Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, à CNews le 13 juin 2019, sur le climat social et les mouvements de grève à l'hôpital et aux urgences médicales.

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Média : CNews

Texte intégral

CLELIE MATHIAS
Tout de suite, c'est l'heure de l'interview politique de Jean-Pierre ELKABBACH, qui reçoit la ministre de la Santé, Agnès BUZYN.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous êtes évidemment la bienvenue, merci d'être avec nous Madame la Ministre, madame Agnès BUZYN.

AGNES BUZYN
Bonjour.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a eu une visite surprise, il paraît que vous avez passé quelques heures cette nuit à l'hôpital Saint-Antoine, seule et sans image, et peut-être une photo volée. Qu'est-ce que vous avez découvert ?

AGNES BUZYN
Je voulais surtout parler aux soignants, puisque c'est à l'hôpital Saint-Antoine qu'il y a un mouvement de grève depuis déjà plusieurs semaines, avec des revendications assez dures, et donc je souhaitais m'adresser aux personnels qui font grève et les rencontrer. Donc je suis…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ils étaient prévenus de votre arrivée ?

AGNES BUZYN
Non, ils n'étaient pas prévenus, j'ai souhaité, voilà, je n'avais pas envie qu'il y ait des journalistes, pas photo, pas de caméra…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Encore nous !

AGNES BUZYN
Je suis désolée, je voulais leur parler calmement, j'ai eu la chance d'avoir un moment d'échange, une demi-heure…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Eh bien voilà, il y a une photo qui a été volée.

AGNES BUZYN
Voilà, une demi-heure avec eux. Je souhaitais pouvoir parler en toute tranquillité, c'est ce que nous avons fait.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comment ils vous ont accueillie ?

AGNES BUZYN
Certains un peu froidement, d'autres je pense avaient envie de parler de leurs problèmes et de leur vie, et puis j'ai découvert des problèmes clairement liés aux urgences, à l'afflux de malades, et puis parfois d'autres sujets, un peu annexes, comme l'accès à la médecine du travail, l'accès à des formations. Et donc ça nous a permis de faire un état des lieux de leur vie au quotidien, non seulement dans les urgences mais en général dans les carrières hospitalières.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous découvriez cela ?

AGNES BUZYN
Non, je ne découvre pas complètement l'hôpital, mais c'était important, là, alors qu'il y a une tension spécifique dans les urgences, que je puisse vraiment me faire ma vision, mon idée, et que je puisse parler directement aux gens qui…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous dites que le conflit dure depuis 3 mois, pourquoi n'êtes pas allée déjà passer une nuit avec eux, mettre la blouse blanche et voir comment ils vivent ?

AGNES BUZYN
Alors, d'abord, les conflits sont très différents d'un site à l'autre. Ce qu'il faut comprendre et c'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que chaque hôpital trouve la solution qui convienne, c'est qu'en réalité, d'un site en grève à l'autre, les demandes ne sont pas toujours les mêmes. Parce que les problèmes sont parfois très spécifiques. Il y a des urgences où il manque des médecins et où il y a parfois des manques de soignants, d'infirmières, parfois ce sont des locaux extrêmement vétustes, très exigus, qu'il faut refaire. Et donc je souhaitais que chaque directeur prenne en main son problème et trouve la solution adaptée.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'il est vrai que les hôpitaux de Paris sont plutôt mal gérés, qu'il y aurait beaucoup à faire pour qu'ils soient mieux organisés ? Même s'il y a eu déjà des efforts.

AGNES BUZYN
Alors, à Paris…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
On se dit la vérité, ici.

AGNES BUZYN
A Paris il y a des difficultés particulières. L'afflux de patients est massif, il y a de très gros hôpitaux qui ne se sont pas toujours organisés comme il le fallait pour pouvoir libérer des lits pour que les urgences puissent coucher les malades. Et donc j'ai demandé un plan spécifique à l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris pour me proposer des évolutions des services d'urgences.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
On va voir ce que vous pouvez faire comme solution, et ce qu'on peut apporter comme remède. Mais, est-ce que cette nuit, même pendant quelques heures, vous avez vu ces couloirs encombrés de gens qui attendent etc., d'être soignés ?

