Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé (projet n° 404, texte de la commission n° 525, rapport n° 524, avis nos 515 et 516).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, madame la ministre de l'enseignement supérieur, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec humilité, mais détermination, que j'aborde, cette semaine, l'examen du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé. Je mesure pleinement les attentes dans vos territoires et l'exigence particulière, dans cet hémicycle, d'une réponse aux inquiétudes des citoyens et des élus.
Répondre à cette exigence, c'est d'abord et avant tout permettre à notre système de santé de tenir, demain, les promesses qu'il a toujours tenues. C'est l'enjeu de ce projet de loi et c'est ce que les Français demandent avec une insistance parfaitement justifiée. Chacun, sur ces travées, a pu, avant même que cela soit confirmé par le grand débat national, partager les attentes des Français pour un meilleur accès à des soins de proximité. Nous n'avons pas le choix, il faut répondre à l'urgence, dans des territoires qui se sentent abandonnés, et anticiper le déclin démographique.
Les défis structurels auxquels nous sommes confrontés sont le résultat de plusieurs facteurs, et je sais que nous partageons les mêmes constats. Un exemple me semble bien illustrer cet échec collectif : de 1991 à 2000, moins de 4 000 médecins ont été formés chaque année. Nous payons aujourd'hui au prix fort ce manque d'anticipation, à l'heure où le vieillissement de la population et l'augmentation du nombre de maladies chroniques deviennent des phénomènes de très grande envergure.
Dans un contexte d'inégalités grandissantes dans l'accès aux soins et de mutations démographiques majeures, la transformation de notre système de santé n'était pas une option, c'était une nécessité absolue. Nous proposons donc un changement de paradigme, qui est aussi un changement de culture, en raisonnant désormais autour de deux axes : d'une part, le temps médical accessible ou disponible, qui consiste à permettre aux médecins de faire ce pour quoi ils sont les mieux qualifiés, et, d'autre part, le décloisonnement, pour que l'exercice isolé devienne l'exception et l'exercice coordonné la norme.
Notre ambition – et je sais que nous la partageons tous – consiste à transformer notre système de santé dans son ensemble ; qu'il s'agisse des modes d'organisation, du financement, de la formation ou des conditions d'exercice des professionnels, nous ne devons négliger aucun moyen pour garantir et améliorer l'accès à des soins de qualité pour tous, dans tous les territoires. C'est la vocation de ce projet de loi que d'être l'un des instruments de cette transformation globale.
D'autres leviers – réglementaires, conventionnels, financiers, mais aussi d'animation territoriale et d'appui aux acteurs – viendront prolonger la loi. Je pense en particulier au déploiement, dès cette année, de 400 postes de médecins généralistes dans les territoires les plus en difficulté, et au déploiement des assistants médicaux, qui permettront rapidement de libérer du temps médical.
En matière d'organisation, je pense au développement des communautés professionnelles territoriales de santé, qui conduiront à une meilleure coordination des professionnels de santé pour améliorer l'accès aux soins de la population dans les territoires.
Je cherche à rassembler tous les acteurs autour de notre stratégie, et cette approche porte ses fruits puisque, hier, un premier syndicat de médecins généralistes a apporté son soutien à nos propositions, en annonçant qu'il signerait avec l'assurance maladie la convention sur les assistants médicaux et les communautés professionnelles territoriales de santé. C'est avec cet élan et cette adhésion que nous répondrons à la question de l'accès aux soins.
Le projet de loi initial comportait vingt-trois articles, et il a été enrichi par le travail parlementaire.
Conformément aux engagements pris, la première année commune aux études de santé, la Paces, et le numerus clausus, qui existe depuis 1971, seront supprimés dès septembre 2020. La Paces cédera la place à un système qui demeurera sélectif et exigeant, mais qui fera une meilleure place aux compétences, au projet professionnel et à la qualité de vie des étudiants. En développant les passerelles entrantes, la diversité des profils sera également privilégiée.
Le deuxième cycle des études médicales sera rénové, avec la suppression des épreuves classantes nationales. Il s'agira de créer une procédure d'orientation qui prenne en compte les connaissances, mais aussi les compétences cliniques et relationnelles, et qui soit respectueuse des projets professionnels des futurs médecins. Frédérique Vidal, avec qui je porte les premiers articles de ce projet de loi, vous précisera les détails de ces deux mesures dans quelques instants.
