Déclaration de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, sur l'école dans la société du numérique, Paris le 6 février 2019.

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Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur le rapport d'information de la commission des affaires culturelles et de l'éducation sur l'école dans la société du numérique.

La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons le rapporteur ainsi que les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses. Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Je suis particulièrement heureux de pouvoir m'exprimer devant vous sur une question majeure qui est, nous l'avons vu, au coeur des grands enjeux de l'école au XXIe siècle.

Je veux d'abord remercier chaleureusement le groupe MODEM de nous offrir l'occasion d'échanger à ce sujet, ainsi que le président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, Bruno Studer : son rapport sur l'école dans la société du numérique, fruit d'un travail considérable remis en octobre dernier, a des implications directes dans le débat d'aujourd'hui, mais aussi sur nos premières actions en la matière à l'école, parmi lesquelles la création, déjà citée, du CAPES d'informatique, une étape très importante.

Les enjeux numériques font évidemment partie des grands défis de notre temps, car ils dessinent un horizon de progrès s'ils sont mis au service de l'élévation du niveau des élèves et de la justice sociale. La société numérique suscite une question fondamentale : comment un monde toujours plus technologique peut-il tout de même être un monde toujours plus humain ? C'est par l'éducation que nous pourrons y répondre de manière positive, mais ce n'est pas chose facile.

Le défi, en effet, est double. L'école doit apporter une réponse simple à une question complexe : le numérique doit nous permettre de mieux enseigner, autour des enjeux éternels – lire, écrire, compter, respecter autrui, acquérir une culture générale –, mais aussi d'enjeux plus modernes – le numérique et l'informatique. C'est ce que nous faisons depuis vingt mois, en donnant la priorité aux enseignements fondamentaux, par la promotion du livre et par l'interdiction du portable à l'école et au collège, tout en procédant à une transformation de nos enseignements sur laquelle je reviendrai, le tout pour transmettre aux élèves des savoirs adaptés aux enjeux du siècle.

L'école du XXIe siècle doit mettre au service des enjeux éternels les technologies les plus modernes. C'est pourquoi l'ordinateur ne remplacera jamais le professeur. L'un d'entre vous s'est inquiété de cette éventualité, que je prends très au sérieux. C'est un sujet sur lequel j'ai écrit avant d'être ministre et à propos duquel j'ai une conviction profonde : non seulement le numérique ne remplacera pas le professeur, mais nous aurons encore plus besoin des professeurs dans un monde numérisé, non parce que l'on aurait réussi à évacuer l'ordinateur de l'école – ce serait inutile, et même contre-productif –, mais parce que nous aurons su créer entre l'homme et la machine un vrai duo dans lequel le premier maîtrisera la seconde, et non l'inverse. Ce duo est évidemment emblématique de ce à quoi nous devons parvenir dans la société en général, où nous aurons d'autant plus besoin de présence humaine qu'un nombre croissant de fonctionnalités seront numérisées, car le numérique offre davantage d'occasions à l'humain de donner sa pleine puissance.

Nous savons tous qu'il existe un horizon inverse : la déshumanisation du monde, le remplacement de l'homme par la machine et l'abêtissement général par la confrontation directe de l'enfant avec l'écran sans médiation ni humanité. Mais nous sommes tous unis, je l'ai bien senti en vous écoutant, pour aller vers le premier horizon.

À cette fin, notre action doit reposer sur deux principes que j'ai énoncés dans mon discours à l'université d'été Ludovia, évoquée par le président Studer – deux mots-clés qui orientent ma stratégie : la protection et l'ambition.

« Protection », car les outils numériques peuvent donner lieu à des dérives, que vous avez tous mentionnées, contre lesquelles nous devons lutter en offrant un environnement sécurisé aux utilisateurs de l'école et aux élèves. C'est cette protection qui nous permettra de créer le cadre de confiance dont nous avons besoin pour l'école. Et c'est ce cadre de confiance qui peut lui-même permettre d'avoir une ambition.

Le numérique permet de mieux gérer l'éducation nationale, maison à la taille hors normes – rappelons que ce ministère est l'une des plus grosses structures du monde ; nous en sommes fiers. Face à cet enjeu de taille – c'est le cas de le dire –, grâce à la révolution numérique, nous pourrons avoir les avantages et de la grandeur et de l'agilité. Nous pourrons également mieux lutter contre l'échec scolaire, principale source d'inégalité, mais aussi élever le niveau général, condition, ici aussi, d'une plus grande égalité sociale. Nous devons, à cette fin, enseigner par le numérique mais aussi, vous l'avez tous fort bien dit, enseigner le numérique.

L'ambition doit nous inciter à un traitement des données performant et protégé, afin de disposer d'une connaissance fine de la difficulté de chaque élève, mais aussi de développer des outils pour lutter contre cette difficulté. Voilà qui nous offre la possibilité de positionner la France comme l'un des pays les plus modernes en matière de technologies de l'éducation devant permettre une personnalisation des pédagogies à grande échelle – domaine dans lequel nous pourrions avoir un rayonnement mondial.

De protection il est encore question, face au risque d'exploitation indue des données de nos élèves. Comme l'a rappelé Cédric Villani dans son rapport sur l'intelligence artificielle, en mars dernier, il revient au ministère de l'éducation d'être un acteur majeur du numérique en donnant une impulsion pour la conception de nouveaux outils et en bâtissant des normes robustes pour protéger les utilisateurs. Je partage ce qui vient d'être dit sur la nécessité de garantir cette protection ; c'est pourquoi j'ai créé le poste de protecteur des données au sein même du ministère de l'éducation nationale et pourquoi aussi nous avons instauré un comité d'éthique censé répondre à toutes les questions qui se posent sur la protection des données.

Pour que le numérique soit un vecteur d'élévation du niveau général, et donc de progrès social, l'école a besoin d'un substrat non numérique. Dans cette perspective, je m'appuierai sur les deux mots clés de l'élévation du niveau général : « logique » et « culture ».

La logique est ce que nous devons transmettre à chaque élève. La connaissance des procédures d'apprentissage de notre cerveau a considérablement évolué, ces dernières années, grâce aux neurosciences. Il n'y a rien de linéaire dans les mécanismes d'apprentissage, qui dépendent de nombreux facteurs combinés de manière différente chez chaque enfant. Nous devons, j'y insiste, transmettre les lois de la logique qui peuvent être le meilleur antidote contre les fausses informations, contre les difficultés de discernement face à la masse d'informations qui circulent. Complémentaire de la logique, la culture, c'est, depuis toujours, ce que l'école doit à chaque élève. Et c'est parce qu'un enfant aura une culture générale solide qu'il aura du discernement. En marchant sur deux pieds, la logique et la culture, l'enfant pourra aller vers le monde avec beaucoup plus de sûreté face aux logiques de ce nouveau monde où abonde l'information, alors même que les mondes anciens étaient caractérisés par sa rareté.

Le numérique doit donc favoriser l'instauration de pédagogies adaptées aux professeurs et aux élèves. Pour les professeurs, l'intelligence artificielle mettra, par exemple, à disposition une assistance dans les choix et les pratiques en fonction des types d'erreurs commises par les élèves dans tel ou tel exercice. Grâce au Centre national d'enseignement à distance, le CNED, nous avons développé un outil dénommé « Jules » qui, dans le cadre du programme « Devoirs faits », donne aux élèves une aide de ce type en définissant le profil de chacun.

