Interview de M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales à La Chaine Info le 17 février 2010, sur la campagne pour les élections régionales en outre-mer, la lutte internationale contre les trafics de drogue et la délinquance dans les écoles.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

C. Barbier.- M.-L. Penchard a déclaré qu'elle souhaitait favoriser la Guadeloupe - sa région - pour l'attribution des 500 millions d'euros pour l'Outre-mer ; elle dit : "j'ai envie qu'une population, la population guadeloupéenne". Le PS demande sa démission. Doit-elle obtempérer ?
 
Non, mais il faut relativiser les choses, elle n'a pas dit ça de Paris, elle était sur son territoire, en Guadeloupe, elle est guadeloupéenne, elle est engagée en faveur de la Guadeloupe. Et elle a dit à l'occasion d'un meeting, dans une atmosphère chaleureuse, enthousiaste, que sa préoccupation était naturellement tournée vers la Guadeloupe, ça me paraît assez normal. Vous savez, il n'y a pas un seul candidat en France aux élections régionales qui, lorsqu'il s'adresse dans son département, à des amis, ne dit pas que ce département est au coeur des ses préoccupations.
 
On n'est plus ministre quand on est en campagne ?
 
On est naturellement toujours ministre. Elle a dit que, dans son coeur et dans son sang, il y avait la Guadeloupe, ce qui ne l'empêche pas d'être extraordinairement active au service de l'ensemble de la communauté ultramarine. Elle travaille à mes côtés, et je peux témoigner qu'elle est totalement mobilisée, totalement engagée, qu'elle se déplace quasi quotidiennement au service des Ultramarins.
 
L'Outre-mer est dans vos attributions, pourtant elle est une ministre autonome, elle n'est pas déléguée. Ne faut-il pas clarifier la situation, la mettre sous votre tutelle ?
 
Mais elle est totalement clarifiée cette situation. Elle était d'abord secrétaire d'Etat, ensuite, grâce à son travail au service de l'ensemble de la communauté des Ultramarins, le président de la République et le Premier ministre ont souhaité la nommer ministre auprès du ministre de l'Intérieur. Donc nous travaillons main dans la main, au même pas, et je suis très heureux de l'avoir à mes côtés.
 
C'est toujours compliqué un ministre de l'Outre-mer, issu d'un des départements de l'Outre-mer ?
 
Justement, c'est une initiative qu'a voulue le président de la République. Jusqu'à présent, pour s'occuper des Ultramarins, on prenait tout le monde sauf des Ultramarins. Là, précisément, le président de la République a souhaité que ce soit une Ultramarine qui s'occupe des questions des Ultramarins. Ça me paraît plutôt de bon sens.
 
En région parisienne, l'alerte enlèvement a fonctionné, le bébé kidnappé à Fontenay-sous-Bois a été retrouvé. Mais son père, suspecté d'avoir assassiné la mère, avait été condamné pour menaces, été mis en examen pour viol en réunion, et pourtant il était en liberté ! Est-ce que ce n'est pas encore un échec de votre politique de sécurité ?
 
Non. Vous avez d'abord raison de souligner que cette affaire, qui était une affaire très grave, a été résolue puisque, effectivement, l'enfant a été retrouvé, le père a été lui aussi retrouvé, il est interpellé. C'est le signal que ce nouveau système, ce nouveau dispositif fonctionne et fonctionne bien.
 
Il n'aurait pas dû, peut-être, être en liberté et pouvoir sévir...
 
Mais ça, c'est de la responsabilité de la justice. Il ne vous a pas échappé que, me concernant, je suis responsable de la sécurité, c'est-à-dire des policiers et des gendarmes, de leur action. Et sur ce point, cela a parfaitement fonctionné.
 
Et les juges, une fois de plus, font pas leur travail, sont trop laxistes...
 
Non, pas du tout. Ce n'est pas du tout ce que je veux dire. C'est vrai qu'il y a une responsabilité, une sorte de chaîne qui doit permettre le fonctionnement de la justice et des forces de sécurité, nous y travaillons avec M. Alliot-Marie. Mais en tout cas, sur ce sujet que vous soulignez, l'affaire a été heureusement résolue hier en fin d'après-midi.
 
La LOPPSI, Loi d'orientation et de programmation sur la performance de la sécurité intérieure, a été adoptée hier. Vous avez souhaité que soient aggravées les peines en cas d'atteinte aux personnes vulnérables. Est-ce vraiment dissuasif ?
 
Oui, mais il y a une réalité très simple, il faut tenir compte de l'évolution de notre société, il ne faut pas que l'action de l'Etat soit en retard d'un temps par rapport à l'évolution de la société. Quelle est la caractéristique de notre société ? C'est qu'on va, et c'est plutôt une bonne nouvelle, vers un vieillissement de la population ; on a gagné deux mois, deux mois et demi l'année dernière, par exemple, pour les hommes et pour les femmes, d'espérance de vie. Cela veut dire que, c'est très simple, aujourd'hui il y a 4,5 millions de personnes qui ont plus de 70 ans, elles seront 6 millions en 2015. Cela signifie qu'aujourd'hui, il y a 1,5 million de personnes qui ont plus de 85 ans, elles seront 2 millions en 2015. Cela veut dire que c'est immédiat, il faut anticiper. Et donc, ce que j'ai proposé, c'est un message simple : lorsqu'un cambrioleur, par exemple, cambriole un quadragénaire, ce n'est pas la même chose s'il va cambrioler quelqu'un qui a plus de 80 ans.
 
