Texte intégral
ARNAUD PONTUS
Frédéric RIVIERE, vous recevez ce matin Jean-Baptiste LEMOYNE, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères.
FREDERIC RIVIERE
Bonjour Jean-Baptiste LEMOYNE.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Bonjour.
FREDERIC RIVIERE
On va commencer par l'Europe, on va s'éviter la canicule, on en parle quand même énormément. Un peu trop peut-être, non, d'un mot, tout de même ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
C'est important d'en parler. On se souvient…
FREDERIC RIVIERE
Oui, mais on en fait beaucoup quand même.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui, mais, voilà, mieux vaut prévenir que guérir, dit l'adage.
FREDERIC RIVIERE
Alors, parlons de l'Europe, parce qu'Emmanuel MACRON s'est employé à écarter le système des Spitzenkandidat pour la présidence de la Commission européenne, et il y est parvenu, on peut le dire. Est-ce que ce système n'est pas pourtant plus démocratique, dans la mesure où il donne plus de poids aux parlementaires qui sont élus, que les négociations de coulisses auxquelles on assiste en ce moment ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, peut-être, pour nos auditeurs, bien préciser ce que sont les Spitzenkandidat, c'est-à-dire ces chefs de file désignés par les partis européens.
FREDERIC RIVIERE
Avant l'élection.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Voilà. Mais ce que l'on constate, c'est que ces chefs de file ils sont désignés en interne, par des machines partisanes et pas par les Européens eux-mêmes. La logique aurait voulu, pour que les Spitzenkandidat aient une réelle légitimité, en fait que les Européens se prononcent sur des listes transnationales aux élections européennes, c'est-à-dire sur des listes qui soient les mêmes, eh bien de Brest, à Parme, en passant par Lübeck. Et donc on voit bien que ce système il a été rejeté. Rejeté par un certain nombre d'Etat et de partis…
FREDERIC RIVIERE
La France en particulier.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ah, Emmanuel MACRON, le président de la République, lui, plaidait pour des listes transnationales, ce qui permet aux citoyens européens…
FREDERIC RIVIERE
Non mais je parlais des Spitzenkandidat.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Voilà, ce qui permettait aux citoyens européens de véritablement faire un choix pour effectivement, eh bien des listes portant des candidats de toutes les nationalités, mais sur un même projet, un même cap, et ça n'a pas été le cas. Donc, à partir de ce moment-là, c'est vrai que les Spitzenkandidat n'étaient pas les mieux qualifiés pour réunir une double majorité, parce que vous savez que l'on a besoin de réunir une majorité au Conseil européen, et également au Parlement européen, et donc maintenant, en tous les cas c'est le résultat du Conseil du 20 juin, c'est qu'il a été constaté que ces Spitzenkandidat ne pouvaient pas réunir une majorité, et maintenant Donald TUSK a une mission pour que d'ici le 30 juin, les chefs d'Etat et de gouvernement puissent trouver, je dirais, l'équipe d'Europe avec les quatre principaux poste à pourvoir, avec un souci d'équilibre géographique et de parité.
FREDERIC RIVIERE
Mais, est-ce que vous avez l'impression que les négociations qui ont eu lieu en ce moment, en coulisses, où chacun joue, ou pour, ou contre, en fonction de ses intérêts, la plupart du temps, pas forcément de l'intérêt commun, l'intérêt commun c'est souvent le plus petit dénominateur en fait, est-ce que vous n'avez pas l'impression que tout ça ce n'est quand même pas très bon pour l'image de l'Europe ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, très clairement, la France elle ne fait pas le choix de défendre le candidat d'un pays ou d'un parti, elle fait le choix, justement…
FREDERIC RIVIERE
Pour l'instant elle fait le choix de s'opposer à certains, mais pas encore d'en promouvoir un.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais encore une fois, le choix de trouver les personnes de talent, de compétence, pour promouvoir un programme ambitieux pour l'Europe. L'Europe elle est à la croisée des chemins, on s'en souvient, regardez, il y a le défi du Brexit, il y a le défi des tensions commerciales, et on a besoin de femmes et d'hommes qui vont porter une ambition européenne, qui vont affirmer cette puissance européenne, parce qu'on le voit, dans ce monde de crise, il y a besoin de mieux protéger peut-être nos citoyens européens, et puis également de préparer l'Europe de demain, en termes d'innovation, en termes de climat, de changement climatique, c'est une ambition que le président porte fort, et petit à petit nous arrivons à entraîner, il y a parfois une force d'inertie, mais la France est là pour entraîner au niveau européen.
FREDERIC RIVIERE
Est-ce que vous diriez que Nathalie LOISEAU a affaibli la France dans les institutions européennes, avec ses propos assez peu aimables sur plusieurs de ses alliés européens ? Elle est revenue elle-même d'ailleurs hier sur ce sujet, en disant qu'elle avait fait une bêtise, en effet.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ce n'est pas les propos les plus adroits. Il n'en reste pas moins que la France, elle reste je crois d'autant plus en force qu'il y a un bataillon de députés européens issus de la Renaissance, très important…
FREDERIC RIVIERE
Oui, mais il n'y aura pas de présidence de groupe.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais il y a aura sûrement des présidences de Commission, des postes de porte-parole, et ce qui compte dans la machinerie du Parlement européen, ce n'est pas tant d'avoir un poste majeur que de pouvoir influer avec des rapports, avec des postes à responsabilités pour les textes législatifs. Et je peux vous dire qu'il y a un certain nombre de textes législatifs qui attendent, qui sont importants.
