Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une école de la confiance (projet n° 323, texte de la commission n° 474, rapport n° 473).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je m'associe à l'hommage qui vient d'être rendu à deux héros de la Nation. J'ai suggéré que des écoles, collèges et lycées puissent porter leurs noms ; nous en faisons la proposition aux collectivités territoriales, comme nous l'avons fait pour le lieutenant-colonel Beltrame, car il est très important que soit donné à nos élèves et à notre pays l'exemple de ces hommes, qui incarnent au mieux la défense des valeurs de la République.
Je suis heureux de présenter aujourd'hui le projet de loi pour une école de la confiance à l'examen de la Haute Assemblée.
Depuis un certain nombre d'années, notre école souffre de la difficulté à réduire les inégalités sociales, à permettre à tous les élèves de maîtriser les savoirs fondamentaux – lire, écrire, compter, respecter autrui – et, au-delà, à s'insérer dans la vie professionnelle. Deux chiffres, que nous ne devons jamais oublier dans nos débats, s'imposent à nous : plus de 20 % des élèves ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux à la fin de l'école primaire et près de 23 % de nos jeunes sont aujourd'hui au chômage. Aux deux extrémités de notre système se pose évidemment une grande interrogation sur les causes et les raisons de ces phénomènes.
Bien entendu, nous avons l'impérieuse nécessité d'apporter des réponses concrètes et efficaces. Nous devons combattre collectivement les chiffres que je viens de citer, car s'y cachent derrière des réalités sociales, que nous devons changer avec une constance d'airain.
Au-delà de leur froideur, ces chiffres témoignent de la frustration, du doute sur l'avenir et, tout simplement, du sentiment de relégation qui peut être éprouvé par certains de nos compatriotes. C'est pourquoi ma priorité absolue et constante est, depuis deux ans, l'école primaire. En effet, l'école primaire est la clé de l'amélioration collective de notre système scolaire et, donc, de notre Nation. Elle joue, dans l'histoire de notre République, un rôle tout particulier, un rôle emblématique : c'est par elle que tout commence pour la vie d'un enfant comme pour la République.
C'est par une politique d'élévation résolue du niveau, de justice sociale et d'équité territoriale que nous pouvons hisser l'école française parmi les meilleurs systèmes au monde, ce qu'elle a su être. Nous ferons ainsi de la France, selon les voeux mêmes du Président de la République, des voeux qu'il a réitérés, une grande puissance éducative, car nous devons aussi raisonner à l'échelle mondiale.
Le projet de loi qui vous est présenté ne prétend pas résoudre tous les problèmes – je l'ai d'ailleurs indiqué dès l'origine –, mais il approfondit le sillon que nous avons tracé depuis deux ans.
D'abord, la politique de l'école primaire a abouti à diviser par deux les classes de CP et de CE1 dans les territoires les plus défavorisés, permettant ainsi, au moment où je vous parle, à 190 000 élèves de bénéficier de conditions particulières pour démarrer leur vie d'élève. Cette mesure, qui commence à faire ses preuves, concernera 300 000 élèves à la rentrée prochaine. Elle va évidemment de pair avec une politique pédagogique renouvelée, au travers de recommandations pédagogiques qui s'inspirent non seulement des travaux scientifiques portant sur les meilleures pratiques en matière d'acquisition des savoirs fondamentaux et de l'expérience, mais également des évaluations des classes de CP et de CE1 notamment, qui nous permettent de bien mesurer les progrès individuels et collectifs de nos élèves.
Il convient donc d'engager un investissement massif dans l'école primaire. Ce sera d'ailleurs encore le cas lors de la rentrée de 2019, avec la création de 2 300 postes, et ce dans un contexte de baisse démographique. Cette mesure doit nous permettre non seulement de mener cette politique dans les territoires classés REP et REP+, mais également de consolider l'école rurale, une consolidation que le Président de la République a confirmée au cours de sa récente allocution. Il s'agit donc aujourd'hui d'une mobilisation à la fois pédagogique et budgétaire au service de l'école primaire.
Le projet de loi dont nous nous apprêtons à débattre s'inscrit donc pleinement dans la priorité éducative rappelée et approfondie par le Président de la République au cours de sa conférence de presse du 25 avril dernier au cours de laquelle il a annoncé, outre les éléments que je viens d'indiquer, la fin des fermetures d'écoles primaires sans l'accord du maire, le dédoublement des grandes sections de maternelle classées en zone d'éducation prioritaire et la limitation à 24 élèves par classe en grande section, en CP et en CE1 partout en France.
