Texte intégral
NICOLAS MARTIN
Nous devrions normalement être en duplex avec le ministre reconduit récemment du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, François REBSAMEN qui tarde manifestement un petit peu à arriver. Il est en cours, donc il devrait être là dans quelques secondes.
(…)
NICOLAS MARTIN
On vient de me signaler que François REBSAMEN est arrivé in extremis, bonjour François REBSAMEN.
FRANÇOIS REBSAMEN
Bonjour.
NICOLAS MARTIN
Merci d'être avec nous en direct depuis l'Université d'été de La Rochelle, il y a un petit problème d'écho qu'on va peut-être essayer de résoudre aussi au niveau technique. Alors je le disais à l'instant avec Stéphane ROBERT du service politique de la rédaction de FRANCE CULTURE, les sujets à aborder sont nombreux : remaniement, éviction de l'aile gauche du PS du gouvernement, déclaration d'amour du Premier ministre aux chefs d'entreprise du MEDEF, nouvelle dégradation très sérieuse du chômage avec 27.400 demandeurs d'emploi en plus, soit la deuxième plus forte augmentation depuis le début de l'année. Et pour ajouter une surcouche à tout cela, le nouveau ministre de l'Economie Emmanuel MACRON, dont le passé de banquier d'affaires a fait grincer les dents à gauche, qui déclare dans une interview au POINT réalisée avant sa prise de fonction qu'il est favorable à l'extension d'une dérogation aux 35 h 00 pour l'ensemble des entreprises. La fin des 35 h 00 François REBSAMEN, la droite en rêvait, c'est la gauche qui va la faire ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Non, pourquoi ? Vous savez les 35 h 00, c'est la durée légale des 35 h 00, et il n'est pas question – je l'ai dit hier, répété mais Manuel VALLS l'avait dit également – il n'est pas question de revoir la durée légale du travail, des 35 h 00. C'était, c'est et ça restera une grande avancée sociale, et je crois qu'elle a été perçue comme tel. Maintenant, l'économie c'est la souplesse du mouvement, et donc ce qui s'est passé c'est qu'il y a aujourd'hui possibilité de déroger par… de moduler si vous le voulez l'organisation du travail dans les entreprises, mais par les accords qui ont…
NICOLAS MARTIN
Dans les entreprises qui sont en difficulté !
FRANÇOIS REBSAMEN
Dans les entreprises qui sont en difficulté et qui sont estimées comme tel par les partenaires sociaux. Il y a une négociation qui peut s'engager, ça arrive et ça s'est passé par exemple dans l'automobile, voilà. Mais pour ce qui est la durée de révérence du travail, la durée légale, les 35 h, il n'est pas question de revenir dessus. Et d'ailleurs, ce n'était pas le sens des propos d'Emmanuel MACRON, je voudrais ici prendre sa défense. Ce papier avait… enfin cette interview avait été faite avant qu'il soit ministre, il explore des pistes, après tout il n'y a quand même pas un délit de pensée dans notre pays. Et moi je trouve qu'Emmanuel MACRON va suivre, va être dans la solidarité gouvernementale, il n'y a aucun problème de ce côté-là, et donc moi je suis très heureux de travailler avec lui.
NICOLAS MARTIN
Oui, enfin l'interview a été réalisée avant qu'il ne soit ministre de l'Economie, certes ! Mais il était déjà conseiller économique spécial auprès du président de la République, sa parole avait du poids. Je voudrais juste citer un extrait de cette interview tout de même François REBSAMEN, dans cette même interview Emmanuel MACRON déclare : l'accumulation des droits donnés aux travailleurs se transforme en autant de handicaps pour ceux qui ne travaillent pas. Les droits des travailleurs se transforment en handicaps, il y a tout de même une rupture idéologique assez franche dans cette interview par rapport à la ligne du PS François REBSAMEN.
FRANÇOIS REBSAMEN
Oui mais il a le droit d'avoir sa propre pensée, ce n'est pas… il n'y a pas de délit en ce moment, jusqu'à preuve du contraire, de pensée. Donc on brocarde beaucoup moins madame LE PEN quand elle sort d'énormes sottises, alors qu'Emmanuel MACRON réfléchit et il a raison, il n'y a pas de tabou en la circonstance à tout ce qui pourrait permettre de faire rentrer des gens qui sont aujourd'hui dans le chômage dans le monde du travail. Donc voilà, cela dit…
NICOLAS MARTIN
Marine LE PEN, on connaît son corpus idéologique, c'est surprenant c'est que ça, ce n'est pas le corpus idéologique du PS normalement François REBSAMEN.
