Déclaration de Mme Ségolène Royal, députée PS et candidate à l'élection présidentielle de 2007, à l'émission "France Europe Express", le 17 mars 2007, sur son programme électoral, notamment en matière de politique économique et industrielle et de politique de l'enseignement, et sur la question de l'identité nationale.

Prononcé le

Média : France 3

Texte intégral

Invités : Ségolène Royal, candidate PS à l'élection présidentielle ; Laurence Parisot, présidente du MEDEF ; Hakim El Karoui, président du Club du XXIe siècle ; Augustin d'Humières, professeur et Graham Watson, député européen.

Intervenant

Je trouve que Ségolène Royal mène une campagne qui est bonne, parce qu'elle est au contact des gens, au plus proche de leurs préoccupations.

Intervenant

Ségolène Royal n'aborde pas les vrais problèmes de réforme actuelle de l'Etat, du style de celui de la protection sociale ou de la réforme des retraites, ainsi que la constitution européenne, ou des sujets qui sont aujourd'hui essentiels pour un futur président.

Intervenant

Je vais voter pour Ségolène Royal pour plusieurs raisons. Première chose, ses idées notamment sur le plan de la formation des jeunes, également son soutien aux entreprises, essayer de remettre les fonctionnaires et l'Etat au centre des choses, à la différence de certains programmes proposés notamment par monsieur Sarkozy.

Intervenant

Ségolène Royal n'affiche pas vraiment des valeurs de gauche, ou alors elle veut s'acoquiner avec des gens qui ont déjà eu le pouvoir et qui n'ont rien fait.

Intervenant

Un jour c'est avec les éléphants, le lendemain ce n'est plus avec les éléphants, c'est incohérent, mais j'aurais probablement voté pour elle, mais maintenant je n'ai plus tellement confiance.

Intervenant

La méthode Ségolène n'a pas marché, donc il a fallu appeler au secours les vieux éléphants comme on dit, et ça ne marche toujours pas avec les éléphants, et moi je pense qu'elle ne sera même pas au second tour. Donc le séisme de 02 va être un tsunami en 07.

Christine Ockrent

Bonsoir à tous. Bonsoir Ségolène Royal

Ségolène Royal

Bonsoir.

Christine Ockrent

Merci d'avoir accepté notre invitation, pour ce qui va être en fait votre dernière émission longue, je n'ai pas dit grande émission, on verra, ça dépend de nous, mais je veux dire votre dernière émission longue avant que les règles ne changent à nouveau puisqu'à partir de mardi prochain les radios et les télévisions seront contraintes d'accorder exactement le même temps d'antenne aux 11 ou aux 12 candidats, on le saura lundi soir, qui auront obtenu leurs parrainages. Alors comme vous le savez nous avons pour vous, comme nous l'avons fait pour François Bayrou, pour Jean-Marie Le Pen et demain soir pour Nicolas Sarkozy, invité quatre grands témoins qui vont vous interpeller en fonction de leur domaine de compétences, je vais évidemment vous les présenter sans plus attendre. Laurence Parisot, la présidente du Medef, Hakim El Karoui, qui est normalien, banquier et président du Club du XXIe siècle, qui est un club oecuménique de réflexion sur l'évolution du pays et du monde, si j'ai bien compris. Augustin d'Humières, merci être là, vous êtes, vous, professeur de latin grec et vous vous acharnez à apprendre dans un lycée de banlieue, qui n'est vraiment pas l'un des plus favorisés, où les élèves en tout cas n'ont pas accès toujours à tous les outils culturels au même titre que les autres, vous enseignez donc au lycée Jean Vilar de Meaux, le latin, le grec et vous leur faites jouer Shakespeare en anglais.

Augustin d'Humières

Non non, pas en anglais du tout, en français.

Christine Ockrent

En français, c'est déjà pas mal, et merci Graham Watsonêtre parmi nous, en chair et en os, si j'ose dire, vous êtes britannique, député européen, et vous êtes le président du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, ce qui, en anglais, veut dire les « libdem. » Ségolène Royal ? on a donc compris qu'en fait depuis 2 jours vous êtes une femme libérée, ça a surpris un grand nombre d'entre nous, qui vous voyez déjà...