Le projet de loi pour une école de la confiance s'inscrit dans une politique générale qui fait de l'éducation le coeur du projet de société que nous avons pour l'élévation du niveau général de notre peuple, mais aussi pour la justice sociale.
Tant de choses ont été dites à propos de ce projet de loi… Aussi, j'espère vivement que les débats au sein de la Haute Assemblée permettront de rectifier certaines erreurs, certains mensonges même. Je suis d'ailleurs frappé de constater que ces erreurs et mensonges n'existaient pas lorsque le texte a été examiné par la chambre basse. Ce n'est que dans l'intervalle entre l'examen du texte par l'Assemblée nationale et le Sénat que ceux-ci ont prospéré. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Je veux voir dans la démocratie parlementaire la vertu de pouvoir discuter, sur des bases réelles, le contenu d'une loi. C'est ce que l'on attend de la démocratie représentative, et c'est, me semble-t-il, ce que nous avons à démontrer. Nous pouvons avoir des points de vue différents sur chacun des articles, mais nous ne saurions décrire l'article autrement qu'il n'est.
L'article 1er de ce projet de loi ne vise en aucun cas à museler les professeurs, comme je l'ai entendu. Il rappelle tout simplement à tous ceux qui ont décidé d'être fonctionnaires les droits et les devoirs afférents, qui ont été définis par des lois précédentes. Il rappelle surtout un principe essentiel sur lequel on ne peut transiger, à savoir le respect de la communauté éducative par les familles.
Autrement dit, non seulement cet article ne crée pas de contrainte nouvelle pour les professeurs, mais il est, au contraire, le fondement juridique d'un respect accru pour cette fonction par le reste de la société. Dans ces conditions, il est étonnant qu'il ait été présenté comme le contraire de ce qu'il est.
Pour prendre un autre exemple, l'article 2 ter du projet de loi ne consiste certainement pas à supprimer la visite médicale à 6 ans ; c'est même tout l'inverse. En cohérence avec l'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire, il avance l'âge de la première visite médicale à 3 ans, offrant ainsi à tous les élèves un parcours de santé entre 0 et 6 ans.
Cet article, comme bien d'autres, fait de ce texte une loi profondément sociale. D'ailleurs, si je ne devais insister que sur un point, ce serait celui-là. Cette loi, qui est une loi pour l'éducation, est d'abord et avant tout une loi profondément sociale. Non seulement elle vise les élèves les plus défavorisés, mais elle crée également les conditions d'une véritable ascension sociale par l'éducation ; j'en donnerai une nouvelle illustration avec l'article 14.
Là encore, avec cet article, il n'a jamais été question d'imaginer que des étudiants, au début de leur parcours, remplacent des professeurs, comme je l'ai souvent lu et entendu ces dernières semaines ; c'est même tout l'inverse. Il s'agit de renouer avec une tradition qui a bien réussi à notre école républicaine.
Pendant de nombreuses décennies, nous avons cherché à encourager et susciter les vocations enseignantes afin que les professeurs soient issus de toutes les classes sociales. Le dispositif de préprofessionnalisation, jadis appelé IPES, est une mesure profondément sociale, qui permettra à des jeunes de vivre leur passion de transmettre.
Ainsi, dès la rentrée prochaine, des étudiants en deuxième année de licence recevront 700 euros par mois, en plus de leur bourse, pour faire de l'aide aux devoirs, pour seconder les professeurs, et certainement pas pour les remplacer. Il s'agit donc, je le répète, d'une mesure profondément sociale, de nature aussi à attirer vers l'éducation nationale plus de vocations, notamment dans les disciplines où nous en avons le plus besoin. Pourquoi ne pouvons-nous pas obtenir l'union de toutes les femmes et de tous les hommes de progrès sur un tel sujet ? Pourquoi entendons-nous des propos faux en la matière, alors que nous renouons avec ce qui fait normalement consensus autour de l'école de la République ?
M. Pierre Laurent. On ne sait pas lire ! On n'est pas allé à l'école !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Il est donc souhaitable que nos débats rétablissent des vérités simples sur ces articles.