Pour les élèves, l'intelligence artificielle permettra d'adapter les contenus au plus près de leurs besoins pour la compréhension et la maîtrise progressive des compétences étudiées – enjeu de savoir, mais aussi de savoir-faire et de savoir-être –, pour la mémorisation des compétences, savoirs, procédures et techniques par le biais de l'utilisation des techniques d'ancrage mémoriel différencié, enfin pour l'engagement et l'attention dans l'activité. Nous constatons que la dimension ludique du numérique contribue évidemment à la transmission des connaissances.

J'ai moi-même beaucoup insisté sur le danger que peuvent représenter les écrans lorsqu'ils sont, ainsi que l'a rappelé la députée Béatrice Piron, trop précocement et trop abondamment mis à disposition des enfants. Nous devons nous y montrer très attentifs. Mais le numérique ne se manifeste pas qu'à travers les écrans – je pense à l'usage des robots à l'école maternelle, au codage à l'école élémentaire. Le numérique permet d'agir à toutes les échelles de l'enseignement : dans le temps, afin d'appliquer la personnalisation que je viens d'évoquer, mais aussi dans l'espace, à l'échelle de l'élève, d'une classe, de l'école, d'un rectorat et enfin du pays. L'utilisation d'outils numériques – logiciels, tests pour préparer un cours, plateformes interactives de contenus pédagogiques pour l'élève – pour faciliter l'apprentissage de l'élève permet d'avoir une efficacité décuplée et de suivre ses progrès. Enfin, ces outils peuvent contribuer à la formation continue des enseignants, là aussi de façon beaucoup plus efficace, en leur fournissant des données sur la pertinence des contenus enseignés, en leur proposant des contenus pédagogiques adaptés. Ces pratiques ont d'ores et déjà cours.

Le numérique rend, par ailleurs, possible une évaluation modernisée. Il existe déjà des tests sur l'automatisation de la correction. Nous savons que les élèves ont besoin de se tester très régulièrement, et nous savons que la correction est l'une des tâches les plus fastidieuses des professeurs. Si nous parvenons à les en libérer, tout en continuant de rendre ce service à l'élève, nous libérerons du temps pour la pédagogie. Lors de la dernière rentrée, nous avons mis en place un système d'évaluation des élèves en CP et en CE1 qui nous permet d'aller dans cette direction. La connaissance que cela procure aux professeurs sur les difficultés des élèves est pour eux une mine d'une richesse inouïe, car ils peuvent ainsi aller au plus près de celles-ci.

Le numérique peut, en outre, améliorer la communication avec les parents. C'est déjà le cas avec les « environnements numériques de travail ». La députée Piron a ouvert la piste d'une école numérique des parents. Nous devons, en effet, prendre des initiatives en ce sens, en adaptant, par exemple, la « mallette des parents » aux enjeux du numérique, en particulier au téléphone portable afin qu'un lien direct soit établi entre le parent et l'établissement, afin aussi qu'enfants et parents partagent les mêmes univers.

Le numérique occupe donc une place croissante dans les enseignements à tous les niveaux. Aussi est-ce un des secteurs que nous cherchons, hic et nunc, à faire le plus progresser. L'algorithmique fait ainsi partie intégrante des programmes scolaires du primaire et du collège. Les disciplines de l'informatique et du numérique, dans lesquelles l'intelligence artificielle occupe une place importante, connaissent un développement sans précédent avec le nouveau lycée de la rentrée scolaire 2019. Nous avons désormais un enseignement commun intitulé « Sciences numériques et technologie » en classe de seconde. Nous avons également une nouvelle spécialité appelée « Numérique et sciences informatiques » en classes de première et de terminale. C'est une innovation majeure dans l'histoire de l'école de la France, mais aussi à l'échelle mondiale : nous devenons le seul pays qui, systématiquement, propose un tel enseignement au niveau du lycée. Il est dispensé aujourd'hui dans 55 % des établissements et aura un impact considérable sur l'évolution à moyen terme de la France en matière numérique : davantage de jeunes filles pourront ainsi choisir cette spécialité, et donc des carrières dans le numérique, secteur où le nombre d'ingénieurs augmentera. Nous comptons donc beaucoup sur le développement de l'enseignement du numérique pour favoriser la diversification des parcours scientifiques.

Cette évolution s'accompagne de la création du CAPES informatique. Et je le dis solennellement, à la tribune, ce CAPES informatique a évidemment vocation à être suivi d'une agrégation d'informatique. Nous disposerons donc progressivement d'un véritable corps de professeurs du numérique. Nous formons dès à présent quelque 1 500 professeurs en formation continue pour l'enseignement de la nouvelle spécialité que je viens de mentionner.

Le numérique sera donc un levier formidable de progrès des technologies de l'éducation. C'est pourquoi j'ai parfois parlé de Poitiers comme de la capitale de l'éducation nationale. En effet, nous disposons déjà des éléments susceptibles, pour la France, de produire cet effet de levier à l'échelle mondiale : les opérateurs de l'éducation nationale ont très souvent anticipé les enjeux que nous identifions aujourd'hui. Je pense au CNED, créé avant la Seconde Guerre mondiale. L'enseignement à distance prenant un tout autre sens avec la révolution numérique, le CNED doit nous permettre de devenir un leader mondial en la matière. Je pense également au réseau Canopé – Réseau de création et d'accompagnement pédagogiques –, bien placé pour être aux avant-postes en matière d'outils pédagogiques numériques, à l'échelle nationale mais aussi européenne et même mondiale.

Enfin, grâce à la toute récente transformation de l'ESEN – l'École supérieure de l'éducation nationale – en Institut des hautes études de l'éducation et de la formation, là encore à Poitiers, nous disposerons de cadres formés aux grands enjeux du numérique. Cette transformation aura également un impact sur la formation des professeurs, que nous réformerons à l'occasion de l'examen du projet de loi pour une école de la confiance – texte qui accordera une large place au numérique.

L'évolution numérique de l'éducation nationale est résolue, caractérisée par une ambition qui n'est pas naïve puisque lucide sur les enjeux de protection des données et des élèves quant aux usages inappropriés du numérique. Il s'agit de dispenser une éducation au numérique, sur laquelle vous avez tous beaucoup insisté, parce qu'elle est essentielle. Elle doit, en effet, contribuer à l'élévation du niveau général et à la justice sociale, et contribuer à la réussite de nos objectifs : lire, écrire, compter, respecter autrui, à l'école primaire ; donner une culture générale de base à tous les enfants et adolescents français grâce à l'école des savoirs fondamentaux, de l'école primaire au collège ; préparer l'élève devenu pré-adulte au lycée à sa vie future, c'est-à-dire aux études supérieures ou à l'insertion professionnelle grâce à un parcours personnalisé – autant d'enjeux qui s'articulent pour donner à l'enfant et à l'adolescent les bases lui permettant de se repérer dans cette nouvelle société. Il s'agira, en outre, de proposer une éducation aux médias, centrale dans notre conception éducative générale. En effet, à travers l'éducation aux médias et à travers l'éducation à internet, c'est d'éducation tout court qu'il s'agit parce que cette éducation, plus que jamais, est synonyme de discernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Mme la présidente. Nous en venons aux questions.

La parole est à M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. « Internet doit être pour tous un espace de liberté et de sécurité, un terrain d'expression libre mais responsable. » Ainsi s'exprimait, il y a plus de vingt ans, Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux. Cette préoccupation reste parfaitement d'actualité et revêt une importance particulière concernant nos enfants. L'école doit en effet former au maniement des nouvelles technologies, sources inégalables d'information et outils incontournables au sein de notre société.

