Texte intégral
MARC FAUVELLE
C'est la ministre du Travail qui est l'invitée de Franceinfo jusqu'à neuf heures. Ça tombe bien, les derniers chiffres du chômage viennent de tomber.
RENAUD DELY
Bonjour Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD, MINISTRE DU TRAVAIL
Bonjour.
RENAUD DELY
Ces chiffres du chômage qui viennent donc de tomber. Selon l'INSEE, moins 0,3 point au dernier trimestre 2018. Le taux de chômage s'établit aujourd'hui en France à désormais 8,8 % de la population active, c'est le plus bas taux depuis 2009. Est-ce que ça veut dire, Muriel PENICAUD, que vous avez le sentiment d'être en train de gagner la bataille contre le chômage ?
MURIEL PENICAUD
Ça fait dix ans effectivement qu'on n'était pas arrivé à avoir un taux de chômage inférieur à 9 % donc c'est une très bonne nouvelle. C'est dû notamment aux réformes du marché du travail qui commencent à produire leurs effets. On en attend plus plus tard. Par exemple, on voit que les employeurs, notamment les petites entreprises, n'ont plus peur d'embaucher et ça c'est l'effet des ordonnances. On voit qu'il y a plus demandeurs d'emploi dans des formations de qualité ; ça, c'est le plan d'investissement dans les compétences. Et on voit qu'il y a plus de jeunes en apprentissage, c'est plus 7 % en apprentissage en 2018, et ça c'est la réforme de l'apprentissage. Mais évidemment, ça reste un taux très élevé. Je crois que ce que ça nous a dit, c'est qu'il n'y a pas de fatalité. On s'est tellement habitué au chômage de masse en France que par moment on croit qu'il faut baisser les bras. Non, il ne faut pas baisser les bras. Donc on va continuer sur la formation, sur les compétences, sur tout ce qui permet de réduire le chômage et l'assurance-chômage. C'est très important, ça veut dire que, oui, il y a une possibilité de vaincre le chômage de masse. Continuons.
RENAUD DELY
Mais cette baisse, elle ralentit quand même en 2018 par rapport à 2017. On est sur l'ensemble de l'année 2018 à quarante mille chômeurs de moins contre cent mille en 2017.
MURIEL PENICAUD
Oui. Mais d'abord, il y a des aspects macro-économiques et puis on avait - et c'est assumé de notre part - il y avait moins de contrats aidés cette année parce qu'on a voulu faire du mieux. En fait, on veut faire du qualitatif parce qu'on pense que sur la durée c'est en faisant de l'apprentissage, des parcours où il y a de l'emploi, de l'accompagnement, de la formation, en mettant le paquet sur les qualifications qui manquent. C'est ça qui permet aux demandeurs d'emploi, aux jeunes de trouver un emploi durable. Donc on ne fait pas cosmétique, on fait du durable. Ça commence à porter ses fruits, il faut continuer mais c'est une mobilisation générale. Et c'est pour ça que nous sommes en train d'appeler dix mille entreprises à contribuer à ça : en offrant des stages, en offrant des capacités d'apprentissage, en se mobilisant dans l'inclusion de ceux qui veulent accéder à l'emploi et qui n'y arrivent pas. Par exemple les personnes handicapées, ils sont cinq cent mille à Pôle emploi, il faut leur tendre la main. C'est tout ça qu'il faut continuer à faire pour aller encore plus loin.
MARC FAUVELLE
Muriel PENICAUD, on est à 8,8 % aujourd'hui.
MURIEL PENICAUD
Oui.
MARC FAUVELLE
L'objectif d'Emmanuel MACRON, c'était 7 % à la fin du quinquennat. On y va ou pas ?
MURIEL PENICAUD
Alors cette ambition de 7 % peut-être pour moi…
MARC FAUVELLE
C'est une promesse, c'est un pari ou c'est un engagement ?
MURIEL PENICAUD
Alors il faut comprendre que ce n'est pas l'Etat qui décrète les emplois.
MARC FAUVELLE
Non.
MURIEL PENICAUD
Donc ce n'est pas comme un objectif dont vous êtes entièrement responsable mais c'est notre ambition qu'avait fixée le Président de la République mais qui suppose la mobilisation de tous, notamment des entreprises, du service public de l'emploi.
MARC FAUVELLE
La trajectoire est la bonne pour l'instant ?