Ségolène Royal

Vous le saviez déjà.

Christine Ockrent

Mais donc libérée, affranchie, avez-vous dit, des contraintes du Parti socialiste, donc qu'est-ce que ça veut dire à partir de maintenant ? qu'est-ce que vous allez abandonner du programme du PS, qu'est-ce que vous allez rétablir dans votre argumentaire que vous auriez atténué ou mis de côté pour faire plaisir aux éléphants dont, si j'ai bien compris, le poids a été surestimé ou sous-estimé ? Qu'est-ce que vous retenez, qu'est-ce que vous sortez ?

Ségolène Royal

C'est plus global que cela au sens où ce que j'ai dit c'est tout simplement la définition de l'élection présidentielle, c'est-à-dire un lien direct entre un homme ou une femme et le pays, et je crois que dans cette dernière étape, cette dernière phase, de la campagne présidentielle, après les phases précédentes, que j'ai voulues, sur lesquelles j'ai tenu bon, il y a la phase d'abord de désignation interne, qui m'a déjà permis de faire mes preuves, ensuite il y a eu la phase d'écoute, parce que je crois que la politique doit changer profondément, le monde a changé, la France a changé, la politique doit changer, les Français sont intelligents et ils ont le sentiment de ne pas être suffisamment associés aux décisions qui les concernent, et donc si j'ai fait cette phase d'écoute participative, qui a donné lieu d'ailleurs aux cahiers de l'espérance, comme il y avait des cahiers de doléances, que j'ai là, qui sont également sur mon site desirdavenir...

Christine Ockrent

Et puis il y a eu la phase programmatique, et là vous y avez associé le parti et ses hiérarques en quelque sorte.

Ségolène Royal

Après cette phase d'écoute j'ai présenté le pacte présidentiel. Pourquoi un pacte et pas un projet ? Parce que ce pacte je l'ai construit avec une partie des Français, il m'engage, il m'oblige, mais il demande aussi aux Français de faire un effort en retour, c'est du gagnant gagnant, et maintenant je suis dans la dernière phase, c'est-à-dire en appui sur le Parti socialiste, bien évidemment j'ai la chance d'avoir un grand parti auquel j'appartiens, dans le cadre duquel je suis élue depuis 15 années, d'autres partis de gauche qui me soutiennent, mais aujourd'hui je dois m'affranchir des partis politiques, je compte bien sûr sur eux, d'ailleurs ils sont très mobilisés, les militants sont très mobilisés sur le territoire, on ne peut pas faire campagne sans avoir des militants...

Christine Ockrent

Mais vous vous affranchissez sur quels points ? Quels sont les points du programme du PS que vous oubliez en quelque sorte dans cette dernière ligne droite et quels sont les points de votre propre argumentaire, qu'on n'a plus beaucoup entendu au cours des dernière semaines, notamment l'allusion à Tony Blair, qui a réapparu dans votre discours, dans une interview aux Échos me semble-t-il, il y a 2 ou 3 jours, quels sont les points précis ?

Ségolène Royal

Je crois que ça ne se compte pas en points précis, c'est une vision globale sur l'avenir du monde, sur le socialisme du réel, sur les nouveaux problèmes qui émergent et donc sur l'effort d'imagination qu'il va falloir construire, sur une autre façon aussi de faire de la politique, donc il y a bien sûr à la fois des éléments qui étaient dans le projet précédent, des différents partis, mais en même temps je suis nourrie par cette écoute des Français, et par exemple, dans le discours du 11 février dans lequel j'ai présenté mon pacte présidentiel, j'ai commencé par parler de la dette et des déficits publics...

Christine Ockrent

Vous n'avez pas toujours expliqué, d'ailleurs, comment vous alliez éventuellement la réduire cette dette, mais peut-être madame Parisot vous posera une question...

