, quel doit être son rôle, quelles doivent être ses missions, dans  une République ? Si tout le monde est attaché aux valeurs  républicaines, qu'est-ce que cela suppose comme organisation du  service public ? Après, on peut discuter de l'organisation, des effectifs,  mais pas avant.  
 
Il y a peut-être des secteurs où on peut diminuer les effectifs, le  Gouvernement cite, par exemple, les douanes ?  
 
Non, mais attendez... Oui, mais enfin, il fait des erreurs quand il...Ce  n'est pas parce que l'Europe s'est créée, que d'autres missions n'ont  pas été accordées aux Douanes. Les douaniers sont furieux là-dessus.  Ce n'est pas parce que l'Europe s'est mise en place que les douaniers  n'ont pas d'autres missions à effectuer. Vous savez, en 15 ans, il y a eu,  par exemple, 7.000 écoles primaires qui ont fermé sur notre territoire ;  en quelques années, là, on a supprimé 25.000 postes dans  l'enseignement secondaire. Donc, des diminutions de postes, il y en a  déjà eues. Mais on a toujours fait cela sans aucune réflexion. Quel doit  être le rôle de l'Etat ? Quel doit être le rôle des régions ? Quel doit être  le rôle des départements ? Là, on nous dit : eh bien voilà, on a des  problèmes d'argent, donc, il faut faire tant d'économies, et tant  d'économies cela correspond à tant de postes de fonctionnaires.  
 
Vous, vous demandez une grande concertation ?  
 
Oui, bien sûr, une grande concertation, et à froid. Quand je dis "à froid",  on ne peut pas mener cela en 15 jours ou trois semaines. Je le disais,  cela fait trois ans qu'on demande cela ; en trois ans, on aurait pu faire  des choses. Il y avait un organisme qui existait dans le temps, qui aurait  très bien pu faire cela en concertation, c'était le Commissariat au plan,  il a été supprimé. Là, c'est le ministre de la Fonction publique qui va  discuter avec les fonctionnaires un peu de l'Etat en tant que tel, mais ce  n'est pas ce qu'on demande ; cela concerne les fonctionnaires, bien  entendu, mais ce n'est pas exclusivement les fonctionnaires. Le service  public, en tant que tel, cela concerne les fonctionnaires, mais cela  concerne tout le monde. Quel type de service public, quelle mission ?  Et nous, on demande à ce que les confédérations, c'est-à-dire, le public  comme le privé, soient parties prenantes de ce dossier. Pour le moment,  le Gouvernement dit : non, non, c'est juste une question de  fonctionnaires. Non, c'est beaucoup plus large.  
 
Sur la dette de la Sécurité sociale, le Gouvernement va instaurer les  franchises médicales. C'est évitable, c'est inévitable ?  
 
C'est évitable. D'abord, c'est un tour de passe-passe. On nous a  expliqué un moment qu'il fallait mettre des franchises médicales pour  lutter contre le déficit de l'assurance maladie. Comme on a vu que cela  ne passait pas trop bien, on a dit "non, c'est pour financer la recherche  contre le cancer, et la recherche contre la maladie d'Alzheimer". Au  passage, si l'on veut financer par ce biais la lutte contre le cancer et la  maladie d'Alzheimer, on a intérêt à être malade, parce que c'est : plus  on consommera de médicaments, plus il y aura de sommes affectées à  la recherche. Alors, c'est évitable. Regardez, le Gouvernement s'est fait  retoquer sur les intérêts d'emprunts ; il s'est fait retoquer au Conseil  constitutionnel.  
 
Simplement, sur les emprunts contractés avant l'élection  présidentielle.  
 
Oui, sur les emprunts contractés avant le 6 mai. La nouvelle mesure  qu'il prend va coûter moins cher, elle va coûter 850 millions au lieu  d'1,4 milliard, 1,5 milliard. Il aurait pu, par exemple, dire : écoutez, la  franchise, on laisse tomber, et on réaffecte une partie au titre de la  solidarité et au titre de l'effet social, à la place de la franchise, pour  effectivement la recherche. Ce qu'il n'a pas fait.  
 
C'est un dossier pour lequel vous allez vous battre, ces franchises  médicales ?  
 
Pour le moment, on ne s'est pas encore complètement décidés. Moi je  l'évoquerai tout à l'heure avec le président de la République Je vais lui  dire - il ne sera pas surpris, d'ailleurs, je lui ai déjà au mois de juillet -  qu'on est en désaccord avec ce type de procédure. Là encore, on ne peut  pas tout régler en claquant des doigts et en une décision sur l'émotion  ou autre. Il faut un véritable travail de fond et structurel, y compris sur  l'assurance maladie. Si l'on fait le total de ce que l'Etat doit à  l'assurance maladie, on est loin des 5 milliards annoncés par  M. Woerth, c'est beaucoup plus. Si on n'a pas ces éléments de réflexion  de base, comment voulez-vous qu'on puisse avancer de manière  sereine.  
 
Quel bilan faites-vous des trois premiers mois de N. Sarkozy à  l'Elysée ?  
 
C'est difficile de faire un bilan au bout de cent jours, c'est quand même  court cent jours. Il accepte de revenir sur certains points, de discuter.  Ceci étant, il maintient sa ligne. Et il y a un élément de rupture qui  n'apparaît pas, c'est la rupture en matière de politique économique. On  nous parle beaucoup de "rupture" pour autre chose, mais en matière de  politique économique, c'est la même politique économique qu'il  poursuit.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 août 2007