Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, à France-Inter le 4 juin 2019, sur la situation politique suite aux élections européennes, la grève dans les urgences médicales et le climat social.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND


Et avec Léa SALAME, nous recevons ce matin dans « Le grand entretien » du 7-9, la ministre des Solidarités et de la Santé. Questions et réactions dans une dizaine de minutes, au 01.45.24.7000, sur les réseaux sociaux et l'application d'Inter. Agnès BUZYN, bonjour.

AGNES BUZYN
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Et merci d'être au micro d'Inter ce matin. Quelques mots de politique avant de parler des dossiers que vous portez en ce moment, quelques mots sur le paysage politique issu des européennes. Au fond, la grande nouveauté, Agnès BUZYN, n'est-ce pas le passage du duopole LREM/ Rassemblement national, à une configuration à trois pôles, à trois têtes, avec une gauche dont le poids additionné s'établit à plus de 20 % aujourd'hui, est-ce une bonne nouvelle pour la démocratie que cette gauche, certes divisée, soit en train de ré-émerger ?

AGNES BUZYN
Oui, moi je pense que c'est une bonne nouvelle pour la démocratie d'avoir des sensibilités politiques qui soient bien exprimées et qui permettent un débat démocratique. Donc, aujourd'hui la gauche, nous le savons, se cherche, en réalité elle s'est traduite par de multiplies partis aux élections européennes, et donc c'est important que nous ayons la capacité, que les citoyens aient la capacité de se retrouver dans des leaders et des partis qui portent leurs idées. Aujourd'hui on voit bien que le paysage est très dispersé et cela nuit, aujourd'hui, à notre capacité à débattre, dans le fond, des sujets qui nous intéressent. Je pense, évidemment, aux sujets politiques classiques, à l'écologie, qui est un vrai débat pour l'avenir, et nous avons besoin d'opposants structurés pour nourrir ce débat.

LEA SALAME
L'autre enseignement c'est le basculement du socle électoral de La République en marche. Emmanuel MACRON a perdu 25 % de ses électeurs du premier tour de la présidentielle qui ont préféré voter, soit écolos, soit à gauche, il les a compensés en prenant massivement à la droite. Est-ce que vous prenez acte du changement de votre base électorale, et est-ce que vous, venant de la gauche, vous regrettez de, désormais, moins parler aux Français de gauche qu'aux Français de droite ?

AGNES BUZYN
Alors, je pense que c'est faux, je pense que nous avons fait des réformes extrêmement bien perçues à gauche, même si elles n'ont pas eu l'écho que je souhaitais, dans l'opinion publique, parce qu'elles ont été peu médiatisées, mais je pense à tout ce que nous faisons pour lutter contre le déterminisme social dans le plan de lutte contre la pauvreté, pour donner à chaque enfant les mêmes chances, je pense à ce que fait évidemment Jean-Michel BLANQUER pour l'école, pour effectivement permettre à chacun de s'en sortir par l'éducation et par la formation, et donc aujourd'hui…

LEA SALAME
Mais comment vous expliquez que ce soit moins perçu, en tout cas arithmétiquement, si on prend la photographie de ces élections européennes, qui a voté quoi, eh bien manifestement il y a un basculement électoral vers la droite.

AGNES BUZYN
Il y a un basculement dans les élections européennes, mais il y avait un multiple choix, aussi, pour l'électorat de gauche, je pense qu'il faut que nous arrivions à faire mieux passer toutes les réformes, mieux entendre toutes les réformes que nous faisons, aujourd'hui, en faveur des personnes les plus vulnérables, les plus défavorisées, je pense par exemple à ce que j'ai fait pour le 100 % santé, c'est-à-dire le fait qu'on accède à des soins, lunettes, dentaire, sans reste à charge, audioprothèses. C'est une réforme que tous les ministres de la Santé rêvaient de faire depuis 40 ans, c'est une réforme profondément sociale, c'est un coût, pour les ménages, très important, et cela, aujourd'hui ça doit parler aux électeurs de gauche, et nous allons continuer parce qu'en réalité La République en marche, ce mouvement, il fait adhérer des personnalités qui viennent de la droite et de la gauche, et nous portons le « en même temps. »

NICOLAS DEMORAND
Et aux électeurs ensuite de faire leur choix et de voir ce qu'il en est.

AGNES BUZYN
Absolument.

NICOLAS DEMORAND
Jean-Yves LE DRIAN disait à ce micro la semaine dernière que le pôle social, l'aile gauche en quelque sorte, du macronisme, devait plus faire entendre sa voix, à l'Assemblée comme au gouvernement, est-ce que vous êtes d'accord avec lui ?