Ségolène Royal

Nous allons y atteler. Ce que je veux dire c'est que jamais un responsable socialiste n'avait commencé, avant d'énoncer des propositions, de dire quelles étaient les difficultés, jamais un discours socialiste n'avait commencé par parler de la dette. Je crois par ailleurs, aussi, ce qui est différent c'est que je veux réconcilier la France avec les entreprises, très clairement, et je crois qu'il y a un lien très direct entre la solidarité et l'efficacité, et en même temps je reste fidèle à ce qui fait mon identité, mon authenticité de femme de gauche, c'est-à-dire que je crois, contrairement au projet de la droite, que ce n'est pas en faisant plus de précarité qu'on aidera les entreprises, même si elles le pensent, ce n'est certainement pas en revenant sur des progrès sociaux que nous pourrons faire avancer les entreprises, mais au contraire, je crois que la sécurité personnelle, la sécurisation des parcours professionnels, l'investissement massif dans la ressources humaines, dans la formation professionnelle, permettra aux entreprises être plus performantes et certainement pas le contraire. Et par exemple dans le programme de Nicolas Sarkozy il y a la généralisation du CNE, c'est-à-dire d'un contrat de travail précaire, que souhaite d'ailleurs le MEDEF, c'est une façon de voir les choses, moi je crois tout le contraire, je pense que c'est en sécurisant les salariés qu'ils seront plus motivés dans leur travail, donc plus productifs et donc que l'entreprise sera plus performante.

Christine Ockrent

Alors avant de laisser Laurence Parisot vous répondre, vous interpeller...

Jean-Michel Blier

On a bien compris, Ségolène Royal, que vous reveniez à une espèce de, une sorte de lecture très gaullienne de l'élection présidentielle, une femme ou un homme face au peuple Français, mais au fond, derrière cela, est-ce que ce n'est pas que quelque part l'appui du Parti socialiste et des éléphants ne mettait pas en cause ce qui fait votre force, c'est-à-dire votre singularité ?

Ségolène Royal

Je crois que c'est une alliance des deux qui fait ma force, c'est-à-dire à la fois une identité et une personnalité, une volonté d'éclairer l'avenir, une volonté d'imaginer cet avenir et d'inciter les Français, d'inviter les Français à imaginer la France avec moi, et en même temps...

Christine Ockrent

Mieux que ne pourraient le faire les éléphants, enfin ceux qu'on appelle les éléphants ?

Ségolène Royal

N'opposez pas les uns aux autres, je crois que ça c'est la petite histoire. Aujourd'hui les Français ils sont dans la dernière ligne droite aussi, ils regardent la qualité des propositions des candidats, et surtout leur cohérence, leur sincérité, parce que je pense que la clé d'une élection présidentielle c'est une cohérence entre une personne, un itinéraire politique et des forces politiques qui soutiennent ce candidat ou cette candidate, et ensuite la vision du monde telle qu'elle peut donner la conviction aux Français que la politique sert encore à quelque chose, vous savez, la crise démocratique est extrêmement profonde, j'ai été la première à en faire le constat, c'est pour ça que j'ai changé le mode de campagne, on me l'a suffisamment reproché, mais il y a des millions de Français qui ont le sentiment de ne plus compter pour rien, qui sont à l'écart de tout, que la précarité les tire vers le bas et se demandent tout simplement si l'élection présidentielle va servir à quelque chose, et la réponse que je vous fais c'est que moi ma volonté c'est de faire en sorte que cette élection serve à quelque chose, pour tout simplement que la France se redresse et qu'elle se relève, et que ses talents s'y épanouissent.

Christine Ockrent

Encore faut-il que la dernière ligne droite de cette campagne, dans les quatre semaines qui restent, parvienne, pour vous comme pour d'autres, à dissiper ce qui semble envahir les Français, c'est-à-dire une impression de flou, c'est en tout cas ce que révèle le sondage que nous avons demandé avec nos partenaires de France Info à l'institut CSA et que va nous résumer Dominique Rotival.