FRANÇOIS REBSAMEN
Non mais d'ailleurs, il a le droit de penser cela, je le redis, il est aujourd'hui ministre de l'Economie, il applique les orientations politiques, économiques décidées par le Premier ministre et le président de la République, et il est en totale solidarité gouvernementale. Et vous allez voir qu'il va s'appliquer à développer, parce que c'est son domaine, la croissance, le pouvoir d'achat, c'est ça son job et il va bien le faire.
NICOLAS MARTIN
Il va rentrer dans le rang. Stéphane ROBERT.
STEPHANE ROBERT
Est-ce que quand même monsieur REBSAMEN, cette interview d'Emmanuel MACRON dans le journal Le POINT, accompagnée de toutes les mesures qui sont mises en oeuvre et de cette ligne désormais affichée de social-démocrate, social-libéral on pourrait dire, ne distille pas le doute sur la remise en cause de cette mesure emblématique des 35 h votées par le PS il y a une quinzaine d'années ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Vous savez, c'est pour cela que dès hier je me suis – en accord avec le Premier ministre – attelé à préciser les choses. Je ne veux pas qu'il y ait de doute, il n'y a pas aujourd'hui de remise en cause, je le redis, de la durée légale du travail de 35 h. Maintenant, il faut faire aussi – si vous le permettez – preuve… dans toute chose économique, il faut faire preuve d'un certain pragmatisme…
STEPHANE ROBERT
Oui mais les doutes s'accumulent monsieur REBSAMEN.
FRANÇOIS REBSAMEN
Mais les doutes sur quoi ? Nous essayons au contraire de redonner de la souplesse, de permettre aux entreprises d'évoluer, de se développer, de faire face à des situations exceptionnelles. Nous en vivons en ce moment une au niveau européen avec une croissance étale… enfin atone, donc tout ça suppose une réactivité des mesures que nous prenons. Et malheureusement, moi qui suis en charge d'annoncer à la fin de chaque mois le nombre de chômeurs nouveaux dans ce pays, ça serait quand même incroyable que je n'essaie pas non plus de mon côté, nous n'essayons pas au gouvernement de voir, de réfléchir à tout ce qui pourrait permettre de faire sortir ces gens du chômage. Parce qu'il y a quand même une sorte de complaisance de notre société à ce chômage de masse, parce que c'est la société française, elle est ainsi construite, nous avons dans notre société des amortisseurs sociaux qui font que les gens qui sont au chômage sont… excusez-moi de dire les choses comme ça, évidemment on va encore me reprocher ça mais moins pauvres qu'en Allemagne par exemple, mais personne n'en parle. Vous savez en Allemagne, il y a 8,5 millions de… ça s'appelle « des mini-jobeurs » c'est-à-dire c'est des gens qui ont des mini-jobs, vous savez ce que c'est ? C'est du travail qui n'ouvre aucun droit, pas de droit à la retraite, pas de droit rechargeable, et qui sont payés maximum 450 €, 8,5 millions. Si c'est cette société-là qu'on veut, ce n'est pas celle-là qu'on veut. Nous chez nous, les chômeurs… heureusement l'Assurance chômage, elle garantit à ceux qui sont dans cette situation très difficile, elle garantit 2 ans d'indemnités chômage. Voilà la différence…
NICOLAS MARTIN
Vous êtes en train de nous dire François REBSAMEN qu'il faudrait réduire un peu les indemnités chômage pour pousser les gens à ne pas se complaire dans une situation de chômage, c'est ça ?
STEPHANE ROBERT
C'est un peu compliqué à entendre ce matin.
