Interview de Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations à France-Inter le 8 juillet 2019, sur le football féminin et les violences faites aux femmes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Marlène Schiappa - Secrétaire d'Etat à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discrimination

Média : France Inter

Texte intégral

FREDERIC METEZEAU
Bonjour Marlène SCHIAPPA.

MARLENE SCHIAPPA
Bonjour.

FREDERIC METEZEAU
Secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations. Vous êtes l'invitée du Grand Entretien de France Inter jusqu'à 9 heures moins le quart, les auditeurs pourront vous interroger au 01.45.24.7000 et sur franceinter.fr. Avant d'évoquer la lutte contre les féminicides, un mot sur la Coupe du monde féminine de football qui s'est achevée hier soir, les Américaines sont championnes du monde. Le succès populaire et d'image de cette compétition aide-t-il votre cause ; ou bien au contraire, est-ce que cette Coupe du monde ne montre pas la persistance des inégalités entre les femmes et les hommes, elle les concentre un peu !

MARLENE SCHIAPPA
Oui, je crois que c'est les deux à la fois et c'est assez ironique à observer, parce que d'un côté vous avez effectivement la preuve que des femmes peuvent faire un sport qui est dit masculin parce que culturellement plus masculin en France, ce n'est pas que dans d'autres pays, aux Etats-Unis par exemple et on a eu la meilleure preuve récemment. Mais en même temps, vous avez aussi une forme d'insécurité de la part de pas mal d'hommes, qui s'offusquent que des femmes puissent jouer au foot, voire apprécier le foot, je vous donne un exemple. Récemment, nous sommes deux femmes à avoir pris des positions pour plus de femmes dans le foot et pour améliorer les rémunérations des joueuses : Ségolène Royal et moi-même., nous faisons des propositions différentes mais toutes les 2 dans ce sens. Noël LE GRAET a dit la même chose que moi, c'est-à-dire que…

FREDERIC METEZEAU
Le président de la… le patron du football français !

MARLENE SCHIAPPA
Exactement, il a dit qu'il fallait revoir les rémunérations des joueuses en créant un cercle économique vertueux et, progressivement, améliorer ces rémunérations. Hier, le président de la République Emmanuel MACRON a dit exactement la même chose, c'est-à-dire qu'il fallait progressivement aller vers une amélioration des rémunérations des footballeuses femmes. Néanmoins laquelle de ces 3 personnes a été attaquée à raison de son sexe et à laquelle de ces 3 personnes on a mis en cause son amour du foot et sa compétence en matière de foot, je vous donne un indice, ce sont des femmes.

FREDERIC METEZEAU
Vous-même et Ségolène ROYAL.

MARLENE SCHIAPPA
Voilà !

FREDERIC METEZEAU
Marlène SCHIAPPA, la lutte contre les violences conjugales, samedi Emmanuel MACRON a écrit un tweet, il a reconnu que la République n'avait pas su protéger les femmes victimes de ces violences conjugales. 75 victimes depuis le début de l'année, c'est un aveu d'échec pour ce qui est la grande cause nationale du quinquennat, pourquoi la situation ne s'améliore-t-elle pas et même elle s'aggrave semble-t-il ?

MARLENE SCHIAPPA
Alors effectivement, le président de la République s'est exprimé en disant que la République n'avait pas su protéger ces femmes ; et il a donné leur nom. Moi, je voudrais rappeler que c'est… hélas ! Les violences conjugales, elles existent depuis l'Antiquité, il y avait une très bonne tribune dans Le Monde de 2 historiens me semble-t-il, qui analysaient justement ces mécanismes et c'est un phénomène qui est mondial, il n'y a pas de pays au monde où vous n'avez pas de féminicides…

FREDERIC METEZEAU
Il y a des pays où c'est moins grave parce qu'il y a eu des mesures concrètes. Est-ce qu'on peut tendre vers ça en France ?

MARLENE SCHIAPPA
Alors il n'y a pas de pays… c'est surtout qu'il y a des pays dans lesquels ça a baissé, je pense que vous pensez à l'Espagne…

FREDERIC METEZEAU
Entre autres !