MURIEL PENICAUD
Et je pense que la trajectoire, c'est celle qu'il faut garder, parce que cette ambition, c'est aussi ce qui donne la vigueur dans ces réformes, dans ces investissements dans la formation et donc la chance, oui, de vaincre le chômage de masse.
MARC FAUVELLE
Il y a une autre actualité brûlante aujourd'hui, ce sont les négociations sur l'assurance-chômage justement.
RENAUD DELY
Elles reprennent aujourd'hui. Vous évoquiez, nous évoquions à l'instant la baisse du taux de chômage. Mais pour autant, vous êtes vous-mêmes révoltée, c'est le mot vous avez employé, de la précarisation du marché du travail et de l'explosion des contrats courts. On sait que le Président de la République Emmanuel MACRON a évoqué l'hypothèse de légiférer et de taxer l'abus des contrats courts si les partenaires sociaux ne se mettent pas d'accord. Le patronat ne veut pas entendre parler de cette taxation des contrats courts. Ce matin Geoffroy ROUX DE BEZIEUX, le patron du MEDEF, était l'invité de nos confrères de France Inter et il fait une proposition alternative.
GEOFFROY ROUX DE BEZIEUX, PRESIDENT DU MEDEF – DOCUMENT FRANCE INTER
Ce qu'on propose, c'est que les salariés qui enchaînent plusieurs contrats courts avec le même employeur et dans le même mois se voient payer, à partir d'un certain nombre de contrats courts, une prime, prime dite de précarité, qui serait payée par l'employeur et qui serait en quelque sorte la récompense financière de cette précarité ou de cette flexibilité.
RENAUD DELY
Cette prime de précarité, ça suffit, Muriel PENICAUD ?
MURIEL PENICAUD
Alors je crois qu'il faut revenir à ce qu'on demande aux partenaires sociaux dans cette négociation. C'est d'avoir une ambition forte et franchement d'avoir des démarches vigoureuses pour baisser les contrats courts en France. Aujourd'hui, on est un des rares pays d'Europe, on est le pays d'Europe qui va le plus vers la précarité. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que neuf embauches sur dix, neuf offres d'emploi sur dix c'est un CDD ou un intérim et que 80 % des CDD c'est même moins d'un mois, un tiers c'est moins d'un jour. Donc ça veut dire qu'un nombre très important de nos concitoyens sont condamnés à un emploi très précaire au-delà des besoins économiques
RENAUD DELY
Ça veut dire qu'on est en train de réinventer ce qu'on appelait les journaliers ?
MURIEL PENICAUD
Alors moi je considère qu'on a réinventé les journaliers parce qu'évidemment ce sont les bas salaires. Ces emplois très précaires sont en plus des bas salaires avec peu de perspectives de promotion et de carrière donc c'est ça qu'il faut régler. Il y a certains secteurs particulièrement qui, je dirais, en abuse, pas en droit mais dans la pratique. Et donc ce qu'on a demandé aux partenaires sociaux dans la négociation, c'est d'avoir des mesures vigoureuses. Les partenaires sociaux…
MARC FAUVELLE
C'en est une ce que propose Geoffroy ROUX DE BEZIEUX, c'est-à-dire une prime pour les CDD ?
MURIEL PENICAUD
Le patronat avait suspendu la négociation, donc ils n'ont pas eu de réunions depuis trois semaines. Ils se retrouvent cet après-midi après trois semaines de suspension sur des propositions du patronat. C'est aux partenaires sociaux d'en discuter d'abord mais évidemment, du point de vue de l'Etat, on sera attentif au fait que ça soit vraiment une mesure efficace. Car comme je l'ai déjà dit, sinon on a la mesure de bonus-malus. Si on en trouve une autre…
MARC FAUVELLE
Ce n'est plus du tout le bonus-malus ce que dit Geoffroy ROUX DE BEZIEUX.
MURIEL PENICAUD
S'il y a une mesure forte et aussi efficace, on n'est pas fermé mais il faut que ce soit aussi fort et efficace, et donc on attend…
MARC FAUVELLE
Et tant pis pour la promesse d'Emmanuel MACRON quand il était en campagne, le bonus-malus ? Le bonus-malus finalement ne se fera pas s'il y a autre chose de mieux ?
MURIEL PENICAUD
S'il y a quelque chose d'aussi et même plus efficace, aussi vigoureux sur la diminution des contrats courts et moins de précarité… Aujourd'hui, il y a de l'abus de contrats courts, il y a de la précarité excessive dans notre pays. On n'est pas fermé et rigide mais on sera aussi exigeant que ça.