FRANÇOIS REBSAMEN
Non, pourquoi, vous traduisez ce que je viens de vous dire comme ça, je suis en train de vous dire que c'est une société qui a des amortisseurs sociaux, ce qui fait que quand il y a une grave crise économique et il y en a eu une en 2008, notre société plonge moins… la France plonge moins que les autres mais elle met plus de temps paradoxalement à retrouver un certain dynamisme. Evidemment dans les sociétés libérales… nous ne sommes pas en Grande Bretagne, nous ne sommes pas en Espagne, on n'a pas… c'est pour ça, à chaque fois on me dit « mais c'est incroyable François REBSAMEN, on dirait que vous êtes optimiste », mais je ne suis pas optimiste, je dis simplement la différence qui existe entre notre pays et d'autres pays. Vous savez, on n'a pas baissé les salaires dans notre pays, si je dis que la rémunération de basse progresse très légèrement, qu'il y a un peu de gain de pouvoir d'achat par rapport à l'inflation, on me dit « mais dans quel monde il vit », mais c'est pourtant la réalité économique…
NICOLAS MARTIN
On les a gelés néanmoins pour les fonctionnaires.
FRANÇOIS REBSAMEN
C'est vrai mais vous savez que les fonctionnaires, vous ne l'avez jamais dit, ils ont ce qui s'appelle « une garantie individuelle de pouvoir d'achat ». Est-ce que quelqu'un a déjà parlé de la GIPA ? La GIPA c'est la garantie individuelle de pouvoir d'achat qui fait que chaque fonctionnaire, quand on étudie sa situation au bout de 3 ans, il ne peut pas avoir perdu de pouvoir d'achat, personne n'en parle, c'est assez curieux quand même. Et donc cette mesure, elle existe toujours, elle est là, ce qui fait que par le glissement vieillesse technicité, le GVT par les avancements, heureusement les progressions. On a comme ça une fonction publique qui, certes, n'a pas d'augmentation du point d'indice, je ne le nie pas bien sûr, qui ne connaît plus les grandes avancées qu'on a connues dans les périodes de développement économique et de croissance, mais qui n'est pas aujourd'hui traitée comme d'autres fonctions publiques dans d'autres pays, à savoir des coupes claires qui sont faites dedans… je dis toujours qu'on dit des coupes claires et pas des coupes sombres, des coupes claires qui sont faites dedans, qui sont une diminution des effectifs, etc., etc. Donc on est une société qui est quand même protectrice et tant mieux, mais c'est ce que nous voulons, c'est ça la social-démocratie à la française.
NICOLAS MARTIN
Vous nous dites en sommes François REBSAMEN que c'est moins pire en France qu'ailleurs. Stéphane ROBERT.
STEPHANE ROBERT
Si on vous entend bien François REBSAMEN, vous dites qu'on a des amortisseurs sociaux, mais pour les conserver il faudrait aller les réduire, c'est ça comme par exemple les seuils sociaux que vous envisagez de rediscuter avec les syndicats très prochainement…
FRANÇOIS REBSAMEN
…J'ai envoyé… j'ai adressé pardon un document d'orientation aux organisations patronales et syndicales, aux partenaires sociaux pour qu'ils débattent de la représentation des salariés dans les entreprises pour qu'ils étudient ensemble… s'ils peuvent avancer ensemble sur une plus grande efficacité et stratégiquement par la représentation des salariés dans les entreprises, et je vous dirai ce qu'il peut y avoir derrière, c'est eux qui le définiront ; et puis sur les parcours des responsables syndicaux. Donc les négociations vont s'ouvrir entre les partenaires sociaux, mais mon souhait, ma volonté c'est qu'on passe – ce qui existe bien souvent – d'une positon très formelle dans notre pays et qui fait plaisir à tout le monde mais qui n'est pas la réalité vécue. Je vais vous donner un exemple précis, si vous le permettez. A partir de 10, le seuil de 10 dans les entreprises, il doit y avoir un délégué du personnel. Eh bien ! Savez-vous qu'entre 10 et 20, dans les entreprises de 10 à 20 salariés, il y en a beaucoup, beaucoup en France, dans 66 % des cas il n'y a pas de délégué du personnel. Mais on a l'air de s'en moquer parce que de toute façon, vu qu'on dit qu'il en faut un, on se dit « c'est bien, il en faut un », mais personne ne va voir la vérité des choses, la vérité c'est qu'il n'y a pas de délégué du personnel. Mais mon souhait c'est qu'il y en ait plus, qu'ils soient mieux représentés, qu'ils soient non pas défendus parce qu'il n'y a pas toujours cette antinomie et cette opposition entre le chef de l'entreprise et le salarié, souvent ils font corps commun, d'ailleurs leur entreprise… d'abord la richesse, c'est les salariés qui la produisent dans une entreprise ; et puis ils font corps commun pour l'avenir de son entreprise, ils réfléchissent ensemble bien sûr. Alors il y a du… c'est comme partout, il y a des patrons qui sont restés assez rétrogrades, paternalistes dira-t-on, et puis il y en a – heureusement la plupart – qui sont heureux d'avoir des salariés bien dans leur entreprise, parce que quand on est bien dans son entreprise on travaille mieux.
