Déclaration de M. Franck Riester, ministre de la culture, sur l'avenir du cinéma français, la production et la distribution et l'économie du secteur, Paris le 28 mai 2019.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l'avenir du cinéma français.

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande du débat dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, cela faisait longtemps – une bonne dizaine d'heures ! – que nous n'avions pas eu l'occasion d'échanger sur les questions culturelles ! (Sourires.)

Je suis ravi de vous retrouver pour évoquer un sujet d'actualité, après ce très beau Festival de Cannes, qui a une nouvelle fois mis en avant le cinéma, en particulier le cinéma français. Je tiens à vous remercier de votre invitation à débattre de l'avenir du cinéma français. Cher Jean-Pierre Leleux, je vous remercie d'avoir pris l'initiative de ce débat, au nom du groupe Les Républicains. Je salue surtout votre sens du calendrier !

L'avenir du cinéma français, c'est le cinéma de Mati Diop, tantôt social et réaliste, tantôt onirique et mystique, un cinéma qui mélange les genres et surprend constamment ; c'est le cinéma ardent, percutant, furieusement authentique de Ladj Ly, dont l'empathie nous emmène au-delà des apparences, des clichés, des idées reçues sur nos quartiers ; c'est le cinéma résolument féministe de Céline Sciamma, qui chemine au plus près de l'émotion pour scruter l'étincelle qui déclenche la passion.

Mati Diop, Ladj Ly, Céline Sciamma : tous les trois ont été récompensés samedi soir au Festival de Cannes. Cela me porte à croire que l'avenir du cinéma français est déjà là. Il est fait de leurs visages et de leurs noms. Il est fait de leur talent, de leur jeunesse, de leur audace folle, de leurs films merveilleux. Il est fait de ces voix qu'ils portent jusqu'à nous, et des regards qu'ils posent sur le monde : des regards singuliers, qu'ils nous font partager et qui changent un peu les nôtres.

En tant que ministère des artistes, le ministère de la culture a une responsabilité : la responsabilité d'aider les cinéastes de demain à émerger, de leur permettre de s'exprimer, de créer, de se révéler, de rayonner.

Le cinéma français nous a rappelé à quel point il est capable de rayonner. Il a rayonné à Cannes ; je viens de l'évoquer. En plus des trois films français présents au palmarès, deux autres sont des coproductions françaises. C'est sans précédent dans l'histoire du Festival de Cannes.

Le cinéma français a rayonné aussi dans nos salles. En 2018, les films français y ont représenté plus de 40 % des entrées. À titre de comparaison, la part de marché du cinéma national est de 24 % en Allemagne, de 18 % en Espagne ou de 12 % au Royaume-Uni. C'est un succès d'autant plus significatif que la fréquentation de nos salles de cinéma s'est maintenue à plus de 200 millions d'entrées, pour la dixième année consécutive, soit quasiment le double du nombre annuel d'entrées en Allemagne.

Ces chiffres sont éloquents : la France est une nation de cinéphiles. Ainsi, 65 % de nos concitoyens se rendent au cinéma au moins une fois par an, ce qui en fait la sortie culturelle la plus populaire. Et ils s'y rendent partout sur le territoire : une salle sur deux se trouve dans une commune de moins de 10 000 habitants ; c'est d'ailleurs dans les plus petites agglomérations que la fréquentation a tout particulièrement progressé au cours des dernières années.

Le cinéma français rayonne également sur l'économie du pays. Grâce à la réforme des trois crédits d'impôt dédiés à la production cinématographique et audiovisuelle, la France est redevenue attractive pour les tournages. Le taux de délocalisation des dépenses des films français a été divisé par deux. Plus de 500 millions d'euros de dépenses de tournage supplémentaires ont été effectuées dans notre pays chaque année. Enfin, 15 000 emplois ont été créés. Aujourd'hui, la filière du cinéma et de l'audiovisuel représente 0,8 % du PIB et 340 000 emplois.

Ces chiffres, ces succès, ce rayonnement du cinéma français ne viennent pas de nulle part. Ils sont le fruit d'une politique publique volontariste engagée par la France voilà soixante-dix ans et patiemment poursuivie depuis, une politique en faveur du cinéma qui a doté la France d'un modèle unique au monde, appréhendant et incluant tous les maillons de la filière : auteurs, producteurs, distributeurs, ainsi que l'ensemble des diffuseurs, qu'il s'agisse des salles de cinéma, des éditeurs de vidéos, des chaînes de télévision, des fournisseurs d'accès à internet, des plateformes de téléchargement à l'acte ou par abonnement.

Pour permettre au cinéma français de briller demain davantage encore, il faut défendre ce modèle. Pour cela, il faut l'adapter aux grands enjeux d'aujourd'hui et de demain. J'en vois trois.

Le premier enjeu est celui de l'égalité et de la diversité. Dans le cinéma, comme dans trop d'autres domaines, nous sommes encore loin de l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous sommes toutefois sur la bonne voie. Cette année, treize réalisatrices ont été sélectionnées au Festival de Cannes, toutes sélections confondues. C'est un record. Ce n'est pas suffisant et beaucoup reste à faire, mais nous progressons, notamment grâce à la mise en place par le Centre national du cinéma et de l'image animée, le CNC, d'une mesure forte : un « bonus parité » pour l'attribution de ses aides, chère Frédérique Bredin. Un quart des films soutenus depuis le début de cette année ont pu en bénéficier. Il faut aller encore plus loin sur la question de l'égalité, comme sur celle de la représentation de la diversité. Trop souvent, les écrans ne montrent qu'une partie de notre société ; trop souvent, ils occultent sa diversité. Or, pour que le cinéma parle à tous, il faut qu'il parle de tous. C'est pourquoi le CNC organisera de nouvelles assises à la rentrée prochaine, sur le thème de la diversité. J'en suis convaincu, pour continuer à attirer le public dans les salles, le cinéma doit s'emparer encore davantage de ces questions.

Le deuxième enjeu est celui de la régulation des géants du numérique. Ce n'est pas parce que ce sont des géants qu'ils peuvent échapper à toute régulation. Ils nous disent en être conscients, mais tous ne le démontrent pas… Cependant, certains sont même demandeurs : Facebook s'est montré prêt à coopérer avec la France sur le sujet des contenus haineux et de la violence en ligne lors de la rencontre entre le Président de la République et Mark Zuckerberg.

Mais ils doivent également coopérer sur d'autres sujets et contribuer, comme les autres acteurs, au financement de la création, à la diversité culturelle et au respect des droits des auteurs. Il nous faut donc intégrer les acteurs du numérique à notre modèle de financement de la création audiovisuelle et cinématographique.

Cela passe d'abord par un rééquilibrage du poids de la fiscalité et de la réglementation entre les diffuseurs « historiques » du cinéma et les nouveaux entrants que sont les plateformes numériques. C'est un enjeu d'équité, de neutralité technologique et économique et de simplification. En matière fiscale, un premier pas a été franchi avec la mise en place, en 2018, d'un prélèvement de 2 % sur le chiffre d'affaires des plateformes de diffusion, qu'elles soient gratuites ou payantes. Mais nous souhaitons aller plus loin, ce qui contribuera à consolider les ressources du CNC dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020.

L'intégration des nouveaux acteurs à notre modèle passera aussi par le projet de loi qui transposera la directive « services des médias audiovisuels », ou SMA. Il s'agira d'une loi ambitieuse.

Elle sera ambitieuse en matière d'obligations de diffusion : la directive SMA prévoit que les plateformes proposent au moins 30 % d'oeuvres européennes. Non seulement c'est un minimum, mais nous ferons en sorte que les oeuvres européennes soient mises en valeur dans les recommandations personnalisées.

La loi sera ambitieuse aussi en matière d'obligations d'investissement.

Enfin, elle le sera pour garantir l'indépendance de nos entreprises de production par rapport aux plateformes. L'arrivée de ces nouveaux financeurs, riche en potentialités, ne doit pas transformer notre filière en une simple activité de sous-traitance.

La transposition de la directive doit également permettre d'inscrire dans la loi les règles de transparence sur les données d'exploitation des oeuvres qui s'appliqueront à tous les diffuseurs, plateformes comprises. C'est indispensable pour s'assurer du respect du droit d'auteur et des droits voisins. Plus généralement, cette transparence est la base de la relation de confiance entre tous les acteurs de la chaîne de valeur.