AGNES BUZYN
Oui, je suis d'accord, parce qu'en réalité ce que j'ai perçu, alors que les mesures qui ont été prises, notamment dans mon ministère, mais je pense aussi à celui de Jean-Michel BLANQUER, sont des mesures qui devraient parler, normalement, aux personnes les plus en difficulté, elles n'ont pas été suffisamment entendues. Donc, nous devons être probablement plus puissants dans la capacité à faire entendre que nous travaillons aussi pour les personnes qui ont le plus de difficultés financières, mais même dans la loi Pacte, ce que porte Bruno LE MAIRE sur l'actionnariat des personnes qui travaillent aujourd'hui dans les grandes entreprises, ce sont des mesures qui devraient parler à tout le monde. Or, aujourd'hui, on colle à ce gouvernement, et au mouvement La République en marche, une image à droite, une image en faveur des grandes entreprises, nous sommes en faveur des entreprises évidemment, pour relancer la croissance et relancer l'économie, mais il y a le « en même temps », et nous sommes extrêmement attentifs aux personnes, aujourd'hui, les plus en difficulté.

LEA SALAME
Stanislas GUERINI, le patron de La République en marche, relaie, ce matin dans Le Figaro, une petite musique qu'on entend depuis quelques jours dans la majorité, il dit ce matin, il impose aux maires LR, ses conditions pour les municipales, « on ne travaillera pas avec les maires LR qui ont soutenu François-Xavier BELLAMY » prévient-il, donc punition. Il y a quelques jours le député européen, le désormais député européen, de la majorité, Gilles BOYER, disait « un maire qui sera élu sans l'apport de LREM ou du MoDem sera » - je cite – « un ennemi du président », il s'est excusé pour cette phrase, mais la philosophie est la même. On a l'impression que vous voulez museler toute forme d'opposition républicaine, il ne doit rien à avoir entre vous, La République en marche, et le Rassemblement national.

AGNES BUZYN
Non, je pense qu'il y a juste une clarification des postures, et je pense que ce message s'adresse à quelques maires qui étaient proches du gouvernement, avec lesquels il nous semblait très facile de travailler, qui au dernier moment, pour des raisons purement électorales, ont publié des tribunes pour, dans la presse, clamer leur adhésion à François-Xavier BELLAMY, avec ce conservatisme, que nous connaissons, et des idées qui sont, nous le savons, également partagées par l'extrême droite en ce qui concerne le social.

LEA SALAME
Donc il faut les punir et ne plus travailler avec eux, c'est ça ?

AGNES BUZYN
Non, ce n'est pas les punir, mais il faut clarifier. Est-ce que vous souhaitez travailler avec le gouvernement, est-ce que vous êtes en phase avec le réformisme, avec le progressisme, est-ce qu'on peut compter sur une opposition qui ne soit pas systématique. Aujourd'hui, en réalité, il y a une opposition systématique, au niveau des LR, qui n'est pas très constructive, or nous savons qu'il y a des mesures qu'on peut porter ensemble.

NICOLAS DEMORAND
Et en face, on voit, vous proposez le progressisme un peu autoritaire.

AGNES BUZYN
Non, pas autoritaire…

NICOLAS DEMORAND
Si, quand même !

AGNES BUZYN
Pas du tout, pas autoritaire…

NICOLAS DEMORAND
Punir des opposants pour s'être opposés et avoir fait des choix politiques ou intellectuels, c'est une petite pointe d'autoritarisme, non ?

AGNES BUZYN
Ecoutez, moi je vois une opposition LR à l'Assemblée qui est très dogmatique et qui s'oppose systématiquement à toutes les réformes, alors que certaines réformes auraient pu être portées par eux, et c'est pareil au niveau du Parti socialiste, où certaines réformes auraient pu tout à fait être votées, je pense à toutes ces réformes sociales dont je parlais, auraient pu être votées par la gauche, et cette volonté d'être un opposant systématique nuit à la réforme que nous mettons en oeuvre pour le pays, en réalité, donc nous souhaitons un peu plus d'ouverture d'esprit.

LEA SALAME
Agnès BUZYN, on en vient à vos dossiers. Malaise aux urgences, un mouvement de grève perdure depuis 2 mois, une manifestation nationale est prévue ce jeudi à l'appel du collectif Inter-Urgences, et avec le soutien des syndicats. A part la câlinothérapie et les mots doux, que mettez-vous sur la table pour dissiper ce malaise ?

AGNES BUZYN
Alors, d'abord, j'ai mis beaucoup d'argent sur la table pour l'hôpital public l'année dernière et cette année, nous avons mis plus de 500 millions d'euros supplémentaires l'année dernière pour l'hôpital, nous avons augmenté les tarifs hospitaliers cette année, d'ailleurs la dette des hôpitaux s'est quasiment réduite de moitié, en fin d'année dernière, parce que nous avons mis énormément d'argent, ce qui permet aux hôpitaux de retrouver un peu de souffle. Mais, au-delà l'argent, nous avons impérativement besoin de restructurer la médecine de ville, c'est-à-dire la médecine libérale, les médecins généralistes, pour qu'ils puissent prendre en charge plus de patients en amont des urgences. Aujourd'hui, l'engorgement aux urgences est essentiellement lié au fait que les patients ne trouvent pas de médecin capable de les prendre, notamment sans rendez-vous, et la loi de santé, que je porte aujourd'hui, au Sénat, est une loi qui vise justement à mieux structurer, en amont des urgences, le fait que les personnes puissent accéder à des soins sans rendez-vous.

