Texte intégral
THOMAS HUGUES
Elizabeth MARTICHOUX, vous recevez Agnès BUZYN, ministre des Solidarités et de la Santé.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et merci beaucoup d'être sur RTL ce matin. Bonjour Agnès BUZYN.
AGNES BUZYN
Bonjour madame MARTICHOUX.
ELIZABETH MARTICHOUX
Dérembourser ou pas l'homéopathie, votre décision était donc en effet très attendue depuis l'avis négatif de la Haute autorité de santé. Vous avez tranché, vous venez le confirmer sur RTL, ce sera un déremboursement total en 2021. On va décortiquer cette décision importante, peut-être impopulaire, les auditeurs au 32 10 à partir de 08h20, pourront vous poser toutes les questions, elles ne manqueront pas, j'en suis sûre. Mais d'abord, est-ce que vous avez hésité ?
AGNES BUZYN
Non, j'ai toujours dit que je suivrais l'avis de la Haute autorité de santé. Nous avons en France une autorité scientifique, c'est le cas d'ailleurs dans beaucoup de pays européens, dont la mission est d'évaluer l'intérêt des médicaments qui doivent être remboursés par la Sécurité sociale. Aujourd'hui, aucun traitement remboursé par la Sécurité sociale n'échappe à une évaluation de la Haute autorité de santé, c'est aussi vrai pour les actes médicaux, par exemple quand on se fait rembourser une prothèse de hanche, c'est évalué par la Haute autorité de santé. Seule l'homéopathie n'avait jamais été évaluée, j'ai donc demandé cette évaluation il y a un an.
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous avez hésité, encore une fois, est-ce qu'il y a eu des débats internes au gouvernement ? Est-ce que vous avez dû batailler, franchement ?
AGNES BUZYN
Non, j'ai expliqué cette décision et le rationnel de cette décision, il est important que chaque euro dépensé par la Sécurité sociale soit un euro dépensé à bon escient, pour des traitements qui soient utiles ou reconnus comme utiles par la Haute autorité de santé, et donc il m'a fallu le temps d'explications.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous avez dû expliquer et faire valoir votre rationalité, c'est ce que vous nous dites. C'est aussi une décision politique, Agnès BUZYN, si on vous avait demandé le statu quo, est-ce que vous l'auriez accepté ?
AGNES BUZYN
Ecoutez, la question ne s'est pas posée. Je ne crois pas qu'on puisse considérer que le remboursement des actes ou des médicaments par la Sécurité sociale, puisse être un acte politique. Je pense que la politique n'a rien à faire dans les remboursements des médicaments, ils doivent prouver leur utilité, il y a des instances scientifiques qui en jugent, et je pense qu'on ne doit pas mêler la politique, justement, aux décisions scientifiques.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il n'y a pas eu de pression ?
AGNES BUZYN
Ah il y a eu beaucoup de pression…
ELIZABETH MARTICHOUX
Lesquelles ? D'où ?
AGNES BUZYN
Il y a eu énormément de pression, évidemment des industriels, de Français qui y croient très sincèrement, et moi je suis tout à fait sensible à ce besoin de Français d'accéder à ces médicaments ou à ces traitements qu'on appelle complémentaires, et on ne les interdit pas, simplement on dit que pour être remboursé par la Sécurité sociale, il faut avoir fait la preuve d'une efficacité qui soit supérieure à ce qu'on appelle le placebo.
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, vous tranchez en faveur d'un déremboursement total, certains suggéraient, comme Xavier BERTRAND, qui est le président des Hauts-de-France, engagé dans ce dossier, une méthode plus douce. Il a d'ailleurs écrit dans ce sens au président MACRON. Il faut baisser le taux de remboursement de 30 à 15 %, et ne pas le supprimer. En effet, pourquoi pas ?
AGNES BUZYN
En fait ça n'a pas de logique, c'est-à-dire qu'il y a énormément de médicaments aujourd'hui qui ne sont plus remboursés par la Sécurité sociale, parce qu'ils n'avaient pas fait la preuve de leur efficacité, et si j'acceptais un taux intermédiaire pour l'homéopathie, tous ces médicaments seraient revenus vers moi, en disant : mais pourquoi l'homéopathie vous acceptez de la rembourser à 15 % et pourquoi pas mon médicament, qui lui-même n'a pas été mieux évaluer par… moins bien évalué par la Haute autorité de santé ? Et donc…
ELIZABETH MARTICHOUX
En fait, ça aurait laissé penser que finalement l'homéopathie n'était pas totalement inefficace. 15 %.
AGNES BUZYN
Ça laissait penser que ça n'était pas totalement, en tous les cas pas plus efficace que le placebo, mais surtout ça laisse de la place à l'arbitraire, à l'aléatoire, c'est-à-dire qu'on peut décider par une pétition ou on peut décider par du lobbying, du taux de remboursement d'un médicament. Ça n'est pas comme cela que ça fonctionne, et heureusement d'ailleurs, parce qu'heureusement que ce qui est remboursé par la Sécurité sociale obéit à des règles scientifiques.