Mais un autre constat s'impose : dès l'adolescence, internet est utilisé comme un vecteur d'actes de harcèlement s'inscrivant dans la continuité de la violence scolaire. Quelque 40 % des adolescents déclarent avoir subi une agression en ligne ; 61 % d'entre eux en nourriront des idées noires et 22 % garderont le silence. Et ces statistiques ne prennent pas en compte les nombreux personnels scolaires également ciblés par ces comportements inadmissibles.

Il est urgent, monsieur le ministre, d'assurer au sein de l'école de la République un climat où ni la peur ni la violence ne domine. Tolérer aujourd'hui le harcèlement à l'école, c'est accepter que, demain, nos concitoyens reproduisent ces agissements au sein de leur famille, dans la rue, sur leur lieu de travail ou via les réseaux sociaux. Des sanctions spécifiques doivent compléter les dispositions pénales relatives au cyber harcèlement qui ne sont pas adaptées à des auteurs mineurs. De plus, les initiatives de sensibilisation contre le cyber harcèlement se développent, à l'instar de l'Internet Safer Day. Ces actions doivent évidemment être saluées. Mais, plus fondamentalement, comment l'école apprend-elle à nos élèves à analyser des contenus en ligne et à s'exprimer de manière responsable sur la Toile ?

Enfin, si prévenir est crucial, protéger est vital. En novembre 2017, en réponse à une question au Gouvernement, vous m'avez répondu envisager la création d'une plateforme en ligne permettant aux adolescents de dénoncer le cyber harcèlement. Avez-vous avancé en ce sens ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. La question de l'éducation aux médias, que j'ai évoquée un peu rapidement à la fin de mon intervention, est évidemment essentielle et englobe celle de l'éducation à internet comme les enjeux de protection des élèves contre tous les risques d'internet.

Vous en avez mentionné plusieurs. Il est important de rappeler que le risque de fréquentation de sites pornographiques à un âge très précoce touche plus de la moitié des élèves avant onze ans. Il en est de même de la fréquentation de sites internet violents ou répandant des théories complotistes. Nous menons déjà des actions résolues contre de telles menaces, notamment à travers la formation continue des professeurs et les différentes sensibilisations que nous organisons.

Le cyberharcèlement fait partie de cet ensemble de menaces. Vous le savez, j'y accorde une importance toute particulière : la campagne contre le cyberharcèlement, que le ministère a lancé depuis 2011, se développe davantage chaque année ; Mme Macron s'est impliquée personnellement afin de sensibiliser les élèves ; au mois de novembre 2017, et encore au mois de novembre 2018, nous nous sommes rendus dans des établissements pour souligner l'importance de ce sujet, populariser le numéro de téléphone et la plateforme que les élèves peuvent utiliser lorsqu'ils sont victimes de cyberharcèlement, et renforcer le partenariat avec les associations. Je pense notamment à e-Enfance, qui nous aide à gérer la plateforme téléphonique. La visitant pour mieux connaître l'organisation de son travail, j'ai pu constater à quel point elle répond à un besoin : les appels sont incessants.

La lutte contre le cyberharcèlement passe également par la capacité de balayer les différentes thématiques auxquelles il répond. Nous avons insisté, cette année, sur le cyberharcèlement à caractère sexuel : tel est le sujet de la campagne actuellement développée sur internet.

Nous renforçons également le partenariat avec les réseaux sociaux, notamment Facebook, Tweeter et Instagram. Ce partenariat est très important s'agissant d'Instagram, vecteur de cyberharcèlement du fait qu'elle est la plateforme utilisée le plus souvent par les élèves. Nous attendons beaucoup de ces partenariats tout en demeurant vigilants. Tout le monde doit se responsabiliser, à commencer par les réseaux sociaux eux-mêmes. Cet enjeu éthique est de la responsabilité non seulement de l'école, mais également des réseaux sociaux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Tolmont.

Mme Sylvie Tolmont. Monsieur le ministre, nous sommes d'accord, l'école ne peut pas rester étrangère à l'évolution générale de la société. Elle doit s'adapter au rythme des nouvelles technologies. C'est le sens du rapport d'information sur l'école dans la société du numérique, présenté en octobre par M. Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, et qui fait l'objet de notre débat.

Les vingt-cinq préconisations du rapport présentent clairement le numérique comme une opportunité, sinon l'opportunité pour rétablir le rôle d'ascenseur social de l'école. C'est d'ailleurs dans cette optique – il me paraît bon de le rappeler – que la loi de programmation et d'orientation portant refondation de l'école de la République, de juillet 2013, a instauré le service public du numérique éducatif. C'est dans ce même élan que le gouvernement de François Hollande avait lancé le plan pour le numérique à l'école, doté d'un milliard sur trois ans. Il s'appuyait sur trois piliers : la formation des enseignants, l'équipement des collèges, le soutien à l'édition de ressources numériques.

Malheureusement, le budget de 2018 a supprimé cet objectif triennal et celui de 2019 a confirmé votre désengagement. Ainsi, monsieur le ministre, malgré votre discours sur l'enjeu du développement du numérique éducatif, le 21 août dernier, à l'université de Ludovia, votre engagement semble se cantonner à inviter les collectivités locales à miser sur le matériel fourni par les familles, si j'en crois les propos tenus lors de son audition à l'Assemblée nationale par le directeur du numérique pour l'éducation. C'est – permettez-moi cette boutade – en totale contradiction avec l'interdiction des portables que vous avez fait adopter.

Compte tenu de ces financements insuffisants, comment envisagez-vous de répondre aux préconisations ambitieuses des rapports successifs et de qualité produits par notre parlement ? En d'autres termes, comment comptez-vous développer le numérique éducatif sans investissements massifs ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Sur ce sujet comme sur tous les autres, les moyens ne sont que les moyens, ils sont au service des fins. Il peut n'y avoir rien de pire que des pluies de tablettes sur les établissements si les finalités n'ont pas été auparavant affirmées et les professeurs formés.

C'est malheureusement ce qui est trop souvent arrivé dans notre pays, bien des rapports le montrent : tel ou tel département se prétendant à l'avant-garde en distribuant les tablettes a obtenu des résultats plutôt contre-productifs sur le plan pédagogique comme sur celui de l'utilisation des deniers publics. L'argent public n'a pas à financer l'arrivée dans des établissements de cartons qui n'ont même pas été déballés, quand les tablettes distribuées n'ont pas été revendues par les élèves parce que le processus n'avait pas été suffisamment pensé en amont.

Je n'ai pas de pensée magique sur ces questions. Je ne crois pas que dépenser des dizaines de millions d'euros pour acheter des tablettes suffise à faire une politique du numérique. Je pense même que c'est tout le contraire. Nous devons affirmer, après en avoir discuté, une vision du numérique, et ensuite seulement conduire, au service de cette vision, une politique d'équipement en concertation avec les collectivités locales. Ainsi, il est nécessaire que le haut débit soit disponible partout en France à court terme. C'est l'enjeu, vous le savez, de ce quinquennat, pour tous les territoires, ruraux compris. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du numérique, s'y est engagé et nous y arriverons. Remporter cet enjeu sera beaucoup plus efficace que de déverser des pluies de tablettes indifférenciées.

Ne faut-il pas, pour autant, aider les collectivités locales dans le travail d'équipement dont elles ont la charge, du fait qu'étant au plus près du terrain, elles connaissent mieux les besoins ? Bien sûr que si ! Nous avons vocation à les aider. C'est pourquoi, dans le cadre du programme d'investissements d'avenir, un plan d'appui fort de 25 millions est dédié aux collectivités locales qui veulent procéder à des achats. Toutefois, cette politique d'appui à l'achat de tablettes n'est pas indifférenciée : elle s'articule avec des projets cohérents avec notre vision du numérique éducatif, dans un partenariat entre l'État et les collectivités.