La loi offrira enfin l'occasion de renforcer la lutte contre les sites pirates, notamment de piratage « en flux » et de téléchargement direct.

Le dernier enjeu de l'adaptation de notre politique est le nécessaire renforcement des entreprises de production et de distribution, parce que pérenniser l'exception culturelle, ce n'est pas seulement aider à la création des oeuvres.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Franck Riester, ministre. C'est aussi permettre à la production et à la distribution d'attirer de nouvelles sources de financement privé et de mieux se structurer ; je pense en particulier à la production indépendante.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux que l'avenir du cinéma français soit radieux. Pour cela, notre cinéma devra être plus paritaire, plus représentatif de la diversité. Il devra intégrer les acteurs du numérique à son modèle de financement, et sa production et sa distribution devront être renforcées.

Voilà quelques-uns des combats que nous aurons à livrer. Pour les mener, vous pouvez compter sur ma détermination. La France est la patrie du cinéma, et elle le sera encore demain ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)


- Débat interactif -

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Olivier Léonhardt.

M. Olivier Léonhardt. Sur ce sujet de l'avenir du cinéma français comme sur nombre d'autres, rien ne sera possible sans un partenariat étroit entre l'État et les territoires, rien ne sera efficace sans un travail en confiance avec les acteurs et les élus locaux, qui accompagnent au quotidien les dynamiques d'innovation et de développement économique.

C'est une des leçons qu'il faut tirer du grand débat national. Je me félicite que le Président de la République ait appelé à un nouvel « acte de décentralisation ». Ce nouvel acte de décentralisation, il faut maintenant le traduire le plus rapidement possible dans les faits, car des dynamiques locales particulièrement remarquables sont à l'oeuvre et doivent être encouragées et soutenues.

C'est le cas du projet du Backlot 217, situé dans mon département, l'Essonne, sur le site de l'ancienne base aérienne 217, au Plessis-Pâté. C'est un lieu exceptionnel, avec 300 hectares de terrains qui ont d'ores et déjà accueilli des décors extérieurs destinés au tournage de films, notamment L'Empereur de Paris, nominé pour le César 2019 du meilleur décor.

Aujourd'hui, le succès du Backlot 217 est le fruit d'un partenariat actif entre Coeur d'Essonne agglomération et la société TSF Studios, acteur cinématographique majeur en France et en Europe depuis 1979. Cette dernière souhaite désormais investir 14 millions d'euros pour construire 14 000 mètres carrés de plateaux, et 10 hectares de terrains supplémentaires pourraient être proposés afin de réaliser ce projet.

À ce sujet, Serge Siritzky, personnalité reconnue du cinéma et des métiers de l'audiovisuel, disait lui-même, dans un rapport remis au CNC au mois de mars dernier, que l'emplacement et la superficie du Backlot 217 permettraient « d'accueillir un studio de taille répondant aux standards internationaux », à l'instar de ceux que l'on trouve chez nos voisins européens.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Olivier Léonhardt. Dernièrement, les médias se sont également fait l'écho de ce futur « Hollywood à la française ».

Monsieur le ministre, je souhaite poursuivre cette discussion avec vous à l'issue de cette séance, car le sujet est important. Je vous remercie, madame la présidente, de m'avoir accordé quelques secondes supplémentaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, c'est avec grand plaisir que j'échangerai avec vous sur ce sujet après cette séance.

Vous avez raison, les collectivités territoriales sont des acteurs essentiels de la culture et des politiques culturelles partout sur le territoire. Le rôle de l'État est d'accompagner leurs initiatives.

Vous avez évoqué la décentralisation : l'État, en matière culturelle, va aller plus loin en termes de déconcentration, en donnant davantage de pouvoirs aux DRAC. Il est prêt à envisager, région par région, comme il l'a fait en Bretagne, d'éventuelles délégations de compétence en matière d'industries culturelles, notamment de cinéma.

J'en viens au sujet particulier que vous avez abordé. Grâce à la richesse du cinéma français, à l'ambition que nous avons en matière cinématographique et audiovisuelle et aux outils qui sont à notre disposition, comme le crédit d'impôt, qui permet non seulement d'éviter la délocalisation de tournages de films ou de séries hors de nos frontières, mais aussi d'attirer des tournages venant de l'étranger, nous pouvons mener une politique de développement d'une filière « tournages » sur notre territoire.

Il existe un projet à Nice, avec les studios de la Victorine, un autre à Cannes, un autre encore dans les Hauts-de-France, où le festival Séries Mania permet d'entrevoir des perspectives très intéressantes. En région parisienne, il y a le projet que vous avez évoqué et un autre à Bry-sur-Marne, en lien avec l'Institut national de l'audiovisuel, l'INA.

On le voit, notre pays dispose d'un véritable potentiel pour développer la création audiovisuelle et cinématographique, et créer non seulement des emplois, mais aussi une véritable filière économique, au service de la création et de l'économie de notre pays.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Représentant plus de 100 000 emplois, le cinéma français est une industrie, qui se trouve, à son tour, gravement menacée. L'arrivée en force de plateformes telles que Netflix ou Amazon a conduit le président de Gaumont, Nicolas Seydoux, à tirer la sonnette d'alarme, en évoquant une « guerre culturelle » entre ces plateformes et le cinéma. La fréquentation des salles a même baissé de 4,3 %.

Dès lors, ceux-là mêmes qui étaient les apôtres de l'ouverture, du multiculturalisme et de la diversité dans tous les secteurs de l'économie sont pris de panique devant le scénario possible de la perte, pour certains, de juteux bénéfices, et, pour d'autres, de leur emploi. On n'hésite pas à brandir l'« exception culturelle française », sorte de préférence nationale à peine déguisée… (MM. David Assouline et Roger Karoutchi s'esclaffent.)

Au-delà de l'ironie et de l'hypocrisie, convenons que le cinéma français est une exception. Avant d'être une industrie, il est un art. Si, outre-Atlantique, le cinéma rapporte, en France, il apporte : il apporte des émotions aux spectateurs grâce à des scénaristes de génie, des metteurs en scène exceptionnels, des acteurs qui, pour certains, sont devenus des monstres sacrés, au point que le calamiteux Festival de Cannes a été obligé cette année de rendre un hommage au très politiquement incorrect Alain Delon ! (M. Roger Karoutchi rit.)

De la trilogie marseillaise de Marcel Pagnol aux Petits Mouchoirs, en passant par Les Tontons flingueurs, Bienvenue chez les Ch'tis, La Grande Vadrouille ou encore Tous les matins du monde, le cinéma français est riche d'être terriblement français. Ce qui constituait l'exception de notre cinéma, c'est qu'il était beau, vrai, indépendant, talentueux, audacieux, dérangeant, enraciné : en un mot, populaire !

Attaqués par le libéralisme consumériste et par le prêt-à-penser, qui se traduit par le prêt-à-filmer, le prêt-à-jouer, les Français se détournent d'un cinéma subventionné, politisé, aseptisé, qui ne les fait plus rêver, qui ne les divertit plus, dans lequel ils ne se reconnaissent plus.

Rappelons-nous ce cri de détresse poussé par Louis de Funès, alias Don Salluste, ministre des finances à la cour d'Espagne dans La Folie des grandeurs, alors qu'il vient d'être révoqué par la reine : « Mais qu'est-ce que je vais devenir ? Je suis ministre, je ne sais rien faire ! » (Sourires.)

Monsieur Riester, vous qui êtes encore ministre, que pouvez-vous faire pour préserver cette exception culturelle et populaire que représente encore le cinéma français ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, je m'en tiendrai dans ma réponse au début et à la fin de votre intervention, ayant eu quelque difficulté à suivre le reste de votre propos…

Oui, le cinéma est un art qui crée des émotions exceptionnelles, partagées par les spectateurs dans des salles dont je tiens à réaffirmer devant vous, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la place essentielle. Ces boîtes noires rassemblent des Françaises et des Français d'origines diverses, de milieux sociaux variés, qui n'ont pas forcément les mêmes idées mais se retrouvent autour d'un film. C'est un élément fondamental, une spécificité qu'il faut défendre.

Par ailleurs, comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, si le cinéma français est vivant, c'est grâce à soixante-dix ans de mobilisation de tous les intervenants dans la filière, les producteurs, les diffuseurs, les metteurs en scène, les réalisateurs, les acteurs, tous les techniciens qui, de près ou de loin, travaillent sur les films, les compositeurs de musique – on oublie trop souvent la dimension musicale du cinéma.