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais qu'est-ce que vous dites aux patients ce matin, et vous allez sans doute les entendre tout à l'heure, « Madame la Ministre, ça marche j'en suis la preuve vivante » ?
AGNES BUZYN
C'est vrai, beaucoup de patients se sentent bien avec le médicament homéopathique, et je respecte évidemment leur envie et leur choix de se faire traiter par ces médecines complémentaires. Mais là encore, pour un remboursement, c'est-à-dire pour être accepté comme utile par la collectivité et être remboursé et payé par l'argent de l'Assurance maladie, il faut avoir fait la preuve de son efficacité, et force est de constater depuis que ces médicaments existent, qu'ils n'ont pas apporté de preuve scientifique d'utilité.
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais par exemple, je prends l'exemple de madame X, parce que ça c'est aussi une question quand même, madame X ou monsieur Y qui dort bien, mieux en tout cas avec l'homéopathie, du coup il va prendre, il ou elle va prendre un somnifère classique. Est-ce que c'est…
AGNES BUZYN
Surtout pas !
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, non mais c'est comme ça que ça va se passer dans beaucoup de ménages, j'imagine, français. Dans un pays hyper consommateurs de psychotropes, franchement, ce n'est pas génial cette réorientation vers une chimie qui on le sait est, j'allais dire, de consommation quasi abusive en France.
AGNES BUZYN
C'est le rôle des médecins. Le rôle des médecins, c'est de ne pas prescrire un médicament quand il n'est pas absolument nécessaire. Et moi, mon enjeu aujourd'hui c'est de dire aux Français que beaucoup de maladies guérissent toutes seules par exemple et peuvent ne pas avoir de traitement.
ELIZABETH MARTICHOUX
Guérissent toutes seules, c'est-à-dire sans rien prendre ?
AGNES BUZYN
Enormément de maladie, heureusement…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous voulez dire, on se sent malade mais il ne faut rien prendre ?
AGNES BUZYN
Absolument, et c'est justement une des caractéristiques de notre pays…
ELIZABETH MARTICHOUX
Quel genre de maladie ?
AGNES BUZYN
Par exemple toutes les maladies ORL de l'hiver, certains rhumes, certaines angines virales, ne nécessitent aucun traitement et nous sommes dans notre pays très consommateurs de médicaments, et tout le mouvement que je souhaite enclencher, c'est une réduction de l'usage des médicaments dans notre pays, qu'ils soient homéopathiques ou médicaments standards évidemment. L'objectif n'est pas un report, loin de là, au contraire, je souhaite qu'on diminue notre consommation d'antibiotiques, de psychotropes, c'est-à-dire de médicaments pour dormir ou pour se calmer. Nous avons…
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais enfin, ils sont prescrits, ils ont des ordonnances ces patients, ce n'est pas de l'automédication forcément.
AGNES BUZYN
C'est aujourd'hui effectivement le rôle des médecins que de faire de la pédagogie, d'expliquer qu'en fait un certain nombre de troubles, de sensations qu'ont les Français, ne méritent pas forcément une prescription et peuvent guérir seuls.
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc, autrement dit, si je reprends mon exemple de madame X ou monsieur Y qui dorment mal, vous demandez ce matin aux médecins de prendre leurs responsabilités et d'éviter que ce patient ne prenne un somnifère.
AGNES BUZYN
Absolument, et d'autre part la personne en question pourra continuer à prendre son médicament homéopathique. Je rappelle aussi, parce que c'est important pour nos auditeurs, que ces médicaments coûtent très peu cher, souvent 1 €, 2 €…
ELIZABETH MARTICHOUX
L'homéopathie.
AGNES BUZYN
Très peu cher. Et donc en réalité le remboursement qui intervient sur ces tubes est de l'ordre de 20 30 ou 40 centimes d'euro. Et quand nous avons étudié la façon dont les Français utilisaient l'homéopathie, nous nous sommes rendu compte que pour les 10 % de Français qui utilisent de l'homéopathie remboursée, le taux moyen de remboursement est de l'ordre de 1,50 € par mois.
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est-à-dire que quand Xavier BERTRAND, toujours lui, parce qu'encore une fois c'est un avocat de l'homéopathie, dit : « Ça pèserait particulièrement sur le pouvoir d'achat des Français », c'est ce qu'il a dit, le déremboursement, vous lui dites : non.
AGNES BUZYN
Non, clairement pas, et les 1 % des Français qui utilisent le plus l'homéopathie, donc qui en consomment énormément, c'est à peu près 1 % des Français, ils ont un taux de remboursement moyen de l'ordre de 2 € par mois, et donc je ne pense pas que ça grèvera le pouvoir d'achat des Français.