RENAUD DELY
Mais Laurent BERGER au nom de la CFDT refuse, lui, ce qu'il appelle les mesures cosmétiques. C'est une mesure cosmétique la proposition de Geoffroy ROUX DE BEZIEUX ? Une taxation au bout d'à peu près quatre CDD d'usage ?
MURIEL PENICAUD
Quand on a un chômage de masse, on ne peut pas se permettre des mesures cosmétiques. On n'est pas là pour… Je veux dire, les négociations ça ne sert pas discuter pour discuter.
RENAUD DELY
Cette prime de précarité, c'est une mesure cosmétique ?
MURIEL PENICAUD
Alors c'est aux partenaires sociaux d'abord d'en discuter. Mais ce que je rappelle, c'est que nous on sera exigeant et on ne peut pas accepter une négociation qui n'aboutirait pas à quelque chose de fort sur ce sujet des contrats courts. (…)
RENAUD DELY
Cette réforme de l'assurance-chômage, elle vise aussi à faire des économies. Dans le cadre de sa lettre de cadrage, le Gouvernement fixe une échelle de l'ordre de 3 à 3,9 milliards d'euros sur trois ans. Laurent BERGER, le patron de la CFDT qui était notre invité il y a quelques jours refuse que ces économies touchent à l'indemnisation des chômeurs ; on l'écoute.
LAURENT BERGER, SECRETAIRE GENERAL DE LA CFDT – DOCUMENT FRANCEINFO
Il n'y aura pas, en tout cas je le dis très clairement, d'accord signé par la CFDT qui toucherait l'indemnisation des demandeurs d'emploi en les sanctionnant d'une certaine manière, avec cette espèce de vision que pour réduire le chiffre du chômage, il faudrait contraindre davantage l'indemnisation des demandeurs d'emploi pour les contraindre à reprendre le travail.
RENAUD DELY
Alors comment on fait entre 3 et 3,9 milliards d'économies sur trois ans ?
MURIEL PENICAUD
C'est un milliard par an sur trente-cinq milliards d'euros. Il faut bien voir que la précarité – je reviens au sujet de la précarité – coûte très cher. Elle coûte cher socialement pour chacun, on ne peut pas se projeter dans la vie, trouver un logement, faire un emprunt, s'installer dans la vie, en ne sachant pas si on a un travail demain ou dans quinze jours ou dans un mois. Donc la précarité coûte cher socialement mais elle coûte cher économiquement puisque l'ensemble des contrats courts, c'est huit milliards de déficit à l'assurance-chômage. Donc si les règles de l'assurance-chômage sont revues pour qu'elles n'incitent pas les employeurs à abuser des contrats courts et certains demandeurs d'emploi sont découragés d'aller reprendre un travail puisqu'ils ne gagnent pas plus ou pas suffisamment plus. Si ça, mécaniquement ça fera des économies et donc le un milliard par an qui est demandé, ça sera la preuve qu'on est en train de vraiment traiter le sujet des contrats courts.
RENAUD DELY
Le MEDEF a envoyé ses propositions hier soir aux partenaires sociaux. Geoffroy ROUX DE BEZIEUX dit que ces propositions, qui vont être débattues notamment aujourd'hui, elles représentent justement un milliard d'euros d'économies par an d'après le MEDEF. Est-ce que le MEDEF est dans les clous ?
MURIEL PENICAUD
Ce n'est pas bout par bout : c'est l'ensemble de la réforme qui est à regarder. De toute façon pour l'instant, nous on attend le résultat des négociations des partenaires sociaux.
RENAUD DELY
Et la date limite pour ces négociations, c'est toujours fin février comme vous l'aviez annoncé ?
MURIEL PENICAUD
Alors la date limite est le 22 février sauf si les partenaires sociaux nous demandaient un délai supplémentaire.
MARC FAUVELLE
La semaine prochaine, oui.
MURIEL PENICAUD
Ils ont demandé un mois déjà qu'on leur a accordé.
MARC FAUVELLE
Vous allez leur accorder ?
MURIEL PENICAUD
Pour l'instant, ils ne nous ont pas demandé.
MARC FAUVELLE
Mais s'ils le font, c'est oui. On n'est pas à une semaine près.