Dominique Rotival

Parmi les électeurs de Ségolène Royal, déclarant vouloir voter pour elle au premier tour de la présidentielle, certains hésitent encore, ils sont 35% à l'heure actuelle. Quelles sont les raisons de leur indécision ? Premier motif, ils hésitent entre plusieurs candidats à la fois et ils sont 10% dans ce cas-la. 8% hésitent avec François Bayrou, 2% avec Nicolas Sarkozy, 1% avec Dominique Voynet. Deuxième motif, l'incertitude liée à la candidate et à son programme, ils sont 25% dans ce cas-la et là encore les indécis peuvent avancer plusieurs raisons à la fois, ainsi 10% déclarent ne pas être convaincus, 6% précisent ne pas adhérer complètement aux idées de la candidate, 6% également souhaiteraient que Ségolène Royal approfondisse ses idées. Troisième motif, l'incertitude liée à l'ensemble des candidats et à la campagne elle-même, ils sont 39% dans ce cas-la et là encore les raisons sont multiples et peuvent s'additionner, ainsi 12% déclarent tout simplement ne pas avoir encore choisi, ne pas avoir assez réfléchi. 8% affirment ne pas être suffisamment intéressés à la campagne, 7% attendent de voir ce que les autres candidats vont proposer et 5% de ces indécis du premier tour estiment que finalement il y a beaucoup de candidats, bref, l'embarras du choix !

Christine Ockrent

Il est vrai que cet embarras, qui semble dû à plusieurs facteurs, on le sent dans le pays, évidemment pas dans vos meetings, où bien évidemment vous réunissez des militants qui par définition vous sont acquis et qui sont manifestement passionnés, ils sont très nombreux, pour autant est-ce que vous comprenez, est-ce que vous ressentez, cet espèce de flottement de l'opinion au sens large par rapport aux enjeux de cette campagne et comment l'expliquez-vous ? Est-ce que c'est de la faute, de votre faute, de la faute des autres candidats éventuellement, ou pas ?

Ségolène Royal

Je pense d'abord qu'en effet les Français hésitent, d'abord parce qu'ils sont exigeants, ils ont raison de être, ils ont le sentiment peut-être de être fait avoir lors des précédents scrutins...

Christine Ockrent

Y compris quand ils ont donné la victoire à votre famille politique ?

Ségolène Royal

C'est-à-dire au sens où souvent il y a un décalage entre l'enjeu d'une élection et la capacité ensuite de la politique à régler un certain nombre de problèmes La Deuxième chose c'est qu'ils ont bien senti, moi j'étais frappée par la maturité des Français dans ces débats participatifs, ils ont compris d'abord dans quel état était le monde, ils ont compris ses mutations, ils ont compris qu'au fond l'enjeu de cette élection c'était de savoir si la France allait pouvoir reprendre la main, si la politique avait encore un sens, c'est-à-dire quelle est la part de ces mutations internationales, de ces mutations aussi au sein du pays, que l'on était capable de maîtriser et d'orienter, et donc je prends cette incertitude comme une demande de politique.

Christine Ockrent

Et une demande encore insatisfaite à un peu plus de quatre semaines du premier tour !

Ségolène Royal

Bien sûr...

Christine Ockrent

Donc il n'y a plus beaucoup de temps pour expliquer le monde, la société, les enjeux...

Ségolène Royal

Et surtout quelle est la force d'action de la politique, et comment la France peut s'en sortir, à la fois la France en tant que telle, avec son potentiel, parce que les gens ont parfaitement compris à la fois qu'il y avait un creusement des inégalités et des précarités, et cela ils ne le veulent pas, et en même temps ils ont compris aussi qu'il y avait des mutations internationales, qu'il fallait donc construire l'Europe, ça ils l'ont parfaitement saisi, et ils se demandent comment nous allons pouvoir résister à l'émergence de la Chine, de l'Inde, résister aux Etats-Unis, c'est-à-dire, en un mot, lutter contre les délocalisations, c'est la peur première. Il y a deux peurs que les Français expriment, c'est la peur des délocalisations parce qu'ils ont bien compris qu'aujourd'hui ce sont les entreprises d'intelligence qui partent, alors qu'on leur avait raconté que c'était des entreprises à faible valeur ajoutée, donc là il y a une peur panique, et nous en tant qu'élus, et moi je le vois en tant que présidente de région, je suis confrontéeà ce même problème, et je pense qu'il est vraiment possible de faire autrement, il faut que Europe se protège car nous sommes trop naïfs sur cette question-la, premier point, deuxièmement ils ont peur du chômage des jeunes, ils ne comprennent pas pourquoi il y a des jeunes qualifiés, des jeunes diplômés, qui sont au chômage, c'est pour ça que ce sera aussi mon combat principal, une nouvelle donne avec les entreprises pour qu'elles fassent confiance aux jeunes et qu'elles leur donnent leur chance, et enfin ils ont peur de l'avenir, c'est-à-dire qui va payer les retraites ? C'est la première fois où l'on voit la jeune génération s'interroger sur ses retraites, or moi je crois que le sens même de la politique c'est de transmettre à la génération future la certitude que sa situation va s'améliorer par rapport à la génération qui précède et...