ELIZABETH MARTICHOUX
Votre collègue du gouvernement, Sibeth NDIAYE, porte-parole, avait laissé entrevoir une mesure moins définitive, en disant que cette décision, la votre, dépendait d'une balance entre les considérations scientifiques et les conséquences sur l'emploi. Alors les conséquences sur l'emploi, elles n'ont pas pesé lourd par rapport aux considérations scientifiques.
AGNES BUZYN
Le rôle de la Sécurité sociale ça n'est pas de financer de l'emploi, sinon évidemment je pense qu'on évaluerait différemment les médicaments et on rembourserait les médicaments qui sont essentiellement fabriqués par des firmes françaises. Donc ça n'est pas le cas, aujourd'hui le remboursement des médicaments, dépend de leur utilité. Ça n'est pas le rôle de l'Assurance maladie de financer des entreprises françaises, par contre…
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais il y aura peut-être un coût social, vous allez récupérer plus de 100 millions d'euros à la Sécu, il y aura peut-être un coût social. 1 000 €, pardon, 1 000 emplois aux Laboratoires BOIRON, leader mondial de l'homéopathie.
AGNES BUZYN
Alors, d'abord c'est ce que disent les Laboratoires BOIRON aujourd'hui, moi je ne pense pas que les Français vont arrêter de consommer l'homéopathie, puisque le taux de… le remboursement est en fait très faible, et je pense que beaucoup de Français vont continuer à se faire soigner ou à demander ces traitements, s'ils en ont envie. Donc je ne pense pas que cela pèsera autant sur l'emploi que ce que dit la firme, mais après ça n'est pas mon…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous les avez rencontrés, d'ailleurs, pardon ?
AGNES BUZYN
Je les rencontrerai forcément, puisque dans la procédure de déremboursement je dois rencontrer les entreprises, mais elles vont être…
ELIZABETH MARTICHOUX
Elles demandent à être reçues d'urgence par Emmanuel MACRON.
AGNES BUZYN
Mais elles doivent surtout être accompagnées par le ministère de l'Economie et des Finances, j'en ai discuté avec mon collègue Bruno LE MAIRE, il est évident que ces entreprises françaises vont être accompagnées par le ministère…
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est-à-dire ?
AGNES BUZYN
C'est le travail du ministère de l'Economie et des Finances que d'accompagner des entreprises si elles se sentent en difficulté, ce que je ne sais pas aujourd'hui. C'est aussi la raison pour laquelle j'ai proposé que le déremboursement intervienne dans un an, et donc pour laisser un an à l'entreprise, un remboursement à 15 % qui va lui laisser le temps de trouver de nouveaux marchés, puisque ces marchés sont plutôt en expansion en Asie, et ça va donc permettre à l'entreprise voilà de s'organiser par rapport à ce déremboursement qui interviendra je le rappelle dans un an, c'est-à-dire au 1er janvier 2021.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous dites que vous allez les recevoir, le Laboratoire BOIRON.
AGNES BUZYN
Forcément, absolument.
ELIZABETH MARTICHOUX
Dans les jours qui viennent ?
AGNES BUZYN
Oui et je reçois les associations qui militent en faveur de l'homéopathie demain au ministère, nous aurons une discussion.
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous recevrez aussi la députée Europe Ecologie-Les Verts Michèle RIVASI, qui écrit ceci dans un tweet : « Le président MACRON approuve le déremboursement malgré le million de citoyens pétitionnaires – il y en a 1,2 million, on a regardé – voici revenu le temps de l'Inquisition et de l'uniformisation ». Voilà pour votre décision.
AGNES BUZYN
Ecoutez, je crois que madame RIVASI s'est faite connaître pour ses positions anti-vaccins, maintenant elle est, voilà, elle prend toujours des positions qui vont à l'encontre des avis scientifiques, donc ça pose un problème sur la rigueur de madame RIVASI, en tous les cas je ne vois pas en quoi c'est de l'inquisition, on n'empêche pas de prendre ce médicament, les Français peuvent y recourir, il n'y a pas une interdiction de prendre ces médicaments, il y a simplement le fait que ça ne doit pas être pris en charge par la Sécurité sociale.
ELIZABETH MARTICHOUX
L'impopularité, vous l'assumez ?
AGNES BUZYN
J'assume évidemment de ne pas être populaire auprès des Français qui prennent de l'homéopathie, mais mon souhait c'est d'expliquer cette décision et de dire qu'elle repose sur un rationnel, et ce rationnel…
ELIZABETH MARTICHOUX
Que vous allez pouvoir encore justifier avec les auditeurs au 32 10. « Elle est l'une des meilleures ministre du gouvernement », aurait dit de vous le Premier ministre. Vous prenez le compliment.
AGNES BUZYN
A défaut d'être populaire !
ELIZABETH MARTICHOUX
En tout cas pas impopulaire auprès de son chef de gouvernement. A tout à l'heure Agnès BUZYN.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 juillet 2019