Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur le rôle de certains diplomates dans l'aide apportée aux Juifs pour fuir les persécutions nazies, à Paris le 24 janvier 2019.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Inauguration de l'exposition "Au-delà du devoir : des diplomates reconnus Justes parmi les Nations" à Paris le 24 janvier 2019

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Etat d'Israël, cher Reuven Rivlin,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames les Ambassadrices, Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Président du Comité français pour Yad Vashem,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,


C'est un très grand honneur pour moi d'accueillir ici, au Quai d'Orsay, le président de l'Etat d'Israël, et tout particulièrement aujourd'hui, en ce 24 janvier.

Il y a soixante-dix ans jour pour jour, mon prédécesseur, Maurice Schuman, établissait par un échange de lettres avec Maurice Fischer, le représentant du Gouvernement provisoire d'Israël à Paris, les relations diplomatiques entre nos deux pays. La France fut parmi les premiers à reconnaître l'Etat d'Israël. Elle fut pour le jeune Etat, encore fragile et déjà menacé, un soutien fidèle et déterminant. Elle reste profondément attachée à la sécurité d'Israël. Et elle sait pouvoir compter, Monsieur le Président, sur l'appui d'Israël face à l'ennemi commun qu'est le terrorisme. Cette solidarité, j'ai pu la vivre, moi-même, et la mesurer, à des moments décisifs, récemment. L'amitié entre nos deux pays n'est pas un vain mot. Depuis soixante-dix ans, elle a tissé un écheveau de relations humaines, intellectuelles et affectives que rien ne saurait défaire. C'est un trésor dont nous sommes les dépositaires.

Mais la diplomatie, ce ne sont pas que les rapports entre Etats, fût-ce entre Etats amis. Ce sont aussi des individus, des hommes et des femmes, face à l'histoire. Et les diplomates dont nous honorons aujourd'hui la mémoire ont en commun d'avoir, dans l'exercice de leurs fonctions, sauvé des Juifs voués à la mort par l'extermination nazie. Outrepassant les instructions, ignorant les règles, contournant les hiérarchies, ils ont offert à des Juifs persécutés des passeports, des visas, et parfois la protection de leurs ambassades. En se plaçant "au-delà du devoir" - c'est le titre de cette exposition - ils ont su faire prévaloir un devoir plus fondamental que les autres, le devoir d'humanité. Ils ont risqué pour cela leur carrière, leur sécurité, et parfois leur vie. C'est à ce titre qu'ils ont été reconnus par l'Institut Yad Vashem de Jérusalem, dont je salue ici le formidable travail, à la fois d'histoire et de mémoire, c'est à ce titre qu'ils ont été reconnus "Justes parmi les Nations".

Certains parmi ceux qui sont ici leur doivent la vie. Les diplomates, dans leur ensemble, leur doivent l'honneur de leur profession. Ils sont trente-quatre à être distingués aujourd'hui. J'aimerais plus particulièrement citer ceux qui ont agi sur notre territoire et ont ainsi sauvé des filles et fils de France : Aristide de Sousa Mendes, consul du Portugal à Bordeaux ; Luis Martins de Souza, ambassadeur du Brésil à Paris ; Vladimir Vochoc, consul de Tchécoslovaquie à Marseille ; Albert-Emile Routier, consul honoraire de Turquie à Lyon ; Florian Manoliou, attaché économique de l'ambassade de Roumanie ; Eduardo Propper, consul d'Espagne à Bordeaux. D'autres ont su, dans les mêmes circonstances, faire preuve du même courage et de la même lucidité. Je souhaite qu'ils puissent bénéficier de la même reconnaissance et je sais que Yad Vashem poursuit inlassablement ses investigations en ce sens.

Je suis aussi profondément convaincu que cette leçon tirée des années noires vaut aussi pour notre temps. La mémoire de la Shoah n'est pas seulement une obligation de respect et de fidélité envers les morts, mais aussi un devoir de vigilance envers les vivants. La France n'a pas peur de regarder son Histoire en face. Celle d'un pays qui, voici un siècle, s'est "entredéchiré pour l'honneur d'un petit capitaine juif", pour reprendre le mot du père d'Emmanuel Levinas à son arrivée à Paris. Celle d'un pays dont la mémoire reste blessée à jamais par la participation active du gouvernement de Vichy, de ses fonctionnaires, de sa police, de simples citoyens, à la mise en oeuvre de la Solution finale.

Nous le savons, l'antisémitisme, qu'on avait cru effacé à jamais, réapparaît aujourd'hui sous des formes nouvelles, au défi de la mémoire, remettant en question la vérité historique. Durant des décennies, les chiffres, les récits des témoins directs, l'horreur des photographies ont rendu plus difficile de haïr et plus difficile encore d'exprimer la haine. Mais cette époque semble aujourd'hui révolue. Sur le sol de la République française, des Juifs ont de nouveau eu à souffrir, ont de nouveau eu à dissimuler ce qu'ils étaient. Et au cours des dernières années, des hommes, des femmes et des enfants ont été assassinés, au seul motif qu'ils étaient juifs. Il est parfois difficile d'enseigner l'histoire du Génocide. Face à ce constat alarmant, la main de l'Etat ne doit jamais trembler. Et je vous assure, Monsieur le Président, qu'elle ne tremblera pas. Le président Macron l'a dit avec force hier soir, et nous en avons parlé, tous les deux, lors de ma dernière visite en Israël.

Voilà, Monsieur le Président, ce que je voulais rappeler ici, en vous remerciant de votre attention et en vous invitant à prendre la parole. Merci.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 février 2019