Le titre II s'attache à structurer des collectifs de soins de proximité dans les territoires. La création de projets territoriaux de santé doit aider à mettre en cohérence les initiatives de tous les acteurs des territoires, quel que soit leur statut – libéral, en exercice regroupé ou coordonné, hospitalier, du secteur social ou médico-social, public ou privé –, en associant évidemment les élus et les usagers. Ce sont ces projets territoriaux qui formalisent le décloisonnement, pierre angulaire du plan Ma santé 2022.
Le statut des hôpitaux de proximité sera revu. Nous voulons que ces derniers soient mieux adaptés aux soins du quotidien et ouverts sur la ville et le médico-social. Les missions socles ont été inscrites dans la loi, tandis que les modalités de financement seront définies par les prochaines lois de financement de la sécurité sociale.
Je profite d'être devant vous cet après-midi pour le rappeler : il n'y a pas de carte hospitalière cachée. Au contraire, les hôpitaux de proximité sont une chance pour les territoires, nous allons y investir des moyens financiers importants et, avec la gradation des soins et les consultations avancées, nous assurons à tous nos concitoyens des soins de qualité en proximité.
Un chapitre du projet de loi est également consacré à l'acte II des groupements hospitaliers de territoire. Nous estimons que le projet médical doit désormais être le centre de gravité de ces groupements. La gestion des ressources humaines médicales sera mutualisée, et la gouvernance médicale sera adaptée et renforcée en conséquence dans les établissements de santé.
Un nouvel article du projet de loi, introduit à l'Assemblée nationale, offre également la possibilité aux professionnels paramédicaux de la filière de rééducation de cumuler une activité libérale, en ville, avec une activité publique, à l'hôpital ; cette mesure devrait permettre de faciliter l'exercice des kinésithérapeutes et des orthophonistes dans les hôpitaux.
Plus largement, l'examen à l'Assemblée nationale a conduit à modifier le périmètre de compétences de certaines professions de santé. Je pense en particulier à la délivrance, par les pharmaciens, de médicaments sous prescription médicale obligatoire, et à l'ouverture aux infirmiers de la possibilité d'adapter des prescriptions et de prescrire certains produits en vente libre.
Derniers pivots du projet de loi, qui sont aussi des conditions de notre réussite collective : l'innovation et le numérique. Notre ambition est de redonner à la France les moyens d'être en pointe sur ces sujets.
Nous inscrivons ainsi dans la loi le Health Data Hub, qui favorisera l'utilisation et l'exploitation des données de santé dans les domaines de la recherche, du pilotage du système de santé et de l'information des patients. Nous créons aussi l'espace numérique de santé, un compte personnel en ligne, qui permettra à chacun d'accéder au dossier médical partagé, à des applications sécurisées et à des informations de santé.
La dématérialisation des pratiques passera aussi par le renforcement de la télésanté. La création du télésoin permettra à des paramédicaux et à des pharmaciens de réaliser certains actes à distance, et cela ouvrira de nouvelles opportunités sur les territoires, dans des filières sous-dotées comme en orthophonie.
J'aimerais enfin partager avec vous une conviction : la politique que nous conduisons dans le champ de la santé ne peut se faire sans nouer une relation de confiance durable avec les élus. J'ai évoqué la nécessité du décloisonnement entre les professionnels de santé ; ce décloisonnement, il faut aussi le mettre en œuvre entre l'État, ses services déconcentrés, les opérateurs et les collectivités territoriales.
Pour construire le système de santé de demain, il ne faut pas de décision imposée d'en haut. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, j'en suis convaincue, comme ministre, notre stratégie et ce projet de loi sont la meilleure réponse. Représentants des territoires et témoins privilégiés de la détresse de nos concitoyens, porte-voix de leur inquiétude grandissante quant à l'accès aux soins, vous serez également convaincus, je l'espère, de la nécessité et de la pertinence de ce texte pour répondre aux défis actuels et à venir.
Je le crois fondamentalement, un pays qui sait soigner est un pays qui peut guérir. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que vous allez examiner transforme notre système de santé et établit les perspectives de long terme qui adapteront celui-ci aux évolutions épidémiologiques et préserveront notre modèle social.