MURIEL PENICAUD
Du délai, si c'est pour ne pas aboutir ou aboutir à quelque chose qui ne répond pas à la question, ça ne sert à rien. S'ils ont besoin, parce qu'ils ont une forte ambition ensemble, d'un peu de temps, ce n'est pas… Le sujet, ce n'est pas une affaire de jours ou de semaines. C'est est-ce qu'on arrive à vraiment avoir de meilleures règles d'assurance-chômage pour notre pays.
MARC FAUVELLE
Est-ce que je peux vous poser une question personnelle, Muriel PENICAUD ?
MURIEL PENICAUD
Vous pouvez toujours poser une question personnelle. Je verrai s'il y a une réponse.
MARC FAUVELLE
Est-ce que vous vous sentez plutôt parent 1 ou parent 2 ?
MURIEL PENICAUD
Alors moi j'ai la chance d'être parent et je suis aussi grand-mère et c'est un bonheur absolu.
MARC FAUVELLE
Grand-mère 1 ? Grand-mère 2 ?
MURIEL PENICAUD
Grand-mère 100 % parce qu'il n'y a rien de plus beau au monde que d'être grand-mère.
MARC FAUVELLE
Vous avez compris pourquoi je vous pose la question.
MURIEL PENICAUD
Oui, j'ai compris.
MARC FAUVELLE
Les députés ont adopté dans le cadre de la loi Blanquer un amendement qui prévoit d'enlever les mentions père et mère de certains documents et notamment de certains documents scolaire. Est-ce que ça vous choque ?
MURIEL PENICAUD
Il y a des choses plus importantes dans la vie. Le plus important, c'est qu'on puisse vraiment avoir une école qui permet à tous les enfants de réussir et que les parents s'impliquent dans l'école. Quels que soient les parents, ça n'a pas d'importance. Ce qui compte quand on est parent, c'est l'amour, et puis ce qui compte à l'école, c'est les chances de réussite. Ça, ça me paraît tellement plus important. Il y a des choses formidables dans la loi que porte Jean-Michel BLANQUER.
MARC FAUVELLE
Vous l'auriez voté cet amendement ?
MURIEL PENICAUD
Moi, je vote pour tout ce qui va aider les enfants à réussir.
MARC FAUVELLE
Ça, ça aide les enfants ?
MURIEL PENICAUD
L'école, elle est faite pour les enfants. S'il y a des parents qui ne sont pas les parents classiques parce que c'est des parents, des couples homosexuels, ce sont les parents et c'est les parents qui aiment leurs enfants. Donc il faut que tous les parents puissent avoir les mêmes droits vis-à-vis de l'école. Mais ce n'est pas les droits, c'est la responsabilité aussi d'accompagner les enfants.
MARC FAUVELLE
Et donc pour répondre à la première question, c'est une bonne idée de rouvrir ce dossier-là aujourd'hui ? Vous entendez les opposants au mariage gay depuis hier qui disent : « On vous l'avait bien dit. Il n'y a plus papa-maman sur les bulletins scolaires. »
MURIEL PENICAUD
Vous savez, moi ce qui m'ennuie le plus, c'est que c'est de ça dont on parle. On n'est pas en train de parler de l'obligation de formation où on va permettre à tous les jeunes de seize, dix-huit ans - c'est un travail commun de Jean-Michel BLANQUER et de moi et de Gabriel ATTAL - d'avoir des chances de réussite, comment on dédouble les classes pour que chacun ait la réussite. Aujourd'hui il y a tellement de jeunes, d'enfants qui ne réussissent pas à l'école. Ça, c'est le coeur de la loi. Parlons de ça, c'est plus important.
RENAUD DELY
Il y a une instrumentalisation politique à vos yeux de la part des opposants au mariage pour tous ?
MURIEL PENICAUD
Non. Mais c'est des débats classiques en France sur ce sujet. Enfin, c'est des débats récurrents. Je le comprends mais ce n'est pas le plus important pour la réforme de l'école.
RENAUD DELY
Alors un autre sujet qui concerne lui RENAULT notamment. Carlos GHOSN, l'ancien patron de RENAULT, est toujours emprisonné au Japon et le Conseil d'administration de RENAULT a finalement décidé hier à l'unanimité qu'il ne verserait aucune indemnité à Carlos GHOSN. En l'occurrence ni sa rémunération en actions et en parts variables, ni une indemnité dite de non-concurrence. Il y en a pour plusieurs millions d'euros. Est-ce que cette décision de RENAULT elle vous satisfait, Muriel PENICAUD ?