Christine Ockrent

Et ça c'est une inquiétude qu'on trouve d'ailleurs dans d'autres pays, même si elle est plus forte en France.

Ségolène Royal

C'est surtout le sens du combat qu'il faut mener et qu'il faut gagner, moi je crois que c'est possible.

Jean-Michel Blier

Justement, les Français, vous le disiez, ont complètement intégré, semble-t-il, la mondialisation par exemple, le fait qu'on ait dans une économie ouverte, et au fond la question que je voulais vous poser c'est, est-ce que ça n'a pasune conséquence politique, c'est-à-dire que les Français ne croient plus au grand soir, aux lendemains qui chantent, et donc, au fond, pour eux aussi en politique les choses se sont brouillées, c'est-à-dire qu'ils ne font plus vraiment de différence entre la droite, le centre et la gauche, et comment vous vous inscrivez dans cet espèce de désarroi politique des Français qui n'ont plus aujourd'hui de repères ? On voit bien dans les sondages qu'ils peuvent passer d'une candidature ou d'une intention de vote à votre endroit, passer chez Bayrou ou passer éventuellement chez Sarkozy.

Ségolène Royal

Je m'inscris dans un dépassement, c'est-à-dire que je crois qu'on peut résister et maintenir la force du modèle social français dans le sens où tout se sécurise les gens, je l'ai dit tout à l'heure, ce sont des facteurs de lutte contre toutes les formes d'insécurité, parce que pour affronter les insécurités du monde il faut inventer les nouvelles sécurités qui permettront à chacun de retrouver le goût du risque, la capacité d'entreprendre, je crois par exemple qu'à l'école il faut apprendre à entreprendre, ça ce sont des éléments que la France a parfois perdu, et donc il faut retrouver le goût du risque, et les citoyens, les entreprises, les artisans, les commerçants, ceux qui créent, les enseignants, les jeunes, retrouveront le goût du risque si on leur garantit que le modèle social français va perdurer.

Jean-Michel Blier

C'est-à-dire que, Ségolène Royal...

Christine Ockrent

Même si ce modèle social a failli, puisqu'il y a une telle inquiétude, ça veut dire qu'il n'a pas si bien fonctionné que ça.

Ségolène Royal

Le modèle social d'abord est inefficace sur certains points, il s'est dégradé en certains endroits, parce que aussi la droite l'a dégradé, disons-le très clairement, lorsque la droite retire de l'éducation, ou retire du service public, je pense qu'elle fait une mauvaise action, parce qu'il faut sécuriser les territoires, c'est-à-dire mettre du service public tout en le réformant, je ne suis pas une immobiliste, je pense qu'il faut toujours être dans la réforme et dans le mouvement, mais qu'il ne faut jamais en rabattre sur ce qui sécurise.

Jean-Michel Blier

C'est-à-dire, Ségolène Royal, qu'il y a toujours des marqueurs de gauche par rapport à la candidature et au projet de monsieur François Bayrou, ou par rapport à celui de Nicolas Sarkozy, ou des autres candidats ?

