Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et des finances, à RTL le 22 juillet 2019, sur les sanctions demandées par l'Etat contre le groupe Leclerc et sur l'affaire concernant François de Rugy.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

THOMAS HUGUES
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour.

THOMAS HUGUES
Re-bonjour, bienvenue. Vous êtes secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie. On va donc revenir avec vous sur cette amende record que vous réclamez et qui viserait le groupe LECLERC. Bercy, votre ministère, demande devant le tribunal de commerce de Paris plus 117 millions d'euros. De quoi accusez-vous exactement le groupe de grande distribution français ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
LECLERC utilise une centrale d'achat en Belgique pour contourner la loi française et imposer des conditions d'achat à ses fournisseurs qui conduisent à déstructurer les filières agroalimentaires. Et vous savez aujourd'hui qu'en France, on fait face à des grandes difficultés dans cette filière agroalimentaire, on produit moins, on perd des parts de marché, et les agriculteurs eux-mêmes perdent du revenu, et on a des agriculteurs qui sont en grande difficulté, à peu près un tiers doivent avoir une rémunération de l'ordre du tiers du Smic. Donc c'est de ça qu'on parle, c'est très sérieux, et ces dernières années, nous avons assigné 7 fois LECLERC en 14 ans, donc ce n'est pas une marque de notre gouvernement, c'est un sujet de récidive courante…

THOMAS HUGUES
Il y avait eu une précédente amende réclamée de 100 millions d'euros, c'est ça ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, ce n'était pas une amende de 100 millions d'euros, et c'est là où c'est intéressant, l'année dernière, et c'était une enquête qui avait duré assez longtemps, c'était 80 millions d'euros que Leclerc avait prélevés de manière indue sur des PME, des PME, 80 millions d'euros, et nous avions mis une amende de 20 millions d'euros, et au fond, ce que les entreprises nous ont dit, c'est que ces amendes, elles sont trop indolores, et donc, finalement, ça confine le distributeur à continuer ses pratiques qui sont totalement illégales, il est totalement illégal de demander à un fournisseur de baisser ses prix sans aucune contrepartie, c'est totalement illégal, et que, de ce fait, nous n'arrivons pas à imposer la loi, donc aujourd'hui, on a pris la décision d'imposer une amende qui représente trois fois la somme que LECLERC doit à ses fournisseurs, en utilisant les structures belge pour détourner la loi française…

THOMAS HUGUES
Donc vous dites clairement, le groupe E.LECLERC procède de façon illégale aujourd'hui ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est ce qui nous amène à transmettre ce dossier au juge, et je veux observer une chose, c'est que sur les différentes assignations que nous avons faites ces dernières années, nous avons, lorsque le juge a tranché, toujours eu gain de cause.

THOMAS HUGUES
LECLERC qui se défend dans un communiqué, je vais les citer : derrière ces attaques permanentes dont sont témoins les consommateurs depuis deux ans, il s'agit clairement de mettre la pression sur LECLERC afin qu'il renonce à sa politique de prix bas pour les consommateurs et lui faire payer aussi sa position contre le relèvement du seuil de revente à perte imposé dans le cadre de la loi. Qu'est-ce que vous répondez au groupe LECLERC ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, je réponds que depuis 14 ans, nous n'avions pas de question de seuil de revente à perte, et que ces difficultés, elles sont malheureusement récurrentes et emblématiques…

THOMAS HUGUES
Ce n'est pas un combat politique contre LECLERC que vous menez en ce moment ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, c'est ridicule, c'est surtout une situation où les agriculteurs sont en grande difficulté, des PME et des ETI sont en grande souffrance dans le secteur agroalimentaire. Et dans le secteur de la distribution, certains distributeurs disent comment agir dans une concurrence loyale si le premier acteur du marché, qui est LECLERC, triche. Comment fait-on, c'est une incitation, nous-mêmes, à adopter les mêmes façons de procéder ; vous avez en ce moment une mission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les pratiques de la grande distribution, où les entreprises sont auditionnées à huis clos tellement elles ont peur de parler, et de manière récurrente, moi, j'en ai parlé à des députés, vous avez les anecdotes qui sont rapportées de modèles de négociations témoignent d'une agressivité et de pratiques qui sont parfaitement inadmissibles.

THOMAS HUGUES
Pourquoi LECLERC et pas les autres groupes, les autres se comportent mieux ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, en l'occurrence, cette amende, elle concerne LECLERC, mais ça ne veut pas dire qu'on ne regarde pas les autres groupes…

THOMAS HUGUES
Il pourrait y avoir d'autres amendes ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il pourrait y avoir d'abord des sanctions administratives par rapport aux négociations de 2019, on est en train de travailler dessus, et on a des enquêtes qui sont approfondies, ces enquêtes prennent du temps, le sujet de LECLERC, nous avons démarré l'enquête en février 2018, c'est 18 mois d'enquête, 5.000 messages captés, 8.000 pages de documents prélevées dans une perquisition qui a mobilisé plus de 20 agents de la direction générale de la concurrence, la répression des fraudes.