Cela nécessite que les professionnels de santé, dont les médecins, travaillent autrement. La coopération de différents professionnels, du patient et de l'entourage de celui-ci, au service du projet du patient, sera un élément déterminant de la qualité et de l'efficience du système de soins.
L'évolution des connaissances et des techniques continuera de transformer profondément et rapidement les métiers des professionnels de santé. L'intelligence artificielle au service du diagnostic, la génomique au service de la personnalisation des traitements, la télémédecine pour mettre à disposition de tous nos concitoyens l'expertise la plus pointue : voilà trois exemples, issus de notre capacité de recherche et d'innovation, qui induiront des évolutions majeures des métiers de la santé.
Dans tous les domaines d'activité, il faut, dès que l'on aperçoit l'horizon d'un changement majeur des compétences mobilisées, adapter sans délai le système de formation, premier facteur déterminant notre avenir, et donc notre première responsabilité vis-à-vis des générations futures.
C'est pour ces raisons que les deux premiers articles de ce projet de loi vous proposent une transformation majeure des études de santé et, plus spécifiquement, des études de médecine. Je me réjouis de la qualité du travail réalisé par les commissions, qui a permis d'enrichir et de préciser le texte qui vous est proposé. De nombreuses améliorations ont été apportées aux deux premiers articles. Le Gouvernement vous proposera de rediscuter certaines notions qui nous paraissent importantes pour nos concitoyens et qui contribuent, selon nous, à la construction d'une démocratie sanitaire ; je pense notamment à la participation des patients à l'enseignement.
Le premier article du texte supprime le numerus clausus et la Paces, que le Président de la République qualifiait, en septembre dernier, d'« acronyme funeste menant de bons lycéens à l'échec ». En quelques mots, il s'agit, avec ces deux dispositions, de faire vivre, dans la formation des médecins, tous les principes qui ont sous-tendu la loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants : promouvoir la réussite des étudiants – tous les étudiants –, en diversifiant les profils des futurs médecins et en offrant une pluralité de voie d'accès aux filières de santé.
Aujourd'hui, plus de 40 000 étudiants s'inscrivent chaque année en Paces ; ce sont de bons lycéens, mais plus d'un tiers d'entre eux reprennent à zéro, après deux années vécues comme deux échecs, un cursus, et quelques-uns, parmi les plus fragiles, en sont durablement brisés. D'autres, anticipant ce risque, et ne disposant pas du soutien familial et social pour le prendre, n'osent même pas formuler ce projet ; cette autocensure participe à la reproduction sociale qui caractérise ces études. Cette situation n'est pas compatible avec notre volonté que chaque jeune, d'où qu'il vienne, ait les mêmes chances de mettre ses talents au service de la société tout entière.
Demain, un lycéen pourra commencer ses études supérieures dans une diversité de cursus. Dans ce cadre, il aura tous les atouts pour réussir et choisir, s'il le souhaite, de présenter sa candidature pour se lancer dans les études de santé. Celles-ci resteront évidemment sélectives ; l'excellence académique mais aussi d'autres compétences, utiles à ce métier, dans lequel la communication interpersonnelle tient tant de place, permettront aux candidats d'accéder aux filières de santé.
Le travail réalisé par les parlementaires a permis d'affiner ce premier article, de préciser dans la loi les grands principes qui doivent organiser l'admission des étudiants, dont celui de la nécessaire diversité des voies d'accès, de définir les organisations qui devront être fixées par les textes réglementaires et de maintenir une marge importante d'autonomie des acteurs locaux.
Les concertations que nous conduisons avec les acteurs sont extrêmement constructives. Nos universités ont préparé les parcours de licence permettant d'associer des contenus de santé à d'autres disciplines, et nous devons les aider à mettre ces évolutions en œuvre dès 2020, pour faire cesser le gâchis de la Paces.
Nos concitoyens nous l'ont répété avec force au cours des derniers mois ; leurs élus sont les premiers auxquels sont adressés leurs messages, leurs demandes, leurs colères et parfois leurs détresses. Agnès Buzyn et moi-même l'entendons sans cesse lors de nos déplacements.