Enfin, si, contrairement à ce qui est arrivé dans le passé, il était possible d'en profiter pour encourager l'industrie française, ce serait encore mieux !

Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Descamps.

Mme Béatrice Descamps. Le numérique n'est pas seulement une révolution technologique, il est un fait économique et social qui imprègne nos actes les plus ordinaires. L'urgence d'une révolution numérique à l'école est indéniable. Si elle présente des enjeux fondamentaux pour l'école et la société, je m'interroge toutefois sur deux aspects.

Tout d'abord, l'accès aux outils numériques ne place pas aujourd'hui tous les enfants de France sur un pied d'égalité. Les différents établissements et les différentes collectivités territoriales n'ont pas tous atteint le même niveau d'équipement et de support, ce qui creuse un fossé entre ceux qui ont les moyens et ceux dont les possibilités financières sont limitées.

La proposition no 12 du rapport, qui recommande la mutualisation des moyens, va, me semble-t-il, dans le bon sens. Disposons-nous, toutefois, de retours sur les expériences de ce type ?

Je m'interroge, ensuite, sur la place que nous souhaitons accorder au numérique dans les classes maternelles et élémentaires. La société numérique dans laquelle grandissent nos enfants oblige les enseignants à modifier leurs pratiques. Certes, ces ressources numériques représentent également pour eux des outils précieux, qui facilitent la différenciation, l'évaluation et, bien sûr, l'inclusion, d'où la nécessité, que mentionne bien le rapport, de faire évoluer parallèlement la formation des enseignants – une formation aux outils du numérique et, surtout, à leur utilisation dans leur pratique pédagogique. Cependant, le numérique doit demeurer au service de la pédagogie et de la réussite scolaire. Il ne faut pas oublier que l'école doit aider les enfants à développer leur esprit critique face à l'instantanéité de l'information engendrée par le numérique.

D'autant que celui-ci n'est pas une fin en soi. Il ne saurait se substituer aux enseignements ni, surtout, à la créativité manuelle de nos élèves, qui sont dans l'âge d'or de l'imagination. Pensez-vous, monsieur le ministre, que les livres, les pinceaux ou les gommes ont encore toute leur place à l'école et que la formation des enseignants aura pour principale priorité de montrer l'importance des uns et des autres ? (Mme Agnès Thill applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Cette question est importante parce qu'elle me permet de rappeler qu'il ne faut pas opposer les choses les unes aux autres. Nous pouvons vivre dans une société qui est qualifiée de numérique tout en faisant droit aux enjeux éternels du développement de l'enfant, dont relèvent le rapport physique aux objets et leur manipulation, dès la maternelle – nous insistons beaucoup sur ce point, y compris pour l'apprentissage des savoirs les plus abstraits. Ainsi, dans le plan mathématiques qui fait suite au rapport Villani-Torossian, l'accès aux mathématiques est encouragé à travers la manipulation, à l'école maternelle, d'objets comme le boulier, les cubes ou les poids et mesures.

Cette dimension inductive, qui va du concret à l'abstrait, est très importante dans toutes les disciplines. Aujourd'hui même, le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse a installé dans ses murs un laboratoire de chimie éphémère, où des élèves de BTS apprennent à des élèves du primaire à réaliser des expériences chimiques. De même, la fondation La main à la pâte, qui est gérée par l'Académie des sciences en partenariat avec l'éducation nationale, a permis à des milliers d'enfants de développer l'approche expérimentale dans les écoles primaires.

Si l'approche manuelle et inductive, qui comprend également les travaux manuels, que vous avez évoqués, est essentielle, elle ne s'oppose pas au développement du numérique, tout d'abord parce que le numérique peut être au service de cette approche : il est possible d'accéder à des patrons de couture grâce à l'informatique ou de réaliser physiquement des exercices à partir d'un modèle numérique, grâce notamment à la technologie 3D.

Nous devons faire comprendre aux enfants la complémentarité de ces différentes approches afin qu'ils n'entrent pas dans un monde déréalisé. Aujourd'hui déjà, à l'école maternelle ou élémentaire, des enfants mettent le doigt sur une image en pensant, par exemple, qu'ils tourneront ainsi une page, parce que les tablettes les y ont habitués. C'est là un exemple de déréalisation du monde induite par un usage excessif du numérique. L'école doit provoquer un rééquilibrage. C'est pourquoi nous insistons tant, aussi, sur un usage limité des écrans à l'école et au collègue.

L'interdiction du téléphone portable au collège n'avait pas d'autre motivation. Ses premiers effets sont notoires dans les établissements que j'ai visités et qui la pratiquent. Elle favorise le retour des enfants à la sociabilité comme au centre de documentation et d'information. Les fruits de cette interdiction sont ceux que nous attendions.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Monsieur le ministre, l'école doit être un outil central de la lutte contre le cyberharcèlement et la cyberviolence, dont le nombre de victimes chez les jeunes ne cesse d'augmenter, à mesure qu'ils s'équipent en tablettes et smartphones. Aujourd'hui, 81 % des 13-19 ans possèdent leur propre smartphone et plus de huit jeunes sur dix sont inscrits sur Facebook ou sur YouTube. Ils n'étaient que quatre sur dix en 2016, d'après l'étude Junior Connect de 2017, menée par l'institut IPSOS.

Ainsi, la quasi-totalité des familles françaises ayant des enfants scolarisés du CP à la terminale est concernée par les risques de harcèlement sur la toile. L'éducation nationale doit être à hauteur de l'enjeu et investir des moyens importants pour aider les familles à lutter contre ce fléau.

Le harcèlement détruit des vies, bouleverse des familles parfois jusqu'au deuil. Il est multiple, touche la plupart du temps à l'intime. Mentionnons, par exemple, ce que des médecins-pédiatres ont appelé slut-shaming, une sorte de lynchage consistant à rabaisser les jeunes, souvent des jeunes filles, à cause de leur comportement sexuel –leurs pratiques, le nombre de partenaires, leurs attitudes ou leur apparence.

Selon Serge Tisson, psychiatre et psychanalyste, « les cours d'éducation à la sexualité et à la vie affective » doivent être « réellement dispensés. Ce serait l'occasion d'expliquer aux jeunes les limites de la liberté d'expression, le droit à l'intimité, le droit à l'image, la différence entre le harcèlement et le cyberharcèlement, de leur apprendre à gérer les multiples menaces sur leur vie privée ».

Le 8 novembre est la journée nationale de lutte contre le harcèlement : le Gouvernement l'a consacrée, en 2018, au cyberharcèlement sexiste et sexuel.

Je considère que c'est une bonne initiative. Sensibiliser les jeunes à la prévention et à la lutte contre le harcèlement est, je crois, une préoccupation que chacun et chacune d'entre nous partage dans cet hémicycle. Or, pour obtenir des résultats, il faut investir de lourds moyens.

Hormis cette journée du 8 novembre et les campagnes de sensibilisation existantes, que compte faire le Gouvernement pour lutter efficacement contre le harcèlement, le cyber harcèlement et la cyberviolence au sein même de l'institution scolaire ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je partage évidemment votre préoccupation et je vous remercie d'avoir évoqué les actions que nous avons entreprises. Je suis tout à fait d'accord avec vous : ce n'est pas parce que l'on organise une journée contre le cyber harcèlement que l'on s'exonère de notre responsabilité les 364 autres jours de l'année – je l'ai d'ailleurs dit très explicitement le 8 novembre. En réalité, nous menons cette campagne tout au long de l'année. Hier encore, je l'ai relayée sur mon compte twitter, tant ce thème est important et central dans l'ensemble de nos actions.