Les pouvoirs publics ont bien évidemment eux aussi joué leur rôle, en mettant en place un écosystème bénéfique à la création cinématographique française et à sa diversité, laquelle s'est une nouvelle fois exprimée de la plus belle des manières lors du dernier Festival de Cannes, qui est décidément le plus beau festival de films du monde.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de la Provôté.

Mme Sonia de la Provôté. Depuis 1991, le label « art et essai » préserve la filière du cinéma indépendant. Sans cette aide, elle ne pourrait irriguer à la fois les cinémas emblématiques des centres-villes et certaines zones rurales plus isolées. Particularité française, les salles d'art et d'essai maintiennent un lien social et une diversité culturelle très précieux.

On a besoin, plus que jamais, de films qui offrent un point de vue singulier, complexe et sensible sur le monde contemporain ou présentent de nouveaux imaginaires. Ces films sont cependant de plus en plus difficiles à produire.

Aujourd'hui, le réseau « art et essai » regroupe 1 182 établissements, soit près de la moitié des cinémas hexagonaux. Aux antipodes de la plupart des grands réseaux, qui se financent en visant un large public avec des blockbusters, ces petits exploitants font parfois vivre les derniers lieux culturels de proximité implantés dans des zones rurales. Ils sont donc de vrais vecteurs de diffusion de la culture sur notre territoire et d'animation des centres-villes.

Pourtant, ces cinémas sont confrontés à de réels problèmes financiers, surtout quand ils subissent la concurrence frontale d'un multiplexe, ce type de structure représentant la grande évolution intervenue dans la diffusion ces dernières années. Nombre d'entre eux sont aidés par les municipalités ou les intercommunalités. Un cinéma sur deux est lié à une collectivité. Ils subissent donc les effets cumulés de la baisse des dotations budgétaires et de la réforme territoriale. Au-delà, la concurrence accrue des multiplexes et leur positionnement sur la diffusion des films d'art et d'essai dits « porteurs » sont inquiétants. Or parmi les critères permettant de caractériser le réseau « art et essai » figure justement la volonté de diffuser les oeuvres qui le sont peu en France ou celles qui n'ont pas obtenu l'audience qu'elles auraient méritée. Il y a là un risque que les catégories « cinéma art et essai » et « distributeur indépendant » ne recouvrent plus les mêmes réalités et ne relèvent plus d'une communauté d'intérêts. Pour les petites salles, il y a menace de disparition ou d'obsolescence programmée…

Alors que la filière du cinéma se trouve dans une situation difficile, quelles mesures comptez-vous prendre, monsieur le ministre, pour préserver l'exception culturelle des salles « art et essai », précieux et formidables vecteurs d'un accès différent à la culture pour tous nos territoires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Madame la sénatrice, vous avez raison, les salles « art et essai » tiennent une place essentielle dans le parc de salles de notre pays, parce qu'elles sont au plus près des territoires, et donc de nos compatriotes.

Ce réseau, qui compte quelque 1 200 salles, est le fruit d'une histoire, de la mise en oeuvre de politiques publiques destinées à accompagner cette spécificité française. Par exemple, le fonds d'aide à la numérisation ou le fonds d'aide à l'adaptation des salles pour l'accès des personnes à mobilité réduite ont permis de moderniser des salles qui, sans cela, n'auraient pas pu l'être, les exploitants et les communes concernées ne disposant pas de moyens suffisants. Le CNC continue, au travers d'aides bien spécifiques, à agir pour l'amélioration des salles « art et essai ».

Il y a aussi l'accompagnement de l'exploitation au quotidien. Le CNC a fait le choix d'augmenter le budget annuel consacré aux salles « art et essai ». Il est ainsi passé de 15 millions à 16,5 millions d'euros, ce qui permet de mieux accompagner les politiques d'ouverture à de nouveaux publics – je pense aux scolaires, mais aussi aux personnes âgées. Il s'agit de mettre en place une solidarité intergénérationnelle au travers de ces salles.

Nous continuerons dans cette voie, qui permet à la fois d'assurer un maillage territorial et de mettre en avant des productions cinématographiques dont la diversité participe, à notre sens, de la qualité du cinéma français.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour la réplique.

Mme Sonia de la Provôté. La concurrence des multiplexes sur le créneau « art et essai » fragilise davantage encore ce réseau de salles.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Avec 300 films produits en 2018, 200 millions de spectateurs dans les salles, 40 % de part de marché pour les longs-métrages, l'horizon du cinéma français semble plutôt au beau fixe. Mais, comme le titrait la semaine dernière L'Express, n'est-il pas un malade bien portant ?

En effet, son financement se dégrade peu à peu, d'où une fragilisation d'un secteur qui représente pourtant à la fois un art et une industrie essentiels pour notre pays, reconnus et appréciés dans le monde entier. Il devient donc urgent de réinventer l'architecture du financement du cinéma français pour en préserver le dynamisme, la qualité et la richesse.

Certains prônent le développement du financement privé : pourquoi pas, mais cela ne doit pas conduire à faire de la rentabilité le critère principal de sélection, au détriment de la diversité de notre septième art. La politique publique d'aide au cinéma mérite d'être modernisée pour assurer une meilleure diffusion des films auprès du public et un meilleur soutien aux talents. Ne convient-il pas dès lors d'avoir avant tout une approche globale, en mettant autour de la table tous les acteurs concernés pour réfléchir à l'avenir du cinéma français ?

L'Union européenne a toute sa place dans ce tour de table. D'une part, parce qu'elle finance depuis 1991 de nombreux projets audiovisuels, notamment au travers du programme Media, dont le budget n'a cessé d'augmenter, même s'il reste insuffisant, jusqu'à atteindre 1 milliard d'euros pour la période 2021-2027. D'autre part, parce que la bataille est à mener sur de nombreux fronts ; je pense notamment à la révolution numérique et aux grandes plateformes de diffusion étrangères, qui doivent davantage participer au financement du cinéma français et européen.

Dès lors, monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour renforcer la défense et le financement du cinéma français au niveau européen, notamment en allant plus loin que la directive « services de médias audiovisuels » ? La France, terre de cinéma, va-t-elle prendre le leadership sur tous ces sujets ? Comment comptez-vous rallier l'ensemble de l'Europe à notre conception de l'exception culturelle, pour préserver le cinéma français ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Effectivement, nous devons absolument donner au cinéma français les moyens de faire face aux défis qui s'imposent à lui, notamment en instaurant des conditions de concurrence plus loyale entre les acteurs traditionnels de la diffusion et les nouveaux entrants, qui ne supportent pas les mêmes contraintes. C'est dans cet esprit que nous voulons augmenter la fiscalité pour ces nouveaux entrants, en augmentant le taux de taxation des plateformes.

Par ailleurs, il sera peut-être nécessaire d'aller plus loin que la directive SMA, mais il faut déjà la transposer ! C'est ce que nous allons faire au travers de la future loi audiovisuelle, pour instituer des obligations ambitieuses en matière, à la fois, d'investissement et d'exposition des oeuvres.

Il faut aussi mener le beau combat pour promouvoir la vision française du droit d'auteur. À cet égard, la directive sur le droit d'auteur a été une belle victoire européenne de la France et de tous les amoureux de cette vision française. Sa transposition permettra un préfinancement des oeuvres, avec un modèle de production indépendante. Elle se traduira également par une amélioration de la structuration des entreprises. À cette fin, le Président de la République a annoncé la mise en place d'un fonds pour les industries culturelles et créatives. Doté de 225 millions d'euros, il s'ajoutera aux dispositifs d'aide et de crédit d'impôt pour structurer financièrement les entreprises, notamment de la production, qui ont besoin de capitaux pour se développer et investir dans le préfinancement des oeuvres ou l'acquisition d'oeuvres.

Si nous souhaitons préserver cette vision française de la création, nous devons y mettre les moyens, notamment en termes de moyens publics.

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. Ma question porte sur le piratage des films, car soutenir la création cinématographique, c'est avant tout protéger ses auteurs et ses ayants droit.

Aujourd'hui, grâce à internet, on peut se constituer illégalement une vidéothèque complète : 40 % des internautes consomment des films en ligne de manière illicite.

La Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet, la Hadopi, créée en 2009 pour lutter contre le téléchargement illégal, a mis en oeuvre un dispositif de riposte graduée. Depuis sa création, elle a émis plus de 10 millions d'avertissements, pour des résultats appréciables : sur dix personnes averties, six prennent des mesures pour éviter tout renouvellement d'actes de piratage.

Cependant, il devient nécessaire d'adapter le cadre existant, en raison de l'évolution des pratiques. En effet, la Hadopi surveille les internautes qui téléchargent « de pair à pair », mais cette technique est de moins en moins utilisée. Près de 80 % du piratage en France se fait maintenant via le streaming, qui représente 66 % des actes illégaux, ou par téléchargement direct, à l'abri des radars de la Hadopi, l'accès à l'adresse IP de l'abonné étant impossible.

Par ailleurs, l'écosystème illicite se complexifie, avec l'apparition d'une pluralité d'acteurs intervenant en amont ou en aval des pratiques de piratage pour mieux les organiser, ainsi que le perfectionnement des mesures de contournement.

Pour faire face à ces nouvelles pratiques, votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait indiqué des pistes de réforme : extension des prérogatives de la Hadopi, établissement d'une liste noire des sites illicites, blocage ou déréférencement des sites, responsabilisation des plateformes numériques…

Vous souhaitez, monsieur le ministre, traiter le sujet du piratage au travers d'un grand projet de loi sur l'audiovisuel, mais la présentation de celui-ci est régulièrement reportée et vous l'avez à peine évoqué dans votre propos liminaire. Pourriez-vous nous préciser quelles dispositions vous comptez proposer, et selon quel calendrier ?

M. Ladislas Poniatowski. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Madame la sénatrice, c'est la première fois que l'on me dit que je ne parle pas suffisamment de la loi audiovisuelle ! Un volet de ce projet de loi, dont la présentation n'a plus été reportée depuis que je suis en fonction, sera bien sûr consacré au piratage. Nous travaillons toujours pour qu'il soit inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale soit en décembre 2019, après l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, soit au tout début de l'année 2020, après avoir été présenté en conseil des ministres avant la fin de l'été. Ce calendrier n'a pas changé.

Des avancées importantes sont déjà intervenues. Outre la loi Hadopi, dont j'ai eu la chance d'être le rapporteur à l'Assemblée nationale, il faut citer l'action de la justice, des professionnels et des ayants droit. Des sites notoires – je pense à Allostreaming ou à Zone Téléchargement – ont été fermés. Une évolution récente de la jurisprudence, avec l'affaire Allostreaming, a confirmé que les fournisseurs d'accès à internet et les moteurs de recherche doivent bloquer et déréférencer les sites pirates à leurs frais, quand l'ordre leur en est donné par un juge. En 2017, un accord inédit a été conclu entre Google, YouTube et l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, l'ALPA, sous l'égide du CNC, pour faciliter leur collaboration contre le piratage.

Cependant, il faut aller plus loin. Nous aurons l'occasion d'échanger, lors de la discussion du projet de loi audiovisuelle, sur les moyens de faciliter la caractérisation de l'illicéité des sites pirates, qu'il s'agisse des sites racines ou des sites miroirs, et sur la fameuse liste noire des sites pirates. Il faudra aussi insister sur la responsabilisation des plateformes et des intermédiaires, car on sait bien que les intermédiaires en matière de paiement ou de publicité, sont souvent des acteurs décisifs. Vous pouvez compter sur mon engagement et celui du Gouvernement pour aller plus loin avec vous dans la lutte contre ce fléau qu'est le piratage.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Jean Gabin, sans doute le plus parisien des acteurs français, avait une conception très tranchée de ce qui pouvait faire un bon film : premièrement, une bonne histoire ; deuxièmement, une bonne histoire ; troisièmement, une bonne histoire. (Sourires.) Sans le rejoindre totalement, tant j'aime les films dits « de mise en scène », je voudrais tout de même que ce débat soit l'occasion de rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui rendent possibles ces émotions, quelle que soit la forme sous laquelle on regarde les films, bref à celles et ceux qui écrivent le cinéma, car le cinéma s'écrit aussi.

On adresse trop souvent à la politique le reproche d'être du cinéma. Je ne sais pas si c'est le cas, mais je peux dire que le soutien au cinéma français est incontestablement un choix politique, et de bonne politique.

Comme l'économie dans son ensemble, le monde du cinéma est traversé par des évolutions qui peuvent parfois préoccuper les scénaristes français, à commencer par la montée en puissance d'opérateurs nouveaux – Netflix ou Amazon, pour ne pas les nommer –, qui créent leurs propres viviers de scénaristes. Il faut également garder à l'esprit qu'il existe de nombreuses façons d'exercer ce métier de scénariste, par exemple en se lançant dans une création ou en adaptant une oeuvre littéraire.

On peut déplorer la relative discrétion du Sénat dans les fictions françaises, mais peut-être la troisième saison annoncée du Baron noir permettra-t-elle d'y remédier… (Sourires.)

Monsieur le ministre, quelles sont les actions mises en oeuvre pour soutenir nos auteurs, et leur permettre ainsi d'écrire leur avenir ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, vous avez raison, il ne peut pas y avoir de cinéma sans écriture et nous devons absolument mieux prendre en compte les problématiques souvent complexes auxquelles sont confrontés les scénaristes et les auteurs. Cela passe par une meilleure connaissance de la réalité de leur situation à la fois économique, sociale et personnelle. Avec le Centre national du cinéma et de l'image animée et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, la SACD, nous avons conduit une étude transversale sur les écritures des oeuvres cinématographiques et des séries télévisuelles, dont les conclusions ont été rendues publiques en avril 2019. Elle a permis de tirer des enseignements importants concernant l'écriture, qui se fait souvent à plusieurs mains : moins de 5 % du budget d'une oeuvre est consacré aux dépenses d'écriture et la rémunération complémentaire sur l'amortissement du film est encore faible pour les scénaristes de cinéma.

Nous avons engagé une concertation sur les leviers d'action à mettre en oeuvre pour influer sur le niveau de rémunération et évaluer les besoins du secteur en matière de services aux scénaristes et de formation à l'écriture. Plus largement, j'ai pris la décision de créer une mission, présidée par Bruno Racine, associant des universitaires, des sociologues et, évidemment, des professionnels du secteur, afin de réfléchir à la place des artistes-auteurs dans la société. Cette mission prospective doit nous permettre de comprendre comment faire une bien meilleure place aux artistes-auteurs dans leur diversité, et donc évidemment aussi aux scénaristes, qui se trouvent souvent dans une situation de précarité à laquelle il faut absolument remédier. Le Sénat sera bien sûr associé à ce travail.

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, je veux évoquer à mon tour un sujet crucial pour le cinéma français et son avenir : celui des difficultés que rencontrent les salles de cinéma indépendantes.

Si la France détient le parc de salles le plus important et le plus dense d'Europe, elle le doit à ces salles indépendantes, qui demeurent très nombreuses. Or celles-ci sont aujourd'hui confrontées à la concurrence des multiplexes, situés en périphérie, qui ont peut-être contribué à une augmentation de la fréquentation cinématographique, mais qui contribuent aussi à la dévitalisation des centres-villes.

Chacun sait à quel point nombre de nos territoires se sentent aujourd'hui abandonnés. La raréfaction de l'offre culturelle y est, je le crois, pour quelque chose, d'autant que le cinéma a toujours occupé une place particulière dans l'accès à la culture. Plusieurs d'entre nous ont rappelé à juste titre que c'est la sortie culturelle la plus populaire. La préservation des salles indépendantes dans nos villes, notamment dans les villes moyennes, doit donc être une préoccupation majeure.

En 2016, un rapport du CNC rappelait que le cinéma en salle n'était pas mort et qu'une dynamique de retour vers le cinéma de centre-ville pouvait s'enclencher, à condition qu'elle soit accompagnée. Cette dynamique se heurte aujourd'hui à la réalité d'un parc de salles en difficulté. Ce sont pourtant ces salles qui font du cinéma une pratique culturelle à part entière, qui sont souvent les premières à oeuvrer pour une diversité de films projetés et à mettre en place des activités culturelles et éducatives autour du cinéma.

À nos yeux, il est donc urgent d'agir, pour l'égalité territoriale autant que pour l'avenir du cinéma, car si la diversité des oeuvres projetées s'affaiblit, c'est toute la qualité de la production française qui en pâtira.