Je veux vous le dire très solennellement, lorsque l'on contribue à colporter de fausses interprétations des articles, non seulement on ne concourt pas à corriger quelque chose qui, justement, n'est pas à corriger puisque cela ne correspond pas à la réalité, mais, en plus, on participe à cette désespérance qui, elle-même, va à l'encontre du progrès social. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche. – Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Ça va être notre faute !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Les commentaires des commentaires n'ont toutefois pas réussi à obscurcir la visée fondamentale de ce texte.
Il faut maintenant identifier les leviers essentiels susceptibles d'améliorer notre politique éducative et les actionner afin d'atteindre la seule chose qui compte : le progrès effectif de tous les élèves.
Le premier des leviers est l'école primaire, tout particulièrement l'école maternelle. C'est là qu'il est possible d'attaquer les inégalités à la racine. Là aussi, j'ai entendu dire que le Gouvernement voulait supprimer les écoles maternelles.
Mme Éliane Assassi. On n'a jamais dit ça !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Certains me diront peut-être que je me trompe, prétendant que le texte n'a jamais indiqué que l'on supprimerait les écoles maternelles.
Mme Éliane Assassi. Nous non plus nous ne voulons pas les supprimer !
Mme Céline Brulin. On a déjà suffisamment de choses à dire sans en rajouter !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C'est à ce niveau qu'il est possible d'attaquer les inégalités à la racine.
En fonction de son milieu social et culturel, un jeune enfant peut accumuler des retards linguistiques considérables. C'est pourquoi il importe tellement de faire de l'école maternelle une véritable école en abaissant l'obligation d'instruction à 3 ans.
Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que c'est une grande fierté pour moi d'appartenir à un gouvernement à qui le Président de la République a demandé de s'inscrire dans la lignée des grandes lois républicaines sur l'obligation scolaire. Incontestablement, il s'agit aussi évidemment pour cette raison d'une loi sociale.
Depuis la fin du XIXe siècle, l'âge de la scolarité obligatoire n'a jamais été avancé, l'école maternelle n'ayant pas toujours été perçue comme une véritable école. Parfois, elle n'était pas fréquentée de façon régulière ou elle l'était sans assiduité. Le travail admirable des professeurs et des Atsem montre tout le contraire : l'école maternelle est un moment essentiel dans le parcours de l'élève.
Aujourd'hui, les travaux issus de la recherche soulignent que les années passées à l'école maternelle sont décisives pour la maîtrise future des savoirs fondamentaux. Cette loi vise donc à renforcer l'école maternelle, à la reconnaître et à lui donner les moyens d'être le fer de lance de l'élévation du niveau général et de la justice sociale.
L'apprentissage du vocabulaire, l'émergence progressive d'une conscience grammaticale par la lecture de livres, l'éveil de la sensibilité par les arts, le développement psychomoteur et affectif, la socialisation par le respect des règles et le jeu, le souci du travail bien fait sont des fondations indispensables pour susciter le plaisir d'aller à l'école, cette école de la confiance, une école du bonheur – j'ose ce mot –, que nous pouvons souhaiter pour tous nos enfants.
Aux deux extrémités de notre système, l'obligation d'instruction abaissée à 3 ans et la formation obligatoire de 16 à 18 ans sont les acquis fondamentaux de ce projet de loi.
La formation obligatoire de 16 à 18 ans a été peu commentée ces dernières semaines. Or elle a aussi une dimension sociale essentielle dans cette loi.
M. Pierre Ouzoulias. C'est notre programme !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Nous aurons ainsi les bases juridiques essentielles pour permettre à tous les élèves de s'émanciper et de construire un projet professionnel afin que ces derniers aient une place dans la société.
Je me réjouis en effet que certaines de ces dispositions aient pu figurer dans les programmes de telle ou telle formation politique…
M. Pierre Ouzoulias. Vous voyez ! Vous le dites !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … dans cette assemblée. Nous devrions donc obtenir approbation auprès des membres siégeant sur ces travées.
Beaucoup ont souhaité l'instruction de 3 à 18 ans. Aujourd'hui, cela devient une réalité, et, grâce à vos suffrages, cela peut devenir une réalité juridique.
La formation des professeurs est l'autre levier essentiel de progrès pour le système éducatif. Quelle est la situation actuelle ?
