Point de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la situation en Haïti au lendemain du séisme, Paris le 13 janvier 2010.

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Circonstance : Séisme à Haïti le 12 janvier 2010

Texte intégral

Bonjour,


Avons-nous plus d'informations par rapport à hier soir ? En fait très peu. En Haïti, le jour se lèvera autour de midi heure française. Or, il est tristement classique qu'après une telle secousse, les gens fuient et que l'arrivée des secours ou des témoins est difficile parce que la population quitte la ville pour se réfugier dans des endroits jugés plus protégés.

Ce que nous savons déjà, c'est qu'avant 22h53, heure française, un séisme s'est produit à quelques kilomètres du centre de Port-au-Prince, un puissant séisme de magnitude 7 sur l'échelle de Richter. De nombreux immeubles modernes se sont écroulés alors que, dans les tremblements de terre classiques si j'ose dire, ce sont les habitations légères qui subissent les premiers dommages et, évidemment, c'est la population pauvre qui est frappée. Dans ce cas précis, ce sont les deux populations, celle qui habitait au centre et celle qui était à la périphérie, qui ont été touchées. Je vous rappelle qu'il y a dans l'agglomération de Port-au-Prince près de 4 millions de personnes.

On sait également que l'immeuble de la MINUSTAH, la mission des Nations unies en Haïti, dans lequel se trouvaient de nombreux Français, a été frappé. On n'a aucune connaissance du sort des gens qui y logeaient, y compris de nombreux Français et du responsable de la mission, notre ami Hedi Annabi. On sait également que l'immeuble présidentiel s'est effondré mais que le président Préval en est sorti et qu'il a téléphoné à notre ambassadeur. Notre ambassadeur lui-même a été un peu traumatisé et un agent local de notre ambassade est dans un état grave.

Pour le reste, le contact a été rétabli avec M. Le Bret, un ancien collaborateur d'Alain Joyandet, que j'avais d'ailleurs accompagné il y a très peu de temps pour qu'il prenne son poste d'ambassadeur. M. Le Bret est donc en contact avec nous maintenant que nous avons rétabli une liaison téléphonique. Nous en saurons plus dans les heures qui viennent et je vous donne rendez-vous en fin d'après midi. Le jour se lève à peine à Port-au-Prince et dans quelques heures nous aurons plus de détails.

Concernant les secours français, tout est prêt. Nous sommes sur le pied de guerre depuis hier soir : le Centre de crise a travaillé toute la nuit. Deux avions s'apprêtent à partir, tenant compte du décalage horaire, l'un de Martinique et l'autre de Paris. Ils seront sur place vers midi pour l'un, et plus tard dans l'après-midi pour l'autre. Un hôpital mobile est prêt ; pour le moment, nous ne savons pas encore où nous pourrons le disposer. C'est toujours ainsi dans le bouleversement qui suit les grandes catastrophes. Il faut être utile et nous pensons que dans un second temps - pas immédiatement peut être parce que tout est désorganisé -, cet hôpital mobile pourrait servir pour les nombreux blessés qui pourraient se faire admettre dans les prochains jours.

Dans nos avions, il y a du matériel, il y a des membres de la gendarmerie, il y a des agents des services consulaires et humanitaires que le Centre de crise a prévus. Il y a également des membres de la sécurité civile, il y a des gens expérimentés, des équipes avec leur matériel pour essayer d'être utile pour dégager les victimes.

Mais nous ne faisons pas d'illusions, il faut agir le plus vite possible. Il y a toujours cette désorganisation pour accéder à l'ensemble des bâtiments qui sont probablement - je ne le sais pas - endommagés. Pour accéder à tout cela, il faudra du temps.

Les Américains, ainsi que des pays de toute la région, envoient des secours. Mme Ashton, la nouvelle Haute représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères vient de m'appeler : l'organisme humanitaire de l'Union européenne, ECHO, dispose d'argent et nous-mêmes nous avons quelques crédits. Tout cela ne pourra être utile sur place que lorsque nous en saurons plus, c'est-à-dire probablement dans le cours de l'après midi. Nous nous permettrons, si vous le voulez bien, de faire un nouveau point ici-même.