MARLENE SCHIAPPA
En Espagne, on avait un taux de meurtres de femmes extrêmement élevé ; et ça a baissé effectivement la dernière année suite à un certain nombre de mesures. Moi je voudrais rappeler quand même ce qui a été fait depuis 2 ans, parce que les féminicides n'ont pas commencé il y a 2 ans ; et je pense qu'il est important de rappeler que par exemple ce terme féminicide que maintenant on emploie partout, il a été entré dans le vocabulaire institutionnel par le président de la République qui l'a prononcé à l'ONU, par moi-même et par notre gouvernement qui l'avons impulsé. Les mots sont importants, on ne parle plus de violences faites aux femmes avec une forme passive, mais de féminicide et de violences sexistes et sectaires…

FREDERIC METEZEAU
Comme on dit infanticide !

MARLENE SCHIAPPA
Exactement, pour rendre visible ce phénomène particulier du meurtre de femmes par leurs conjoints on par leur ex-conjoint. Nous n'avons pas rien fait en 2 ans, je rappelle également qu'il y a 2 ans justement, au moment du lancement de la grande cause du quinquennat, Emmanuel MACRON, le président de la République a rendu un hommage avec une minute de silence à l'Elysée pour toutes les femmes tuées par leur conjoint ont par leur ex-conjoint. Ca peut paraître symbolique, mais c'est important de leur adresser ce message. Et puis il n'y a jamais eu autant de moyens, il y a 530 millions sur l'année 2019, c'est un record historique en termes de budget pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Je ne vais pas vous faire là le catalogue des mesures, mais vous savez que nous avons créé une plateforme avec des policiers disponibles 24 heures/24, 7 jours/7, il y a 2 unités pour dialoguer et pour préparer les plaintes. Nous avons augmenté les moyens du 39.19…

FREDERIC METEZEAU
Le numéro d'urgence !

MARLENE SCHIAPPA
Absolument, et nous leur avons donné un objectif… un objectif de 100 % des appels. Et puis le Premier ministre Edouard PHILIPPE a mis 4 millions d'euros sur la table pour une campagne de communication en télévision, pour interpeller les témoins parce que les témoins doivent agir. Quand on est témoin d'un cambriolage, on appelle la police ; moi je veux que quand on est témoin de violences conjugales chez ses voisins ou auprès de collègues, on appelle la police de la même manière.

FREDERIC METEZEAU
Mais précisément, vous le dites, appeler la police c'est un devoir citoyen si l'on a la connaissance de violences. La semaine dernière au même micro que vous Marlène SCHIAPPA, Céline LOLIVRET nous parlait de son amie Julie qui a été tuée par balle en Corse au mois de mars. Elle avait porté plainte 6 fois.

MARLENE SCHIAPPA
Oui tout à fait et ça… enfin c'est révoltant, pour moi il est insupportable de penser qu'une femme a fait cette démarche, s'est rendue au commissariat avec les difficultés que ça implique de surcroît en Corse – et je suis d'origine corse, donc dans un milieu insulaire – c'est insupportable et c'est intolérable…

FREDERIC METEZEAU
Donc là, ce n'est plus une question de minute de silence.

MARLENE SCHIAPPA
Absolument. Et moi, c'est pour cette raison que j'ai réuni à mon ministère immédiatement après l'ensemble des parties prenantes. Les services de la préfecture, les représentants du ministère de l'intérieur, les élus, les députés, les associations et les proches de Julie DOUIB. Et j'ai d'ailleurs encore reçu ses proches de cette dame, dont le papa de Julie DOUIB la semaine dernière. Et lors de cette table ronde que nous avons menée, j'ai voulu retracer son parcours et voir ce qui avait failli, parce qu'il y a eu des dysfonctionnements. Moi je ne peux pas entendre qu'une femme ait déposée 6 plaintes et que son mari – qui est accusé de violences conjugales – garde un permis de port d'arme et puisse… la garde des enfants et puisse se rendre chez elle et décider de la tuer, sonner, elle ouvre la porte, il l'a tué, manifestement c'est ce qui se serait produit. Et ça c'est révoltant et moi, je ne veux plus que ce type de phénomène se produise, c'est pour ça…

FREDERIC METEZEAU
Et ça peut changer ça, Monsieur CASTANER, votre collègue de l'Intérieur, Madame BELLOUBET, votre collègue de la Justice vont agir ?