De nombreuses mesures pourraient être adoptées. Par exemple, prendre en compte la diversité des lieux de diffusion au titre des critères d'implantation des nouvelles salles de cinéma serait un premier pas important.

Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Éric Bocquet. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Le sujet est effectivement important.

Une salle sur deux est une salle « art et essai », une salle sur deux est située dans une commune de moins de 10 000 habitants, ce qui va totalement dans le sens de vos propos, madame la sénatrice.

J'ai déjà mentionné le soutien qu'apporte le CNC à la rénovation et à la création de salles indépendantes. Il continue d'investir chaque année 8 millions d'euros pour aider ces salles d'art et d'essai dans les centres-villes. Je partage votre conviction que nous devons continuer à faire vivre sur le plan culturel les centres-villes, et parfois même les centres-bourgs. Cela doit passer par une politique ambitieuse de maintien de salles en centre-ville, qui vient cependant parfois en contradiction avec la nécessaire modernisation des salles et l'amélioration de leur accessibilité pour les personnes à mobilité réduite.

La médiatrice du cinéma a pour rôle de protéger les salles d'art et d'essai de la concurrence des multiplexes, notamment pour l'accès aux films. C'est un point dont l'importance est souvent sous-estimée.

J'ajoute que le CNC organise un tour de France d'accompagnement des salles d'art et d'essai, pour les aider à mieux gérer leur exploitation, par exemple en sachant acheter, en valorisant mieux leurs événements, en étant plus visibles sur internet et les réseaux sociaux.

Enfin, le CNC a obtenu en mai 2016 une avancée majeure qui permet de garantir un meilleur accès des salles des petites agglomérations et des zones rurales aux films art et essai des auteurs reconnus et récompensés dans les grands festivals, grâce à la signature d'engagements de diffusion par les distributeurs. Nous travaillons à un futur plan d'action 2019-2021 pour les salles d'art et d'essai.

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.

Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, vous avez répondu, comme précédemment à notre collègue Sonia de la Provôté, sur les salles « art et essai », mais nous voulons aussi vous alerter sur la situation de salles de petite taille, situées notamment dans des villes moyennes, qui ont une programmation très diversifiée, et pas particulièrement « art et essai ». Elles méritent également toute notre attention.

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Je suis très heureux d'entendre l'ensemble de mes collègues louer les performances du cinéma français, car, dans cet hémicycle, nous avons toujours combattu pour la préservation de l'écosystème vertueux de notre cinéma.

Monsieur le ministre, nous voyons bien que le cinéma français reste néanmoins d'une grande fragilité face à l'offensive des géants du numérique, qui déstabilise l'ensemble du système. Nous nous trouvons placés devant une alternative : soit nous nous adaptons au modèle des plateformes pour que celles-ci puissent s'intégrer à notre système en nous imposant leurs règles, soit nous leur imposons les nôtres. Dans cette perspective, pouvez-vous nous confirmer que c'est bien la taxe du CNC sur les plateformes qui va augmenter, et non celle sur les chaînes de télévision et Canal+ qui va baisser ? Pouvez-vous préciser quelle sera l'ampleur de cette hausse ?

Par ailleurs, lors de la transposition de la directive SMA, fera-t-on prévaloir une plus grande équité entre les chaînes de télévision et les plateformes en matière d'obligations d'investissement et de diffusion, en appliquant la règle de la création la plus favorisée, et non le nivellement par le bas réclamé par les opérateurs commerciaux ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. C'est en effet la vraie question, monsieur Assouline.

Le Gouvernement a fait un choix très clair : celui de rééquilibrer les contraintes entre les acteurs historiques et les nouveaux entrants, d'augmenter, pour les plateformes, la fiscalité, les obligations d'investissement et les obligations d'exposition.

Je veux saluer le rôle du Sénat à cet égard. Vous avez contribué à la création de la taxe de 2 % sur YouTube. La Haute Assemblée a été à la pointe de ce combat. Cela ne constitue cependant qu'une première étape. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, nous augmenterons de nouveau cette taxe, afin d'accroître la contribution des nouveaux acteurs. Le taux de la taxe sur les services de télévision, la TST, est de 5,65 % pour les éditeurs de télévision hertzienne ; nous devons donc procéder à un rééquilibrage. Bercy nous remettra des simulations qui permettront d'établir le niveau exact de la hausse, qui sera inscrite dans le projet de loi de finances pour 2020. Cette volonté de rééquilibrage trouvera également sa traduction dans le projet de loi sur l'audiovisuel qui sera discuté prochainement à l'Assemblée nationale puis au Sénat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le ministre, pendant le festival de Cannes, 500 personnalités du cinéma de toute l'Europe ont lancé l'appel suivant pour inciter nos concitoyens à voter lors des élections européennes : « L'Europe, nous nous efforçons de la décrire avec la délicatesse des images et un langage plus accessible à tous les peuples qui la composent. […] Une Europe libre et démocratique, c'est aussi une Europe de la libre pensée et de la liberté d'expression. »

Au-delà du vote, la préoccupation de ces grandes figures est bien celle de l'Europe de la culture, qui peine à exister, à se fédérer. Dans ce contexte, je souhaite vous faire une proposition, que j'ai déjà eu l'occasion de formuler à Cannes, la semaine dernière, lors du débat organisé par la SACD. Quelques jours auparavant, le Président de la République avait annoncé, sans donner beaucoup de précisions, la mise en place d'un fonds de 225 millions d'euros, opéré par Bpifrance et destiné à aider les entreprises du secteur de la création. Pourquoi ne pas consacrer une partie significative de ce fonds à l'amorçage d'une grande plateforme européenne, respectueuse de nos règles en matière de production et de diversité ? Cela permettrait peut-être de lutter enfin à armes égales avec les plateformes extraeuropéennes. Un tel outil aurait les moyens de produire des films, des séries et des documentaires, la créativité en la matière étant la meilleure garantie du succès.

Plusieurs initiatives louables ont été lancées ces dernières années – la plateforme Molotov, Salto, avec le succès que l'on sait, OCS ou encore la plateforme européenne d'Arte –, mais n'avons-nous pas là l'occasion de fédérer les acteurs, publics comme privés, autour d'un message fort en faveur d'une Europe de la culture et de la création, tout en offrant aux citoyens de notre continent une source légitime de fierté et de découverte ?

Je ne mésestime pas la difficulté de mettre en oeuvre cette proposition, mais j'aimerais connaître votre point de vue, monsieur le ministre.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Vous avez raison, madame Morin-Desailly, de souligner l'ambition du Président de la République en matière de soutien aux industries culturelles et créatives, qui s'est notamment traduite par son annonce du choix fort d'instituer, en plus des aides du CNC et des crédits d'impôt, un fonds permettant d'accompagner la structuration de la filière, notamment de la production, qui a besoin de capitaux.

La présence des contenus français et européens sur les plateformes est un enjeu essentiel. Nous ne devons pas renoncer à la mise en place d'une grande plateforme française et européenne. Un certain nombre d'initiatives sont prises ici ou là ; vous avez ainsi mentionné Salto et le projet du Président de la République, repris très récemment avec la chancelière Angela Merkel au travers de la déclaration de Meseberg, de créer une plateforme franco-allemande pour les contenus destinés à la jeunesse et l'information. Il est nécessaire d'avoir une vision stratégique partagée avec nos partenaires européens et avec les acteurs, tant publics que privés.

Tel est l'objet de la réflexion que Monika Grütters, mon homologue allemande, et moi-même conduisons. Le sujet est à l'ordre du jour des prochaines réunions des ministres de la culture de l'Union européenne. Il s'agit d'envisager les plans d'action concrets que nous pouvons mettre en oeuvre pour accompagner les acteurs privés et publics dans la structuration d'une offre numérique de mise à disposition des contenus français et européens. Il y a là un véritable enjeu de souveraineté et de défense de notre culture contre les assauts de la culture anglo-saxonne et, demain, de la culture chinoise.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.

Mme Catherine Morin-Desailly. Certains pensent que nous avons déjà perdu la bataille des tuyaux et des outils, et que nous sommes maintenant dans la bataille des contenus. Je ne suis pas complètement d'accord avec cette vision minimaliste ; au contraire, soyons volontaires. Ce que l'on attend de l'État actionnaire, c'est qu'il fédère les acteurs et qu'il donne le ton, qu'il fixe la direction.