Certains de nos territoires manquent de professionnels de santé et, nous le savons, la politique malthusienne de définition du nombre de médecins formés – le numerus clausus – y a contribué. Les citoyens nous le reprochent, et, ce faisant, le reprochent aussi aux gouvernements qui nous ont précédés. Ils ont raison ; supprimer le numerus clausus rend justice au bon sens qui commande de se passer des outils qui ont conduit à prendre les mauvaises décisions.
Pour autant, nous devons aussi la vérité à nos concitoyens. Aucune mesure ne permettra d'augmenter dès demain le nombre de médecins formés, et l'accès aux soins doit être amélioré par d'autres moyens ; ceux-ci figurent dans ce projet de loi. Cela dit, les études de médecine et, plus généralement, les études de tous les professionnels de santé doivent être repensées, avec pour souci constant de servir à terme les besoins de santé de la population et de former les professionnels dont nous avons besoin.
Les parlementaires ont proposé plusieurs évolutions du texte en ce sens, et nous serons bien entendu heureuses d'émettre un avis favorable sur celles-ci. Oui, bien sûr, comme l'a proposé le sénateur Lafon, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, l'organisation des études de médecine doit favoriser une répartition équilibrée des futurs professionnels sur le territoire, au regard des besoins de santé. Ce point est si important qu'il mérite de figurer dans le projet de loi, traduisant ainsi le concept de responsabilité sociale des facultés de santé.
Le deuxième article exprime, plus tard dans les études médicales, notre ambition de concilier exigence, bienveillance et ouverture. Aujourd'hui, les études de médecine représentent un saut d'obstacles ne convenant qu'à un type d'intelligence. L'étudiant, sélectionné par des questionnaires à choix multiples en Paces, accède ensuite à telle ou telle spécialité en fonction de sa capacité à mémoriser une grande quantité d'informations et à cocher des cases.
Les qualités de synthèse, de décision en situation d'incertitude ou, plus simplement, la capacité à conduire un entretien ou un examen clinique sont peu évaluées et, finalement, ne comptent pas dans l'orientation, pas plus que le fait de s'être impliqué dans un travail de recherche ou d'avoir une expérience internationale. Est-ce bien cela que nous voulons pour nos futurs médecins ? En tout cas, eux nous disent clairement le contraire ; ils ne veulent plus de ce modèle dans lequel le bachotage intensif leur fait perdre le sens même de ce qui les avait conduits à s'engager dans cette voie.
Nous vous proposons donc de mettre fin à cette situation, de diversifier les critères d'évaluation des étudiants et de construire des parcours multiples, en perspective de l'internat du troisième cycle. Je suis convaincue que, ainsi mieux formés, ces étudiants nous soigneront mieux.
L'organisation du deuxième cycle devra également tenir la promesse de former les professionnels dont les territoires ont besoin. Nous avons résolument choisi de privilégier la découverte de tous les modes d'exercice, la diversité des terrains de stage et la qualité de l'encadrement pédagogique plutôt que les mesures coercitives. Envoyer un étudiant faire un stage à un endroit où il serait mal encadré n'est pas le meilleur moyen de susciter son intérêt pour l'exercice dans ce territoire. Gageons qu'il sera plus efficace de former à la maîtrise de stage des professionnels regroupés utilisant le plateau technique d'un hôpital local et de permettre à ces praticiens de transmettre leur passion à des jeunes.
Dans le même temps, l'organisation du deuxième cycle et les mesures d'accompagnement, par exemple de la mobilité, mises en place par l'État et par les collectivités locales, doivent favoriser des stages dans tous les territoires. C'est ensemble – État et collectivités, enseignants et étudiants – que nous relèverons ce défi.
Voilà en quelques mots la vision du Gouvernement sur cet aspect spécifique du texte ; deux articles pour transformer les études de santé, deux articles dont les lignes de force sont la réussite et l'épanouissement des étudiants, la diversité des trajectoires et des talents, la garantie de la compétence des professionnels au service de tous les territoires.
Je me tiens naturellement à votre disposition pour répondre à l'ensemble de vos questions. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
(…)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les différentes interventions que nous avons entendues au cours de la discussion générale démontrent que nous sommes tous ici désireux d'œuvrer à l'amélioration des systèmes de soins. Les diagnostics sont partagés.