Il s'agit d'une terrible catastrophe, particulièrement dure pour Haïti qui n'avait pas besoin de cela. Il faut également penser à la sécurité des biens parce que c'est terrible, comme dans toutes ces catastrophes qui interviennent dans des situations de pauvreté. Même la quête quotidienne de nourriture est difficile et problématique. Il faut être présent immédiatement, le plus vite possible après le tremblement de terre parce que si l'on attend plusieurs jours, hélas les blessés souvent sont morts. Il faut également être prêt à moyen et à long terme pour la reconstruction. Il faut le faire dès maintenant.

La situation politique était meilleure en Haïti, Alain Joyandet et moi l'avons constaté lors de nos visites successives, la sécurité était mieux assurée. Il y avait un processus de formation de la police. Il ne faut absolument pas interrompre cette aide internationale, celle de la MINUSTAH, ainsi que l'aide française.


Q - Avez-vous des informations sur d'éventuels Français blessés ?

R - Non. On est en train de chercher autour de l'ambassade, mais même les agents et l'équipe de diplomates n'étaient pas accessibles au moment des dernières communications avec l'ambassadeur Didier Le Bret. Cela ne veut pas dire qu'ils sont tous atteints, cela veut dire que dans une telle situation, c'est d'abord le chaos. Ensuite, on rencontre des difficultés tout simplement pour s'informer. Ce n'est que plus tard que l'on pourra peut-être faire un bilan. Les 1.500 Français ne sont pas tous à Port-au-Prince, même s'ils sont nombreux dans la ville et dans la périphérie. Nous sommes anxieux d'avoir de leurs nouvelles. Il y avait un dispositif d'alerte, tout cela existait, comme d'habitude, mais existait avec des communications téléphoniques qui auraient été possibles. Là tout a été interrompu.

Q - Avez-vous des précisions sur ce que transporteront les avions ?

R - Il y aura bien sûr d'autres avions. Pour le moment, il y a 120 sauveteurs et du personnel médical dans les deux avions, qui partent ensemble à la même heure et qui arriveront à un aéroport dont on sait qu'il est praticable. C'est capital : on sait qu'ils pourront atterrir. Là aussi, il y a classiquement - pardon pour cette connaissance des catastrophes naturelles, mais elle est très précise -, des difficultés à l'arrivée des secours. Il ne faut pas transformer l'arrivée des secours en seconde catastrophe, ce qui est souvent le cas, parce que l'on cherche à s'approcher au plus près des victimes. Mais il faut que les opérations soient organisées rationnellement, sinon tout le monde se gêne. Parfois, il vaut mieux attendre un peu pour avoir une place qui sera efficace dans le dispositif de secours plutôt que de se précipiter. Evidemment pour le moment, si la mission de l'ONU, comme nous le craignons, n'est pas en mesure de fournir ces renseignements, ce sera aux membres du gouvernement haïtien qui le peuvent de le faire ; j'espère qu'ils ne sont blessés. Mais pour les structures administratives qui ne peuvent pas répondre et pour lesquelles il était déjà extrêmement difficile d'agir...

Q - Avez-vous des informations sur l'hôtel Montana ?

R - Ce que nous savons de l'hôtel Montana, où peut-être certains d'entre vous aviez séjourné, c'est qu'il y avait entre 300 et 400 visiteurs qui occupaient des chambres. Il semblerait que 100 d'entre eux se soient fait connaître. Mais tout cela est murmure, tout est rumeur, tout est alarme : ce qui est normal dans une telle situation. Ne croyez pas les premiers chiffres - je dis cela avec une connaissance précise de ces situations. Ils seront toujours amplifiés puisque l'on n'a pas accès aux gens. En général, on corrige les chiffres des blessés ou des victimes à la baisse parce que, encore une fois, les gens fuient, ne se font pas connaître puisque les moyens de communication ne fonctionnent pas. Les gens fuient pour se protéger et on croit qu'ils sont sous les décombres. En général, on corrige à la baisse lorsque la situation est un peu visible.


Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 janvier 2010