Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, à Europe 1 le 2 mai 2019, sur les manifestations du 1er mai et les violences des gilets jaunes (notamment à l'hôpital Salpêtrière) ainsi que les violences policières.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

PIERRE DE VILNO
Audrey CRESPO-MARA, vous recevez ce matin la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès BUZYN.

AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour Agnès BUZYN.

AGNES BUZYN
Bonjour.

AUDREY CRESPO-MARA
Hier, en marge de la manifestation du 1er mai, un groupe d'individus est entré dans l'enceinte de l'hôpital de la Pitié Salpêtrière. Selon sa directrice, au micro de Chloé TRIOMPHE, ils ont tenté de pénétrer dans le service de réanimation chirurgicale, avant d'être repoussés par les infirmiers.

LA DIRECTRICE DE L'HOPITAL DE LA PITIE SALPETRIERE
Quand vous voyez que des dizaines de personnes qui arrivent vers vous, en train d'essayer de défoncer une porte et que vous avez en charge des patients, leur seule obsession ça a été de protéger les patients de réanimation, et fort heureusement les policiers sont arrivés au moment où la porte était soumise à pression, et donc leur intervention a été cruciale, et c'est vrai qu'on est tous quand même profondément choqué par une intrusion de cette force.

AUDREY CRESPO-MARA
Vous vous rendez sur place ce matin, qu'allez vous dire au personnel hospitalier ?

AGNES BUZYN
D'abord leur dire qu'ils ont été très courageux et qu'ils ont eu les bons réflexes, de protéger avant tout évidemment les patients hospitalisés. Je ferai évidemment un tour pour voir les dégâts, s'il y a eu des dégâts commis dans l'hôpital, puisqu'on me rapporte un certain nombre d'exactions sur notamment du matériel informatique qui aurait été volé. Je ferai le point avec les équipes, mais c'est avant tout pour soutenir les soignants, que je vais rencontrer ce matin.

AUDREY CRESPO-MARA
Alors, les versions divergent un peu ce matin. On sait que c'est dans cet hôpital qu'un capitaine de compagnie de CRS venait d'être admis en urgence relative, après avoir reçu un pavé dans le visage. De l'autre côté il y a des manifestants qui disent qu'ils cherchaient à se réfugier dans l'hôpital après une charge des forces de l'ordre. Que vous a dit le directeur de l'AP-HP, la directrice de l'hôpital ?

AGNES BUZYN
Je pense qu'il y a eu plusieurs moments et plusieurs groupes qui ont pénétré. Donc, clairement les grilles de l'hôpital ont été forcées, elles ont été abattues, puisque la partie qui longeait la manifestation, la partie de l'hôpital qui longeait la manifestation, était fermée, et on faisait rentrer les patients et les ambulances par une autre porte de l'hôpital. Donc le circuit avait bien été sécurisé, et donc ces grilles ont été forcées, des gens ont pénétré. Il y a peut-être eu plusieurs vagues, je pense que l'enquête fera évidemment l'éclaircissement sur les circonstances exactes. Ce n'est pas à moi aujourd'hui de le dire. Moi, aujourd'hui, je viens voir les dégâts dans l'hôpital et parler aux soignants qui ont été courageux.

AUDREY CRESPO-MARA
Et savez-vous, alors, ou pas, si c'est lié à l'admission de ce capitaine d'une compagnie de CRS ?

AGNES BUZYN
Ecoutez, je ne le sais pas, je ne vois pas très bien comment les manifestants sur place auraient pu avoir l'information puisque l'entrée dans l'hôpital se faisait par un autre côté, donc je ne suis, enfin je n'ai pas d'information pour penser que les deux sont liés.

AUDREY CRESPO-MARA
En tout cas, il y avait des Gilets jaunes, il y avait des Blacks blocs, une trentaine de personnes ont été interpellée. Vous parliez d'exactions tout à l'heure, effectivement un médecin de permanence à l'hôpital raconte que dans d'autres services que la réanimation, il y a eu des exactions, dans le même bâtiment, l'ensemble du matériel informatique du service de chirurgie digestive a été vandalisé.