NICOLAS MARTIN
Mais François REBSAMEN, sur cette question des seuils sociaux, on en parlait hier avec Pierre GATTAZ à l'Université d'été du MEDEF, l'objectif du patronat c'est finalement de réduire la représentativité, de faire en sorte qu'il n'y ait plus ce frein notamment au passage entre 49 et 50, qu'il y ait moins de représentation, c'est un peu paradoxal par rapport à ce que vous êtes en train de nous dire.
FRANÇOIS REBSAMEN
Non, je… enfin en tous les cas, on verra ce que les partenaires sociaux feront entre eux. Je vois la position de monsieur GATTAZ mais j'ai rencontré avant-hier et je vais continuer de le faire, je n'ai pas eu le temps de voir Thierry LEPAON, je le vois la semaine prochaine, mais j'ai rencontré Jean-Claude MAILLY, j'étais avec Laurent BERGER, enfin je rencontre les organisations syndicales représentatives et eux ne sont pas là-dessus, mais je pense qu'il peut y avoir des points d'accords. Je vais vous donner quelques exemples. Vous savez dans les obligations, par exemple le seuil des 50, elle créée une trentaine d'obligations qui ne sont pas toutes des obligations de représentation, certaines sont des obligations fiscales, ça représente une charge nouvelle pour l'entreprise, il faut aussi le prendre en compte, ça peut représenter jusqu'à 4 % d'augmentation des charges de l'entreprise, donc ce n'est pas rien. Donc il n'y a pas que le seuil de représentation qui créé un frein au développement de l'entreprise, il y a aussi souvent des charges fiscales. Par exemple vous êtes tenu de verser… d'avoir le versement transport pour vos salariés, donc tout ça, ça coûte sur le chiffre d'affaires. Et puis il y a un formalisme, il y a un formalisme souvent dans le dialogue social dans l'entreprise, dans la représentation qui fait… qui pèse autant souvent sur les organisations syndicales que sur l'entreprise elle-même. Vous êtes tenu à X nombre de réunions, et si vous ne les tenez pas vous êtes en faute. Donc tout cela, ça peut se rediscuter entre les organisations patronales, ça peut remettre de la souplesse. Et puis il faut partir aussi d'un diagnostic partager, donc ils vont commencer par cela : quelle est la réalité… parce que les analyses sont contradictoires aujourd'hui, quelle est la réalité des blocages, est-ce que vraiment il y a beaucoup d'entreprises qui, à 48, hésitent à passer à 52, si oui… ou à 51, si oui pourquoi. Tout ça, ils vont en débattre, mais c'est le dialogue social qui va le faire. Ce qui est vrai c'est que derrière, si… et j'ai fixé une date à la demande du président de la République parce qu'il veut que ça aille vite, et donc c'est à la fin de l'année, à la fin de l'année on constatera qu'il y a un accord ou qu'il n'y a pas d'accord. Et à ce moment-là, le gouvernement prendra ses responsabilités.