MURIEL PENICAUD
Oui. Je crois que les membres du conseil d'administration ont pris leurs responsabilités. Ils ont eu raison. On est dans une situation très particulière, très exceptionnelle. Je pense que notamment à l'intérieur de RENAULT pour les salariés mais aussi à l'extérieur, personne n'aurait compris le vote inverse.
MARC FAUVELLE
Il n'y a pas de présomption d'innocence dans le cas de Carlos GHOSN ?
MURIEL PENICAUD
Si, il y a une présomption d'innocence du point de vue judiciaire.
MARC FAUVELLE
Mais pas du point de vue financier. On coupe avant de savoir, avant même un procès et un éventuel jugement.
MURIEL PENICAUD
Vous savez, sur tous ces éléments de rémunération différée, il y a une obligation : c'est une obligation d'être en poste. Carlos GHOSN n'est plus en poste.
MARC FAUVELLE
Et pour cause, il est en prison.
MURIEL PENICAUD
Et pour cause. Donc il ne peut pas remplir les conditions.
MARC FAUVELLE
Ça ne l'empêchera pas de toucher une retraite de plusieurs centaines de milliers d'euros chaque année.
MURIEL PENICAUD
Alors il y a le des retraites que l'on appelle les retraites chapeaux, des retraites particulières d'entreprises qui sont plutôt en voie d'extinction dans les entreprises. D'ailleurs j'y suis favorable à titre personnel. Je crois qu'il faut arrêter d'avoir des systèmes de retraite exceptionnels pour les dirigeants d'entreprise.
RENAUD DELY
Et est-ce qu'il ne faut pas de nouveau légiférer ?
MARC FAUVELLE
Plus de retraite du tout ou plus de retraite chapeau ?
MURIEL PENICAUD
Non. La retraite de droit commun…
MARC FAUVELLE
Ça, on ne va pas y toucher. Qu'on soit patron ou pas.
MURIEL PENICAUD
Heureusement que tout le monde a le droit à la retraite dans notre pays.
MARC FAUVELLE
Plus de retraite chapeau.
RENAUD DELY
Mais est-ce que ces retraites chapeau et le cas particulier de Carlos GHOSN vous incitent à plaider pour une nouvelle législation en la matière ? Est-ce que l'Etat doit s'emparer du sujet ?
MURIEL PENICAUD
Non. La législation, elle n'est pas faite pour le cas exceptionnel. Elle doit encadrer ce cas-là, mais on voit d'ailleurs qu'elle ne l'empêche pas puisque le conseil d'administration a pu prendre cette décision. Mais par contre, il y a les règles générales. Et d'ailleurs dans la loi PACTE que porte Bruno LE MAIRE, la transparence sur l'équité, les écarts de rémunération entre les dirigeants et la moyenne des salariés va être dans la loi PACTE et je pense que c'est une bonne chose. On est dans une ère aujourd'hui, comme pour l'égalité homme-femme, où il faut de la transparence.
RENAUD DELY
Mais donc la suppression des retraites chapeau, ça nécessiterait une loi.
MURIEL PENICAUD
Non. Il faut juste… Aujourd'hui il y a des dispositions qui le permettent mais enfin, ce n'est pas vraiment une loi. C'est des décisions d'entreprise mais je pense qu'il y a un mouvement dans les entreprises pour les supprimer.
MARC FAUVELLE
C'est un avis personnel que vous nous donnez là ?
MURIEL PENICAUD
C'est un avis personnel puisque j'ai été dirigeante…
MARC FAUVELLE
C'est l'avis du ministre ou c'est la position du Gouvernement ?
MURIEL PENICAUD
Non. On n'en a pas discuté encore. C'est juste parce que j'étais dirigeante d'entreprise. Je connais bien le dispositif et je pense que ça ne correspond plus à l'air du temps.
MARC FAUVELLE
Vous allez en parler en conseil des ministres peut-être ?
MURIEL PENICAUD
Nous parlons de beaucoup de choses en conseil des ministres et on parle de tous les sujets qu'on veut.
MARC FAUVELLE
Dans le cadre du Grand débat, vous pouvez mettre une proposition sur la table : interdire les retraites chapeau.
MURIEL PENICAUD
On verra si on en parle mais en tout cas, il n'y en a plus beaucoup. Il n'y a plus beaucoup d'entreprises qui en ont. Elle les supprime progressivement.