Le mot « confiance » a souvent été prononcé. Agnès Buzyn et moi-même sommes très attachées à la confiance. Oui, il faut faire confiance aux territoires pour proposer la meilleure organisation possible. Mais vous devez aussi nous faire confiance pour veiller à la qualité de la formation et du système de soins partout sur le territoire. Plusieurs orateurs l'ont souligné, et je les en remercie.
Sur un tel sujet, qui intéresse l'ensemble de nos concitoyens, nous avons le devoir de réussir, après tant d'années d'insuccès et de tâtonnements.
J'évoquerai d'abord le numerus clausus. Auparavant, le nombre d'étudiants admis en deuxième année était défini à la place près, et de manière extrêmement centralisée. C'est cela que nous supprimons. L'ordre de grandeur a été évoqué à plusieurs reprises, comme il avait pu l'être à l'Assemblée nationale ou sur différents plateaux de télévision.
Vous l'avez bien compris, puisque vous vous êtes saisis du sujet : l'objet n'est pas d'annoncer une hausse de 17,2 % ou de 22 % partout. Il s'agit avant tout de nous adapter aux besoins en futurs professionnels et aux capacités de formation des territoires. Il y aura bien une augmentation du nombre de professionnels de santé, notamment de médecins, au service de nos concitoyens, mais aussi une diversification de ces médecins. Nous n'avons pas besoin de plus de médecins qui s'installent aux mêmes endroits ! Le vrai problème est qu'il y a parfois trop de médecins dans certains endroits et trop peu ailleurs.
En vue d'une répartition harmonieuse, nous vous proposons de repenser le recrutement de nos futurs médecins. Actuellement, le recrutement s'effectue de manière extrêmement standardisée, essentiellement sur des disciplines scientifiques et technologiques. Dès lors, il ne faut pas s'étonner que nos jeunes médecins aient envie de travailler dans les CHU les plus performants avec de la technologie de pointe, au détriment parfois de ce que les médecins appréciaient le plus jadis : le contact humain et la capacité de nouer des relations personnelles.
Diversifier les recrutements, c'est faire en sorte que des jeunes ayant des compétences et des appétences autres qu'uniquement scientifiques ou technologiques puissent aussi avoir accès aux études de santé.
Certes, les antennes de Paces fonctionnent ; on a essayé de former les jeunes au plus près de chaque territoire. C'est évidemment très important. Mais nous voulons aller plus loin, en diversifiant vraiment les profils des jeunes qui se destineront aux études médicales.
Toutes les universités pourront être partie prenante. Les villes universitaires avec un CHU et une faculté de médecine ne seront plus les seules à pouvoir former les étudiants en première année et en début de cursus. Les étudiants de toutes les universités dans lesquelles nous serons capables de proposer des formations universitaires rejoindront ensuite les centres de formation hospitalo-universitaires, puis pourront retourner sur le terrain au cours de leur troisième cycle.
Aujourd'hui, les études sont extrêmement exigeantes. Nous déracinons les jeunes en les faisant partir pour leurs études dans des métropoles ou des villes disposant d'un CHU. Nous les y laissons entre neuf ans et quinze ans, selon les spécialités. Et ensuite, on leur demande naïvement pourquoi ils veulent y rester. Tout simplement parce qu'ils y vivent depuis dix ans ou quinze ans et que c'est là qu'ils ont noué des relations personnelles et professionnelles comme jeunes adultes !
Il faut donc penser un début de formation et une possibilité de troisième cycle au sein de chaque territoire, en augmentant la capacité de formation et le nombre de maîtres de stage et en faisant en sorte que les maisons de santé et les hôpitaux puissent être des lieux d'accueil. Ainsi, nous éloignerons moins longtemps les jeunes de ces territoires.
Il est évidemment très important de proposer des mesures incitatives. Au lieu de présenter l'exercice de la médecine dans ces territoires comme une obligation préalable pour pouvoir accéder ensuite aux grands centres hospitaliers qui font rêver les jeunes, faisons plutôt en sorte que ces derniers rêvent de travailler dans les territoires concernés. Cela nous ramène, précisément, à la diversité des jeunes et des parcours.
Ainsi que beaucoup d'orateurs l'ont souligné, le succès de la réforme réside dans le fait que la philosophie du texte soit bien diffusée sur chaque territoire. Vous le savez, j'ai pris un engagement qui vaut pour l'ensemble de l'enseignement supérieur : faire en sorte que chaque territoire soit fier de son enseignement supérieur !