AGNES BUZYN
Alors, d'abord le service où j'étais, à Saint-Antoine, est un service assez grand, donc il n'y a pas par exemple les problèmes de locaux qu'on peut avoir aux urgences de Lariboisière qui sont surchargées et qui sont dans des petits espaces, qui accroît la tension. En plus la nuit d'hier était une nuit relativement calme aux urgences de Saint-Antoine, donc…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que ça a des hauts et des bas.

AGNES BUZYN
Eh bien comme toujours dans les urgences, il y a des jours très difficiles, et parfois il y a des nuits calmes, je suis tombée une nuit calme, ce qui m'a permis de les avoir tous autour de moi et de pouvoir discuter, parce que s'ils avaient été occupés, je n'aurais pas pu leur parler.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que, d'abord la crise des urgences…

AGNES BUZYN
Ils sont fatigués, ce que je dois dire c'est qu'ils sont fatigués, et ce qu'ils expriment, c'est-à-dire un épuisement, eh bien ça se voyait sur leurs visages, et donc j'entends cet épuisement.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc ça, ça vous a impressionnée.

AGNES BUZYN
Oui, parce que j'ai connu les urgences, j'ai fait des gardes, et j'ai trouvé les soignants plus fatigués effectivement que ce que je connaissais à l'époque où moi-même je faisais des gardes aux urgences.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est ça les changements de méthode désormais des gouvernants ou des ministres d'Edouard PHILIPPE, aller sur le terrain et se rendre compte de ce qu'on aurait pu connaître et voir avant ?

AGNES BUZYN
Le changement de méthode, de toute façon, qu'a annoncé le Premier ministre, c'est surtout de faire avec, et faire avec c'est aussi ce que je vais appliquer puisque je reçois vendredi, c'est-à-dire demain matin, la communauté des urgentistes, avec les paramédicaux, c'est-à-dire les infirmiers, les aides-soignants, et le collectif qui fait grève. Ils seront autour de la table, et l'idée c'est qu'on cherche ensemble des solutions pour améliorer le fonctionnement des urgences, parce qu'on voit bien qu'aujourd'hui elles sont totalement inadaptées aux besoins de la population.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc là vous recevez le collectif qui a déjà un peu contourné les syndicats, mais qui a récupéré les syndicats.

AGNES BUZYN
Exact.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne l'aviez pas fait jusqu'ici, donc…

AGNES BUZYN
Il a été reçu par mon cabinet.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non non, oui, mais le directeur adjoint de cabinet. Mais là, la ministre les reçoit enfin.

AGNES BUZYN
Je les ai invités, ils ont accepté de venir, ils seront présents autour de la table puisque demain je lance…. Je fais deux choses demain. D'abord je lance une mission flash pour qu'on me propose des mesures spécifiques pour améliorer la situation des urgences, au-delà des mesures que j'ai moi-même annoncées, et je vais également leur expliquer comment les mesures que j'ai annoncées, c'est-à-dire les deux mesures sur les budgets des hôpitaux et les deux mesures sur les primes pour les personnels…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça, vous allez le dire.

AGNES BUZYN
… comment en va concrètement les mettre en œuvre.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ce qui commence demain, et c'est un fait nouveau, est-ce que c'est une concertation, une discussion, une négociation ? Ça doit aboutir à quoi ?

AGNES BUZYN
A ce que cette mission, avec le collectif, avec le Conseil national des urgences hospitalières, dans lequel il y a tous les professionnels, me proposent d'ici l'été des mesures d'urgence à mettre en œuvre pour réfléchir aux modèles des urgences…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
On n'a pas assez réfléchi… maintenant c'est l'action.

AGNES BUZYN
Eh bien justement, et donc tout ce qui va m'être proposé, je le mettrai en œuvre. Et donc ils peuvent… Voilà, j'attends leurs propositions, j'attends de la créativité, c'est-ce que je vais leur demander demain, parce qu'en réalité notre système d'urgences il a été mis en place il y a une trentaine ou une quarantaine d'années, et on voit bien maintenant qu'il ne traite pas que l'urgence, et c'est ça qu'on doit prendre en charge. Comment on fait en sorte de mieux organiser les choses quand il y a des patients qui ne relèvent pas de l'urgence et qui pourtant se présentent à l'hôpital.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Surtout qu'il y a eu les encombrements et que l'on a vus, avec les drames de l'hiver, mais l'été arrive et s'il y a la canicule on va revoir ces scènes dramatiques, peut-être pas dans tous les services d'urgences de France, mais dans certains. Ça pèse.