Telle Espé réserve, par exemple, deux à trois heures pour l'apprentissage de la pédagogie des savoirs fondamentaux, alors que telle autre y consacrera des dizaines d'heures. Cette hétérogénéité dans la formation n'est plus possible si l'on souhaite vraiment que tous les élèves maîtrisent les savoirs fondamentaux. Le principe d'égalité doit trouver à s'appliquer pleinement en matière de formation des professeurs. C'est pourquoi la création des Inspé est si importante.
Le changement du nom indique quelque chose d'important : le « i » pour institut signifie que nous voulons fonder tout cela sur une culture professionnelle ; le « n » comme national veut dire que nous voulons un cadre commun de référence et le « s » comme supérieur que nous confirmons évidemment la proximité avec le monde de la recherche.
Le travail accompli chaque jour par nos professeurs doit être soutenu ; nous devons leur permettre d'être plus encore des acteurs au travers d'un droit élargi à l'expérimentation. Ce droit est la marque de confiance dans les femmes et les hommes qui travaillent au plus près des réalités et de la diversité des territoires. Libérer, protéger, unir : ces mots forment la clé de voûte de ce texte.
Il n'existe pas d'expérimentation sans évaluation digne de ce nom. Ce projet de loi permet les expérimentations et les évaluations.
Nous allons approfondir la culture de l'expérimentation grâce à cette loi. Nous pourrons ainsi davantage positionner notre système éducatif comme un système pionnier, un système du XXIe siècle, tout en nous donnant les moyens de procéder à une véritable évaluation. La création du conseil d'évaluation de l'école nous permettra d'avoir une vision nationale complète de nos écoles, de nos collèges et de nos lycées. Nous le savons, les systèmes scolaires qui se portent aujourd'hui le mieux dans le monde sont ceux qui ont fait de l'évaluation de ce type des leviers de progrès, en s'appuyant notamment sur l'auto-évaluation, qui est une façon de responsabiliser l'ensemble des acteurs sur leur capacité à faire progresser les élèves.
En définitive, si l'école française est si consubstantielle à la République, c'est qu'elle fut, qu'elle demeure et qu'elle demeurera son visage, le visage du progrès et celui de l'avenir. Aujourd'hui, les horizons de notre école s'étendent au monde, et chacun sent bien la nécessité pour nos élèves de maîtriser parfaitement le français ainsi que des langues étrangères afin tout simplement que ceux-ci soient de leur temps et de leur espace. Aussi, nous devons développer les échanges en Europe et dans le monde. Il y va du rayonnement de la France, de sa place dans le concert des nations, de sa capacité à attirer les meilleurs talents.
Actuellement, l'enseignement international est souvent réservé aux familles favorisées, celles qui peuvent scolariser leurs enfants dans des écoles privées parfois coûteuses. En soumettant à votre vote la création d'établissements publics locaux d'enseignement international, je vous propose de conférer au service public d'éducation une plus forte dimension internationale afin que les élèves venus de tous les milieux et de tous les horizons puissent bénéficier de cette dynamique et s'ouvrent encore davantage sur l'Europe et le monde.
Cette mesure sera complémentaire à celle du renouveau de la politique des langues que nous allons engager. Elle sera aussi complémentaire aux politiques qui seront menées à l'avenir, je l'espère, à l'échelle européenne, notamment avec la multiplication des échanges Erasmus pour nos élèves des lycées professionnels, par exemple, ou nos futurs professeurs. En effet, nous voulons que ces derniers aient dans les futurs Inspé une expérience dans le reste du monde.
Ainsi, par ce projet de loi, l'école de la République reste fidèle à sa mission : donner à chacun de ses enfants le meilleur et ce qu'il y a de plus actuel, et j'y serai évidemment personnellement très attentif.
L'école de la République, c'est la maison commune de toute la jeunesse de France. À ce titre, elle doit apporter à tous ses enfants, où qu'ils se trouvent sur le territoire, la même chance de réussir et la même envie de saisir cette chance. C'est pourquoi il revient à l'État d'assurer la protection de tous ses enfants. Si la liberté d'instruction est un droit fondamental, nous devons avoir un contrôle particulièrement vigilant sur la qualité des enseignements qu'ils reçoivent. Nous savons tous que tel n'est pas le cas partout. Ce projet de loi permet donc de renforcer cette garantie.
