Interview de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, à RTL le 12 août 2008, sur les jeux olympiques de Pékin et les valeurs du sport.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

E. Martichoux.- R. Bachelot, vous êtes en ligne depuis Pékin. Vous étiez donc tout à l'heure avec tout le camp français au bord du bassin olympique quand L. Manaudou est arrivée avant-dernière du 100 mètres dos.
 
Oui, effectivement, j'étais avec le camp français, l'ensemble de l'équipe française de natation et des coachs. C'est vrai que quand j'ai vu le visage assez fermé de Laure après sa terrible contre-performance du 400 mètres d'hier, je n'ai pas eu une bonne impression, j'ai tout de suite senti que ça n'irait pas sur le 100 mètres. J'ai parlé avec les gens qui l'entourent, elle est dans sa chambre, elle est absolument fermée, murée. Je veux dire que notre Laure, c'est une très grande championne. J'ai regardé sur Internet les titres des journaux, enfin les titres de la presse hier, je trouve quand même qu'on est cruels ! Vraiment, je veux redire, Laure nous apporte des moments de bonheur, c'est une formidable championne. Bon, là, c'est vrai, je ne vais pas dire qu'elle est bien, elle n'est pas bien. Mais je suis solidaire avec elle.
 
Elle est sortie en sanglots, vous l'avez vue, vous, humiliée. Elle avait dit à nos confrères de L'Equipe qu'elle ne se sentait pas dans les Jeux, elle n'avait pas le moral. Vous l'aviez rencontrée depuis que vous êtes arrivée vendredi ?
 
Non, je ne l'ai pas rencontrée vendredi. J'avais passé le déjeuner avec elle il y a quinze jours à Colombes avant qu'elle parte pour les Jeux. Elle m'avait parue bien. D'abord, l'ambiance de l'équipe était formidable, avec les deux capitaines, Dufour, pour les hommes, et puis M. Metella pour les femmes. Elle était bien, mais en même temps, un peu absente notre Laure. Et cela m'avait frappée à ce moment-là.
 
Vous l'aviez sentie un peu absente et d'ailleurs et elle se demande si elle ira au bout de ces Jeux ?
 
Oui, je sais, il reste une épreuve pour elle...
 
Le 200 mètres dos...
 
Qu'elle fera, bien entendu. Je lui dis avec beaucoup d'amitié, un peu comme une maman qui parle à sa fille : il faudrait qu'elle fasse cette course parce que les seules batailles qu'on est sûrs de perdre sont celles qu'on ne livre pas. Donc il faut qu'elle la fasse.
 
Mais c'est la dure loi du sport aussi de savoir perdre. M.-J. Pérec dit d'ailleurs ce matin, puisqu'on fait beaucoup le parallèle, elle explique qu'en France, on n'a pas beaucoup de champions, il y a donc beaucoup de pression sur eux, alors qu'un M. Phelps - on avait dit que Manaudou c'était la M. Phelps féminin - eh bien, lui, on le laisse travailler et rendez-vous tous les quatre ans. Il n'y a pas un problème en France avec cela ?
 
Oui, c'est sûr. Et d'ailleurs, la façon dont la presse, dont l'ensemble des commentateurs exécute L. Manaudou après l'avoir littéralement adulée, est assez caractéristique de ces pressions incroyables qui s'exercent sur nos champions. Je crois qu'il faut être très calme et encourager, savoir que le sport c'est fait de hauts et de bas. Et qu'en participant ainsi à la curée, on empêche Laure de se reconstruire, par exemple, pour les prochains championnats du monde.
 
Vous trouvez qu'il y a "une curée de la presse" ?
 
Oui, oui, je le trouve. Et je souhaite qu'on soit plutôt là à entourer fraternellement notre championne, parce que quand même, ce qu'il faut dire, c'est qu'on a une merveilleuse école française de natation, que L. Manaudou en est un des éléments. Mais quand on voit comment s'est merveilleusement comporté notre relais du 4x100 mètres, vicechampion olympique, avec une course absolument de légende ! On ne construit pas un 4x100 mètres, un relais de 4x100 par hasard. C'est le président de la Fédération, c'est C. Fauquet, c'est vraiment toute une construction avec une équipe, l'entourage de l'équipe, et puis des merveilleux champions.
 
Mais pour terminer sur ce sujet, vous accusez ce matin la presse d'en faire trop dans le mauvais sens. Est-ce que la ministre des Sports, elle, peut faire quelque chose aussi pour améliorer l'encadrement, le désarroi de L. Manaudou, une grande championne ?
 
C'est-à-dire, le rôle du ministre des Sports ou de la ministre des Sports, est de donner à la préparation olympique les moyens. Je crois que nous avons fait ce qu'il fallait au plan financier, 550 millions d'euros pour la préparation olympique. Il s'agit, bien entendu, de faire le bilan à la fin des Jeux. Il est, bien entendu, beaucoup trop tôt pour tirer le bilan de ces Jeux.
 
Mais cinq médailles au compteur, ce matin ; B. Laporte, votre secrétaire d'Etat, tape sur 40. Vous dites qu'il est un peu optimiste. Mais à cinq, ce matin, ça va être dur, c'est moyen ?
 
Oui... Ce qui nous manque, là, pour arriver à remonter dans le classement c'est une médaille d'or. On l'attend avec impatience. Pour l'instant, ça va, on est à peu près dans les clous pour arriver à un score qui sera à peu près le score des Jeux d'Athènes. Enfin, on regarde cela à la fois avec attention, avec une certaine fébrilité mais avec confiance. Je vais aller de ce pas voir nos canoéistes, escrimeurs, judokas...
 
Il se passe pendant ces Jeux ce que les défenseurs des droits de l'homme redoutaient, c'est-à-dire que le sport, la compétition, la remarquable organisation chinoise finalement balaye tout. Le pari d'afficher une vitrine irréprochable semble gagné par Pékin, on ne parle plus des prisonniers politiques, on ne parle plus des atteintes aux droits de l'homme, cela ne vous gêne pas en tant que responsable politique ?
 
Non, ce que je veux dire c'est que, dans un monde de folie, dans un monde violent, dans un monde de guerres, dans un monde de morts, on le voit encore aujourd'hui avec les évènements de Géorgie et d'Ossétie, il y a 15 jours au milieu de ces quatre ans - une olympiade ça fait presque 1.500 jours pendant les quatre ans -, il y a 15 jours où on parle des valeurs du sport, où on parle d'amitié entre les peuples, où on parle de solidarité. Finalement, ce n'est pas beaucoup cette oasis, bien entendu, tout cela va reprendre sa place à la fin des Jeux. Rien, rien, bien sûr n'est oublié, aucun des combats n'est laissé de côté. Mais 15 jours...
 
La fameuse trêve olympique...
 
Quinze d'amitié et de solidarité, ce n'est pas beaucoup.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 août 2008