THOMAS HUGUES
Agnès PANNIER-RUNACHER, le groupe LECLERC, autre élément de défense dans son communiqué, il précise qu'il fait pression sur les grandes centrales étrangères et pas sur les petits groupes français, est-ce que c'est vrai ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors ça, c'est remarquable, c'est-à-dire que vous avez quand même…

THOMAS HUGUES
Est-ce que c'est vrai d'abord ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, je vais vous donner les chiffres : 4 fournisseurs en 2017, 14 en 2018, 27 en 2019, pardon, mais on n'a pas 27 grands groupes étrangers, donc c'est une pratique qui était en train de se disséminer, y compris à des groupes de taille intermédiaire, et qui l'ont fait valoir et qui l'ont fait valoir, et puis, je trouve cette défense merveilleuse, j'ai le droit de ne pas respecter la loi dès lors que c'est contre de grands groupes étrangers…

THOMAS HUGUES
Quand vous parlez de groupes intermédiaires français, de qui parle-t-on ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez, je ne vais pas rentrer dans le détail de la procédure, mais vous pouvez imaginer que vous avez en France des groupes dans l'industrie agroalimentaire qui sont dans le fromage, dans le lait, dans la charcuterie, et que ces groupes-là sont touchés.

THOMAS HUGUES
Est-ce que LECLERC paye ses amendes, puisqu'on a les précédentes…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, c'est une procédure judiciaire…

THOMAS HUGUES
C'est une procédure devant le tribunal de commerce de Paris, on est bien d'accord…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Donc qui va mettre un certain temps, on peut faire le détail sur…

THOMAS HUGUES
Vous demandez au juge que cette amende soit de taille…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement…

THOMAS HUGUES
Est-ce que LECLERC paie ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Donc les amendes sont payées lorsque le juge tranche in fine le processus, comme ça prend plusieurs années, vous avez un décalage dans le temps entre le moment où nous, nous faisons l'assignation et le moment où la procédure arrive à son terme, et comme, comme je vous l'indiquais, par le passé, nous étions plus limités sur notre capacité à prononcer des sanctions administratives, LECLERC n'a jamais eu à payer des amendes de cette importance.

THOMAS HUGUES
Donc vous souhaitez qu'elle soit dissuasive, pour bien comprendre, cette amende, c'est pour ça qu'on est un à un montant record ce matin ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Si vous voulez, si l'amende est indolore, ce qui a souvent été le cas par le passé, pas seulement pour LECLERC d'ailleurs, puisque d'autres centrales ont eu à payer des amendes comme INTERMARCHE, etc, si cette amende est indolore, alors il ne se passe rien, c'est pour ça que dans cette situation, qui est emblématique, de pratiques illégales, nous avons fait le choix de prendre l'amende maximale, c'est-à-dire trois fois les montants que LECLERC a récupérés sur le dos de groupes sans contrepartie, de façon à ce qu'on arrête de ne plus respecter et de ne pas respecter la loi, c'est nécessaire.

THOMAS HUGUES
Dernière question sur ce thème, vous avez eu le patron du groupe E.LECLERC au téléphone ces derniers jours ou ces dernières semaines ? Comment ça se passe, vous l'avez alerté que cette amende arrivait ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Cette assignation, elle est présentée par un huissier de justice, donc, bien sûr, il a eu connaissance des faits avant qu'ils soient communiqués dans le public, c'est la moindre des choses, en revanche, je ne l'ai pas eu personnellement au téléphone.

THOMAS HUGUES
Il n'a pas cherché à vous joindre ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non plus.

THOMAS HUGUES
Bon, je voudrais qu'on parle d'un autre thème d'actualité qui a trait à la rumeur, et presque à la théorie du complot, c'est cette histoire d'eau contaminée en Ile-de-France, ça n'a pas pu vous échapper, cette rumeur depuis quelques jours, l'eau du robinet en Ile-de-France n'est pas propre à la consommation, elle serait contaminée au tritium, est-ce que vous pouvez très clairement, ce matin, Agnès PANNIER-RUNACHER, rassurer les auditeurs de RTL ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois que le système aujourd'hui d'eau du robinet est extrêmement bien contrôlé, et lorsqu'on a des doutes, vous avez immédiatement des restrictions à la consommation. Donc en tout état de cause, lorsque vous êtes dans ce type de situation, vous ne pouvez pas avoir une contamination cachée, je ne crois pas, et c'est…

THOMAS HUGUES
Oui, il y a une association, pardon de vous interrompre, l'association pour le contrôle de la radioactivité dans l'ouest qui affirmait mercredi que 6,4 millions de personnes sont alimentées par de l'eau contaminée au tritium,1°) : est-ce que c'est vrai ? Et 2°) : est-ce que c'est une question de seuil : est-ce qu'il y a des seuils tolérés pour le tritium ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Dans toutes les questions de contamination, vous avez des questions d'exposition à des seuils, des seuils individuels, et ensuite, vous avez l'effet cocktail qu'il faut également regarder, c'est-à-dire le fait d'être exposé environnementalement à plusieurs types de composants chimiques ou d'une autre nature qui sont potentiellement mauvais pour votre santé, peuvent se renforcer les uns, les autres. Donc c‘est ça qui est regardé par notamment les agences de l'eau, et tout ce qui est autorité sanitaire, donc à ma connaissance, il n'y a pas de contamination de l'eau potable, c'est important, parce que, je dirais en terme de pouvoir d'achat, on s'aperçoit que beaucoup de familles achètent de l'eau en bouteille alors que l'eau du robinet est parfaitement propre à la consommation, et c'est typiquement un élément du pouvoir d'achat qui peut être amélioré, puisque l'eau du robinet est beaucoup moins cher que l'eau en bouteille.