AGNES BUZYN
Alors d'abord, l'année dernière j'avais fait une réunion préparatoire pour gérer la canicule, nous avons eu une canicule.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous étiez restée là l'été, je m'en souviens.

AGNES BUZYN
Voilà, j‘étais restée et j'avais vérifié sur le terrain, il n'y a pas eu d'encombrement l'année dernière des services d'urgences à cause de la canicule, parce que tout ça avait été organisé et pensé avant. Je fais cette même réunion la semaine prochaine, je réunis toutes les parties prenantes, les hôpitaux mais aussi les services de secours, les mairies, toutes les grandes associations, pour travailler et préparer l'été, parce que l'été c'est toujours une période de tension, et j'aiderai les hôpitaux cet été.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que dans cette phase, la grève sera suspendue ou arrêtée ?

AGNES BUZYN
C'est à eux de me le dire demain. Nous verrons si des mesures et ce que je propose comme plan d'action convient au collectif et s'ils ont envie d'arrêter la grève. Je ne peux pas me prononcer à leur place.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire, il n'y a pas de préalable, vous les recevez et à eux de décider s'ils sont convaincus par les mesures d'Agnès BUZYN.

AGNES BUZYN
Absolument.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Votre loi va être adoptée, elle a été adopté mardi au Sénat, là elle sera votée définitivement dans une semaine, jour pour jour, le 20. C'est…

AGNES BUZYN
Non, le 20 c'est la Commission mixte paritaire, c'est-à-dire la recherche d'un accord…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et après il y aura le débat public.

AGNES BUZYN
Voilà, la recherche d'un accord entre…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous vous rendez-compte depuis quand que ça a été lancé ? Ça fait plusieurs mois, mais la loi s'appelle : « Ma Santé 2022 ». Mais le problème c'est ma santé aujourd'hui, c'est ça qu'on vous réclame.

AGNES BUZYN
Oui, bien sûr.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a les deux aspects.

AGNES BUZYN
Non mais on peut jouer sur les mots, l'idée c'est qu'on donne une cible, on s'organise pour mettre en œuvre toutes les mesures d'ici 2022, 2022 c'est dans 3 ans, réorganiser l'ensemble du système de santé, réorganiser les hôpitaux, labelliser des hôpitaux de proximité, organiser la médecine de ville, créer les postes d'assistants médicaux, ça commence cet été, dès cet été, dès que la loi sera votée, il va y avoir déjà la mise en œuvre de la loi, par exemple…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec la mise en route du numerus clausus dont on verra les résultats beaucoup plus tard. Alors les primes, parce qu'on vous réclame une augmentation de salaire 300 € net par mois.

AGNES BUZYN
La vous parlez pour les urgences.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour les urgences. Qu'est-ce que vous donnez ou vous accordez comme prime, parce que vous en avez parlé tout à l'heure.

AGNES BUZYN
Oui, donc c'est une prime pour couvrir en fait la difficulté spécifique du travail aux urgences, ce qu'on appelle, c'est une prime de risque, mais ce n'est pas que du risque, c'est-à-dire la pression, la tension, les incivilités, c'est cette prime-là dont je discuterai avec les présents demain à la réunion, pour leur expliquer ce que je vais mettre en œuvre pour eux, pour les personnels des urgences.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous dites quelque fois, d'après ce que j'ai entendu, la crise des urgences est un symptôme des dysfonctionnements de l'hôpital.

AGNES BUZYN
Ça c'est vrai. Oui.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais le sentiment c'est plutôt un des symptômes des dysfonctionnements de toute l'offre des soins.