Cette campagne en complète d'autres que nous avons engagées. Ainsi, il y a une semaine, nous avons lancé une campagne contre l'homophobie et la transphobie, une thématique liée à la lutte contre le harcèlement et le cyber harcèlement.

Comme vous l'avez très bien dit, les problèmes de cyber harcèlement à connotation sexuelle rejoignent les enjeux d'éducation à la sexualité. C'est pourquoi j'ai envoyé, au mois de septembre, une circulaire visant à rendre effective l'organisation de trois séances annuelles sur ces enjeux à l'école primaire, au collège et au lycée. Au cours de ces séances, qui doivent être adaptées à chaque âge de l'enfant, il faut rappeler que le respect d'autrui et de soi-même est central. Nous savons que nos élèves souffrent quotidiennement des problèmes que vous avez évoqués.

Soulignons aussi que la campagne contre le cyber harcèlement démarrée le 8 novembre dernier se focalise sur le cyber harcèlement à connotation sexuelle : elle correspond donc au problème que vous avez bien identifié et dont les jeunes filles sont plus particulièrement victimes. C'est, en effet, un énorme problème, très grave, auquel plus de 10 % des élèves sont confrontés d'une façon ou d'une autre. Nous devons à tout prix inverser la tendance, et je crois que notre volontarisme nous permettra d'y parvenir.

Cela suppose également une formation initiale et continue des acteurs. Nous y travaillons et avons mis en oeuvre une série d'actions que je n'ai pas le temps d'énumérer mais qui sont explicitées sur notre site internet.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Monsieur le ministre, à l'occasion de ce débat sur l'école dans la société du numérique, je veux vous alerter sur un train que notre pays s'apprête à manquer. Allons-nous continuer longtemps à laisser les savoirs, les élèves et les enseignants à la merci du monopole qu'exercent les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – sur l'éducation nationale ?

Malheureusement, lors du récent débat en commission sur le projet de loi pour une école de la confiance, vous avez d'ores et déjà repoussé les amendements visant à requérir l'utilisation des logiciels libres dans les apprentissages. C'est incompréhensible du point de vue de la dépense publique : les GAFAM, qui paient si peu d'impôts en France, ne devraient pas prospérer sur le dos de la commande publique française. C'est aussi incompréhensible sur le fond. Quand on dit « numérique », on pense trop souvent à la Silicon Valley ou aux start-up. Or, aujourd'hui, la modernité se trouve plutôt du côté de l'indépendance, de la transparence et de la mise en commun. Microsoft, Google et Apple ne voient dans nos millions d'élèves et d'enseignants que des publics captifs à qui proposer, non pas une culture technique et scientifique émancipatrice, mais une idée du numérique compatible avec leurs stratégies ; ils veulent créer de la dépendance technique à leurs produits.

Votre projet de loi pour une école de la confiance sera-t-il l'occasion d'émanciper l'école ou de prolonger cette tutelle subie aujourd'hui par votre ministère ? Je pense, par exemple, au programme « Jeunes citoyens du numérique », lancé en décembre dernier sur le campus de Microsoft en présence de votre collègue, M. Attal.

La France doit reprendre son destin numérique en main plutôt que de le laisser aux GAFAM. Souvenons-nous que c'est en Europe, à l'université et au Centre européen pour la recherche nucléaire – deux institutions publiques –, qu'ont été créées deux des briques fondamentales de l'internet : Linux et le web. (M. Jean-Michel Mis applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Il n'y a pas de différence d'état d'esprit entre vous et moi sur ces enjeux. Lorsque je suis arrivé à la tête de mon ministère, j'ai découvert une polémique concernant les liens entre le pôle des partenariats et un opérateur. J'ai alors mis fin à la coopération qui avait été amorcée. Dans le passé, en tant que recteur, j'ai souvent été en pointe sur l'utilisation des logiciels libres. Aujourd'hui, notre cadre législatif et réglementaire encourage l'usage de ces logiciels.

Je réponds en même temps à M. Reiss, qui s'interrogeait tout à l'heure sur l'absence d'éléments relatifs au numérique dans le projet de loi pour une école de la confiance. En réalité, par honnêteté intellectuelle, je n'ai pas cherché à ajouter des dispositions qui existent déjà. Nous avons tout récemment développé un arsenal juridique pour la mise en oeuvre du règlement général sur la protection des données – RGPD –, qui va au-delà de l'éducation nationale mais qui s'applique à notre administration ; nous sommes donc bien conscients des enjeux relatifs à la protection des données, et c'est d'ailleurs ce qui m'a permis de créer le protecteur des données que j'évoquais tout à l'heure.

Sur ce sujet comme sur d'autres, je suis très ouvert à d'éventuels amendements qui nous permettraient d'avancer sur les sujets dont nous débattons aujourd'hui ; cependant, nous nous sommes rendu compte que de nombreux principes avaient déjà été affirmés dans des lois précédentes et qu'il nous reste maintenant à agir dans ce cadre. Je ne suis absolument pas fermé à des amendements sur le sujet du numérique dès lors qu'ils présentent une valeur ajoutée législative par rapport à l'arsenal dont nous disposons déjà.

Oui, nous devons nous protéger contre des usages sans rapport avec la visée éducative. Toutefois, cette ligne directrice n'interdit pas l'utilisation d'opérateurs privés par les élèves ou les professeurs, car les enseignants ont la liberté pédagogique et les élèves ont des usages qu'il faut prendre en compte. Il n'en demeure pas moins que l'éducation nationale a vocation à protéger les données et à encourager l'utilisation de logiciels libres et d'outils communs permettant de garantir à la fois l'accessibilité, la protection et l'égalité numériques dans notre pays.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Falorni.

M. Olivier Falorni. À la rentrée 2019, tous les élèves de seconde générale et technologique suivront le nouvel enseignement commun « Sciences numériques et technologie ». L'enseignement du numérique commence à prendre forme, avec notamment l'annonce de la création d'un CAPES spécifique d'ici à 2020, voire d'une agrégation.

Pour autant, le groupe Libertés et territoires souhaiterait savoir comment les élèves apprendront le numérique sans équipement numérique. Le rapport d'information que nous évoquions tout à l'heure pointe avec justesse les inégalités d'équipement entre les établissements. Elles font d'ailleurs partie des inégalités pointées à l'occasion de l'annonce de la réforme du baccalauréat, qui se creuseront davantage si rien n'est fait. Ainsi, la spécialité « Numérique et sciences informatiques » sera proposée dans seulement 53 % des lycées publics.

Les capacités d'équipement varient selon les établissements. Les petits collèges et lycées sont plutôt mieux équipés que les grands. Les lycées professionnels sont mieux équipés mais plus nombreux à ne pas bénéficier d'un accès à internet à haut débit, car ils sont souvent situés en zone rurale. Et je ne parle pas des établissements en réseau d'éducation prioritaire, qui sont globalement moins équipés.

Monsieur le ministre, vous disiez en août dernier que « le but n'est pas d'arroser tout le pays de tablettes ». C'est vrai. Mais l'absence d'un plan d'équipement ambitieux interroge déjà sur la capacité à accompagner les élèves dans la voie sur laquelle vous emmenez pourtant l'école.

Dans quelle mesure votre stratégie en matière d'enseignement numérique à l'école prendra-t-elle en compte les inégalités d'équipement entre établissements ? À défaut d'un plan national, le groupe Libertés et territoires souhaiterait savoir si vous avez l'intention d'accompagner les collectivités territoriales, aujourd'hui chargées de la maintenance des équipements avec des moyens très peu adaptés.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Il s'agit évidemment d'un sujet essentiel qui prolonge la question posée tout à l'heure sur l'équipement des collectivités locales.