FREDERIC RIVIERE
Le Sommet des 2 rives à Marseille, a eu lieu hier, il était voulu par le président de la République, il rassemblait cinq pays d'Afrique du Nord, Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Libye, et cinq pays d'Europe Occidentale, Portugal, Espagne, France, Italie et Malte. L'ambition affichée au moment où le président de la République avait annoncé ce projet, c'était de rassembler des chefs d'Etat pour discuter des grands projets communs. Or, hier il n'y avait qu'un chef d'Etat, Emmanuel MACRON, lui-même. Est-ce que ça n'est pas finalement un échec cette opération ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, en fait, le Sommet des chefs d'Etat de gouvernement, il sera convié dans six mois, justement. Là, le choix…
FREDERIC RIVIERE
Ça c'est le nouveau rendez-vous fixé, constatant un peu les défaillances de celui-là.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
C'est un choix assumé, qui était fait, là, de le tenir au niveau ministériel. On le sait, un certain nombre de pays de la Méditerranée occidentale connaissent des évènements, et par conséquent il était…
FREDERIC RIVIERE
Est-ce qu'il n'aurait pas été plus sage, du coup, de le reporter, tout simplement ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais je crois que l'on est là dans un processus innovant. Ce sont les… le président de la République en annonçant à Tunis, ce Sommet des 2 rives en février 2018, a souhaité donner la main aux sociétés civiles. Et il y a là des centaines de jeunes, de moins jeunes, de femmes, d'hommes, d'universitaires, d'étudiants, de jeunes salariés, qui ont travaillé, qui ont planché pendant des mois et des mois au travers d'ateliers, qui ont initié des projets, 260, et je crois qu'il était important de pouvoir leur apporter une première réponse, et face à l'Appel des Cent, qui a été lancé à Tunis au mois de juin, eh bien avoir une déclaration forte des gouvernements en disant : on vous a entendus, on veut vous accompagner pour mettre en place des projets très concrets. Il s'agit par exemple, eh bien d'un réseau des Ecoles de la mer, il s'agit d'un réseau des Ecoles de deuxième chance, et je peux vous dire que le président de la République il souhaite justement que ce soit par des solidarités concrètes que la Méditerranée se relie à nouveau, et c'est comme ça d'ailleurs que la construction européenne a commencé, par des projets très concrets, et avec ça on va progresser.
FREDERIC RIVIERE
Quelle est l'ambition du président de la République ? C'est de remplacer l'UPM, l'Union Pour la Méditerranée, qui est moribonde, qui vote depuis des années ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je crois que l'on n'est pas dans le Meccano institutionnel, ce qui compte c'est des projets, du concret, et ça veut dire que tous les acteurs qui peuvent aider à favoriser et à mettre en place ces projets, ça peut être l'UPM, ça peut être la Commission européenne, ça peut être naturellement des institutions comme la BIRD, la Banque européenne d'investissements, etc., sont les bienvenues. Et donc là, on est là justement pour finalement agréger autour de ces projets portés par la société civile, un certain nombre d'institutions qui peuvent aider, soit par les financements, soit par de l'ingénierie, et je dois dire que Wided BOUCHAMAOUI, vous savez, Prix Nobel de paix tunisienne, Patricia RICARD, la chef de file française, ont fait un très gros travail, pour justement aboutir à ces 260 projets, dont 60 qui sont prioritaires. Je crois que c'est ça qui est porteur d'espérance.
FREDERIC RIVIERE
Je voudrais que l'on évoque, Jean-Baptiste LEMOYNE, la situation au Bénin. Il y a eu au moins quatre morts à l'issue des manifestations des 1er et 2 mai à Cotonou. Vous avez dit la semaine dernière, que vous souhaitiez un geste d'apaisement du président béninois Patrice TALON, à l'égard de son opposition. Est-ce que vous pouvez être plus explicite ? A quoi vous pensez quand vous dites « geste d'apaisement » ? Est-ce que par exemple ça pourrait être l'organisation de nouvelles législatives d'ici à la fin de l'année ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, j'ai été interrogé à l'Assemblée nationale, effectivement, la semaine dernière, sur la situation au Bénin, et j'en parle librement, parce que j'ai été le premier ministre français à me rendre au Bénin après l'avènement du président TALON, et nous avons travaillé sur un certain nombre de coopérations, je pense en matière culturelle notamment, en matière économique, mais c'est vrai que l'on a constaté que le scrutin du 28 avril dernier, eh bien avait généré un certain nombre de tensions et qu'il était important d'aller vers l'apaisement. Le président TALON avait lui-même, le 20 mai, tenu un discours à la Nation, et ce qui nous semblait utile pour que le Bénin puisse aller de l'avant, c'est que ce dialogue national puisse se tenir effectivement dans les faits. Et ce que je constate, c'est que depuis la semaine dernière, il y a eu des évènements nouveaux, c'est-à-dire que le président Yayi BONI a pu quitter sa villa qui était encerclée, donc naturellement, ça contribue je pense à faire évoluer le contexte, et il est important de continuer cette voie du dialogue. Il y a…
FREDERIC RIVIERE
Mais vous n'attendez pas un geste particulier ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Vous savez, on n'est pas dans l'ingérence, on n'est pas dans l'indifférence non plus. Ce qui compte, c'est justement que les acteurs de la scène béninoise, on connaît le Bénin pour être ce « Saint-Germain-des-Prés » de l'Afrique, et donc le débat des idées, il est toujours vif, mais il doit se faire dans le respect de tout le monde.
FREDERIC RIVIERE
Merci Jean-Baptiste LEMOYNE.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 juin 2019