Ségolène Royal

C'est évident, c'est évident, et ce qui saute aux yeux dans ces marqueurs c'est la conception de la valeur travail, moi je considère que lorsqu'on précarise le travail on sape la valeur travail, donc ils ont sapé la valeur travail dans le CPE, dans le CNE, et dans toutes les attaques permanentes contre les 35 heures, comme si c'était la solution miracle, on y reviendra, vous savez ce que je pense des 35 heures, donc ils sapent la valeur travail, et moi je pense que l'on défend la valeur travail au contraire en sécurisant les salariés, en mettant de l'investissement dans la formation professionnelle et donc en augmentant les bas salariés en contrepartie de la formation professionnelle, en aidant les entreprises qui en ont vraiment besoin et qui ne sont pas celles qui ne sont pas assujetties aux fonds de pension ou celles qui rémunèrent moins leurs actionnaires que leurs salariés, il y aurait aussi beaucoup à dire sur cette question-la, et donc il faut maintenant avoir des politiques publiques sélectives, c'est-à-dire que l'argent public ne doit pas être gaspillé mais aller vraiment là où les entreprises en ont besoin et là où les citoyens en ont besoin, en investissant dans la valeur travail, dans ce qui va faire la productivité des entreprises de demain, comme l'ont montré certains pays du Nord de Europe, regardez les résultats que la Finlande vient de publier ; qu'est-ce qu'elle a fait la Finlande, elle a investi massivement dans la formation professionnelle, tout en sécurisant les salariés ; donc, le nouveau modèle social français ancré sur les valeurs dites de gauche, je dis à gauche sans vouloir instrumentaliser les électeurs dans un débat d'étiquette, mais en même temps je crois qu'il est là le fondement de la fidélité à mes valeurs fondamentales, c'est que je pense que l'avenir de la France se prépare dans un investissement massif dans le capital humain, avec un équilibre sur trois pôles, un équilibre sur trois pôles, et c'est ça qu'il faut bien comprendre, et c'est la politique que je conduirai, sur la valeur ajoutée économique, avec ses contraintes économiques, chacun a sa place et chacun dans son métier, la valeur ajoutée sociale au sens large, où là-dedans il y a l'investissement sur la formation professionnelle, la lutte contre les maladies professionnelles, vous savez qu'aujourd'hui il y a 00 accidents du travail par jour, vous ne croyez pas que ça coûte cher à l'économie 00 accidents du travail par jour, et la santé, et puis le Troisième pilier c'est la valeur ajoutée environnementale, c'est-à-dire qu'aujourd'hui tout doit être fait en intégrant la dimension environnementale, que c'est un levier majeur de la croissance économique.

Christine Ockrent

Alors, je vous interromps parce qu'il y a une autre dimension, que vous faites intervenir dans cette campagne, même s'il y a d'autres femmes qui se présentent, il y en a quatre, c'est exceptionnel en France, vous êtes la seule à être soutenue et portée par un grand parti de gouvernement, mais il est très frappant, Ségolène Royal, que dans cette campagne vous mettez en avant l'argument femme, plusieurs fois vous l'avez fait encore il n'y a pas si longtemps à Dijon, me semble-t-il, comme si c'était un argument pour convaincre les électeurs et les électrices que le fait être une femme changerait tout, vous l'avez dit, pratiquement, que le fait être une mère apporterait à une société inquiète une fonction nouvelle, adoucissante, maternante, encourageant, compassionnel en quelque sorte, est-ce que c'est un argument que vous développez volontiers et est-ce que vous croyez vraiment qu'une femme ça changerait tout ?

Ségolène Royal

En effet j'ai entendu de reproche qui m'a été fait...

Christine Ockrent

Ce n'est pas un reproche, c'est une remarque !

Ségolène Royal

...sur le compassionnel, qui m'a été fait par mes adversaires, en particulier par monsieur Sarkozy. Vous savez, s'il y avait un peu plus de compassionnel dans la société dans laquelle nous vivons, ça irait peut-être mieux et pour moi je ne l'ai pas pris comme une insulte.

Christine Ockrent

Justement, c'est bien le sens de ma question, est-ce que vous mettez en avant le fait être une femme, ce qui est évident, mais vous dites, voilà, c'est un atout, c'est un avantage comparatif que je vous offre, par rapport à d'autres candidats masculins, qui n'auraient pas cette dimension d'écoute et de, vous n'aimez pas le terme compassion, c'est un très beau mot, donc cette dimension d'écoute et au fond cette dimension maternante. Est-ce que vous reconnaissez que c'est un argument que vous employez de plus en plus ?

Ségolène Royal

Ce que je dis aux électeurs, il ne faut pas voter pour moi parce que je suis une femme, mais en revanche j'incarne le changement, le vrai changement.

Christine Ockrent

Parce que vous êtes une femme ?