AGNES BUZYN
Oui, ce n'est pas des dysfonctionnements de l'hôpital, c'est un symptôme des dysfonctionnements du système de santé, dans son ensemble.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, vous annoncez ici ce matin sur Cnews, que vous allez recevoir à partir de demain le collectif pour prendre des mesures etc. Et pourquoi vous ne donnez pas rendez-vous aussi aux médecins libéraux et à leurs syndicats ? Parce qu'ils sont silencieux, ils ont l'air d'être intouchables et de terroriser les gouvernements, de toute l'histoire de la Vème République.

AGNES BUZYN
Alors, j'ai fait bouger les lignes sur la médecine de ville, la médecine libérale, les médecins généralistes qu'on va voir. Je leur ai demandé de s'organiser pour couvrir un territoire, une population, et ça c'est très nouveau, je leur ai demandé de faire des collectifs de médecins, et de professionnels de santé, infirmiers, pharmaciens, et que ces collectifs, ces communautés professionnelles prennent en charge les patients dans un territoire, en s'engageant sur notamment l'accès à des consultations sans rendez-vous. C'est ce qu'on appelle les soins non programmés, parce que c'est ça qui engorge les urgences aujourd'hui, c'est toutes les personnes qui cherchent un médecin et qui n'obtiennent pas un rendez-vous.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous confirmez.

AGNES BUZYN
Je vais leur demander, et ils vont être rémunérés pour cela, ils vont s'engager sur donner un médecin traitant à tout le monde, sur ouvrir des plages horaires de consultations non prévues…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il faut associer les médecins de ville.

AGNES BUZYN
Ah c'est obligatoire, pour aider les urgences…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, il faut leur donner un rendez-vous, et leur dire et leur expliquer ce que vous voulez, et qu'ils s'engagent, parce que…

AGNES BUZYN
Le rendez-vous est la semaine prochaine, parce qu'ils doivent signer la convention médicale, c'est-à-dire les engagements sur cette nouvelle organisation. Je compte sur eux, j'ai besoin d'eux aujourd'hui pour repenser le système.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce que si tant de patients vont d'abord aux urgences, c'est parce qu'ils ne trouvent pas de médecin près de chez eux, et qu'on voit bien qu'il faut réclamer une nouvelle organisation et gestion.

AGNES BUZYN
C'est ce que me disaient les infirmiers hier. Les infirmiers hier, que j'avais aux urgences, face à moi, m'expliquaient à quel point en réalité les dysfonctionnements de la médecine en amont, en ville, entraînaient un afflux de patients aux urgences.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Une précision. Il y en a qui demandent d'arrêter de fermer les lits. C'est impossible ça ? Ou c'est, on dit : on ferme les lits par économie, on met les gens dehors et puis…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous savez, monsieur ELKABBACH, il y a un mythe sur les fermetures de lits. Il y a des fermetures de lits, il y a aussi des ouvertures de lits, celles-là on n'en parle jamais. Par exemple hier à Saint-Antoine, la Direction m'expliquait qu'ils avaient ouvert des lits de médecine justement pour désengorger les urgences. Donc dès qu'on ferme des lits, tout le monde…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il y a plus, de souplesse…

AGNES BUZYN
Mais en réalité, il y a des ouvertures en permanence, parce que les hôpitaux ont besoin d'activité. Il y a aussi des fermetures quand il n'y a plus besoin d'activité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On a énormément de dossiers. Edouard PHILIPPE a annoncé hier tellement de réformes avec leur calendrier, leurs références, et sur un tel ton, on avait l'impression d'entendre PHILIPPE-ROCARD ou Edouard-MENDES-France. La loi, d'ailleurs il y a fait référence, oui. La loi sur la bioéthique, a-t-il dit, est prête, elle autorise le recours à la PMA pour toutes les femmes. Et ça il y aura donc le Conseil des ministres en juillet, on voit les dates, le débat et peut-être le vote à l'Assemblée et au Sénat, en septembre. Est ce que ce sera remboursé par la Sécurité sociale ?

AGNES BUZYN
A titre personnel je suis favorable à un remboursement, pour une seule raison, c'est parce que je suis favorable au droit réel. En réalité, si on ouvre la PMA pour toutes, sans la rembourser, on est dans le droit formel, parce que nous savons que certaines femmes peuvent déjà accéder à la PMA, parce qu'elles vont en Belgique quand elles peuvent payer. Donc en réalité…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais quand vous dites « à titre personnel », le ministre de la Santé s'engage…

AGNES BUZYN
Et donc vous me permettez, cette loi va être envoyée au Conseil d'Etat et donc elle sera présentée en conseil des ministres et vous verrez ce qui est dans la loi lorsque…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Combien de couples sont concernés ?