STEPHANE ROBERT
On voit bien dans l'intention que vous voulez simplifier, déréguler, détricoter un Code du travail trop touffu, trop rigide. Est-ce que c'est un reniement, comme certains commencent à le dire au Parti socialiste, ou un aggiornamento, un coming out pour parler avec des mots d'aujourd'hui ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Non Stéphane ROBERT, juste un mot, il n'y a pas de déréglementation, de dérégulation dans mon propos. Il y a une forme de pragmatisme qui est laissée d'ailleurs à la discussion puisque ça commence comme ça, d'ailleurs le 1er article du Code du travail a la libre négociation des partenaires sociaux. A eux… à moi d'impulser, c'est mon rôle en tant que ministre, et puis le président me le demande, le Premier ministre également, à moi d'impulser ces débats, ce dialogue et puis de fournir aux partenaires sociaux les éléments… comment vous dire, les éléments techniques dont ils ont besoin pour négocier, pour discuter entre eux. Ils demandent d'ailleurs souvent cet appui technique, donc on est là en soutien mais il ne s'agit pas d'une volonté de déréguler, c'est une volonté d'améliorer, de fluidifier. L'économie aujourd'hui, elle a besoin de souplesse, le droit du travail il s'est construit dans le 20ème siècle, tout au long du 20ème siècle par un système de protection collective nécessaire et d'avancer… ce qu'on appelle les grands acquis sociaux, que ce soit les protections des salariés sur le travail de nuit, le travail des enfants…
STEPHANE ROBERT
Le travail le dimanche qui va être mis en cause.
FRANÇOIS REBSAMEN
Mais pourquoi voulez-vous que je remette en cause le travail du dimanche, c'est un principe auquel je tiens, le repos dominical moi aussi…
NICOLAS MARTIN
C'est un chantier dont a parlé Manuel VALLS et que Pierre GATTAZ attend bien de pouvoir discuter avec vous dans les prochains mois.
FRANÇOIS REBSAMEN
Oui mais ils ont tout à fait raison, il peut très bien y avoir des exceptions. D'ailleurs il y a beaucoup de gens qui travaillent le dimanche vous savez, dans les services de santé, dans les services de transport…
NICOLAS MARTIN
13 % des salariés.
FRANÇOIS REBSAMEN
Ah oui ! Donc c'est quand même… ce n'est pas rien, vu le nombre de salariés que nous avons dans ce pays. Et donc on a comme cela des sortes de tabous, peut-être qu'il faut relire Mircea ELIADE, « Totem et tabou », je ne sais pas. Mais c'est assez étonnant, on ne peut pas prononcer un mot quand on est à gauche pour essayer d'améliorer le fonctionnement, de fluidifier, de simplifier l'économie française sans dire « on dérégule, on déréglemente ». Est-ce que la gauche, elle est… pourquoi la gauche est-elle assimilée comme ça à la réglementation ? Ce pays produit de la norme, il produit énormément de normes, et je vais vous dire ce que je pense, il produit trop de normes. Et ces normes, elles sont contraignantes pour la vie économique, elles sont infantilisantes souvent. Et donc moi ce que je souhaite, c'est qu'on puisse au contraire – et c'est le travail qu'a demandé le président de la République – Thierry MANDON, avec un chef d'entreprise : oh la la, vous pensez, un socialiste avec un chef d'entreprise qui travaillent à la simplification de la vie économique. « Enfin » diront ceux qui connaissent la vie économique, « on touche à un totem » diront les autres, eh bien ! Nous le faisons, nous faisons de la simplification, on peut créer une entreprise facilement aujourd'hui en France, comme on le fait dans les autres pays, il n'y a pas de raison, on n'est plus dans une économie administrée comme avant, en tous les cas c'est ce que je souhaite. Pour autant, je ne veux pas enlever, je voudrais le dire ici, les protections, on ne va pas recréer le travail des enfants nous, on est pour des normes sociales, pour des normes environnementales. Mais les systèmes de protection collective du 20ème siècle aujourd'hui doivent se transformer en système de protection individuelle, c'est ça je crois fondamentalement l'évolution du droit du travail.
NICOLAS MARTIN
François REBSAMEN, néanmoins vous dites « on a le droit de penser, on a le droit de débattre d'idées », etc., il faut dire que depuis le début de la semaine, il y a quand même un certain nombre de marqueurs symboliques, discursifs qui montrent qu'il y a quelque chose qui a changé dans le rapport aujourd'hui de ce nouveau gouvernement au travail et à l'économie. On parlait de la déclaration d'amour tout à l'heure de Manuel VALLS aux chefs d'entreprise, salué par une standing ovation, le discours une nouvelle fois du nouveau ministre de l'Economie qui théorise la fin des 35 h. La preuve en est que même l'opposition parlementaire se déclare prête aujourd'hui à voter les mesures économiques du gouvernement. Vous ne pouvez pas nier qu'il y a objectivement pour les citoyens, pour les électeurs une bascule économique à droite assez nette de votre gouvernement François REBSAMEN.