Ségolène Royal

En partie. Je veux dire par là que compte tenu de la dureté de la vie politique, du cheminement qu'il faut accomplir pour arriver à être une candidate désignée par un grand parti politique, et donc peut-être avec la possibilité être élue, ce que j'espère, il faut quand même avoir assumé un certain nombre de résistance, de qualités, d'engagements, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, donc je crois que c'est déjà...

Christine Ockrent

Alors précisément, je vous propose, grâce à Lionel Cottu, de voir comment les blogs, la blogosphère, et certains de vos proches en sont extrêmement familiers, comment sur Internet on réagit à cet argumentaire féminin, et même féministe, dans la campagne française.

Lionel Cottu

Alors que la campagne menée par Ségolène Royalfait débat, les bloggeurs s'interrogent sur la difficulté être une femme en politique. Sur le blog interdit-aux-hommes on ne cache pas sa déception quant à la situation des femmes. Les femmes sont loin d'occuper la place que les principes officiels républicains reconnaissent à tout citoyen sans distinction d'âge ou de sexe, et c'est encore un peu vrai dans le monde économique, fortement dans la sphère politique. Et de préciser : lorsqu'il s'agit d'accéder au pouvoir, et ce quel que soit le sexe, tous les coups sont permis, et les femmes politiques n'échappent pas à cette règle du sacro-saint crêpage de chignon, si féminin. Geneviève Tapie relève également sur son place aux femmes, une femme de suspicion. Quand vous êtes une femme, quand vous vous présentez à une élection, quand vous êtes candidate à un quelconque poste de responsabilité, se pose toujours en creux la question de votre légitimité, et l'interrogation revient de manière récurrente. Qu'est-ce que vous pouvez apporter de plus ? Mais c'est au tour de l'exemple de Ségolène Royal que se cristallise la réflexion. Ainsi, pour Olivier Bonnet, le fait être une femme ne doit pas servir d'excuse. Interrogée par un journaliste du New York Times, sur l'Irak et le terrorisme, Ségolène Royal avait répondu : poseriez-vous la même question à un homme ? Cette répartie totalement absurde illustre chez elle une posture constante, lorsqu'elle est embarrassée elle dégaine l'arme fatale : elle est une femme. Christine Kardellant, directrice de la rédaction de l'Express, estime également sur son blog être une femme ne peut être un argument en soi. On peut se demander si la revendication de sa féminitude est un atout pour la candidate du PS, elle, pourtant, semble en être convaincue. Et elle ajoute : la mieux placée des candidates femmes aurait sûrement intérêt à revenir dans l'arène avec des arguments asexués. Sur houblog Hussein rappelle habilement : une chancelière allemande, une présidente américaine et une présidente française, et peut-être que le monde se portera mieux. Et puis, quand je pense à Margaret Thatcher, Condoleezza Rice et à Golda Meir, je me dis que ce n'est pas gagné d'avance. Merci de continuer à m'envoyer vos blogs politiques préférés sur france3.fr.

Christine Ockrent

Alors, sans plus attendre, nous allons voir, Ségolène Royal, comment vous continuez à mener campagne et comment ces différents arguments, à commencer par celui-ci, qui encore une fois, je crois, est très nouveau dans l'argumentaire politique français, comment il est reçu à la base par les gens que vous choisissez d'aller convaincre. C'est un reportage à Charleville-Mézières de Serge Cimino et Christian Walter.

Serge Cimino

Dans 1 heure, à Saint-Brice-Courcelles, tout près de Reims, la place de la mairie s'apprête à accueillir Ségolène Royal. Le bouquet de roses est prêt, ici on y croit.

Intervenante

Tout est possible, à condition que chacun se mobilise et que nous soutenions notre candidate.

Serge Cimino

L'ambiance monte d'un cran, la candidate est annoncée, tout le monde est prêt pour ce qui doit être une visite au plus près de la population.

Intervenant

Le tout c'est juste qu'un maximum de journalistes soient derrière, derrière la corde, pour éviter qu'ils s'agglutinent autour d'elle et qu'elle ait accès aux gens et à la population.

Serge Cimino

Un style de déplacement que veut désormais privilégier la candidate socialiste, l'accueil réservé dans la commune devrait certainement l'encourager. Bain de foule réconfortant en période de sondages difficile, alors, sur une tribune de fortune, elle encourage à son tour, les fans du jour.