Le texte que nous examinons est résolument un texte de confiance dans les territoires ; je le dis devant cette chambre qui a particulièrement vocation à défendre ses territoires dans la capacité à innover, à expérimenter et, comme je l'ai dit, à s'organiser selon les contraintes de chacun d'entre eux, tout en respectant le cadre national.
Ainsi, sur la base du volontariat, et avec le consentement de la communauté éducative ainsi que des élus, nous ne devons écarter aucune organisation susceptible d'aider les territoires à offrir un service d'éducation de qualité. Il revient à l'État de garantir l'équité entre les territoires, en donnant plus à ceux qui en ont besoin et en disposant d'organisations appropriées au plus près des réalités. C'est ce que nous faisons pour l'éducation prioritaire et l'école rurale, et c'est ce que nous devons faire pour les territoires ultramarins. À cet égard, dans le cadre de ce projet de loi, je vous propose de créer un rectorat de plein exercice à Mayotte, qui a tant besoin du soutien de la communauté nationale, une mesure qui se traduit aussi par des moyens budgétaires supplémentaires pour accompagner cette évolution.
Cette politique d'équité s'adresse particulièrement aux élèves les plus fragiles, notamment les élèves en situation de handicap. Je tiens à finir mon discours par ce point, afin de marquer qu'il s'agit, à mes yeux, d'un sujet essentiel.
Beaucoup a été fait depuis le début des années 2000, avec de premières politiques importantes en la matière. Toutefois, le défi à relever est immense. Il nous faut changer le regard sur la différence et réussir la transformation de nos organisations.
Notre ambition est claire : faire en sorte que tous les enfants dont le handicap est diagnostiqué soient pris en charge le plus rapidement possible. Pour ce faire, le levier qui vous est proposé au travers de ce projet de loi est inédit : il s'agit de faire émerger un grand service public de l'école inclusive avec 80 000 personnels mieux formés, mieux reconnus, mieux intégrés à l'équipe éducative, répartis sur tout le territoire en pôles, et qui, en toutes circonstances, sur le temps scolaire et périscolaire, accompagneront les enfants en situation de handicap.
Nous voulons que, dès la rentrée prochaine, cette amélioration soit visible pour les élèves et leurs familles, ainsi que pour les personnels accompagnants. Ainsi, nous voulons que l'on procède au recrutement avant la rentrée, que le rendez-vous entre les parents, les professeurs et les personnels accompagnants soit fixé avant la rentrée, que la formation de ces accompagnants ait lieu avant la rentrée, que l'organisation des établissements soit de nature à assurer un accompagnement au plus près des besoins des élèves. Nous voulons avoir une approche qualitative complémentaire de l'approche quantitative, pour que les accompagnants se sentent membres à part entière de la communauté éducative. Telle est la consigne qui a d'ores et déjà été donnée aux rectorats, de telle sorte que ces derniers s'organisent à cet effet.
Cette mesure concerne non seulement les éléments de recrutement que je viens d'énoncer, mais aussi les éléments de formation et de gestion des ressources humaines, en vue d'apporter à ces dernières de la considération et de leur offrir des contrats plus longs, des contrats de trois ans, renouvelables une fois, pouvant déboucher sur des CDI. Ce sont des progrès inédits, qui ne sauraient être sous-estimés. Là aussi, ils sont vecteurs d'espérance, une espérance que nous avons à communiquer aux élèves et à leurs familles. Il nous faut donc dire la vérité sur ce texte. Travestir la réalité contribuerait tout simplement à ne pas donner un socle à cette espérance dont nous avons besoin et dont nous nous donnons maintenant les moyens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi porte une ambition : permettre à l'école de demeurer l'institution par laquelle tout est possible. Cela a été dit à plusieurs reprises par le Président de la République, le Premier ministre et moi-même. Nous pouvons considérer l'école comme le premier des outils dont nous disposons pour la justice sociale. Pour ce faire, il est nécessaire de repenser le lien de l'école avec les familles, en accueillant mieux les enfants en situation de handicap et en posant comme fondement de cette relation l'esprit de confiance.
Cette école de la confiance que nous appelons de nos voeux est non pas un mot, mais une aspiration sociale profonde conduisant à plus de liberté, plus d'unité et aussi plus de protection. Nous évoluons beaucoup trop dans une société de défiance ; tel est le diagnostic que nous pouvons faire sur notre pays. Or ce diagnostic date non pas d'hier, mais de plusieurs années, voire de plusieurs décennies. Il n'a pas toujours caractérisé la société française.