LEA SALAME
Mais comment vous expliquez que les urgentistes, les personnels des urgences, ne soient pas convaincus par ça ?

AGNES BUZYN
Je comprends leur impatience, moi je comprends leur impatience, le nombre de passages aux urgences a doublé en 20 ans, nous sommes à 20 millions de passages, ils reçoivent, surtout en fin de journée, énormément de monde, ils sont débordés, et donc je l'entends. Nous avons un impératif, c'est de dégager, en amont, le fait que les personnes ne se rendent pas aux urgences de façon inappropriée alors qu'ils n'ont pas besoin, parce qu'ils n'ont pas une maladie vital, et donc nous avons besoin d'organiser mieux la médecine de ville, c'est ce que je fais avec la loi, et nous avons besoin de travailler aussi sur l'aval, c'est-à-dire le fait qu'on dégage plus rapidement des personnes pour qu'elles rentrent dans les services conventionnels. Je l'entends…

LEA SALAME
Il faut moins aller aux urgences, c'est ce que vous dites ce matin, c'est ça la solution, c'est ça ?

AGNES BUZYN
Je dis surtout, à tous les Français qui le peuvent évidemment, il y a des endroits où il n'y a pas de médecin, et donc je l'entends, mais tous ceux qui le peuvent, d'éviter d'aller aux urgences quand on peut essayer de trouver un rendez-vous avec un médecin généraliste, dans un centre de santé, dans une maison de santé, pour dégager un peu plus de temps pour les urgentistes. Je les reçois, je les reçois régulièrement, ils attendent une initiative pour repenser les urgences de l'avenir, en fait, et je travaille avec eux sur ces perspectives.

LEA SALAME
Madame la ministre, il y a eu une grève surprise cette nuit à l'hôpital Lariboisière à Paris, une dizaine d'infirmiers et d'infirmières ne sont pas venus travailler, ce qui est rarissime, puisqu'en général, aux urgences, on met un brassard quand on est en grève, mais on vient travailler, là cette nuit ils ne sont pas venus travailler, du coup les pompiers et le SAMU ont dû conduire certains malades vers d'autres hôpitaux beaucoup plus loin, avec le risque que ça veut dire. Est-ce que ça ne dit pas l'état de saturation des personnels urgentistes, ce qui s'est passé cette nuit à Lariboisière ?

AGNES BUZYN
Oui, moi je pense qu'il y a évidemment une très grosse fatigue des personnels aux urgences, je l'entends, j'y travaille puisque la loi passe au Sénat et elle vise justement à améliorer la situation, pour les urgences, en structurant et en permettant à chacun d'être soigné en fonction du degré de gravité de la pathologie qu'il a, donc j'y travaille. Par ailleurs, ce qui s'est passé aux urgences de Lariboisière est assez inédit, c'est-à-dire qu'en général les soignants viennent quand même soigner avec un brassard, parce que nous savons que la continuité des soins…

NICOLAS DEMORAND
Là ils se sont mis en arrêt maladie.

AGNES BUZYN
Oui, là ils se sont mis en arrêt maladie, ça je pense que c'est dévoyer ce qu'est un arrêt maladie, je pense que c'est une façon…

LEA SALAME
C'est quoi, ce n'est pas acceptable, vous dites ce matin ?

AGNES BUZYN
Non, je pense que ce n'est pas bien, ce n'est pas bien parce qu'en fait ça entraîne une surcharge de travail pour les autres, pour les pompiers, pour… nous l'avons vu à Lons-le-Saunier, ce sont les ambulanciers, ce sont les pompiers, ce sont la médecine privée, les médecins libéraux, qui ont pris en charge tous les patients, et donc, en réalité, en faisant cela, on accroît la fatigue des autres. Donc, aujourd'hui je cherche des solutions, je travaille avec les urgentistes, je réfléchis aux urgences de demain, je les reçois régulièrement et je les verrai encore d'ici une quinzaine de jours pour préparer l'été, donc tout ça est évidemment pris en compte, je comprends l'impatience, mais derrière il y a des mesures qui sont en train d'être prises pour améliorer la situation.

NICOLAS DEMORAND
Vous craignez que ce type de mouvement fasse tache d'huile ce soir, demain, dans les différents centres d'urgences, arrêts maladie pour pouvoir faire une grève visible ?

AGNES BUZYN
Je pense qu'à la fin ce serait les citoyens français qui le paieraient, avec un risque vital pour un certain nombre de citoyens. La règle, dans le monde médical, c'est que quand on fait grève on met un brassard, mais on vient travailler, pour ne pas mettre en danger la vie d'autrui, donc aujourd'hui il y a des mouvements de grève dans les urgences françaises, il y a une cinquantaine de services en grève, c'est réglé au cas par cas, les hôpitaux travaillent avec les services pour trouver des solutions, c'est une cinquantaine de services sur 650, ou 680, nous sommes totalement mobilisés pour améliorer la situation et notamment nous attendons les prochaines générations de médecins urgentistes, qui sont en train d'être formés, il y en a 400 par an, et ils vont arriver sur le terrain.

LEA SALAME
Dans 10 ans !


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 juin 2019