Ségolène Royal

En avant, nous avons pour la France un devoir de victoire, je compte sur vous.

Intervenant

Il faut avoir la foi, je l'ai, et puis elle sera au Deuxième tour, et elle sera présidente de la République.

Intervenante

A mon avis elle rassemble beaucoup de Français, moi je suis heureuse de l'avoir vue aujourd'hui.

Serge Cimino

Après l'opération visite conviviale en terrain conquis, changement de décor, direction les Ardennes et la ville de Revin, terre de métallurgie, de fonderie et d'électroménager, mais aujourd'hui région sinistrée qui voit ses entreprises mettre la clé sous la porte. Exemple d'actualité, l'usine Porchet spécialisée dans le secteur sanitaire comme les baignoires, 63 emplois sont menacés sur ce site qui compte encore 240 salariés, les syndicats attendent Ségolène Royal.

Journaliste

Vous avez pensé à la première question que vous allez lui poser ?

Christian Deschamps, délégué CGT

Que peut-elle faire pour notre entreprise ? Déjà, pour sauver notre emploi dans le département. Après on verra.

Serge Cimino

La candidate rencontre les salariés aux portes de l'usine, quelques mots échangés, quelques éléments de programme proposés en réponse au chômage qui s'annonce. Dominique Strauss-Kahn rejoint tout le monde pour la photo de famille. Après une demi-heure de discussion, c'est déjà l'heure du départ pour la candidate, la caravane de campagne s'éloigne, alors l'expression est un peu plus directe et on parle fonds de pension pour désigner le coupable.

Marie-Claude Moriau, secrétaire comité d'entreprise

Ce que je veux, moi, c'est que tous ces fonds de pension américains qui viennent saigner nos entreprises, il faut que ça arrête, il faut que nos enfants puissent travailler en France, il faut que nos enfants puissent travailler dans notre départements des Ardennes parce qu'on peut y travailler, donc j'estime que... si madame Royal peut faire quelque chose pour nous, eh bien c'est très bien.

Serge Cimino

Fonds de pension, délocalisations, chômage, un quotidien qu'ils aimeraient voir changer, ils donnent rendez-vous à Ségolène Royal, comme aux autres, le 22 avril prochain.

Jean-Michel Blier

Ségolène Royal, Lionel Jospin disait : on ne peut pas tout demander à la politique. Vous, qu'est-ce que vous dites à ces ouvriers, ces salariés qui voient leur entreprise délocalisée parce que des fonds de pension ont racheté et puis on licencie et on déplace l'usine ailleurs ?

Ségolène Royal

Je leur dis qu'on changera les règles du jeu et d'abord...

Christine Ockrent

A nous tout seul ?

Ségolène Royal

Oui, on changera les règles du jeu comme c'est fait dans d'autres pays d'Europe, c'est-à-dire qu'une entreprise ne pourra plus mettre les clefs sous la porte sans que personne ne soit informé bien en amont de ce qui est en train de se passer et donc les organisations syndicales de salariés auront accès aux comptes de l'entreprise, aux stratégies industrielles comme c'est le cas en Allemagne, en Suède, au Danemark...

Christine Ockrent

C'est déjà le cas, murmure Laurence Parisot...

Laurence Parisot

Comme c'est déjà le cas...

Ségolène Royal

Non, ce n'est pas le cas...

Laurence Parisot

Mais c'est totalement le cas.

Ségolène Royal

Ce n'est pas le cas, je le vis tous les jours dans ma région. Il y a une entreprise qui est partie, l'entreprise Aubade qui a d'abord déménagé son matériel, qui a commencé à faire fabriquer en Tunisie... personne ne l'a vu. Et ensuite elle a expliqué...

Laurence Parisot

Vous savez, il y a déjà des instituts...

Ségolène Royal

Attendez, il y a des choses très précises qui sont en train de se passer et moi ce que je trouve dommage, c'est que des entreprises qui se comportent mal comme celle-ci, jettent le discrédit sur l'ensemble des entreprises françaises et il n'y a pas des entreprises : il y a les entreprises qui se comportent bien parce qu'elles sont accrochées à leur territoire, qu'elles sont responsables envers leurs salariés, qu'elles s