Aujourd'hui, nous avons la chance d'avoir de nouveaux leviers pour créer un cercle vertueux de la confiance. À cet effet, une loi ou un décret ne suffit pas. Il nous faut enclencher le cercle vertueux de la confiance en établissant des bases exactes, en nous fondant sur des textes, que nous interprétons de manière honnête, de bonne foi et dans un esprit de progrès et de discussion…
M. Rachid Temal. Ah !
M. Pierre Ouzoulias. Avec un budget !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … et en tenant compte des amendements – c'est ce que j'ai fait à l'Assemblée nationale et c'est ce que je ferai au Sénat.
M. Rachid Temal. Nous sommes sauvés !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C'est pourquoi se trouve au coeur de ce projet de loi une philosophie de la confiance, qui converge avec une philosophie de la démocratie parlementaire. Nous proposons non seulement aux acteurs sociaux, mais également aux représentants de la Nation des outils leur permettant de s'adapter aux réalités de notre société et de nos territoires. Il s'agit non pas d'imposer, mais de proposer et de faire confiance. Aussi, sur plusieurs volets, notamment pour ce qui concerne les modes d'organisation, ce projet de loi prévoit des outils au lieu d'imposer des mesures.
Une haute idée de la justice sociale, qui doit être effective dès les premiers jours de la vie jusqu'à la majorité, est l'épicentre de ce projet de loi. L'abaissement de l'instruction obligatoire et l'obligation de formation de 16 à 18 ans sont des acquis fondamentaux, et ce ne sont pas les seuls de ce texte.
Notre démarche consiste à placer au centre de l'école les professeurs, sans lesquels rien n'est possible. Mieux les aider pour entrer dans le métier, leur offrir une formation de qualité, faire respecter leur autorité, tel est mon devoir et tel est mon objectif avec ce projet de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis fier de vous présenter un texte de nature à permettre à la France de porter une politique éducative ambitieuse. Par ce projet, nous souhaitons donner à nos enfants des racines et des ailes (Exclamations amusées sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.),…
M. Roger Karoutchi. Oh là là !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … la fierté d'être des citoyens de France, la fierté d'être eux-mêmes. Nous pourrons croire en notre destin si nous préparons nos enfants sur la seule base qui vaille, celle de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
(…)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne vais évidemment pas répondre à chacun des points évoqués par chacun d'entre vous – ce serait trop long, et j'aurais peur de vous lasser. Je voudrais néanmoins revenir sur ce qui a été exprimé au travers des différentes interventions.
La première question que je souhaite éclaircir est celle de l'intention qui motive la présentation de ce projet de loi. Il me paraît particulièrement important, en effet – plusieurs d'entre vous l'ont dit –, que nous puissions discuter de bonne foi de ce que contient réellement ce texte. Si, au point où nous en sommes de la discussion, je n'avais qu'une seule idée à formuler, je dirais que nous n'avons strictement aucune intention cachée. Je tiens énormément à le dire : l'intention de ce projet de loi est parfaitement claire ; elle est affichée.
Nous vivons – c'est incontestable – dans une société de la défiance et du soupçon ; à ce titre, chacun doit faire son introspection pour savoir s'il contribue à la logique de la confiance ou à celle du soupçon.
J'ai fait il y a un an quelque chose de relativement rare pour un ministre de l'éducation en exercice : j'ai écrit un livre sur ce que nous avions commencé à faire et sur ce que nous nous apprêtions à faire. J'avais d'ailleurs écrit, dans ce livre que chacun peut lire, que le temps de la loi viendrait au moment voulu. J'ai donc expliqué par écrit le pourquoi et le comment des différentes mesures que nous sommes en train de prendre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, quel que soit le groupe politique auquel vous appartenez, je vous prie de croire – c'est la seule requête que je vous soumettrai – que les intentions qui sont derrière ce projet de loi sont tout simplement les intentions affichées. Autrement dit, il n'y a aucune autre intention que celle qui est affichée.