En cette matière, il faut une action stratégique, globale et coordonnée au plus haut niveau de l'État et, ensuite, à l'échelon européen.

M. Jean-Pierre Leleux. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Monsieur le ministre, j'ai cru comprendre que Netflix venait de s'offrir les droits de deux films primés au Festival de Cannes. En acquérant les droits de ces longs-métrages, cette plateforme de vidéo à la demande contourne les règles du Festival, qui a pour principe de refuser les projets n'ayant pas vocation à être diffusés en salle.

Ce contexte témoigne de la montée en puissance des plateformes de vidéo à la demande : Netflix, Amazon Prime, Disney Fox et, bientôt, Apple. La directive européenne « services de médias audiovisuels », adoptée en 2018, a établi la possibilité d'imposer à ces plateformes étrangères des obligations d'investissement dans des oeuvres européennes et françaises, sur le fondement de leur chiffre d'affaires réalisé en France. Au regard du décret du 12 novembre 2010 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande, qu'il conviendrait de réécrire, Netflix, Amazon Prime et Disney Fox devraient consacrer entre 12 % et 15 % de leur chiffre d'affaires annuel réalisé en France à la production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes et françaises.

Pour Netflix, cela représenterait un investissement annuel compris entre 55 millions et 90 millions d'euros dans des oeuvres européennes, et entre 40 millions et 75 millions d'euros dans des oeuvres françaises. Ces chiffres sont élevés et pleins de promesses pour le secteur.

Compte tenu de la différence de plus en plus ténue entre les chaînes de télévision et les plateformes de vidéo à la demande avec abonnement, il serait judicieux, de mon point de vue, de mettre en place deux réformes. La première consisterait à unifier les taux d'investissement dans les oeuvres à partir d'un certain chiffre d'affaires, sans distinction entre services linéaires et non linéaires ; la seconde consisterait à imposer qu'une part significative de cet investissement se fasse en préachat, c'est-à-dire au moment de la constitution du budget de l'oeuvre. Ces propositions peuvent-elles retenir votre attention, monsieur le ministre ?

Par ailleurs, entendez-vous mettre fin à la différence existant entre les investissements réalisés dans le cinéma et ceux qui sont faits dans l'audiovisuel ? Aujourd'hui, pour les chaînes historiques, ces investissements sont clairement différenciés. Dans le décret précité, il n'est pas distingué, au titre de l'obligation d'investissement, entre cinéma et audiovisuel, et il est précisé que tout dépend de la fréquence de visionnage des oeuvres considérées. Il ne me paraît pas possible que les obligations d'investissement des plateformes et des chaînes historiques demeurent durablement différentes.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Merci de cette question, madame la sénatrice.

Je le redis très clairement, nous devons faire en sorte que les nouveaux entrants respectent les mêmes obligations, les mêmes règles d'investissement et d'exposition, que les acteurs historiques ; en même temps, nous devons les accueillir comme il se doit : ce sont des acteurs qui viennent investir en France dans des contenus, il ne faut pas les écarter d'un revers de la main.

C'est pourquoi j'ai rencontré récemment Reed Hastings afin d'échanger sur ces questions. J'ai été assez ferme sur ma vision de ce qu'est le cinéma ; on doit toujours avoir en tête que le cinéma est une chose et que la création audiovisuelle en est une autre. Cela est vrai pour la conception artistique de l'oeuvre et au regard de l'importance que revêt la salle dans l'émotion cinématographique, c'est également vrai pour l'aide publique et le suivi du respect des obligations.

De ce point de vue, je vous rejoins, madame la sénatrice, sur la nécessité de prendre en compte, y compris pour les plateformes, les obligations respectives du canal cinéma et du canal audiovisuel, en particulier dans la future loi sur l'audiovisuel. C'est fondamental, c'est légitime.

Enfin, il y a un sujet très important et que l'on a trop tendance à sous-estimer : celui du droit moral. Je parlais précédemment de la défense du droit d'auteur ; au sein du droit d'auteur, le droit moral tient une place essentielle. En particulier, la dernière touche, le final cut doit absolument rester au créateur, au réalisateur, et non au producteur ou, a fortiori, à la plateforme.

Voilà quelques beaux combats que nous avons à mener ensemble !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Les artistes auteurs sont confrontés à un paradoxe de plus en plus saisissant : alors qu'ils jouissent de l'estime et de la reconnaissance de l'ensemble de la société pour leur création, beaucoup se retrouvent dans une situation sociale particulièrement délicate, pour ne pas dire précaire. Ainsi, 41 % d'entre eux ont un revenu équivalent au SMIC, et un artiste-auteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. En d'autres termes, si l'acte de création est valorisé dans la société, la rémunération qui y est attachée est parfois dérisoire.

Ce décalage affecte bien évidemment les artistes-auteurs qui oeuvrent dans le cinéma et l'audiovisuel, notamment les scénaristes. Le pouvoir d'achat de ces professionnels n'est pas diminué seulement du fait d'un moindre revenu, mais également en raison de dispositions particulières liées à leur statut, notamment en matière de cotisations pour la retraite. Le code de la sécurité sociale dispose que, pour les auteurs d'une oeuvre audiovisuelle, les producteurs prennent en charge une fraction de la cotisation versée à la caisse de retraite complémentaire, fraction dont le niveau est défini par décret. Or le texte réglementaire est attendu depuis environ deux ans. Ainsi, en l'état, la loi n'est pas pleinement appliquée, et une charge financière pèse sur les auteurs de l'audiovisuel et du cinéma. Cette situation les pénalise grandement et contribue à l'aggravation de leurs conditions de vie. Par ailleurs, les mutations à l'oeuvre dans le secteur du cinéma les fragilisent encore davantage.

Par conséquent, nous souhaiterions savoir quand vous entendez publier le décret que j'ai évoqué, monsieur le ministre. Pourriez-vous préciser quelle fraction de la cotisation pour la retraite des auteurs de l'audiovisuel et du cinéma devrait être prise en charge par les producteurs ? Vous avez évoqué la mission que vous avez confiée à M. Racine : cette mission a-t-elle commencé ses travaux et à quelle date son rapport doit-il vous être remis ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Vous avez raison, madame la sénatrice, il s'agit là d'un enjeu essentiel.

Je souhaite faire en sorte que, dans toutes les politiques culturelles de mon ministère, les artistes soient au coeur des priorités. La culture et les politiques culturelles ne peuvent exister sans la création, et partant sans les créateurs, les artistes-auteurs. Or l'évolution de leur secteur d'activité et l'arrivée d'acteurs nouveaux bousculent leur situation financière et sociale, ainsi que leur rapport aux autres acteurs de la filière.

Nous devons donc réfléchir ensemble à des mesures très concrètes, en matière de retraite, de protection sociale, de lutte contre la précarité, mais aussi, plus largement, à la place de l'artiste-auteur dans la société, dans les territoires, dans les quartiers, dans nos vies, dans l'éducation, dans la création artistique. Cette démarche doit s'inscrire dans le temps long. Une société attachée, comme l'est la nôtre, à l'art, à ce ciment social qu'est la culture, doit absolument faire une meilleure place aux artistes-auteurs. Tel est l'objet de la mission prospective de Bruno Racine.

Pour ce qui concerne la question spécifique et éminemment sensible des retraites complémentaires, Agnès Buzyn et moi-même y travaillons avec nos services. Dès que je disposerai des éléments plus précis, je ne manquerai pas d'informer le Sénat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Mme Sylvie Robert. Je remercie le ministre de ces propos.

Si j'ai posé cette question, c'est qu'il y a urgence. Elle trouvera vraisemblablement un écho dans cet hémicycle lors de l'examen des prochains projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Il faudra y apporter une réponse concrète.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Les films produits par la société Netflix étaient absents du Festival de Cannes de cette année. Cela n'a pas toujours été le cas puisque, en 2017, deux films produits et distribués par cette plateforme de streaming avaient concouru pour la Palme d'or, notamment Okja, de Bong Joon-ho. Le Festival avait alors été surpris que Netflix ne se plie pas à sa règle voulant que tout film sélectionné en compétition officielle sorte en salles en France.

Néanmoins, cette règle est sûrement obsolète et injustifiée, en raison de la transformation du monde de l'image et de la réalité de la consommation des films par les Français. Cette année, ce même Bong Joon-ho, qui ne sortait ses films, jusqu'à présent, que sur Netflix, a fait distribuer Parasite en salles, ce qui lui a permis de concourir à Cannes. Il a même remporté la Palme d'or, ce qui prouve que le mode de diffusion ne détermine pas la valeur d'une oeuvre ; un film vaut par sa forme.