AGNES BUZYN
Quelques milliers peut-être, quelques milliers. On est en train de faire l'étude d'impact, elle est faite d'ailleurs, voilà, quelques centaines par an, quelques milliers au maximum, et donc de toute façon, ce qu'il faut savoir monsieur ELKABBACH, c'est qu'en réalité ces couples de femmes aujourd'hui, elles arrivent à faire des enfants, on ne peut pas empêcher des femmes d'avoir des enfants, elles font ça avec des hommes qui acceptent de donner leur sperme en dehors d'un cadre, elles le font en prenant parfois des risques pour leur santé, parce qu'elles ne mettent pas de… enfin, il n'y a pas de prise de préservatifs.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Cette fois-ci, si la loi est votée elles en auront le droit et probablement les moyens.

AGNES BUZYN
Elles en auront le droit et ça sera fait dans un cadre sécurisé.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais pourquoi ça passe avant les retraites ?

AGNES BUZYN
Je crois que c'était…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pourquoi cette urgence-là ?

AGNES BUZYN
D'abord, sur la bioéthique nous avons déjà une loi qui a pris un an de retard par rapport à la loi de 2011, qui prévoyait une révision tous les 7 ans. Ensuite c'était un engagement du président de la République, nous devons le tenir, il avait pris cet engagement pendant la campagne et donc nous terminons de mettre en œuvre son programme.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord, mais en même temps ça a une vertu politique, c'est comme une bombe baby lancée dans les pattes la droite.

AGNES BUZYN
Non, parce que…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce que ça va être un débat politique.

AGNES BUZYN
Non mais les fractures ne sont pas forcément les fractures entre groupes politiques. Il y a des gens parmi les Républicains qui voteront cette loi, je le sais, j'en ai déjà discuté avec eux.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous avez vu que la Manif pour tous a déjà prévenu qu'elle lancerait rapidement des appels à des manifestations de rues, et Edouard PHILIPPE pense qu'on peut y arriver avec un consensus, là je pense qu'il rêve, puisqu'on vous menace déjà de manifs. Toujours les mêmes.

AGNES BUZYN
Alors, il y aura des manifestations, les mêmes on les connaît, ils n'attendent que ça pour exister, et donc ils sont prêts depuis 2 ans et ils attendent qu'on l'annonce. C'est bon. Moi je suis absolument certaine que nous aurons des débats sereins et apaisés au Parlement. J'ai beaucoup préparé cette loi, avec les parlementaires, je les ai invités à des séminaires de travail, au ministère, pour qu'on réfléchisse à toutes les mesures. Ça n'était pas un débat avant le débat, mais c'était pour expliquer les avantages et les risques, et je suis…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous pensez que… Même si c'est politique, il y aura moins de passion et de violence.

AGNES BUZYN
En tous les cas, moi je le souhaite et j'animerai les débats de façon très paisible.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un mot sur l'IVG. La sénatrice socialiste Laurence ROSSIGNOL a fait voter de nuit un amendement pour allonger le délai possible de l'IVG. Vous avez fait sauter cet amendement. Est-ce qu'on peut être clair ? Qu'est-ce qui se passe à propos de l'IVG ? Est-ce qu'on peut toucher à la Loi Veil, qu'est-ce que vous voulez ?

AGNES BUZYN
Alors, beaucoup de…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Brièvement parce que j'ai hélas d'autres questions.

AGNES BUZYN
Il y a des inquiétudes pour l'accès à l'IVG en France, et j'ai demandé, dans la loi d'ailleurs qu'on a votée au Sénat cette semaine, j'ai demandé qu'un rapport soit remis au Parlement à la fin de l'année, pour voir s'il y a des difficultés d'accéder à l'IVG, où elles se trouvent et quelles seraient les mesures à prendre pour faciliter l'accès à l'IVG. Là c'était un amendement non discuté, une mesure non préparée…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
En catimini.