Vous avez le droit d'être contre ces intentions ; mais si vous ne voulez pas contribuer à alimenter cette société du soupçon dans laquelle nous vivons, alors n'allez pas chercher je ne sais quelle intention cachée. Il y a quelque chose d'absurde à vous voir critiquer, en brandissant une intention soi-disant dissimulée, certaines mesures que vous avez vous-mêmes préconisées, à gauche comme à droite.
Je pourrais prendre bien des exemples. L'instruction obligatoire à 3 ans est un vieux projet, souvent venu des travées de la gauche. Certains d'entre vous l'ont saluée, tout en éprouvant immédiatement le besoin de préciser que le projet proposé n'est pas celui que vous auriez, vous, mis en oeuvre. Je ne saurais dire à quoi eût bien pu ressembler votre instruction obligatoire à 3 ans pour être si belle, quand la nôtre est si laide ! Je ne vois pas de différence entre l'intention qui était la vôtre et celle que nous sommes en train, pour notre part, de mettre en oeuvre.
Très souvent, en vous écoutant – pardonnez-moi de vous le dire –, l'adage selon lequel la critique est aisée, mais l'art est difficile me venait à l'esprit. Il y a bien des choses, en effet, que vous avez préconisées et que nous sommes en train d'accomplir.
Ce constat vaut aussi pour les travées de droite – le sénateur Grosperrin a eu l'honnêteté d'évoquer les travaux réalisés sur l'école du socle.
Le sénateur Ouzoulias a fait référence au plan Langevin-Wallon, dont les concepteurs appelaient de leurs voeux une « école fondamentale », c'est-à-dire une vision englobant l'école et le collège, leur volonté étant de tracer un continuum pour tous les enfants de France. Il y a là – vous avez eu l'honnêteté de le rappeler, monsieur le sénateur – l'une des sources d'inspiration de ce projet de loi.
Aujourd'hui, certains éprouvent le besoin de caricaturer ce texte, faisant comme si ses objectifs étaient éloignés de ceux que vous-mêmes, dans le passé, avez poursuivis, sans que les gouvernements que vous souteniez aient pu les atteindre – telle est la vérité ! Nous sommes, nous, en train d'ouvrir quelques portes, qui n'ont pas été ouvertes par les gouvernements précédents. C'est peut-être cela, d'ailleurs, qui motive certaines critiques – j'y vois l'intention cachée, pour le coup, de certaines interventions.
Je voudrais donc vous demander, à l'aube des différents débats que nous allons avoir, non pas que nous soyons d'accord sur tout, évidemment – ce ne serait ni possible, ni même souhaitable –, mais de ne pas chercher derrière le texte des intentions qui n'y sont pas.
Pourquoi, par exemple, Jean-Pierre Chevènement aurait-il salué plusieurs des mesures que j'ai prises depuis mon entrée en fonction si mon intention était de créer cette école ultralibérale dont vous me prêtez le dessein ? Pourquoi des défenseurs habituels de l'enseignement des savoirs fondamentaux à l'école, par exemple venus de l'Académie française, soutiendraient-ils la politique que nous menons en la matière, et pourquoi voudrais-je, moi, autre chose que ce que souhaitent ces différentes personnalités ?
Je le répète, on a le droit de ne pas être d'accord avec ce que nous faisons. Mais si nous ne voulons pas contribuer à cette société du soupçon que, par ailleurs, nous déplorons tous chaque fois que nous la constatons, nous ne devons pas faire semblant de lire des intentions cachées là où il n'y en a pas.
Mes intentions sont parfaitement claires ; elles sont affichées dans l'exposé des motifs et transparentes dans les politiques menées jusqu'à présent. Elles peuvent être contestées – je n'en dénie le droit à personne. Mais il me paraît vain de disserter sur un projet qui n'est pas celui que nous présentons ; ce sont de telles interventions qui nourrissent la défiance.
Quant à la confiance, plusieurs d'entre vous ont dit qu'elle ne se décrétait pas, mais qu'elle se créait. Je suis complètement d'accord avec ces propos – j'ai bien conscience qu'un intitulé de projet de loi ne suffira pas à créer une société ou une école de la confiance, et qu'il s'agit d'un enjeu collectif. Mais j'essaie d'y apporter ma pierre ; et nous verrons bien si ce cercle vertueux sera effectivement enclenché.
Toutefois, là encore, j'invite à l'introspection : les sociétés qui vont bien, dans le monde d'aujourd'hui, sont celles qui ont confiance en leur école et qui n'ont pas plaqué sur elle le clivage gauche-droite.
