Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la mobilisation des pays africains pour la prévention et le règlement des crises en Afrique, la création d'une école de maintien de la paix pour les pays de la CEDEAO, le désarmement et le développement, Zambakro, le 7 juin 1999.

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  • Charles Josselin - Ministre délégué à la coopération et à la francophonie

Circonstance : Voyage en Côte d'Ivoire du 6 au 8 juin 1999 - Inauguration de l'Ecole de formation au maintien de la paix à Zambakro le 7 juin 1999

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre,

Messieurs les ministres,

Monsieur le représentant du Secrétaire général des Nations unies,

Monsieur le Secrétaire général de la CEDEAO,

Messieurs les ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs les députés,

Messieurs les chefs coutumiers, officiers, sous-officiers, soldats, Mesdames et Messieurs, chers amis,

L'histoire veut que nous nous réunissions au moment où la communauté internationale est à nouveau en proie à des crises graves, qui menacent les équilibres régionaux, qui mettent à mal les droits fondamentaux mais qui surtout causent des souffrances insupportables, et d'abord aux populations civiles. Les formidables efforts aujourd'hui à l'œuvre pour y faire face interrogent la conscience et ne peuvent jamais nous ôter de l'esprit ce que ces crises et les moyens mobilisés pour les résoudre, enlèvent ainsi au développement et au progrès. Il ne s'agit pas ici de mots ou d'incantations. Ce sont les faits, souvent accablants, dont le continent africain offre ici et là le désolant spectacle, mais pas seulement l'Afrique : l'Europe aussi, dont le flanc oriental est aujourd'hui secoué par le drame du Kosovo.

Aussi ne peut-on que saluer la volonté qui se fait jour un peu partout d'envisager ces crises non pas comme des maux inéluctables, mais comme des phénomènes humains que leur dimension historique et politique peut réintégrer dans une rationalité explicable et donc maîtrisable. C'est dans cet esprit que se développe le concept de prévention des conflits et de maintien de la paix.

Vous comprenez donc que c'est pour moi une profonde satisfaction que de vous retrouver aujourd'hui pour l'inauguration de cette école de formation au maintien de la paix de Zambakro.

Nous avons voulu une école exemplaire. Elle est en effet profondément significative d'une double volonté : celle des pays africains pour se mobiliser sur la prévention et le règlement des crises en Afrique, et la volonté aussi de leurs partenaires pour apporter leurs contributions à cet effort.

A l'origine de cette école, il y a la volonté de son excellence, le chef de l'Etat, le président Henri Konan Bédié, et de vous-même, Monsieur le Premier ministre, du gouvernement et de l’état-major ivoirien, de jouer un rôle accru dans le cadre de la communauté économique .des Etats d'Afrique de l'Ouest – la CEDEAO – pour faire régner la paix et la concorde, qui seules permettent le développement, dans l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest et dans l'ensemble du continent africain Cet effort accru est directement relié à celui de l'ensemble des pays membres de la CEDEAO qui se sont convaincus, au fil des années, d'agir ensemble en matière de prévention, de gestion de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Le mécanisme qui a été mis en place en 1999 est un modèle pour les autres organisations régionales ou sous régionales, en Afrique et au-delà, qui entendent jouer également un rôle en ce domaine, en complément du rôle imparti aux Nations unies. Je suis donc heureux de saluer ici aujourd'hui cette entreprise commune de tous les pays de la CEDEAO, de saluer les présidences successives de la Communauté et particulièrement l'actuelle présidence togolaise, celle du président Gnassingbe Eyaderma, qui oeuvre avec persévérance pour ramener la paix en Sierra Leone. Je souhaite vivement que ces efforts, et donc ceux de tous les membres de la CEDEAO puissent être couronnés de succès.

Car il faut que la paix revienne dans ce pays qui n'a que trop souffert d'une guerre civile interminable. Comment ne pas applaudir au souhait du président Obasanjo, exprimé hier, de voir s'instaurer ici un pacte de stabilité et de paix pour l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest ? Et puisque j'évoque le président du Nigeria, on comprendra que je saisisse cette occasion pour dire l’'admiration suscitée la manière dont le général Abubakar a su conduire son pays sur les voies d'une démocratie retrouvée, exemple donné, je crois, à tous les responsables militaires que cette passation pacifique au pouvoir civil qui vient de s'accomplir dans ce très grand pays.