THOMAS HUGUES
Agnès PANNIER-RUNACHER, je voudrais qu'on parle de l'affaire François de RUGY, il a donc démissionné la semaine dernière, deux enquêtes seront rendues publiques demain, l'une menée par Matignon, l'autre par l'Assemblée nationale, a priori, d'après les révélations de la presse ce week-end, ces enquêtes devraient dédouaner, je vais employer ce terme-là, l'ancien ministre de la Transition écologique, est-ce qu'il n'a pas quitté ses fonctions trop tôt ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Enfin, là, c'est…

THOMAS HUGUES
Allez-y, vous pouvez critiquer les médias dans leur traitement de cette…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, mais je pense que…

THOMAS HUGUES
Non, parce que je lis dans vos pensées, vous dire, c'est une drôle de question de la part des journalistes qui ont attaqué de RUGY pendant des jours…

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est ça, je pense que la pression qu'a eue François de RUGY sur lui était une pression – il nous l'a dit – qui était insupportable, qui mettait en cause sa famille, qui pesait sur ses enfants, et il a fait le choix de démissionner, il a fait le choix de démissionner en conscience pour ne pas polluer l'action du gouvernement notamment et pour pouvoir se défendre ; il a fait la plus grande transparence sur les faits qui étaient rapportés par la presse, et je crois qu'il y a deux choses, moi, qui… il n'y a aucune ambiguïté sur le fait que les élus doivent faire preuve de transparence et d'exemplarité, et c'est ce gouvernement et cette majorité qui a mis dans la loi, dès qu'elle est arrivée, la transparence sur l'utilisation de l'indemnité de fonction des députés, qui a également mis, dans la loi, la fin de la réserve parlementaire, qui a eu un certain nombre de pratiques, dans un sens de moralisation, lesquelles pratiques complétaient des pratiques qui avaient déjà été prises par les mandatures précédentes. Moi, ce qui me choque dans cette affaire, c'est qu'on a un peu confondu journalisme d'opinion et journalisme d'investigation, qu'on ait des opinions sur les dîners que peut faire un président de l'Assemblée nationale, ce n'est pas un problème, mais qu'on laisse entendre que c'est parfaitement illégal…

THOMAS HUGUES
Mais c'est le décalage, je vais vous interrompre, pardon, c'est le décalage qui est insupportable pour beaucoup de Français, on demande des sacrifices, on demande aux Français de faire des efforts, et à côté de ça, on a des retours de dîners somptueux à l'hôtel de Lassay, que ce soit légal ou pas, ce décalage, il n'est pas supportable politiquement…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais je suis complètement d'accord avec vous. Toute la question est de savoir comment ces dîners ont été faits, est-ce que c'est pour accueillir un grand personnage d'un Etat étranger ou est-ce que c'est pour faire une petite soirée entre amis, c'est ça qui est la différence, si vous êtes dans un cadre…

THOMAS HUGUES
Eh bien, c'est entre les deux, c'est entre les deux, il n'y avait pas de grands personnages étrangers à ses dîners, et il y avait quelques amis et des relations professionnelles aussi…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, mais moi, encore une fois, si vous voulez, vous tirez de trois images un fait générique, un fait générique, et ensuite, on le retrace et on raconte une histoire qui n'est pas la vraie histoire, moi, encore une fois, la question de l'exemplarité, elle est indispensable, elle est d'autant plus indispensable comme vous le dites qu'on demande collectivement à tout le monde de faire des efforts à un moment où les dépenses publiques sont très élevées, et qu'on doit baisser la dépense publique. Au passage, on fait aussi beaucoup d'efforts sur la baisse de la fiscalité qui profite à l'ensemble des Français, donc ça c'est totalement légitime qu'il y ait plus de transparence, c'est totalement légitime, mais qu'on laisse sous-entendre qu'il y a de l'illégalité alors que, et vous avez raison, on peut contester, ça, c'est du journalisme d'opinion, on peut contester le décalage entre une image d'un président de l'Assemblée nationale qui a l'air de dîner dans un dîner somptueux et la réalité de la vie des Français. Ça, je trouve ça parfaitement légitime de le contester, de l'écrire, de se poser des questions, mais ne faisons pas un procès à charge sans éléments de fondement…

THOMAS HUGUES
Et on termine là-dessus. Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie qui – je le rappelle, et c'est pour ça que vous étiez là ce matin sur RTL – prioritairement, demande au tribunal de commerce de Paris une amende de plus de 117 millions d'euros au groupe E.LECLERC.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 juillet 2019