Vous croyez vraiment qu'il va regarder, dire "oh la, la ! je n'y vais pas", parce que ce sera plus grave ?
 
Il y en a au moins quelques-uns qui vont entendre, et ce qu'ils doivent entendre doit être simple, c'est que s'ils s'adressent à des personnes vulnérables - personnes âgées, handicapées, femmes enceintes... -, les peines dans ce domaine seront aggravées, c'est un message clair. Vous vous attaquez aux plus faibles, vous serez plus durement sanctionné.
 
Vous revenez du Sénégal où vous avez mené une mission pour essayer de casser les filières de la drogue qui passent par l'Afrique. N'est-il pas dérisoire de simplement saisir les voitures puissantes des trafiquants pour, là aussi, essayer de les décourager ?
 
Il n'y a pas cinquante initiatives, il n'y a pas, d'un côté les petits dealers, et les grands trafiquants. Nous devons tout mettre en oeuvre pour lutter, là aussi, contre ce fléau. Pourquoi un fléau ? Il faut savoir que c'est un chiffre d'affaires dans l'économie souterraine inacceptable. L'année dernière, c'était de l'ordre de 2,2 milliards d'euros, les bénéfices tirés de la drogue. C'est quelque chose qui touche notre jeunesse, on estime que 40 % des jeunes de 17 ans touchent à la drogue, c'est un phénomène qui va en s'amplifiant. Donc il faut aller à la source, casser le mécanisme. Quel est le mécanisme ? Aujourd'hui, vous avez par exemple pour la cocaïne, un groupe en quelque sorte, qui part de l'Amérique Latine, qui passe par une partie de l'Afrique subsaharienne et qui remonte vers ensuite le Maghreb pour arriver en France. On estime aujourd'hui en France que 30 à 40 % de la cocaïne provient de cette route-là. Donc nous nous sommes réunis, notamment avec les ministres espagnols et les ministres de six, sept pays de cette zone, pour couper cette route de la drogue. Voilà ce qui convient de faire. C'est vrai qu'en France, j'ai demandé une chose simple, c'est que les trafiquants, ceux qui en réalité, concrètement, se lèvent tard le matin, roulent dans des puissants bolides dont ils n'arrivent pas naturellement à justifier l'origine des fonds qui ont permis de les acquérir, qu'il y ait un message simple : on saisira leurs moyens, leurs ordinateurs, leurs portables, leurs véhicules, leurs bolides superpuissants. Et je veux qu'on les mette aux enchères ! C'est un message là aussi qui est clairement adressé.
 
Pourquoi êtes-vous finalement réticent à l'idée d'une réforme de la garde à vue. Ne faut-il pas protéger les citoyens contre les excès de zèle ?
 
Je ne sais pas où vous avez vu que j'étais réticent. J'ai au contraire dit que j'étais favorable au principe d'une réforme, une réforme à trois conditions, trois. D'abord, que ça ne perturbe pas l'enquête, parce que c'est l'essentiel, il faut que l'enquête soit la plus optimale possible, c'est-à-dire qu'on puisse effectivement déterminer si le présumé est effectivement coupable, c'est la première. Deuxième élément, la réforme ne doit pas aboutir à une victoire des avocats et des juges sur la justice...
 
Sur la police...
 
Sur la police. Une victoire des juges et des avocats sur la police. Et enfin, je ne veux pas que ça aboutisse à ce que les délinquants aient plus de droits que les victimes. Moi je suis du côté de la police et de la gendarmerie, je ne veux pas que ça soit des boucs émissaires pour défendre les victimes.
 
Etes-vous du côté des députés UMP qui constituent, à l'initiative de J.-F. Copé, un groupe de travail sur la garde à vue, et notamment sur les conditions parfois dégradantes de la garde à vue ?
 
Mais c'est le rôle des parlementaires, c'est une très bonne initiative de J.-F. Copé. Toutes les contributions seront les bienvenues, mais il appartiendra ensuite au Gouvernement de proposer une réforme qui est une réforme d'ensemble. M. Alliot-Marie s'y consacre, nous y travaillons aussi avec elle.
 
Etats généraux de la sécurité à l'école prévus début avril à l'initiative de L. Chatel. Est-ce que la police doit rentrer, doit séjourner dans les établissements scolaires ?
 
D'abord, ce problème de délinquance à l'école est un phénomène qui est un phénomène relativement récent, mais qu'on ne peut pas isoler du reste. Il faut bien que chacun comprenne que ce qui se passe à l'école est à l'image de la société. Nous sommes dans une société de plus en plus violente, et l'école, qui devrait être le lieu de transmission des savoirs, malheureusement en est aussi la victime.
 
On met des grilles et des policiers...
 
Il y a des mesures qui seront prises, plusieurs mesures qui ont été initiées. D'abord, le fait qu'il y ait des diagnostics de sécurité et ça serait fait avant la fin du mois de juin dans l'ensemble des établissements scolaires, L. Chatel s'y emploie. Ensuite, le développement des équipes mobiles de sécurité qui permettent de réagir plus rapidement. Et enfin, l'installation et l'amélioration, et la confirmation de référents de sécurité. Et puis L. Chatel a annoncé à juste titre une espèce d'états généraux qui permettront de mettre tout le monde autour de la table...
 
Vous mettrez des effectifs...
 
Attendez ! On verra ce que diront ces états généraux, il y aura la police, il y aura les enseignants, il faut qu'il y ait des sociologues, qu'il y ait des psychologues. Bref, tous les acteurs concernés, c'est un phénomène
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 16 mars 2010