Tout d'abord, le sujet du haut débit est essentiel, car c'est le socle des usages numériques. Vous le savez, le Gouvernement y consacre 3,3 milliards d'euros sur la durée du quinquennat, ce qui est une somme considérable. Ce sera le premier vecteur d'égalité.

Je vous remercie d'avoir souligné l'hétérogénéité de la situation des établissements, parfois un peu contre-intuitive eu égard à ce que l'on dit généralement sur les difficultés de ces derniers. Il est paradoxal de disposer d'un bon équipement en milieu rural ou dans certaines régions alors même que le haut débit n'y est pas disponible. Cette incohérence va se résorber tout au long du quinquennat grâce au déploiement du très haut débit et à nos plans volontaristes visant à garantir l'égalité en matière d'équipement.

S'agissant des écoles rurales, j'ai évoqué tout à l'heure les 25 millions d'euros destinés à accompagner ces établissements dans leur équipement numérique, dans le cadre du troisième volet du programme d'investissements d'avenir, le PIA3. Ce sont, là aussi, des sommes importantes.

Par ailleurs, nous avons noué un partenariat avec les collectivités locales : nos relations avec l'Association des maires de France et présidents d'intercommunalité – AMF –, l'Assemblée des départements de France – ADF – et Régions de France sont très bonnes sur ce sujet, et nous travaillons avec la Caisse des dépôts et consignations pour accompagner les collectivités locales. Ainsi, nous cherchons à établir des modalités saines de coopération entre l'État et les collectivités en matière d'équipement numérique. Ce sujet relève clairement de la compétence des collectivités, qui doivent agir de manière automatique tout en bénéficiant d'un accompagnement stratégique de la part de l'État pour éviter qu'il y ait des trous dans la raquette. Cet accompagnement stratégique suppose, non seulement une planification des moyens budgétaires, mais aussi une activité de conseil. C'est ce que nous faisons avec la Caisse des dépôts et consignations. Nous avons développé le logiciel eCarto, destiné à aider les collectivités locales dans leurs décisions en matière d'équipement numérique.

Nous voulons donc être le conseil des collectivités. Ce rôle caractérisera de plus en plus la relation entre l'État et les collectivités en matière d'éducation, que ce soit sur le bâti scolaire ou sur le numérique. Nous développons une expertise au ministère, dans les rectorats et à la Caisse des dépôts et consignations. Parallèlement, nous menons une activité d'ingénierie financière afin d'accompagner l'équipement des collectivités locales. Nous aurons ainsi un modèle pérenne permettant d'assurer cette équité en équipement que nous souhaitons tous.

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Lioger.

M. Richard Lioger. Le rapport qui nous a été présenté met en lumière un fait incontestable : le numérique a transformé l'école, ses méthodes et ses programmes. C'est un fait social. J'ai même tendance à considérer que c'est un fait social total, comme l'aurait dit Marcel Mauss – c'est l'ethnologue qui parle (Sourires) –, qui va largement révolutionner l'enseignement, comme tout le monde l'a dit. Ce fait social nous incite légitimement à développer des politiques publiques visant à améliorer l'enseignement du numérique dans les établissements scolaires.

Ma question porte sur les déclinaisons locales de ces politiques publiques. Alors que la fracture numérique – j'ai failli dire « facture numérique » (Sourires) – est encore une réalité dans notre pays, notamment dans les communes rurales, comment comptez-vous agir pour réduire les inégalités territoriales en la matière et garantir à chaque enfant de la République, où qu'il vive en France, les mêmes chances d'accéder aux nouveaux dispositifs préconisés ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Votre question me permet de prolonger ma réponse précédente. J'ai indiqué à M. Falorni qu'au sein du PIA3, une somme de 25 millions d'euros était destinée à l'accompagnement des communes rurales. En 2017, une dotation de 5 millions d'euros nous a permis de financer 150 projets pour 800 écoles. En 2018, nous sommes passés à 20 millions d'euros d'engagements pour 2 850 communes et plus de 3 000 écoles. Nous assurons un suivi de ces actions, notamment dans le cadre de notre rôle de conseil que j'évoquais tout à l'heure.

Nous menons aussi des expérimentations en matière d'équipement personnel des élèves en supports de travail. Nous encourageons les élèves à apporter leurs propres outils – j'essaie d'éviter les anglicismes. Il existe également des cofinancements d'équipements mobiles, qui pourront être prêtés aux élèves ne disposant pas de ces appareils à la maison. Là encore, c'est une démarche que nous développons au cas par cas avec les collectivités locales.

La direction du numérique du ministère de l'éducation nationale est évidemment mobilisée sur ces sujets. Comme je l'ai déjà dit, elle travaille avec la Caisse des dépôts et consignations. Nous établissons des cartes permettant de visualiser cette inégalité numérique sur l'ensemble du territoire.

Il existe des liens forts entre le ministère de l'éducation nationale et le secrétariat d'État chargé du numérique, que dirige Mounir Mahjoubi et qui met en oeuvre le fameux plan haut débit.

L'éducation nationale fait partie des administrations les plus concernées par les effets qu'aura ce plan, tout simplement parce que nous sommes le service public le plus diffusé sur le territoire, avec plus de 60 000 implantations. Au travers de l'école, nous aurons un indicateur de la réussite de cette implantation du haut débit. L'école sera aux avant-postes de la réussite de ce plan : c'est pourquoi nous nous y impliquons tant actuellement.

Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Roussel.

M. Cédric Roussel. Emmanuel Macron a fait don de l'Alsace et de la Lorraine à l'Allemagne. Mouammar Kadhafi a été aperçu la semaine dernière au Tchad. Des policiers français ont été filmés, il y a quelques jours, en train de piller un magasin de téléphonie à Paris... Ces affirmations, très largement relayées par les réseaux sociaux récemment, constituent évidemment de fausses informations. Et pourtant, la liste aurait pu être bien plus longue, tant la fréquence et la viralité de ces fake news ne sont plus à démontrer. Ces fausses informations font le lit des extrêmes et participent à l'exacerbation de la violence dans notre espace public.

Enjeu de citoyenneté et de démocratie, le numérique touche également notre école de la République et surtout nos enfants. Il est indispensable que nos jeunes se forment le plus rapidement possible à identifier, confronter et analyser la fiabilité d'une information. Je me suis exprimé plusieurs fois sur le sujet, et je reste persuadé que l'éducation « au » et « par » le numérique doit être une priorité de notre législature. Dans l'objectif de se donner les moyens de renforcer l'éducation aux médias et à l'information, et en lien direct avec le CLEMI – centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information –, êtes-vous favorable à la constitution d'un programme disciplinaire spécifique et autonome, afin d'améliorer la lisibilité des compétences requises et d'aiguiller de manière plus précise les enseignants qui en ont la charge ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Si vous me permettez cette expression, vous avez commis une imprudence que, pour ma part, j'essaye d'éviter : vous avez prononcé des phrases sécables. (Sourires.) J'en suis arrivé à faire attention – je n'y parviens pas toujours – à ce que l'on ne puisse modifier le sens de mes phrases, même par segment. J'espère toutefois que votre second degré remplira son office, à savoir nous alerter sur le complotisme et la généralisation des informations fausses, véritable plaie de notre époque. Nous ne pouvons, bien entendu, que viser cet objectif, la question étant de savoir comment nous y prendre.