La recherche et l'innovation en santé seront évidemment au cœur du projet de loi sur la recherche, qui est en préparation et en cours de concertation.
Vous pouvez compter sur mon engagement plein et entier pour que chaque jeune, où qu'il soit sur le territoire, puisse accéder à l'ensemble des formations de l'enseignement supérieur ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de la qualité des échanges que nous allons avoir. Je vois combien le sujet préoccupe l'ensemble des sénateurs présents aujourd'hui, de même qu'il nous préoccupe.
Je souhaite remercier M. le rapporteur, dont les propos témoignent de l'esprit constructif de la commission des affaires sociales. Il a été fait mention du pragmatisme de cette réforme pour apporter des réponses sur les territoires. Vous l'avez indiqué, cher Alain Milon, il n'y a pas de remède miracle ; nous le savons tous. Seuls un panel d'outils et la confiance dans les acteurs et les territoires nous permettront d'être au rendez-vous des besoins des Français.
Monsieur le rapporteur pour avis Jean-François Longeot, vous nous demandez quand nous prendrons des décisions pragmatiques pour répondre à l'urgence des territoires. Précisément, tout le projet de loi vise à y répondre. C'est la raison pour laquelle nous vous avons proposé un calendrier très contraint. Certes, je comprends que le recours aux ordonnances puisse être source de frustrations, même si nous nous sommes engagés à vous présenter les ordonnances et les études d'impact avant la loi de ratification. Mais nous pensons qu'il est aujourd'hui urgent d'agir, de décloisonner, de permettre plus de liberté d'organisation pour que les territoires puissent répondre aux besoins et rendre l'exercice médical et paramédical plus attractif dans les déserts médicaux. À mon sens, la réponse, c'est ce projet de loi.
Vous demandez également en quoi les mesures envisagées peuvent changer la donne. La philosophie du plan Ma santé 2022, c'est le pragmatisme. Il s'agit de donner aux acteurs des territoires des outils pour s'organiser, mieux travailler ensemble et mieux prendre en charge, notamment, les patients chroniques. Il n'est pas question d'être prescriptif ou d'avoir un modèle normatif unique.
Je pourrais également évoquer les 400 médecins salariés pour les territoires. Nous sommes évidemment tout à fait favorables à l'augmentation de ce nombre si la mesure est un succès. Il s'agit d'être en appui des territoires les plus fragiles et de répondre aux demandes des jeunes médecins qui cherchent aujourd'hui un exercice salarié.
Nous souhaitons libérer du temps médical. C'est l'objet des assistants médicaux. Nous espérons évidemment que la convention médicale sera signée le 15 juin prochain. Le volet télémédecine va permettre de mieux orienter les patients. Il ne joue pas un rôle supplétif ; il s'agit vraiment de faire gagner du temps dans l'exercice médical pour orienter les malades qui en ont vraiment besoin vers des soins de recours. Et nous sommes en train d'accompagner la valorisation des compétences des autres professionnels de santé.
Mmes Cohen et Apourceau-Poly ont beaucoup parlé de « rigueur budgétaire ». Je rappelle que l'Ondam augmente chaque année de plusieurs milliards d'euros. Cette année, alors que le Président de la République avait annoncé une hausse de 2,3 % par an, l'Ondam a augmenté de 2,5 %. Autrement dit, nous allons avoir 400 millions d'euros supplémentaires. Dans quatre ans, nous aurons augmenté le budget de l'Ondam de 1,6 milliard d'euros pour accompagner toutes ces réformes.
Je ne peux donc pas accepter le terme de « rigueur budgétaire ». Cette année, nous avons dégelé l'intégralité des réserves et des crédits mis en réserve, soit 415 millions d'euros – cela faisait de très nombreuses années que l'intégralité du dégel n'avait pas été rendue aux hôpitaux publics. Une nouvelle délégation budgétaire de 300 millions d'euros est intervenue en mars 2019. Nous avons augmenté de 0,2 % les tarifs d'hospitaliers en 2019 : c'est la plus forte hausse des tarifs hospitaliers depuis dix ans. Nous avons mis dans la balance 200 millions d'euros pour le financement de la qualité des soins dans les établissements de santé. Nous avons annoncé 100 millions d'euros de mesures nouvelles pour la psychiatrie, renouvelés chaque année. Nous avons ajouté 50 millions d'euros pour les soins de suite et de réadaptation en 2019 et 50 millions d'euros pour l'enseignement des professions de santé. Tout cela, ce n'est pas de la « rigueur budgétaire » !