Du reste, cette exigence de sortie en salles ne vaut pas pour d'autres rendez-vous internationaux du cinéma, tels que le festival de Berlin ou la Mostra de Venise, qui a d'ailleurs couronné, en 2018, un film distribué par Netflix, Roma. Les dirigeants du Festival de Cannes arguent que Netflix n'est pas accessible à l'ensemble des Français, contrairement aux salles de cinéma, mais l'abonnement à Netflix coûte 11 euros par mois, pour un écran que l'on peut regarder à plusieurs, quand on le souhaite et autant de fois qu'on le veut, alors que le prix d'une place de cinéma peut s'élever à 18 euros. En outre, en province, le maillage des salles est très relâché.

Tout cela fait que l'on s'achemine vers un décalage croissant entre le cinéma subventionné et la réalité de la consommation des films. Netflix est une menace pour le cinéma français, il a dépassé la barre des cinq millions d'abonnés en France, mais, au fond, le cinéma français et la plateforme de streaming sont peut-être complémentaires. Le cinéma français peut-il survivre à l'ère Netflix ?

Monsieur le ministre, que compte faire l'État pour sauver le cinéma français et défendre les exploitants, tout en prenant en compte les nouveaux modes de visionnage et le goût du public ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Défendre les exploitants, madame la sénatrice, c'est d'abord reconnaître que le cinéma n'est pas simplement une oeuvre audiovisuelle ; c'est aussi une émotion partagée dans une salle de cinéma. C'est peut-être une nuance entre nous. Je crois que nous devons, nous Français, être porteurs de cette vision du cinéma. Le cinéma, c'est évidemment une oeuvre audiovisuelle qui peut être vue dans d'autres lieux de diffusion qu'une salle, mais c'est avant tout une émotion partagée dans une salle de cinéma. C'est une conception qui peut faire consensus chez nous, Français.

Par ailleurs, Netflix a bien sûr la possibilité de sortir des films, à condition d'observer la réglementation française, selon laquelle il faut, dès lors que l'on distribue un film en salles de cinéma, respecter une série de fenêtres de diffusion exclusive : c'est ce que l'on appelle la chronologie des médias. Ce système permet, depuis des années, un financement plus important du cinéma français et la diffusion la plus large possible des oeuvres, au travers de différents modes.

Cette chronologie des médias a évolué dans le temps, et encore très récemment à la suite d'une négociation qui a permis de rapprocher les fenêtres de diffusion, notamment pour la vidéo à la demande.

Nous devrons vraisemblablement aller plus loin, mais ne renonçons pas à notre conception du cinéma, à ce dispositif qui permet de compléter le financement des films, et faisons en sorte que les plateformes contribuent davantage au financement et à l'exposition des films. Il sera alors temps de réfléchir à une éventuelle évolution supplémentaire de la chronologie des médias.

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Le CNC et France Télévisions sont les piliers de notre écosystème vertueux. J'ai déjà évoqué le CNC. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que, au cours des mois qui viennent, notamment lors du débat budgétaire, on ne nous demandera pas une fois de plus d'affaiblir financièrement ce pilier de l'investissement dans la création et le cinéma français qu'est France Télévisions ?

En juillet 2018, le Premier ministre annonçait la fermeture de France 4 pour 2020, provoquant la stupeur générale, puisque personne n'avait, semble-t-il, été consulté, la décision ayant été inspirée directement par Bercy. La BBC, à l'inverse, a conservé une chaîne d'animation offrant aux plus jeunes des contenus de qualité. Si la France bénéficie d'une filière d'animation d'excellence, reconnue comme telle, France 4 n'y est pas pour rien. Elle produit de nombreuses heures de programmes.

Puis une lueur d'espoir est apparue : on nous a indiqué que, peut-être, la fermeture de France 4 serait remise en cause. Pouvez-vous nous en dire plus ? Certes, vous n'êtes pas président de France Télévisions, mais cette entreprise publique a fait ses choix sous la pression de la politique budgétaire du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Vous avez raison, monsieur Assouline, l'audiovisuel public joue un rôle majeur dans l'investissement dans la création cinématographique et, plus largement, audiovisuelle.

Cela vaut notamment pour France Télévisions et Arte, qui était présente au Festival de Cannes avec des productions remarquables. Ces acteurs de l'audiovisuel public doivent absolument continuer d'investir dans la création cinématographique et audiovisuelle. Cela sera très clairement réaffirmé dans le projet de loi sur l'audiovisuel, parce qu'on ne peut pas concevoir un bon texte sur ce sujet si l'on n'a pas les idées claires sur ce que l'on attend de notre audiovisuel public.

En ce qui concerne France 4, il a été décidé de réduire le nombre de chaînes du bouquet de France Télévisions. Cela ne signifie évidemment pas, s'agissant tant de France 4 que de France Ô, qu'il n'y aura plus d'animation ni de présence des outre-mer sur l'audiovisuel public. Bien au contraire, nous souhaitons que l'animation et l'outre-mer demeurent très présents sur les antennes et sur les supports numériques de France Télévisions. En effet, on le sait, nos compatriotes, notamment les plus jeunes, accèdent de plus en plus aux contenus audiovisuels via internet et les plateformes numériques, et non plus en regardant la télévision dans le salon familial. Nous devons donc adapter les outils de l'audiovisuel public à cette évolution.

Quoi qu'il en soit, le Gouvernement réaffirmera sa volonté en matière de financement, par l'audiovisuel public, de la création cinématographique et audiovisuelle.

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour la réplique.

M. David Assouline. Je ne suis pas rassuré par cette réponse. Vous commettez une erreur en pensant que les services en ligne pourront remplacer ces chaînes, y compris pour l'investissement dans la filière de l'animation,…

M. Franck Riester, ministre. Je n'ai pas dit cela !

M. David Assouline. … qui représente 33 % de l'investissement de France Télévisions dans la création audiovisuelle. Cette décision affaiblira, si elle est maintenue, cette filière ; ce n'est pas une bonne chose.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Leroy.

M. Henri Leroy. Monsieur le ministre, le rayonnement international de la France est en partie lié à son offre culturelle unique au monde, vous le savez bien.

Alors même que la France, patrie des frères Lumières et de Georges Méliès, est le berceau du cinéma, cet art majeur et populaire, qui opère la synthèse de tous les arts audiovisuels, ne dispose pas dans notre pays d'un musée d'envergure internationale.

Afin de remédier à cette carence, la mairie de Cannes vient de lancer la création d'un musée international du cinéma et du festival. Une telle démarche est parfaitement légitime pour la ville qui accueille depuis soixante-dix ans le plus grand festival de cinéma et le premier événement culturel du monde.

En outre, Cannes et sa communauté d'agglomération, Cannes Pays de Lérins, ont engagé un ambitieux programme pour devenir le territoire d'excellence de l'économie créative, avec le développement d'une filière complète de l'audiovisuel, incluant la formation de créateurs, la mise en place d'un campus universitaire dédié aux métiers de l'écriture, l'accompagnement d'entreprises du secteur audiovisuel, la création de contenus, la distribution et la diffusion d'oeuvres culturelles et l'organisation d'événements afin d'en assurer la promotion.

En matière d'accueil, Cannes est un hub mondial qui reçoit, en son Palais des festivals et des congrès, le Festival de Cannes, bien sûr, mais aussi le Cannes Lions festival, le Marché international des programmes de communication, le MIPCOM, le Marché international des programmes de télévision, le MIPTV, Cannes Séries, le Marché international du disque et de l'édition musicale, le MIDEM, ou encore les NRJ Music Awards. Parallèlement, grâce à une politique volontariste, le nombre de prises de vues et de tournages sur le bassin cannois est passé de 128 en 2015 à 562 en 2018.

En parfaite cohérence avec cette stratégie territoriale axée sur le développement de l'économie créative et audiovisuelle, Cannes se propose d'accueillir toute l'année le cinéma du monde d'hier, d'aujourd'hui et de demain, en hébergeant sur son territoire un musée international du cinéma et du Festival de Cannes.

Soutenir l'institution d'un tel équipement culturel majeur en province montrerait la volonté forte du Gouvernement de conduire une politique affirmée de décentralisation culturelle, comme cela s'est fait avec le Louvre-Lens ou le Centre Pompidou-Metz.