AGNES BUZYN
Je n'ai jamais eu de demandes spécifiques de qui que ce soit pour allonger les délais. Cet amendement a été voté parce que c'était l'avant-dernier amendement de la loi et qu'il y avait peu de gens dans l'hémicycle. Bref.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
On se fiche de la procédure. Est-ce qu'on touche à la Loi Veil ? Est-ce qu'on a la régression comme en Alabama, en Louisiane ou en Géorgie, aux Etats-Unis ?

AGNES BUZYN
Monsieur ELKABBACH, je pense que personne ne peut imaginer que je puisse faire régresser les droits et l'accès à l'IVG dans ce pays, bien au contraire. Simplement je veux que le cadre soit celui d'une loi préparée, discutée, travaillée.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Edouard PHILIPPE, toujours lui, parce qu'il a donné une feuille de route aux ministres et donc à vous. Les retraites, cette réforme des retraites mettant fin aux régimes spéciaux. Vous confirmez. Départ légal à 62 ans, mais avec un âge d'équilibre et des incitations à travailler plus longtemps en toute liberté. Vous confirmez.

AGNES BUZYN
Oui.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qu'est-ce que c'est un âge d'équilibre ?

AGNES BUZYN
Ecoutez, toute la réforme des retraites sera présentée en juillet, monsieur ELKABBACH…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
En juillet, oui, monsieur Jean-Paul DELEVOYE, mais, vous vous couvrez. Qu'est-ce que c'est l'âge d'équilibre ?

AGNES BUZYN
L'âge d'équilibre, c'est l'âge d'équilibre du régime sur le plan financier, c'est-à-dire que nous savons aujourd'hui, et vous le savez, le dernier rapport du COR sur les retraites, montre en fait que le régime des retraites, les régimes de retraite sont déficitaires, sauf quelques-uns, et que globalement nous mettons chaque année de l'argent de l'Etat pour financer les retraites, ou l'argent de la Sécurité sociale, parce que les régimes ne sont plus à l'équilibre. Et donc l'idée c'est de trouver un âge dans lequel entrent les actifs et ceux qui sont à la retraite, on a une capacité à payer les retraites. C'est-à-dire que les actifs…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire 64 ans.

AGNES BUZYN
Tout cela sera présenté en temps et en heure.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais, on y va.

AGNES BUZYN
On n'a pas le choix monsieur ELKABBACH. Aujourd'hui, toutes les…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le fait de dire 64 ans, ça vous fait bégayer sur mon nom…

AGNES BUZYN
Non mais c'est ce qui a été évoqué…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce que, vous entendez, c'est un allongement déguisé de l'âge de la retraite, c'est une hypocrisie.

AGNES BUZYN
Non, d'abord il faut que ceux qui ont travaillé très dur, qui ont eu des métiers pénibles, ou qui ont commencé très tôt leur carrière, puissent partir à l'âge légal, c'est-à-dire à 62 ans. Il est hors de question de mettre tout le monde sur un pied d'égalité, l'idée c'est de laisser le choix et en plus de laisser la possibilité à ceux qui ont eu des carrières longues et pénibles, de partir.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors il y a aussi une ambition écologique, d'ailleurs Edouard PHILIPPE l'a mis en tête de son discours, et il dit : il n'y a pas de monopole du vert. Comment la santé peut-elle devenir écolo ? J'ai vu qu'il y a des efforts en matière de sport, tous les sports, les vélos etc., mais que vous allez vous attaquer à l'obésité, avec une plus grande exigence en matière de nutrition dès l'école et dans la grande distribution. C'est-à-dire. ?

AGNES BUZYN
L'alimentation, c'est une vraie préoccupation, tout le monde se rend compte que beaucoup de maladies proviennent de l'alimentation. On se rend bien compte qu'on ne sait pas toujours ce qu'on mange, donc l'idée c'est de rendre obligatoire ce qu'on appelle le Nutriscore, qui permet à chacun de voir sur une étiquette si cet aliment est bon pour la santé ou mauvais pour la santé. Ça va du rouge au vert et donc ce Nutriscore fonctionne très bien, il est très simple à utiliser…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais il faut le généraliser.