FRANÇOIS REBSAMEN
Vous voyez, nous ne sommes pas… je le dis comme ça avec… sur le ton un peu de la plaisanterie, permettez-le, nous ne sommes pas d'accord, je veux vous le redire. Nous voulons… il n'y a pas de bascule à droite, ce n'est pas simple. La gauche aime l'économie, la gauche redresse toujours l'économie quand elle passe au gouvernement, d'ailleurs quand elle arrive la France est toujours dans un état désastreux au niveau économique. Et donc… que ce soit en 97, si on prend des exemples récents, que ce soit en 2012, on n'en a sûrement pas assez parlé et c'est pour ça qu'on me reproche souvent de faire preuve de pédagogie, me dit-on, pour ceux qui sont avec moi légèrement sympathiques. Mais les autres disent « il répète toujours la même chose », c'est vrai, mais si vous saviez dans quel état on a trouvé la France en 2012, si on l'avait un peu plus dit. Et donc nous, on aime l'économie, pourquoi ? Parce que nos élus locaux qui constituaient ou constituent le corpus même du Parti socialiste, ils sont confrontés aux entreprises dans leurs communes, dans leurs villes, dans leurs départements, dans leurs régions. Si vous saviez à Dijon les excellentes relations que j'ai eues en tant que maire – et j'espère que j'aurai demain – avec toutes les entreprises, mais moi ! Il n'y a rien de mieux que de voir une entreprise qui se développe, une entreprise… et je connais les entreprises, je les ai visitées, je les ai rencontrées, j'ai été voir les chefs d'entreprise, vous pouvez aller à Dijon demander à la FEDERATION DU BATIMENT, des TRAVAUX PUBLIC, l'innovation, ESSILOR, URGO, j'ai été les voir, je les connais tous, ce sont des gens que je soutiens parce que je veux que ces entreprises se développent. Mais c'est pareil au niveau national, on souhaite absolument que les entreprises françaises puissent se développer, qu'elles puissent retrouver leur compétitivité. Et si je n'avais qu'un reproche à faire au patronat pendant les 10 ans qui viennent de s'écouler, c'est de n'avoir jamais rien dit, jamais rien dit sur les pertes de compétitivité qui ont porté atteinte finalement à l'emploi.
STEPHANE ROBERT
On voit bien que cette ligne sociale-libérale assumée provoque des remous au sein du Parti socialiste. Comment vous allez faire pour tenir cette aile gauche du PS de plus en plus turbulente, là vous allez en vivre un exemple lors du Congrès de La Rochelle, il reste encore 2 ans et demi à tenir jusqu'en 2017, comment vous allez faire ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Mais oui, j'entends ce que vous dites. L'aile gauche du PS, d'abord il y a plusieurs ailes gauches, elles ne sont pas exactement toutes sur la même ligne. Je ne veux pas citer des cas mais prenons mon exemple, il y a beaucoup de gens qu'on appellerait de l'aile gauche qui sont à la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, je suis très heureux de discuter avec eux, de débattre avec eux. Il y a des gens qui connaissent très, très bien le droit du travail, sur lesquels je peux m'appuyer pour avoir des expertises aussi souvent. Et donc on débat entre nous, vous savez ils savent très bien la situation… et ils voient très bien la situation européenne. Alors ils veulent des fois plus, un peu plus, donc on a aussi une Commission au sein du Parti socialiste, Commission emploi, je les rencontre, je ne me suis pas coupé du tout. Et donc on arrive à se mettre d'accord. C'est quoi aujourd'hui la politique alternative que propose…
NICOLAS MARTIN
François REBSAMEN juste un mot, Laurent BAUMEL qui est un député frondeur nous disait ici même, dans ce studio, qu'il hésitait ainsi que ses petits camarades à voter contre la confiance au gouvernement. Ce serait tout de même un précédent, c'est-à-dire que la majorité est tout de même très fracturée…
FRANÇOIS REBSAMEN
Oui, ce n'est pas… j'entends, ce n'est pas le conseil que je vais donner à Laurent BAUMEL, mais Laurent BAUMEL n'a pas le droit de parler au nom d'autres personnes, parce que je crois d'ailleurs qu'il n'en a pas… comment dire, l'aura suffisante et la représentation. Donc il s'engage en son nom propre, je le regrette, je le connais bien Laurent BAUMEL, il aurait pu peut-être même soutenir Dominique STRAUSS-KAHN, vous savez à un moment tout arrive. Donc vous voyez, on arrive à faire des synthèses, on arrive à avancer ensemble, il faut qu'on ait ce souci du pragmatisme en économie parce que le coeur du problème, c'est de relancer l'emploi et de faire baisser le chômage, enfin en tous les cas c'est celui que je porte.