Je veux insister sur trois points. Tout d'abord, l'ensemble des missions de l'école doit être relié à cet objectif. C'est que je voulais dire tout à l'heure en évoquant la logique et la culture : si nous réussissons à ancrer les savoirs fondamentaux dès l'école primaire, nous aurons déjà fait le principal pour lutter contre le complotisme et la vulnérabilité aux fausses informations. D'autres moyens pourraient être employés, mais c'est déjà fondamental.

Ensuite, il est vrai que des enseignements spécifiques doivent porter sur ce point, la question étant de savoir où les insérer. Nous avons commencé à les intégrer très fortement dans l'éducation morale et civique. Celle-ci constitue en effet un véhicule pédagogique adapté, car les enjeux de l'éthique numérique viennent s'articuler avec les enjeux moraux classiques.

Nous les insérons aussi dans les enseignements numériques tels qu'ils se développent. Je veux insister sur la généralisation de la formation à la programmation informatique, qui est désormais inscrite au programme de l'école primaire, du collège et du lycée. Cet apprentissage de la programmation présente, selon moi, un double avantage : il permet de développer la logique, avec les vertus que j'indiquais un peu plus tôt, et d'enseigner l'éthique de l'informatique, qui fait partie intégrante des enseignements numériques.

Enfin, il est exact que nous inscrivons dès maintenant cet enjeu dans les référentiels de formation initiale et de formation continue. Nous ne partons pas de zéro puisque nous nous appuyons sur l'expérience très riche du CLEMI, que vous avez eu raison de citer. Il est important de rappeler que le CLEMI, en ce moment-même, propose des outils pour lutter contre le complotisme.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Cordier.

M. Pierre Cordier. Nous examinerons la semaine prochaine le projet de loi pour une école de la confiance. Je regrette que la question du numérique à l'école ne soit pas évoquée dans votre texte ; notre débat est donc particulièrement important. Les statistiques de l'Union européenne montrent qu'en France, à peine 50 % des enfants sont scolarisés dans des écoles équipées de technologie numérique et que seuls 20 à 25 % d'entre eux reçoivent des cours d'informatique.

En 2009, le plan École numérique rurale, dit ENR, de Xavier Darcos, prolongé par Luc Chatel, a permis de réduire la fracture numérique dans les zones rurales. Une dotation de 10 000 euros a été versée aux écoles des communes de moins de 2 000 habitants ayant monté des dossiers : 6 700 communes se sont ainsi équipées de tableaux numériques, d'ordinateurs portables, d'accès internet haut débit, de logiciels et de vidéoprojecteurs. J'étais alors maire d'une petite commune des Ardennes et, sans cette aide, nous n'aurions pas pu équiper notre école.

Le matériel étant devenu vétuste, le plan numérique Écoles numériques innovantes et ruralité, dit ENIR, a été lancé en 2017. Il est cependant moins attractif que l'ENR, car la subvention de l'État couvre seulement 50 % de la dépense engagée pour chaque école, avec un plafonnement à 7 000 euros. Les premiers retours sont-ils satisfaisants ou des financements complémentaires seront-ils nécessaires pour répondre aux attentes des écoles et des mairies concernées ? Dans le département des Ardennes, indépendamment des communes rurales, beaucoup d'écoles et de collèges sont classés en REP ou REP + : un financement est-il prévu pour ces établissements ? Si oui, comment soutiendrez-vous ces communes et départements ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Il y a plusieurs éléments dans votre question. Vous avez, pour commencer, relevé l'absence de disposition sur le numérique dans le projet de loi pour l'école de la confiance. Je veux être très clair afin que cette question ne demeure pas sans réponse de ma part, et dans l'espoir de faire avancer d'un cran la discussion : je ne demande pas mieux, simplement, l'ensemble des enjeux dont nous parlons me paraît pouvoir recevoir une réponse indépendamment d'une nouvelle disposition législative.

J'ai le souvenir des débats que nous avons eus ici même, lors de l'examen de la loi interdisant le téléphone portable dans les collèges : vous m'aviez alors taxé de faire une loi pour rien.

M. Pierre Cordier. Parce que cette loi existait déjà !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je le dis sans malice ni volonté de polémiquer. Je vais sur le terrain et je peux vous assurer que certains collèges qui n'avaient pas encore interdit le téléphone portable le font désormais et s'en trouvent très heureux. Je ne dis pas cela pour rouvrir ce débat, mais parce que je suis d'accord avec l'assertion selon laquelle il ne faut pas adopter des dispositions législatives pour faire des dispositions législatives. Si nos débats font surgir un aspect que nous n'aurions pas vu et qui permette de faire progresser le sujet du numérique, je m'y montrerai très ouvert. Je confirme ce que je dis depuis le début sur le processus d'élaboration de cette loi : elle est faite pour être discutée et amendée. Nous partageons tous ici un socle de convictions sur l'enjeu du numérique : s'il existe un manque législatif, alors il faut le signaler ! Par contre, je ne veux pas faire de la redondance législative, alors même qu'un certain nombre de progrès ont été accomplis ces derniers mois. Je n'ai jamais affirmé que cette loi devait épouser tous les sujets mais, sur le numérique, s'il est possible d'apporter de la valeur ajoutée, j'en tiendrai compte bien volontiers.

Ensuite, sur la question de l'équipement numérique rural, vous avez eu raison de saluer les étapes précédentes ; je les salue également. Si nous nous situons dans la continuité de ce qui a été fait, l'objectif n'est toutefois pas de refaire exactement la même chose. Nous voulons, au contraire, contribuer à pérenniser la logique de l'équipement par les communes, d'où cette idée de cofinancement dans l'esprit du PIA, c'est-à-dire une logique d'investissement sur projet. Il est encore trop tôt pour disposer de retours puisque l'opération a débuté en 2017, soit il y a seulement un an et demi, mais une évaluation en sera, bien entendu, faite. Mes visites d'écoles sur le terrain me rendent assez optimiste sur le sujet : je vois très souvent des tableaux numériques, y compris dans les écoles rurales, et surtout une maturité dans l'approche du numérique de plus en plus forte dans le premier degré en France.

Mme la présidente. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Le numérique et le haut débit bouleversent notre monde. Ils ouvrent d'énormes potentialités pour les sciences de l'éducation, pour l'école, pour la construction du rapport des personnes au monde et à autrui. Mais, comme le souligne l'excellent rapport parlementaire de notre collègue Bruno Studer, la révolution du numérique et du haut débit met également au défi l'école, l'éducation aux médias, l'accès au vrai savoir et la construction intellectuelle des jeunes.

Il est un département de France où 55 % de la population a moins de vingt ans, où 50 % de la population a moins de dix-sept ans : il s'agit de Mayotte, que vous commencez à connaître puisque vous vous y êtes rendu récemment. Cette jeunesse a une soif d'ouverture au monde, une soif de connaissance. Cette jeunesse en construction a soif de trouver sa place dans la société française, soif de liberté et d'égalité républicaine.

Mais Mayotte est un désert numérique. Les connexions sont en bas débit – et encore, lorsqu'il y a connexion, toute une partie du territoire étant une zone blanche téléphonique et numérique. À Mayotte, point de tablette éducative, point de tableau numérique, point d'accès au très haut débit et donc d'accès à la connaissance comme ailleurs.

En réalité, la problématique de l'école face au défi du numérique à Mayotte pose la question de l'égalité des chances. S'il est absolument nécessaire de mettre à niveau les structures éducatives et d'augmenter le nombre des personnels de l'éducation nationale, il est un autre impératif incontournable : l'accès au très haut débit numérique pour tous. Il conditionne l'égalité d'accès au savoir, l'égalité d'accès aux outils numériques de formation, l'égalité de tous nos enfants pour se construire dans le nouveau monde.