Certains déclarent solennellement que ma conception de l'école n'est pas la leur. Je veux bien l'entendre : des divergences peuvent exister entre nous ; mais je ne suis pas certain qu'elles soient si profondes. Nous avons beaucoup à gagner à nous rapprocher les uns des autres, pour construire une école qui corresponde à tous les citoyens, sans discrimination et – je le répète – sans clivage gauche-droite plaqué sur ces enjeux.
Vouloir que l'école maternelle crée les conditions de l'égalité entre tous les enfants, ce n'est ni de gauche ni de droite.
M. Michel Savin. Non, c'est « en marche » ! (Sourires.)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Vouloir que l'école soit inclusive et accueille tous les élèves handicapés, ce n'est ni de gauche ni de droite. Vouloir organiser l'école avec une certaine souplesse, pour tenir compte des différences entre les territoires, ce n'est ni de gauche ni de droite. Vouloir une école permettant de traiter les enjeux non seulement d'instruction, mais aussi d'éducation, en collaboration avec les parents d'élèves, ce n'est ni de gauche ni de droite.
Tous ces enjeux – la liste que je viens de donner n'est pas exhaustive – figurent dans ce projet de loi.
J'ai parlé de l'intention qui préside à la présentation de ce texte ; je voudrais conclure en précisant quelle est sa nature. Je ne discuterai pas de savoir s'il s'agit d'une petite ou d'une grande loi ; je vous ai dit qu'il ne s'agissait pas de refonder l'ensemble du système scolaire. Je pense d'ailleurs que l'absence d'une telle prétention pourrait être le gage de la qualité de ce texte.
Puisqu'il a été fait référence à Jules Ferry, faisons un peu d'histoire. Si une grande loi se mesure au nombre d'insultes et de critiques que l'on recueille en la présentant, alors Jules Ferry a fait une très grande loi : lorsqu'il a rendu obligatoire l'instruction à partir de 6 ans, il n'a pas recueilli, lui non plus, l'assentiment général sur les différentes travées des deux chambres – il suffit pour s'en convaincre de lire le compte rendu des débats de cette époque.
M. David Assouline. Aucun rapport !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. À l'époque, fort heureusement, une très grande proportion d'enfants, en France, était déjà scolarisée, grâce au travail de Guizot ou de Duruy.
Jules Ferry, lui, a fait quelque chose d'absolument indispensable, qui a été fondateur pour la République : rendre cette scolarisation obligatoire pour tous. La conséquence n'a pas seulement été d'amener à l'école les enfants qui n'y allaient pas ; elle a été de donner un socle, un cadre juridique, mais aussi psychologique, à ce qui devait être l'école de la République.
Telle est évidemment notre intention au travers de l'instruction obligatoire à 3 ans : la valorisation de l'école maternelle. Il n'y va pas seulement des 25 000 enfants qui ne vont pas à l'école et qui iront désormais.
Je précise, d'ailleurs, que ces enfants ne vivent pas tous en Guyane et à Mayotte : j'ai en tête cet enfant d'une partie rurale profonde de l'Orne dont on me parlait lors de l'un de mes déplacements et qui, arrivant en CP à 6 ans, avait un vocabulaire extrêmement faible. C'est ce type de cas, aussi, que nous allons résoudre ; chaque enfant compte, évidemment – et quelques milliers ne sont absolument pas quantité négligeable.
Ce faisant, donc, nous n'allons pas seulement amener ces enfants à l'école ; nous construisons un cadre pour l'école maternelle. Ce dernier a déjà des conséquences juridiques concrètes – je pense à la visite médicale à 3 ans pour tous, qu'il n'a pas été possible, jusqu'à présent, de mettre en oeuvre, précisément parce que l'école n'était pas obligatoire.
Il faut donc avoir en vue les conséquences de ce que nous faisons, qui toutes sont la déclinaison de deux objectifs – telle est notre intention en présentant cette loi ; il n'y en a pas d'autre. On peut bien discuter des chemins que nous empruntons pour réaliser cette intention, mais pas de l'intention elle-même, qui est claire et manifeste.
Cette intention se traduit, comme je le disais, en deux objectifs : l'élévation du niveau général et la justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Source http://www.senat.fr, le 20 mai 2019