RENAUD DELY
Vous évoquiez le dossier de l'égalité salariale hommes femmes. Précisément c'est le 1er mars que les mesures que vous avez prises doivent entrer en vigueur dans les entreprises de plus de mille salariés. C'est-à-dire que vous avez écrit à ces entreprises il y a une dizaine de jours, vous leur avez écrit quoi ? Vous les avez menacées ? Vous leur rappelez les règles qui vont être mises en oeuvre ?
MURIEL PENICAUD
Non. Je leur rappelle que la loi du 5 septembre pour la liberté de choisir son avenir professionnel fait une avancée majeure sur ce sujet. On est le premier pays au monde qui va passer à une obligation de résultat. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que ça fait quarante-six ans qu'on est obligé d'avoir à travail égal = salaire égal, ça fait quarante-six ans que ce n'est pas respecté. Il y a 9 % d'écart et 25 % sur la carrière. Donc on passe 1 : obligation de résultat ; 2 : obligation de transparence sur l'égalité homme femme. Ça veut dire que le 1er mars, toutes les entreprises de plus de mille salariés en France vont publier leur index de l'égalité qui a été défini avec les partenaires sociaux par décret.
MARC FAUVELLE
Index sur lesquels on va constater qu'il y a des différences de salaires.
MURIEL PENICAUD
On va constater qu'il y a des différences.
MARC FAUVELLE
Oui. Et donc il se passe quoi après ?
MURIEL PENICAUD
Les entreprises ont une obligation de faire une enveloppe de rattrapage salarial pour les femmes ou pour les hommes si c'était l'inverse, mais enfin je ne suis pas sûre qu'il y aura des cas.
MARC FAUVELLE
Sur combien d'années on va rattraper les salaires ?
MURIEL PENICAUD
Sur trois ans.
MARC FAUVELLE
Sur trois ans.
MURIEL PENICAUD
Et en trois ans, ça doit être réglé. Il va y avoir…
MARC FAUVELLE
Il va y avoir des sacrées augmentations pour certaines femmes dans certaines entreprises si vraiment elles appliquent la loi.
MURIEL PENICAUD
Oui, c'est une bonne nouvelle. On estime à plusieurs millions de femmes qui vont avoir un pouvoir d'achat qui augmente parce qu'enfin on fera de l'égalité. Et je voulais saluer certaines entreprises qui ont déjà commencé. Je pense par exemple au groupe LES ECHOS-LE PARISIEN, désolée de citer des confrères, mais ça veut dire que même dans les médias, on peut le faire, qui viennent de passer un accord très intéressant sur la parité.
RENAUD DELY
Et si elles ne le font pas, Muriel PENICAUD ?
MURIEL PENICAUD
Si elles ne le font pas, il y a une sanction qui pourra aller jusque 1 % - de la masse salariale chaque année. Donc c'est un membre du Gouvernement qui vous le dit : donnez le plutôt aux femmes qu'aux pouvoirs publics, voilà au Trésor public.
MARC FAUVELLE
Mais on est bien d'accord que les sanctions, ce sera dans trois ans.
MURIEL PENICAUD
Oui, c'est dans trois ans. Mais vous savez, c'est quelque chose qu'on ne règle pas en quarante-six ans. Trois ans pourquoi ? Comme il y a des enveloppes importantes à mettre en place, on a constaté que les entreprises qui ont réussi à le faire ont mis deux, trois ans pour le faire.
MARC FAUVELLE
Evidemment, la Fonction publique…
MURIEL PENICAUD
Deux, trois ans, il n'y a pas d'excuse. Sur un an, ce n'est pas toujours possible.
MARC FAUVELLE
Evidemment la Fonction publique va donner l'exemple.
MURIEL PENICAUD
Alors la Fonction publique, il y a déjà une égalité. Mais par contre, il n'y a pas égalité sur les perspectives de carrière et sur les promotions.
MARC FAUVELLE
Donc vous annoncez ce matin au micro de Franceinfo que les fonctionnaires femmes…
MURIEL PENICAUD
Et donc c'est quelque chose dont on parle très souvent en conseil des ministres, le Président de la République insiste beaucoup. Chaque nomination, il faut justifier le nombre de femmes et d'hommes qui sont nommés, mais il y a un projet d'accord sur la table entre Olivier DUSSOPT et les partenaires sociaux aussi dans le domaine de la Fonction publique. Je pense que c'est le moment, c'est le moment de faire vraiment la différence. Je pense que la France peut le faire et donc toutes les entreprises sont appelées à le faire. (…)
MARC FAUVELLE
Muriel PENICAUD, vous venez de nous expliquer que le Gouvernement faisait particulièrement attention aux nominations des femmes. En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, c'est complètement raté. Trois nominations annoncées hier, trois hommes.