Je salue aussi le secrétariat exécutif de la CEDEAO son secrétaire exécutif, M. Lansana Kouyate, qui joue un rôle essentiel pour permettre à la communauté d'accomplir les tâches qu'elle se fixe pour le bien commun de tous.

De nombreux pays extérieurs au continent, dont la France, sont heureux d'apporter leur appui à ces efforts africains. Un dialogue a été engagé entre nous tous à ce sujet dans le cadre des Nations unies, et plus particulièrement sous l'égide du département des opérations de maintien de la paix, dirigé par mon compatriote, M. Bernard Miyet. Nous nous félicitons de l'appui que le secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, que M. Miyet et toute son équipe apportent à cette école de Zambakro. C'est un gage de réussite pour nous et je souhaiterais que le représentant du secrétaire général des Nations unies veuille bien dire à M. Kofi Annan toute l'estime que nous lui portons pour les efforts qu'il conduit dans ce domaine.

Ce dispositif de maintien de la paix et de règlement des conflits en Afrique n'est nullement un domaine de rivalité ou de concurrence autour des différents pays partenaires, je veux le souligner une fois de plus. Nous avons tous intérêt à ce que l'Afrique par elle-même surmonte les difficultés auxquelles elle est confrontée. Ce que la France fait dans le cadre de son programme de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix est complémentaire de ce que font les Etats-Unis dans le cadre de leurs initiatives de réponse aux crises africaines, dans le cadre de l'ACRI, de la coopération de nos partenaires britanniques avec les écoles d'état-major du Ghana, du Zimbabwe et d'autres pays.

Ce qui se construit, c'est un partenariat loyal en faveur du maintien de la paix. Les enjeux sont trop graves du reste pour ne pas veiller à ce que la complémentarité soit ici la règle. Nous accueillons avec satisfaction en particulier toute l'aide que le département des opérations de maintien de la paix des Nations unies, que l'Organisation de l'unité africaine et celle que d'autres partenaires voudront apporter à cette école de Zambakro.

En tout cas, pour la France, cette école représente la principale réalisation de notre programme de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, ce que nous appelons RECAMP. C'est dire l'importance que nous y attachons.

Pourquoi avons-nous choisi de soutenir ainsi Zambakro ? D'abord parce que nos amis ivoiriens l'ont souhaité, et c'est une très solide raison, quand on sait la tradition de paix qui anime ce pays. Quelque part, Zambakro n'est pas sans lien avec le plaidoyer que fut toute la vie du président Houphouet-Boigny en faveur de la tolérance, de la négociation et de la paix. Permettez-moi de lui rendre ici l'hommage qui lui revient, ainsi qu'aux autorités ivoiriennes, et notamment le président Bédié et son gouvernement qui assument ce grand héritage.

Zambakro doit être comprise comme l'organisation des forces de l'Afrique de l'Ouest pour combattre la guerre et comme une volonté de bannir toute violence, comme un message de solidarité contre l'absurdité du sang inutilement versé.

Mais nous le faisons aussi, parce que nous sommes persuadés que cette école, avec ses instructeurs venant de nombreux pays, surtout africains, ayant une expérience en matière de maintien de la paix, avec son programme de stages, bien adapté aux besoins, sera dans cette partie du monde le creuset de la formation aux techniques de maintien de la paix.

L'école s'adresse d'abord aux pays membres de la CEDEAO. Elle leur permettra de disposer de cadres militaires qualifiés, pour accompagner et réussir les actions de diplomatie préventive indispensables au règlement des crises.

La majorité des stagiaires qui viendront recevoir ici une formation seront originaires des pays de la CEDEAO. Mais il sera bon également qu'un certain nombre d'entre eux viennent d'autres régions d'Afrique, de façon à faciliter les contacts et, en cas de besoin, des opérations communes.

Comment concevoir en effet, à l'avenir, les efforts de maintien de la paix ou de rétablissement de la paix en Afrique ? Il me paraît important de souligner le rôle que les Nations unies devront conserver dans ce domaine. Elles seules sont en mesure de donner une légitimité incontestable à des actions entreprises en application de la charte. Nous devons tous demeurer attentifs aux risques d'affaiblissement de notre système de sécurité collective si les Nations unies ne peuvent jouer leur rôle, ou si elles ne peuvent trouver les financements nécessaires pour les opérations qu'elles ont décidées.