Le désert éducatif numérique actuel à Mayotte est une opportunité à saisir : puisque nous partons de rien, mettons en oeuvre à Mayotte les technologies très haut débit les plus récentes, les matériels les plus innovants, les outils pédagogiques les plus efficaces. C'est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de faire de Mayotte le rectorat le plus moderne de France en matière numérique grâce à un plan « école numérique 2020 » à l'occasion de l'élévation prochaine du vice-rectorat en rectorat. Permettez à la formidable jeunesse de Mayotte d'être connectée au monde en très haut débit, d'apprendre en très haut débit, de se développer en très haut débit. La jeunesse de Mayotte a besoin de vous !

Je conclurai en citant le président Jacques Chirac : « La démocratie, c'est l'égalité des droits, mais la République, c'est l'égalité des chances. » (« Très bien ! » sur les bancs du groupe LR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je suis heureux de pouvoir vous répondre sur les enjeux de Mayotte dans un contexte dont nous pouvons dire qu'il est favorable puisque les particularités de Mayotte ont été prises en compte. Nous avons, autour de la table du Premier ministre et en votre présence ainsi que celle d'autres élus de Mayotte, convenu de passer à une nouvelle étape avec notamment de nouveaux investissements en matière éducative. En cette année 2019, 80 millions d'euros d'engagements sont affectés au bâti scolaire, qui comporte des éléments numériques tels que le câblage des établissements.

Par ailleurs, vous avez rappelé, et je vous en remercie, l'élévation du vice-rectorat de Mayotte au rang de rectorat. Cette musculation, en quelque sorte, des moyens de gestion de Mayotte va de pair avec le développement d'une vraie capacité de planification numérique du rectorat à destination de l'ensemble des écoles de Mayotte. Le contexte est donc favorable, d'un point de vue matériel, avec les chiffres et les évolutions institutionnelles que je viens d'indiquer, mais aussi, et c'est plus important, d'un point de vue immatériel : nous contribuons à créer un contexte d'optimisme, non seulement parce que nous mettons des moyens, mais aussi parce que nous avons une ambition de progrès pour Mayotte.

Cet investissement s'inscrit dans les investissements généraux que nous faisons pour la France, qui incluent Mayotte : dans le cadre du PIA3, le programme pour les écoles rurales concerne aujourd'hui vingt et une communes de Mayotte qui ont déposé un projet ; dix-huit collèges sont concernés par un financement de 900 000 euros pour l'équipement informatique. Une évolution importante est amorcée ; nous suivrons attentivement tout cela dans le cadre du nouveau rectorat. Le recteur sera aux avant-postes de cette modernisation numérique du système scolaire de Mayotte.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Permettez-moi d'abord, monsieur le ministre, de vous dire que je suis toujours impressionné par votre connaissance des chiffres, des situations des départements, des fermetures ou des réouvertures de postes : il ne fait pas bon vous poser une question ! (Sourires.) Mais là n'est pas le sujet aujourd'hui.

Tout le monde sent que le numérique constitue un des très grands enjeux de notre époque et de tout ce qui va suivre. Je suis de ceux qui considèrent qu'au cours des trente dernières années, nous avons subi le numérique plus que nous n'en avons pris les commandes, faute d'équipements et de connaissances. Il a ouvert une perspective totalement nouvelle qui a tout révolutionné.

Comme on le lit un peu partout et comme mes collègues l'ont déjà souligné, le numérique entre dans les écoles avec toute sa complexité. Les enseignants s'impliquent beaucoup, n'hésitant pas à renouer avec le caractère bénévole de leur engagement. Cependant, cela ne réussira que si nous arrivons à suivre sur le plan technique : il faut que la fibre arrive partout, sinon ce sera difficile.

Je voudrais enfin dire que ce qui manque le plus, c'est peut-être un État stratège, qui s'approprierait totalement cette dimension et fixerait un cap. Le numérique chamboule tout, y compris les éléments les plus sensibles de la transmission du savoir dans toutes ses dimensions : le chantier est énorme. À l'État de montrer la voie.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C'est une bonne question de conclusion, qui permet la mise en perspective indispensable de ce sujet.

Je reprendrai les termes que j'ai utilisés tout à l'heure et qui sont vecteurs en la matière : protection et ambition, la protection étant la condition de l'ambition.

Nous devons protéger nos enfants contre la passivité, contre le risque de ne pas être des sujets actifs dans le monde où ils sont appelés à évoluer, mais des individus qui subissent passivement des flots d'informations et des logiques technologiques sans les comprendre. C'est pourquoi il est si important de se donner des objectifs de protection, ce qui se traduit, au ministère de l'éducation nationale, par l'installation d'un protecteur de données, la définition de règles et une philosophie très clairement posée, exempte de toute naïveté. Il ne s'agit pas de sauter sur sa chaise en criant « Le numérique ! le numérique ! Le numérique ! » en attendant des résultats magiques. Nous faisons preuve, au contraire, d'une lucidité vigilante vis-à-vis des enjeux de protection, qu'ils portent sur les données, sur les usages néfastes ou sur toutes sortes d'éléments qui ne sont pas bons pour les enfants et les adolescents. De ce point de vue, la société numérique dans laquelle nous entrons nous rappelle à nos devoirs d'éducation au sens fort du terme.

La protection est donc une notion clé, qui ne s'oppose pas à l'ambition ; elle en est même la condition. Et l'ambition est très forte. Nos enfants doivent apprendre et connaître le numérique. On parle souvent de générations X, Y ou Z mais, en réalité, les enfants et les adolescents ont généralement une connaissance superficielle du numérique. Ils doivent connaître la programmation, savoir ce qu'il y a dans la machine, comprendre les enjeux du numérique, avoir été éduqués à l'éthique du numérique. Tous ces sujets d'approfondissement ne sont pas seulement des sujets techniques, ce sont aussi des sujets éthiques.

Éduquer au numérique est, à mes yeux, essentiel, mais nous devons aussi éduquer par le numérique, ce formidable levier d'apprentissage. Tout ce que j'ai dit jusqu'ici va aussi dans ce sens. Ce levier fantastique permet de personnaliser les usages, je l'ai dit, les profils des élèves, d'adapter les réponses à chaque enfant. On peut ainsi lutter contre les dyslexies de manière assez efficace par le numérique. On peut rendre ludiques des apprentissages a priori rébarbatifs.

Le numérique a donc un potentiel formidable, à condition que la lucidité soit au service de la réussite. Les deux vont ensemble. Le service public de l'éducation nationale permet à notre école d'être aux avant-postes de ces enjeux à l'échelle mondiale parce que nous sommes un des rares pays à avoir un système national d'éducation. Il nous permet d'être plus efficaces en termes de protection, mais aussi en termes de levier pour être un pays qui innove, invente, montre un chemin, que ce soit sous l'angle de la protection ou celui de l'ambition.

Du point de vue de la protection, l'interdiction des téléphones portables à l'école, par exemple, a fait parler dans le monde entier et certains pays commencent à nous imiter. Du point de vue de l'ambition, nous pouvons être un laboratoire et un levier des technologies de l'éducation. Nous avons installé, il y a quelques mois, au ministère de l'éducation nationale, le « 110 bis », un laboratoire qui a vocation à se répliquer dans les rectorats de France. Il illustre ce que nous souhaitons pour chaque établissement : que l'institution éternelle qu'est la bibliothèque, au centre de l'établissement, soit couplée à un laboratoire où les usages numériques deviennent naturels et permettent l'esprit d'équipe et le travail collectif.

Mme la présidente. Le débat est clos.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 11 février 2019