MARLENE SCHIAPPA
Il faut… Christophe CASTANER a déjà commencé à agir, c'est un sujet qu'il prend à bras-le-corps et qui lui tient à coeur. On était ensemble auprès des policiers et des gendarmes la semaine dernière, nous avons écouté les bandes des appels d'urgence des policiers et des gendarmes. Et Christophe CASTANER a mis la pression sur les équipes en lançant notamment des objectifs très fermes ; et en lançant également le recrutement de 73 psychologues pour faire en sorte que dans les commissariats, les femmes soient accompagnées. Parce que – et j'en termine là – il peut arriver qu'une femme aille déposer une plainte et qu'elle ne soit pas forcément accueillie dans les meilleures conditions. Ce n'est pas la majorité des cas mais ça arrive encore et il faut le voir en face. Et le fait qu'il y ait des psychologues qui les accompagnent peut les aider à formaliser leur plainte et à mieux qualifier les plaintes pour qu'elles ne restent plus jamais sans suite.

FREDERIC METEZEAU
Vous parliez de 530 millions d'euros mis sur la table, effectivement ce n'est pas rien, les associations demandent un milliard, un milliard elles disent c'est la somme qu'a été mise sur la table en Espagne. On peut aller plus loin en France ?

MARLENE SCHIAPPA
Alors plusieurs choses, d'abord oui mais on peut aller plus loin et on doit aller plus loin et moi, je me bats à chaque fois pour faire en sorte qu'il y ait davantage de budget et j'ai le soutien du Premier ministre dans ce combat, puisqu'il a rajouté continuellement – au cours des 2 années précédentes – du budget pour cette cause. Sur l'Espagne, je voudrais juste être précise, ce n'est pas pour faire un concours de chiffres, mais c'est pour être précise, ce milliard d'euros il n'existe pas en Espagne, c'est un mythe, on ne le voit que dans les médias français. Pardon mais à un moment, il faut aller à la source…

FREDERIC METEZEAU
Ce sont les associations qui nous le disent !

MARLENE SCHIAPPA
Bien sûr, mais ce n'est pas allé à la source. Moi je vous invite à consulter les documents budgétaires du gouvernement espagnol, vous constaterez que ce milliard d'euros n'existe pas d'ailleurs, Mariano RAJOY – qui n'est pas un féministe radical – a lui-même convenu que ce milliard d'euros n'avait pas été engagé. C'était un objectif théorique des partis sur 5 ans, donc un milliards vous le divisez déjà par 5 et qui, ensuite, n'a pas été engagé. Ce qui a été engagé c'est 100 millions donnés aux régions, parce que vous savez qu'en Espagne…

FREDERIC METEZEAU
C'est très décentralisé oui !

MARLENE SCHIAPPA
C'est différent de la France, sans demande de compte-rendu et de contrôle en fait.

FREDERIC METEZEAU
Mais le taux de féminicide a beaucoup baissé et ça s'améliore.

MARLENE SCHIAPPA
Tout à fait, mais ça n'est pas grâce à ça, c'est grâce à plusieurs choses. C'est grâce d'abord aux tribunaux spécialisés qui ont été créés…

FREDERIC METEZEAU
Avec des procureurs spéciaux !

MARLENE SCHIAPPA
Exactement, formés pour cela. Et être formé en continuum des violences sexistes et sexuelles, ça veut dire que vous voyez que quand une femme à l'air entre guillemets timide, ce n'est pas forcément qu'elle n'a pas été violentée, c'est qu'elle est peut-être dans un état de sidération, qu'elle ne peut pas exprimer un certain nombre de choses. L'ensemble des intervenants des parties prenantes sont formés à cet égard. Il y a le bracelet de protection qui permet d'envoyer des alertes quand le conjoint ou l'ex-conjoint violent s'approche, ça c'est très efficace. Et la garde des Sceaux est en train de le développer, de le généraliser en France pour que ça existe…

FREDERIC METEZEAU
Voilà, c'est ça…

MARLENE SCHIAPPA
Et puis il y a une dernière chose, c'est une approche culturelle, c'est-à-dire qu'en Espagne on ne parle pas de violences conjugales, on parle de terrorisme machisme. La ministre de la Justice en Espagne est une ancienne procureure qui était… une ancienne magistrate en tout cas qui était spécialiste du terrorisme. Et elle a décidé de qualifier les féminicides de terrorisme machiste. Le traitement qui est fait n'est pas le même traitement qui est fait en France.

FREDERIC METEZEAU
Justement, 2 questions par rapport à ce que vous disiez Marlène SCHIAPPA, la ministre de la Justice souhaite que désormais, dès qu'il y a une plainte ou dès qu'il y a une flagrance, ça veut dire qu'on constate une violence, on mette le bracelet électronique au mari violent ou au conjoint violent ou à l'ex-violent. Pour l'instant ce n'est pas possible, il faut changer la loi, on a un calendrier, on a les modalités de ce texte ?