Nous sommes tous également d'accord pour considérer que les organisations régionales ou sous régionales doivent jouer un rôle accru sous l'égide des Nations unies. J'ai déjà salué celui que joue la CEDEAO. Nous souhaitons qu'à l'avenir d'autres organisations, la SADC en Afrique Australe, l'IGAD en Afrique de l'Est, le futur COPAX qui est en gestation en Afrique centrale, d'autres encore, y apportent leur poids respectif. On peut concevoir alors que des liens s'établissent entre ces différentes organisations, en liaison étroite avec l'OUA, pour que les besoins de l'ensemble de l'Afrique dans le domaine du maintien ou du rétablissement de la paix puissent être satisfaits en faisant appel à des pays qui ne sont pas nécessairement membres d'une même sous-région, à des contingents qui peuvent venir de plus loin, comme ce fut le cas de la MISAB en République centrafricaine, comme c'est encore le cas dans ce pays avec la MINURCA. Les plus proches voisins ne sont pas toujours les mieux placés pour intervenir dans une crise. Et dans certains cas, il faudra additionner les moyens de sous régions pour constituer une force d'ampleur suffisante.

Nous ne connaîtrons pas que des succès. Tout simplement parce que le traitement des crises est l'une des questions les plus complexes qui soient. Nous aurions souhaité qu'en Guinée-Bissau le processus de réconciliation se déroule comme la CEDEAO l'avait souhaité. Tel n'a malheureusement pas été le cas et nous le regrettons. Mais ceci ne remet pas en cause, bien au contraire, la nécessité de redoubler d'efforts, de capacité d'analyse, de solidarité et de détermination pour réussir.

L'inauguration de ce centre de Zambakro s'inscrit également dans la prise en compte et dans le traitement de la question complexe des armes légères et de petit calibre.

Les conséquences engendrées par leur accumulation et leur dissémination déstabilisatrices nous poussent à inscrire nos actions dans de multiples domaines : le désarmement, le maintien ou la consolidation de la paix, la sécurité et le développement.

La formation dispensée dans ce centre trouve ainsi parfaitement sa place dans l'édifice que nous construisons ensemble pour répondre à ce défi. Refuser la tentation de la violence, rétablir l'Etat de droit en rendant notamment confiance dans des institutions équilibrées et justes, offrir de réelles perspectives d'intégration dans un tissu économique et social décent, telles sont les pistes principales qui s'ouvrent devant nous.

Tout commence par la sécurité, la stabilité et la paix. Cette condition préalable au développement est au cœur de notre problématique et de notre coopération. Une action régionale ciblée, fondée sur des actions concrètes, telles que celle que nous développerons ensemble à Zambakro, semble être la mieux adaptée pour répondre aux besoins spécifiques de l'Afrique de l'Ouest.

Les chefs d'Etat et de gouvernement de la communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest ont d'ailleurs bien cerné cette question dans leur projet de code de conduite pour la mise en œuvre du moratoire sur l'importation, l'exportation et la fabrication des armes légères. La collecte et la destruction systématique des armes légères superflues parce que non nécessaires aux besoins de sécurité nationale et de défense, organisées dans le cadre d'accords et d'opérations internationales de paix, constituent une des pierres angulaires de cette initiative unique et prometteuse.

Les activités déployées par ce centre devront tenir largement compte de cet engagement commun. La France, pour sa part, appuiera ce projet ambitieux.

Dois-je insister enfin sur le fait que Zambakro, projet pour la paix, trouve son sens dans la mobilisation de tous au service de la liberté, de la tolérance et des droits auxquels nos peuples aspirent ? A vos côtés, dans les grandes instances internationales, à vos côtés en francophonie, la France inlassablement vous offre son partenariat dans ce qui ne doit plus être l'idéal de quelques pays privilégiés ou régions du monde.

En remerciant la Côte d'Ivoire d'avoir offert Zambakro à la paix, en encourageant le partenariat renforcé qu'offre la CEDEAO pour construire un espace d'échanges, de liberté et de progrès, et en refusant les doutes, comme vous tous qui œuvrez pour le développement, je souhaite à cette école de réussir la haute mission qui l'a vu naître et dont elle sera un peu le cœur.

Que maintenant ce cœur palpite pour l'espoir ! Je vous remercie.