MURIEL PENICAUD
Alors le sujet de la nomination des femmes, on voit que c'est un travail de longue haleine parce qu'il faut aussi donner la chance à toutes les femmes d'avoir une promotion. C'est pour ça, outre les mesures sur l'égalité professionnelle qui deviennent dans la vraie vie dès le 1er mars, on a aussi par exemple dans la loi Avenir professionnel crée des droits de formation plus importants…
MARC FAUVELLE
Ce n'était pas du tout la question.
MURIEL PENICAUD
Je suis loin du conseil constitutionnel mais j'en profite pour…
MARC FAUVELLE
Je sens que vous allez y arriver tout doucement mais je vous rappelle qu'il y a un objectif au bout.
MURIEL PENICAUD
J'y arrive toujours. Je réponds toujours aux questions.
RENAUD DELY
Pourquoi pas une femme ?
MURIEL PENICAUD
Les femmes à temps partiel auront les mêmes droits, les hommes aussi mais enfin 80 % c'est des femmes, à la formation pour avoir des chances de promotion. A l'autre bout de la chaîne, il y a le Conseil constitutionnel. Je pense que le jour où on ne se posera pas la question parce qu'il y aura tellement de profils évidents, c'est parce que beaucoup de femmes auront pu avoir des responsabilités de haut niveau. La politique n'était pas le plus en avance alors on fait des progrès.
RENAUD DELY
Il n'y avait pas de profils évidents à vos yeux ?
MURIEL PENICAUD
Grâce à la République en Marche, on a un taux de femmes beaucoup plus important à l'Assemblée.
MARC FAUVELLE
Mais pas chez les Sages.
MURIEL PENICAUD
Pas chez les Sages. Mais pour nommer chez les Sages, il faut aussi qu'il y ait plus de femmes qui aient des responsabilités importantes, donc j'espère que ça viendra. Ce serait un beau marqueur.
RENAUD DELY
C'est faut d'offres d'après vous ? C'est faute de profils, faute de femmes juristes par exemple ?
MURIEL PENICAUD
Je vais prendre un exemple. Il y avait Nicole BELLOUBET mais elle est venue au Gouvernement.
MARC FAUVELLE
Oui, elle a fait le chemin inverse.
MURIEL PENICAUD
Elle fait le chemin et c'est très utile d'avoir quelqu'un qui a cet oeil au Gouvernement donc voilà. Mais il y en aura d'autres dans le futur.
MARC FAUVELLE
Est-ce qu'on peut être membre du Conseil constitutionnel et donc surveiller la juste application de la Constitution française et avoir été condamné à quatorze mois de prison avec sursis comme Alain JUPPE ?
MURIEL PENICAUD
Alors je crois que la question aujourd'hui pour le Conseil constitutionnel, quand vous dites les Sages, les Sages il faut accepter qu'un des critères - c'est pour ça qu'il y a plusieurs anciens Premiers ministres - c'est le critère de l'expérience, de l'expérience y compris sur le plan législatif est très important.
MARC FAUVELLE
Les antécédents judiciaires ne sont pas un des critères de sélection pour vous ?
MURIEL PENICAUD
Alors ça dépend. Il y a des limites dans le sujet. Après il y a une commission qui se réunit cette semaine pour tous les candidats, qui vérifie la constitutionnalité. Vous savez, la Constitution c'est notre règle d'or. Donc soit les choses sont possibles dans la Constitution, soit elles ne le sont pas. C'est le rôle du Conseil constitutionnel. C'est vrai aussi pour les nominations.
RENAUD DELY
Si c'est légal, ce n'est pas choquant.
MURIEL PENICAUD
Si la loi l'autorise, ça n'est pas choquant. Je crois qu'à un moment donné, on ne peut pas remettre en question chaque loi chaque jour. Par ailleurs, c'est un grand homme d'Etat qui apportera certainement beaucoup au Conseil constitutionnel.
RENAUD DELY
Nous évoquions en début d'entretien les chiffres du chômage qui viennent de tomber. Est-ce que vous redoutez qu'au début 2019, les chiffres à venir avenir soient impactés par les conséquences du mouvement des Gilets jaunes ?