NICOLAS MARTIN
Un mot sur le chômage précisément François REBSAMEN, mauvais mois de juillet, plus de 27.000 demandeurs d'emploi ou plus, ça fait depuis le début du quinquennat un demi-million de chômeurs en plus depuis l'élection de 2012 ; et les perspectives sont de moins en moins claires, vous disiez « la courbe va s'inverser », on parlait de 2013, aujourd'hui effectivement vous avez revu un peu votre discours là-dessus. Certains économistes disent que le chômage va peut-être continuer à augmenter en 2015, en 2016, peut-être même jusqu'en 2017, quelle solution aujourd'hui François REBSAMEN pour essayer de faire quelque chose ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Si tel était le cas, on serait sanctionnés incontestablement…
NICOLAS MARTIN
Vraisemblablement.
FRANÇOIS REBSAMEN
En 2017, mais je ne le pense pas, nous faisons tout pour que ce ne soit pas ce qui arrive, nous nous battons tous les jours sur ce sujet. On a mis en place de nombreux dispositifs d'emploi, de retour à l'emploi pour différentes catégories. On pourrait dire quand même que le chômage des jeunes a légèrement baissé, c'est vrai, 2 % mais c'est 2 % en moins, ça compte…
NICOLAS MARTIN
Un autre chiffre, 84 % des emplois crées depuis le 1er trimestre 2014 sont des CDD, 84 % de CDD depuis 2014, ce qui veut dire que forcément le chômage va s'aggraver encore dans les mois qui viennent, puisque les CDD par principe s'interrompent.
FRANÇOIS REBSAMEN
Oui mais enfin vous savez, la forme du CDD n'est pas forcément l'interruption, et donc j'y veille. On a aujourd'hui un système de pénalisation quand même pour les entreprises qui ne font que des CDD et pas de CDI. Donc on a aussi ces formes-là pour empêcher cela, mais nous sommes dans une période, il faut le dire, au niveau européen et c'est pour cela que le président de la République a pris à bras le corps ce combat, nous sommes dans une période de croissance nulle au niveau européen. Et ça, ça m'inquiète énormément parce que ça rejaillit bien sûr sur notre pays.
NICOLAS MARTIN
On va reparler de…
FRANÇOIS REBSAMEN
Alors…
NICOLAS MARTIN
Tout à l'heure à partir de 8 h 15…
FRANÇOIS REBSAMEN
Je ne sais pas si j'ai le temps de développer…
NICOLAS MARTIN
Non, on y reviendra à partir de 8 h 15 François REBSAMEN…
FRANÇOIS REBSAMEN
…Vous m'interrompez quand vous le voulez.
NICOLAS MARTIN
Ministre du Travail, on vous retrouve tout à l'heure, on vous retrouve tout à l'heure à partir de 8 h 15. François REBSAMEN, ministre du Travail, qui nous conseillait tout à l'heure de relire FREUD « Totem et tabou » pour comprendre la situation politique du pays. On vous retrouve donc…
FRANÇOIS REBSAMEN
Mircea ELIADE, Mircea ELIADE.
NICOLAS MARTIN
« Totem et tabou » c'est Sigmund FREUD, si je puis me permettre.
FRANÇOIS REBSAMEN
…C'est moi qui me suis trompé.
NICOLAS MARTIN
Il n'y a pas de problème.
FRANÇOIS REBSAMEN
Ce n'est pas grave.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 septembre 2014