AGNES BUZYN
Oui, c'est pour ça que je pense qu'il y a peut-être des personnes qui se sont réfugiées, d'autres qui ont peut-être voulu commettre des vols, d'autres... Je pense que les circonstances nous en saurons plus clair quand les personnes ont été interrogées. Je laisse l'enquête suivre son cours. Aujourd'hui je tiens à dire c'est la première fois qu'il y a une exaction dans un hôpital, qu'il est un lieu de violence lors d'une manifestation. Je pense que tous les Français, comme moi, sont extrêmement choqués, c'est inqualifiable en fait. Je devrais, je pense qu'on devrait tous prendre conscience du niveau de violence et de comportements indignes aujourd'hui que l'on observe dans les rues de nos villes. Voilà. Rentrer dans un hôpital, forcer des grilles, faire peur à des patients, faire peur à des soignants, vouloir rentrer dans une salle de réanimation, je pense qu'on atteint vraiment des sommets d'incivilité.

AUDREY CRESPO-MARA
Et le personnel est évidemment choqué ce matin.

AGNES BUZYN
Absolument.

AUDREY CRESPO-MARA
Et vous allez leur parler donc. Agnès BUZYN, vous êtes médecin, vous connaissez bien le service, le secret médical. Depuis la mi-avril le Canard enchaîné affirme que des Gilets jaunes sont fichés dans les hôpitaux, et que ces fiches peuvent être consultées par le ministère de l'Intérieur. Alors, travaillez-vous main dans la main avec Christophe CASTANER pour lutter contre les Gilets jaunes ?

AGNES BUZYN
Absolument pas, c'est totalement faux. Je veux expliquer de quoi il s'agit. Après les attentats de novembre 2015, où il y avait clairement des difficultés à repérer où avaient été envoyées les victimes, des informations étaient fausses, les familles ne retrouvaient pas leur blessés, il a été décidé de mettre en place un système informatique qui permette, lorsqu'il y a un afflux en masse de blessés, quelle que soit la cause, de savoir si un hôpital est par exemple submergé de blessés, de pouvoir les orienter vers un autre hôpital, si on sait que les blocs opératoires vont être trop occupés par exemple, et qui permet aussi de recueillir effectivement le nom des victimes, de façon à donner des informations aux familles. Ce système informatique il est interne aux hôpitaux, il est ouvert lorsqu'il y a un afflux en masse, donc c'est en fonction des circonstances. Il a été ouvert par exemple pour l'incendie de la rue de Trévise, lorsque le pont de Gêne s'est effondré, il a été ouvert lors des inondations dans l'Aude. Donc en réalité, il n'y a... La cause et les circonstances de l'ouverture c'est simplement quand il y a tout d'un coup un afflux de blessés, rapporté par les SAMU ou rapporté par les Centres d'information des hôpitaux.

AUDREY CRESPO-MARA
On en a quand même l'impression qu'il y a un fonctionnement qui n'est pas normal, puisque des médecins s'en sont plaints, s'en sont offusqués, les Hôpitaux de Paris d'ailleurs ont reconnu qu'au moins une dizaine de patients ont été fichés. Une enquête interne a été lancée.

AGNES BUZYN
Alors, l'enquête a eu lieu donc, en fait il n'y a pas de fichage, c'est-à-dire qu'on ne sait pas si les blessés qui arrivent sont des passants qui ont été bousculés, des forces de l'ordre, des Gilets jaunes ou des journalistes. L'information n'est pas demandée. Il est demandé le nom, la personne à prévenir, et ça permet de savoir si la personne victime est hospitalisée, si elle est morte parfois, si elle est opérée, et donc ça permet de donner des informations aux familles, et nous de connaître à peu près le degré de tension dans les hôpitaux. Ce système informatique n'est pas vu et n'est pas accessible par le ministère de l'Intérieur, et les informations ne restent pas, c'est-à-dire qu'une fois que l'événement est fini, ce système informatique est fermé, nous n'avons pas de trace.

AUDREY CRESPO-MARA
Mais, si tout cela est normal, comment expliquer que les médecins soient choqués et que le Défenseur des droits, Jacques TOUBON, ait été saisi de l'affaire ? Il y a une affaire similaire qui a éclaté au CHU de Toulouse, aussi, donc c'est bien qu'il y a une situation anormale.