Vous le savez comme moi, même si nous ajoutions des milliards supplémentaires, cela ne nous rendrait malheureusement pas les professionnels, notamment médicaux, qui manquent aujourd'hui sur le territoire.
Je tiens à le rappeler, le problème de démographie médicale que nous subissons est un problème international. J'ai organisé le G7 des ministres de la santé voilà quinze jours au ministère. Tous les pays du G7 souffrent de désertification médicale.
Mme Laurence Cohen. Parce que ce sont les mêmes politiques libérales partout !
Mme Agnès Buzyn, ministre. La métropolisation est un phénomène international. Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé a annoncé qu'il manquait d'ores et déjà 12 millions de professionnels de santé dans le monde. Par conséquent, sauf à repenser nos organisations, nous ne sommes pas en mesure, aujourd'hui, d'attirer ou de former en l'espace de quelques années un nombre de médecins suffisant pour compenser les manques. Cela nécessite de l'innovation organisationnelle. C'est le sens des réformes que je vous propose.
Madame Apourceau-Poly, vous affirmez que les dispositifs d'exonération ne changeront pas la donne, et vous nous appelez à rendre les territoires plus attractifs. C'est exactement ce que nous proposons. Rendre les territoires plus attractifs, ce n'est pas simplement miser sur des incitations financières ou des exonérations fiscales pour les médecins. Aujourd'hui, les médecins souhaitent s'installer dans des territoires où leur exercice professionnel est attractif. C'est ce que nous faisons avec les maisons de santé, les centres de santé pluriprofessionnels, l'augmentation des postes de médecins salariés – cela répond à leur demande –, la possibilité de cumul emploi-retraite pour les médecins les plus âgés, les statuts mixtes entre la médecine de ville et la médecine hospitalière… Tout cela contribue à rendre l'exercice médical plus attractif.
Monsieur Jomier, vous vous demandez si cette loi est de nature à apporter des réponses aux grands défis de santé publique. Comme vous l'avez vous-même souligné, ce n'est pas une loi de santé ou de prévention ; c'est une loi d'organisation du système de santé. C'est un choix assumé. Nous voulons répondre à l'urgence concernant l'accès aux soins sur les territoires. En matière de prévention, il y a d'autres outils. Chaque année, vous votez en loi de financement de la sécurité sociale des mesures d'accompagnement du plan Priorité prévention, que j'avais présenté en 2017. L'avenir dira si celui-ci répond aux attentes des territoires.
Je souhaite rendre des comptes aux élus et aux citoyens, et je me suis placée en situation de le faire. Le comité de suivi de la réforme se réunit tous les six mois. Mme Doineau, qui est déléguée à l'accès aux soins, y participe. Je regarde les indicateurs sur le nombre de maisons pluriprofessionnelles de santé créées ou le nombre de postes de médecins salariés pourvus. Tous les indicateurs sont suivis et rendus publics. Un premier bilan a d'ailleurs été publié le mois dernier.
Vous déclarez que cela prendra du temps. En effet ! Il faudra du temps pour réorganiser notre système. Mais pas tant que cela ! Nous pouvons, je le crois, avoir des résultats dès cet été. Si la convention médicale est signée, les médecins pourront avoir des assistants médicaux dès cet été ; les 4 000 postes pourraient être pourvus très rapidement. Cela dégagera entre 15 % et 20 % de temps médical pour les médecins, notamment en zone sous-dense. Les 400 postes de médecins salariés sont déjà ouverts au recrutement. J'espère donc avoir des résultats dès cette année.
Monsieur Arnell, vous avez évoqué la métropolisation des médecins. Comme je viens de le souligner, le phénomène est international. Tous les ministres du G7 qui étaient présents auprès de moi voilà quinze jours ont souhaité échanger sur les bonnes pratiques pour améliorer l'attractivité des territoires ruraux. Tout le monde s'accorde sur le fait que cela ne passe pas seulement par l'incitation financière. Il faut repenser les organisations pour rendre l'exercice médical en zone rurale plus attractif.