MURIEL PENICAUD
Oui, c'est une crainte que j'ai puisque les entreprises, notamment les petites et moyennes et notamment le commerce, ont beaucoup souffert en décembre notamment. Aujourd'hui on est à soixante-douze mille demandes de chômage partiel des entreprises. J'ai provisionné trente-huit millions d'euros dans mon ministère pour ça. Chômage partiel c'est quoi ? C'est que le ministère du Travail donne une aide aux entreprises pour continuer à payer le salaire de personnes qui sont empêchées d'aller travailler, qui ne peuvent pas aller travailler pour ne pas qu'ils perdent leur emploi. Néanmoins, dans neuf cas sur dix, c'est des petites entreprises qui le demandent et avec Bruno LE MAIRE, nous avons la crainte de certaines défaillances d'entreprises, de certaines faillites. En tout cas, c'est que ça ralentit au mois de décembre les embauches puisqu'il y a beaucoup d'embauches qui n'ont pas eu lieu.
RENAUD DELY
Dans quels secteurs en particulier ? Ce sont des très petites entreprises qui sont menacées ?
MURIEL PENICAUD
Ces entreprises, c'est beaucoup le petit commerce bien sûr. A chaque fois qu'il y a des manifestations violentes qui sont annoncées pour le samedi et que les commerces ferment ou que les clients n'osent pas y aller, il y a beaucoup d'effets. Dans l'artisanat, le bâtiment aussi parfois où il y a eu des livraisons de matériel pas possibles. Donc oui, il y a des secteurs qui ont été impactés. Il faut que ces violences s'arrêtent. Ces violences, elles sont non seulement anti-républicaines, elles sont contre la démocratie mais elles sont aussi contre l'emploi.
RENAUD DELY
Trente-huit millions d'euros d'aides publiques vous dites, est-ce que ça sera suffisant ou est-ce que le Gouvernement peut prendre d'autres mesures d'urgence ?
MURIEL PENICAUD
Je provisionnerai tout ce qu'il faut pour le chômage partiel. A partir du moment où on a mis en place une mesure accélérée, les entreprises le demandent : elles ont la réponse dans les quarante-huit heures. Il ne faut pas que les salariés soient pénalisés mais vous voyez bien qu'on est dans une situation aberrante. L'Etat est obligé d'intervenir pour aider à financer l'emploi dans ces petites entreprises pour ne pas que les gens perdent leur emploi. J'espère qu'il n'y aura pas trop de défaillances en début d'année.
MARC FAUVELLE
Hier Christophe DETTINGER, le boxeur qui avait frappé des gendarmes le mois dernier à Paris, a été condamné à un an de prison ferme. C'est un homme qui n'avait pas de casier auparavant. Est-ce que c'est un jugement qui vous a surpris ?
MURIEL PENICAUD
Je pense que tous ceux qui disent que la justice ne fait pas son travail, voilà, la justice elle juge en responsabilité. Je pense qu'on n'a pas le droit de s'habituer à la violence. La violence, c'est toujours la loi de la jungle, c'est toujours la loi du plus fort. On le voit bien, il y en a qui n'ont plus le droit de parler même parmi les Gilets jaunes parce qu'ils ont peur de la violence. Donc si on veut quelque chose de serein, il faut faire quoi ? Il faut aller débattre, aller s'engager. C'est ce qui se passe et dans le Grand débat national, j'avoue que je suis moi-même surprise et extrêmement heureuse de voir à quel point nos concitoyens, oui, ils veulent parler. Ils ont leur mot à dire. On est à plus de huit cent mille contributions individuelles. Il y a plus de quatre mille débats, c'est passionnant.
MARC FAUVELLE
Six mille débats les derniers chiffres, et neuf cent mille contributions. C'est les tout derniers chiffres que Franceinfo a révélés ce matin.
MURIEL PENICAUD
Tous les jours ça augmente, donc mes chiffres d'il y a deux jours ne sont plus bons. Il y a cette soif, cet appétit de discuter qui pour moi est un signe de la vitalité démocratique de notre pays. C'est là où il faut aller pour peser, pour discuter. Il y aura des suites ensuite. Et la violence ce sont des extrêmes, des casseurs et il faut clairement les condamner et les distinguer de ceux qui veulent vraiment impacter et participer au débat.
MARC FAUVELLE
Merci Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 février 2019