MARLENE SCHIAPPA
Oui, on travaille avec la garde des Sceaux, avec plusieurs parlementaires qui portent cette proposition et qui l'ont expertisée. Et vraisemblablement à l'automne, la garde des Sceaux opérera les modifications législatives nécessaires, pour qu'on puisse dès que possible généraliser ces bracelets ; et surtout mettre en oeuvre ce qui existe déjà. Je vous prends un exemple, le téléphone « grave danger », il y a une volonté politique et il y a des moyens, le téléphone « grave danger » existe et on en finance énormément. Néanmoins, ils ne sont pas tous attribués…

FREDERIC METEZEAU
Ils restent dans les placards !

MARLENE SCHIAPPA
Exactement, vous en avez 300 et quelques uniquement en ce moment, au moment où je vous parle, qui sont activés. Ça veut dire qu'il y a des téléphones…

FREDERIC METEZEAU
Sur à peu près de 900 disponibles !

MARLENE SCHIAPPA
C'est ça, ça veut dire qu'il y a des téléphones « grave danger » qui dorment quelque part dans un placard, dans un bureau qui ne sont attribués.

FREDERIC METEZEAU
Pourquoi ?

MARLENE SCHIAPPA
Parce qu'il n'y a pas de décision de justice qui attribue ces téléphones « grave danger ». Et ça, ça n'est pas acceptable et là encore, le gouvernement a lancé une circulaire pour faire en sorte d'aller plus loin. Mais cela aussi devra être mis sur la table lors du Grenelle des violences conjugales, le 39.19.

FREDERIC METEZEAU
On a beaucoup d'appels au standard de France Inter, on va y aller dans quelques minutes. Je voulais juste revenir Marlène SCHIAPPA sur vos propos hier au Parisien, vous parlez de tabous culturels, de tabous sur les violences. Ces tabous, ils sont sociaux, ils sont religieux, c'est quoi, c'est la force de l'habitude ?

MARLENE SCHIAPPA
Il y a tout un phénomène, je n'avais pas le temps de le développer hier, mais il y a effectivement plusieurs phénomènes qui se croisent. Moi je voudrais… on parle beaucoup de culture du viol, j'avais mené des recherches dans une précédente vie sur le thème de la culture du viol, il y a une culture des violences conjugales également qui existe. Je vous rappelle un fait, Alexia DAVAL, je ne sais pas si vous vous souvenez…

FREDERIC METEZEAU
Celle qu'on avait appelée entre guillemets la joggeuse qui, finalement, n'est pas morte pendant son jogging mais a été tuée à domicile par son mari.

MARLENE SCHIAPPA
Voilà ! Souvenez-vous quand son mari est passé aux aveux ou en tout cas été soupçonné et… oui d'ailleurs est passé aux aveux, sur toutes les chaînes de télévision française et sur beaucoup de radios et dans beaucoup de presses écrites, on passait en boucle des arguments visant à dire : oui mais aussi, elle avait un caractère difficile et si elle a été tuée, c'est parce qu'elle avait un caractère difficile.

FREDERIC METEZEAU
Ça avait été un peu ça sur Marie TRINTIGNANT aussi.

MARLENE SCHIAPPA
Tout à fait et ça, sur Alexia DAVAL ça a été dit en boucle pendant des jours et des jours, jusqu'à ce que j'intervienne et ça m'a été beaucoup reproché. Mais tant pis, je le referais si c'était à refaire, parce qu'il n'est pas acceptable pour moi qu'on diffuse 24 heures/24 des arguments visant à dire que les femmes qui sont frappées par leur conjoint ou par leur ex-conjoint ou tuées par leur conjoint ou par leur ex-conjoint le serait de leur faute parce qu'elles auraient un caractère trop difficile. Ça n'est pas entendable, il faut aussi que ce traitement médiatique qui vise à diminuer les violences, même s'il y a beaucoup de progrès qui ont été faits ces dernières années, il faut que cela cesse et que cela bouge.

FREDERIC METEZEAU
Et par exemple qu'on arrête de parler de crime passionnel ou de différend familial.

MARLENE SCHIAPPA
Tout à fait, ce ne sont pas des faits divers, ce sont des faits de société convergents.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 juillet 2019