Vous craignez que la seule incitation financière ne suffise pas. Ce n'est pas ce qui est proposé dans le texte. C'est, j'en suis persuadée, l'exercice qui attire les médecins. Nous aurons l'occasion d'aborder dès ce soir les amendements qui portent sur ces sujets, c'est pourquoi je n'entrerai pas dans le détail.
Madame Doineau, je partage votre sentiment ; il faut effectivement, me semble-t-il, que les élus connaissent mieux les outils. Force est de le constater, même le plan que nous avons mis en oeuvre en 2017 est encore insuffisamment connu. Les ARS doivent communiquent beaucoup plus régulièrement avec les élus locaux, notamment les maires, les conseillers départementaux et les conseillers régionaux. Une mobilisation des ARS pour leur faire connaître les outils est absolument nécessaire. Je compte aussi sur les associations d'élus pour mieux informer les élus locaux de tous les outils dont ils peuvent se saisir.
Je vous rejoins également sur les mesures coercitives. Pour que des mesures coercitives fonctionnent, il faut qu'il y ait un nombre suffisant de professionnels à répartir sur un territoire donné. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Seules des organisations innovantes seront en mesure de répondre aux besoins.
Madame Imbert, selon vous, il s'agit d'un texte administratif qui donne le pouvoir aux ARS. Franchement, je pense, à l'inverse, que ce texte est tout sauf administratif. Le projet de loi est fait pour que les professionnels se saisissent d'outils et s'organisent comme ils le souhaitent pour couvrir un territoire. Les professionnels de santé, dans ce texte comme dans la convention médicale, acceptent une nouvelle responsabilité, territoriale ou populationnelle, qui n'existait pas jusqu'à présent. Ils vont pouvoir s'en saisir grâce aux outils, notamment les CPTS. Le texte donne aux acteurs le pouvoir de s'organiser et aux ARS le soin de les accompagner. Ce n'est pas du tout un texte administratif ou normatif.
Vous soulignez aussi que le thème de la santé n'avait pas été choisi par le Président de la République lors du grand débat national. C'est tout à fait normal. Nous avions déjà travaillé avec tous les acteurs dans le cadre d'une large concertation qui a duré plus de six mois. Le texte était en cours de rédaction ; il a été présenté aux parlementaires dès le mois de mars à l'Assemblée nationale. Il était logique que le grand débat national nous alimente sur des mesures de santé qui auraient pu figurer en plus dans la loi. Nous avons regardé ce qui était proposé. Il s'agissait essentiellement de constats, avec très peu de propositions concrètes, hormis la coercition. Je comprends que nos concitoyens puissent voir la coercition comme une solution à leurs problèmes. Mais tous ceux qui travaillent dans les territoires savent qu'elle ne fonctionne pas pour les professions sous-dotées. En d'autres termes, nous n'avons pas pensé que la santé n'était pas prioritaire ; nous avions d'ores et déjà travaillé à la rendre plus équitable sur le territoire grâce à ce projet de loi.
Madame Delmont-Koropoulis, vous dites qu'il n'y a rien dans ce texte sur la prévention, sur l'attractivité des professions, notamment hospitalières, ou sur l'innovation… Mais c'est un choix ! Ce n'est pas un texte sur la santé publique ou la prévention. C'est une loi d'organisation pour répondre à l'urgence que ressentent aujourd'hui les territoires en termes d'accès aux soins. Je ne veux pas d'une loi bavarde avec 280 articles ! Je veux répondre en urgence aux besoins. Cette loi ne traduit que les leviers législatifs nécessaires de Ma santé 2022. Il y a d'autres leviers – je l'ai indiqué – d'ordre réglementaire avec la convention médicale ou dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous les utiliserons également.
À propos de l'attractivité des professions de santé, une ordonnance sera élaborée avec les professionnels sur la gestion des ressources humaines hospitalières. La concertation est en cours.
Aujourd'hui, la loi que je vous propose est une loi d'urgence. Elle répond parfaitement, je le pense, à ce que vous ressentez tous les jours dans vos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Source http://www.senat.fr, le 7 juin 2019