AGNES BUZYN
Aujourd'hui il y a 20 % à peu près des produits qui ont cet étiquetage, on veut le généraliser. Il y a beaucoup de pays en Europe…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Sans tarder.

AGNES BUZYN
Beaucoup de pays en Europe qui veulent l'utiliser, ça vient de la France, ce sont des équipes de recherche françaises qui ont mis en place ce Score, et donc…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Tout, mais pas d'obésité.

AGNES BUZYN
Et donc l'idée c'est d'aider des gens à mieux manger, à mieux s'alimenter, pour éviter l'obésité dont on sait à quel point elle entraîne des cancers, de l'hypertension, une mortalité précoce, et donc il faut éviter tout ça.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donner la forme aux jeunes et à tous pour les Français.

AGNES BUZYN
Absolument.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Des médecins se disent pourtant inquiets de la progression du véganisme, j'allais dire, ça ne vous concerne pas, je ne parle pas des végétariens, mais des militants du végan. Il paraît qu'il risque d'y avoir bientôt de graves conséquences sur la croissance des jeunes et la santé de tous. Est-ce qu'il n'y a pas peut-être là une raison pour vous d'anticiper, de lancer une enquête sur les conséquences du véganisme sur le physique et la santé ?

AGNES BUZYN
Alors, le véganisme expose effectivement à certaines carences, notamment chez les enfants. Je le dis, les enfants ont besoin de protéines pour grandir, mais ils ont besoin de protéines, aussi, essentielles, celles qu'on ne trouve pas dans les végétaux, et donc attention au véganisme. Il peut y avoir des fiches techniques qui expliquent les régimes équilibrés, mais ces fiches elles sont faites pour les adultes. Pour les enfants, moi je commence à avoir des alertes sur des situations de carences graves chez l'enfant, et donc, effectivement, vous avez raison de lancer cette alerte.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous, de lancer l'enquête, éventuellement.

AGNES BUZYN
Moi j'y travaille avec mes équipes.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dernier thème, dernière question, c'est comme ça, on va vite. Le drame Vincent LAMBERT, vous avez déposé un recours en cassation pour que les décisions des médecins et de la justice soient appliquées. Pourquoi vous vous en mêlez encore ? Si vous me permettez.

AGNES BUZYN
Non, d'abord l'Etat ne s'en est jamais mêlé, c'est une décision prise par une équipe médicale, en charge du malade, ce n'est pas une décision de l'Etat. Ça rentre dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie, et donc on était dans un cadre légal. Là, nous demandons un pourvoi en cassation pour comprendre si une juridiction française, une cour d'appel, est légitime à considérer qu'une commission consultative de l'ONU est supérieure en droit aux décisions faites par la justice française…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous n'avez pas accepté ce nouveau délai parce que le problème va se reposer.

AGNES BUZYN
Non, c'est pour clarifier juridiquement une décision qui avait été validée par la Cour de justice européenne, et donc aujourd'hui on ne sait pas qui est le plus fort, si vous voulez.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'une commission anonyme… peut avoir supériorité des droits.

AGNES BUZYN
Est-ce qu'une commission de l'ONU… voilà, c'est une clarification sur la forme.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous restez contre l'acharnement ?

AGNES BUZYN
C'est dans la loi, l'obstination déraisonnable fait partie des critères qui permettent d'arrêter les soins.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous vous sentez solidaire des médecins de Reims qui sont attaqués, menacés de mort, alors qu'ils appliquent ce que la science et la médecine donnent comme principes ?

AGNES BUZYN
Oui, je suis solidaire, parce qu'ils ont dû prendre cette décision en toute conscience, avec la famille de Vincent LAMBERT, et donc je n'ai qu'une chose à dire aux Français aujourd'hui, sur cette histoire, il faut remplir les directives anticipées, si on remplit ses directives anticipées, c'est facile sur Internet, et qu'on dit si on veut l'arrêt des soins, ou pas, ça éviterait ces drames familiaux derrière.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci.

AGNES BUZYN
Merci Monsieur ELKABBACH.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a beaucoup de choses, mais vous reviendrez, naturellement sur Cnews. Bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 juin 2019