AGNES BUZYN
Alors, ce qui s'est je pense passé lors de la manifestation du 13 février, parce qu'en réalité le fichier, enfin, le système informatique, il est ouvert au coup par coup, selon qu'il y a une tension ou pas dans les hôpitaux. Donc en fonction des manifestations et de leur degré de violence, parfois les Hôpitaux de Paris notamment, ouvrent le système informatique, parfois pas. Donc ça dépend simplement du degré de violence de la manifestation. Et là en l'occurrence, le 13 février, un administrateur de l'hôpital, et je ne sais pas qui il est, a doit : n'oubliez pas de « renseigner civique », s'il y a des Gilets jaunes. Je pense qu'il y a un malentendu, peut-être sa langue a fourché, il n'a jamais été demandé de recueillir l'information Gilets jaunes, jamais je ne demanderais cela à un soignant, d'ailleurs jamais il ne l'accepterait, et je pense que s'il y avait eu des dérives depuis 20 semaines, les soignants s'en seraient plaints. Donc le 13 février je pense qu'il y a eu un problème d'information, livré entre l'administration de l'hôpital et les urgentistes. Il y a une enquête en cours, mais en réalité ce système il fonctionne parfois lorsqu'il y a un afflux de victimes comme le 1er décembre ou le 8 décembre, parfois pas, parce qu'il n'y a pas eu de victimes en nombre. Par exemple hier nous n'avons pas eu à activer le système d'informations, parce qu'il y a eu peu de blessés et c'était au fil de l'eau dans la journée, donc il n'y a pas eu d'afflux de victimes. Donc, vous voyez bien que c'est totalement en fonction des circonstances médicales.

AUDREY CRESPO-MARA
Vous parliez à l'instant d'un administrateur de garde, si quelqu'un a fait cette demande de fichage de Gilets jaunes à votre place, vous prendrez des sanctions ?

AGNES BUZYN
Oui, enfin je voudrais savoir pourquoi il l'a fait et ce qu'il a dit exactement. En l'occurrence le ministère de la Santé ne demandera jamais, mais jamais, à aucun soignant, de recueillir ce type d'information, ça n'est pas notre rôle, nous soyons tout le monde, c'est le code de déontologie médicale et je pense que s'il y avait eu la moindre dérive depuis maintenant 20 semaines, les soignants s'en seraient plaints et donc je pense que cette information du 13 février elle est vraiment ponctuelle, liée à un dysfonctionnement, et nous menons l'enquête.

AUDREY CRESPO-MARA
Agnès BUZYN, en mars c'est vous qui avez relancé le débat sur l'âge de départ à la retraite, en affirmant que vous n'étiez pas hostile à un recul de cet âge. Le président a demandé au gouvernement de travailler sur un allongement de la durée de cotisations, ça veut dire que l'âge légal va rester à 62 ans mais qu'il faudra travailler jusqu'à 64 ans pour toucher une retraite à taux plein ?

AGNES BUZYN
Non. Aujourd'hui, le constat est clair, nous restons beaucoup plus longtemps à la retraite qu'il y a 20 ou 30 ans. Moi je n'ai pas parlé de l'âge légal à l'époque où on m'a interrogée, j'avais simplement dit : il faudra à un moment que la société française s'interroge sur le fait de travailler plus longtemps. Ensuite, en fonction évidemment de la vie de chacun, on peut imaginer que lorsqu'une carrière a été très longue et pénible, les personnes doivent pouvoir partir plus tôt, et au contraire lorsqu'on a un travail éventuellement de cadre, plus sédentaire, il faut donner le libre choix de partir plus tard. Et donc dans les scénarios…

AUDREY CRESPO-MARA
Mais quand Emmanuel MACRON dit, lors de sa conférence de
Presse, que le point d'équilibre de notre régime de retraite est autour de
64 ans, 64 ans, en fait 64 ans va devenir l'âge auquel on peut toucher sa
retraite à taux plein ?

AGNES BUZYN
Et ça dépendra évidemment des circonstances de vie, mais il est clair que l'âge d'équilibre des retraites aujourd'hui, parce qu'il y a de moins en moins d'actifs et de plus en plus de personnes retraitées, parce que nous vivons plus longtemps et que c'est une chance, fait que progressivement l'équilibre pour notre régime de retraite est effectivement plus tard que 62 ans. Donc il faut pousser les gens à travailler plus longtemps, ça peut être un système de décote éventuellement, ça peut être un système de nombre de trimestres nécessaires pour avoir le droit d'ouvrir ses droits à la retraite, mais l'âge légal qui permet à chacun de prendre une décision, restera à 62 ans, c'est évidemment une promesse du président de la République et c'est nécessaire pour des gens qui ont eu des carrières très pénibles, très fatigantes et des métiers difficiles.

AUDREY CRESPO-MARA
Et la réforme sera présentée en juin. Merci Agnès BUZYN.

AGNES BUZYN
Merci.

PIERRE DE VILNO
Merci madame BUZYN, merci Audrey CRESPO-MARA.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 mai 2019