Monsieur le ministre de la culture, quels efforts d'accompagnement l'État est-il prêt à consentir pour permettre à ce projet, lancé par le maire de Cannes, de disposer des ressources, publiques et privées, émanant de l'industrie du cinéma, nécessaires à sa réalisation ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire que Cannes – et plus largement les Alpes-Maritimes – est un territoire de cinéma, de création audiovisuelle, qui dispose, grâce à la vision très claire de son maire, d'une vraie stratégie en matière de développement culturel, économique et universitaire centré sur le cinéma et l'audiovisuel.

L'État est présent pour accompagner les initiatives des collectivités territoriales. J'ai rencontré David Lisnard, le maire de Cannes, lors d'un de mes passages au Festival. Je lui ai réaffirmé la volonté de l'État de l'accompagner dans sa politique ambitieuse de développement de cette filière cinématographique et audiovisuelle.

J'ai également salué son projet de modernisation du Palais des festivals, propre à permettre au Festival de Cannes de continuer à disposer d'un outil d'exception, pouvant accueillir d'autres événements tout au long de l'année.

Je lui ai dit que son projet global, à la fois universitaire, culturel et économique, autour du cinéma et de l'audiovisuel méritait d'être accompagné par l'État. S'il est encore trop tôt pour dire comment cela se traduira concrètement, je suis résolu à ce que la DRAC, le CNC et toutes les équipes du ministère accompagnent ce territoire qui bouge en matière d'industries culturelles et créatives.

Je tiens également à souligner la belle ambition du maire de Nice, Christian Estrosi, en matière de cinéma, avec les studios de la Victorine. Il y a enfin d'autres beaux projets en Île-de-France et dans les Hauts-de-France.

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, je souhaiterais attirer votre attention sur les risques de perte de substance auxquels le cinéma français est exposé.

Si l'on se réfère au bilan de la production cinématographique française pour 2018, publié voilà un peu plus de deux mois par le CNC, 237 films d'initiative française ont été produits au cours de l'année passée. Ce niveau de production semble se confirmer depuis 2015, année record depuis 1952 avec pas moins de 234 films produits.

Bien évidemment, chacun se félicitera de la place du cinéma français dans la création mondiale, soutenue notamment par de nombreuses coproductions internationales. Toutefois, ces records successifs appellent quelques réserves –tout du moins quelques interrogations.

Voilà déjà quinze ans, Jean-Pierre Leclerc, alors conseiller d'État, soulignait « une limite pratique, et non seulement financière, à la production cinématographique française ». On s'interrogeait alors sur le point de savoir si le nombre de films produits, s'établissant à un niveau exceptionnel d'environ 200 pour les années 2001 et 2002, n'avait pas atteint, voire dépassé, un maximum.

La même question se pose encore aujourd'hui : est-il raisonnable de produire 250 ou 300 films par an, sachant que le nombre d'entrées en salles est loin de suivre la même tendance inflationniste ?

En effet, dans son rapport de 2013 sur le financement de la production et de la distribution cinématographiques à l'heure du numérique, René Bonnell soulignait la forte concentration des résultats sur un petit nombre de films, les deux tiers des films français n'atteignant pas le seuil des 100 000 entrées et plus de 47 % attirant moins de 20 000 spectateurs. Il relevait que le nombre des échecs est dix fois plus élevé que celui des succès, le taux de « mortalité commerciale » des films pouvant s'établir entre 80 % et 90 %, selon les semaines. Cette tendance ne s'est pas modifiée depuis 2013.

Monsieur le ministre, il me semble nécessaire de s'interroger pour mieux préparer le cinéma français aux bouleversements systémiques qu'ont déjà soulignés les orateurs précédents. Quelles mesures envisagez-vous de prendre au regard de cette tendance à la surproduction ? Par ailleurs, comment comptez-vous agir pour que l'aide à la production préserve et conforte la singularité et la substance propres au cinéma français ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Vos observations sur le nombre de films produits sont tout à fait légitimes, monsieur le sénateur, mais il s'agit d'un mouvement européen, voire mondial. Techniquement, il est devenu plus facile de faire des films – Claude Lelouch a même tourné un film avec un simple téléphone ! – et le devis moyen baisse, même si des aides restent nécessaires.

Je pense que le nombre de films produits est un faux problème. De toute façon, si l'on entendait le réduire, comment déciderait-on quels films méritent d'être produits ou aidés ? Nous risquerions de porter atteinte au jaillissement créatif que nous souhaitons continuer de soutenir.

En revanche, il faut faire en sorte que les films soient mieux exposés, qu'ils soient diffusés dans plus de salles et qu'ils restent plus longtemps à l'affiche, qu'ils soient disponibles ensuite sur le plus grand nombre de supports possible, notamment sur les différentes plateformes numériques, en France, en Europe et dans le monde.

Nous touchons là à la question de notre stratégie à l'exportation, que nous souhaitons de plus en plus ambitieuse. Le Président de la République nous a d'ailleurs demandé, à Jean-Yves Le Drian, à Bruno Le Maire et à moi-même, de développer l'exportation des industries créatives et culturelles françaises. Cela passe par le recours à un certain nombre d'outils que j'aurai l'occasion de développer dans les semaines qui viennent.

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Priou.

M. Christophe Priou. Je commencerai par une anecdote qui remonte à une douzaine d'années et devrait faire plaisir à nos amis du groupe CRCE.

Claude Chabrol séjournait régulièrement au Croisic, où il possédait une maison. Comme il ne connaissait pas le parc naturel régional de Brière tout proche, je lui ai proposé de le lui faire visiter. Au cours du déjeuner qui a suivi, auquel j'avais convié, en toute courtoisie républicaine, le regretté maire communiste de Saint-Joachim, Marc Justy, Claude Chabrol nous lança, entre la poire et le fromage, qu'il était centriste, « c'est-à-dire juste à gauche du parti communiste ». Déjà, à l'époque, les lignes bougeaient ! (Sourires.)

Claude Chabrol défendait toutes les formes de cinéma. Or on constate aujourd'hui un écart de plus en plus important entre les films abondamment financés et les petites productions qui ont du mal à boucler leur budget. La puissance publique a encore la faculté de garantir l'exception culturelle française. À ce titre, il serait utile d'améliorer l'intervention du CNC en appui au développement économique de l'industrie du cinéma, et pas seulement au travers d'aides « automatiques » à des films à gros budget. Il serait également utile de cibler les aides pour favoriser l'émergence de nouveaux talents.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, une politique publique a toujours vocation à être analysée, évaluée et, le cas échéant, réorientée. Ce que vous dites est tout à fait juste : nous devons veiller à ce que les politiques d'accompagnement de la production et de la création cinématographiques n'oublient pas la création émergente, les nouveaux talents.

Or la politique menée en France actuellement le permet. Il n'est que de regarder le nombre de jeunes réalisateurs et réalisatrices français ou francophones sélectionnés, et même primés, lors du dernier Festival de Cannes. Nous assistons à un jaillissement créatif français exceptionnel, avec l'arrivée de toute une nouvelle génération d'artistes, dans sa diversité.

Ce n'est pas le fait du hasard : c'est le fruit d'une tradition française, de la formation dispensée dans les écoles de cinéma, de la politique publique du CNC, de l'accompagnement de la création et du soutien aux talents émergents dans notre pays.

Il faudra sûrement aller plus loin. Comme je l'ai déjà souligné, toutes les politiques publiques doivent être évaluées, pilotées et, si nécessaire, réorientées, en toute transparence avec le Parlement. Nous pourrons, dans les semaines et les mois qui viennent, continuer d'y travailler ensemble, si vous le souhaitez, mais quand on voit la nouvelle génération de réalisateurs français et, plus largement, d'artistes évoluant dans le monde du cinéma, on peut vraiment être fier des dispositifs publics mis en place depuis de nombreuses années !

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Priou, pour la réplique.

M. Christophe Priou. Dont acte, mais la baisse régulière du nombre de spectateurs et la fracture culturelle entre grosses productions et films d'auteur continuent de nous interroger. Michel Audiard aurait pu conclure notre débat en ces termes : « Le cinéma français est à l'image de la France : on n'a pas assez de pognon, et c'est comme ça dans tous les domaines. » (Sourires.)


source http://www.senat.fr, le 5 juin 2019