Texte intégral
MARC FAUVELLE
Bienvenue aux téléspectateurs de Franceinfo canal 27 qui nous rejoignent à l'instant. On est ensemble, radio et télé réunies, jusqu'à neuf heures comme chaque matin. Notre invité ce matin, le Secrétaire d'Etat chargé du Numérique et Renaud DELY est à mes côtés.
RENAUD DELY
Bonjour Mounir MAHJOUBI.
MOUNIR MAHJOUBI, SECRETAIRE D'ETAT AU NUMERIQUE
Bonjour.
RENAUD DELY
Dans un contexte de recrudescence d'agressions, d'actes antisémites, Emmanuel MACRON a prononcé hier soir un discours très attendu lors du dîner annuel du CRIF. Il a lancé la contre-attaque contre ce climat. Voici ce qu'il a annoncé.
EMMANUEL MACRON, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Nous avons condamné beaucoup. Adopté des plans souvent depuis des années et des années. Voté des lois parfois. Mais nous n'avons pas su agir efficacement, c'est vrai. Le temps est donc venu des actes. Tranchants, concrets.
RENAUD DELY
Parmi ces actes, le Président de la République a annoncé prochainement une loi pour chasser les propos antisémites et racistes d'Internet.
MOUNIR MAHJOUBI
Oui. Hier soir, c'était un dîner très émouvant. Il y a eu d'abord le discours de Francis KALIFAT qui était très prenant où lui-même, le président du CRIF, a voulu pointer le fait qu'aujourd'hui, l'antisémitisme vit très fort dans le monde physique mais il vit encore plus fort dans le monde virtuel. Et le Président MACRON a voulu apporter, et vous l'avez entendu, des actions. Qu'est-ce qu'on va faire en 2019 pour changer les choses ?
RENAUD DELY
Qu'y aura-t-il dans cette loi ?
MOUNIR MAHJOUBI
Dans cette loi, l'enjeu majeur c'est comment on identifie et on poursuit ceux qui sont les auteurs de ces paroles antisémites. Comment on oblige les plateformes à mieux collaborer pour les identifier. On parle beaucoup de l'anonymat mais aujourd'hui, et c'est ce qu'a rappelé le Président de la République, quand on a le pseudo de quelqu'un qui est sur Twitter envoie un message de haine. Si on demande à Twitter, si un juge demande à Twitter, si un enquêteur judiciaire demande à Twitter : « Donnez-moi l'adresse IP qui va avec ça », en quelques minutes dans la très grande majorité des cas, on récupère son identité et on peut démarrer la poursuite. Et ensuite, on peut condamner.
MARC FAUVELLE
Donc ça ne sert à rien de faire une loi. Vous êtes en train de nous dire qu'on a déjà tous les outils.
MOUNIR MAHJOUBI
Non malheureusement. Ce que je vous décris, c'est quand ça fonctionne bien. Sauf qu'aujourd'hui, ces plateformes parfois mettent beaucoup trop de temps à le donner. Plusieurs semaines, plusieurs mois avant de donner les éléments qui permettent d'identifier.
RENAUD DELY
Pourquoi ? Pourquoi elles ne collaborent pas ?
MOUNIR MAHJOUBI
Parce qu'elles n'en ont pas une obligation et elles n'ont pas une obligation de résultat en termes de délai. Et aujourd'hui, il faut qu'on soit capable d'améliorer cela par une imposition. Mais attention, ce n'est pas fini. Il faut qu'on oblige ces plateformes à nous aider à identifier les auteurs de ces délits mais il faut aussi que ces plateformes soient obligées de supprimer le plus vite possible ces contenus.
MARC FAUVELLE
Ça veut dire combien de temps ? Vingt-quatre heures, ce sera ça le délai ?
MOUNIR MAHJOUBI
Chaque minute – chaque minute – où ce contenu reste en ligne, il augmente le préjudice subi par les victimes et il augmente le préjudice qu'il a sur la société.
MARC FAUVELLE
Donc une fois la loi votée, les plateformes Facebook, Twitter auront vingt-quatre heures pour faire le ménage.
MOUNIR MAHJOUBI
Vingt-quatre heures c'est bien trop long.
MARC FAUVELLE
C'est trop long ?
RENAUD DELY
Moins que ça ?
MARC FAUVELLE
Ça sera combien de temps ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ça sera plus intelligent.
MARC FAUVELLE
Ah ! Expliquez.
MOUNIR MAHJOUBI
C'est-à-dire que ces plateformes selon leur taille, selon leurs moyens, elles pourraient retirer beaucoup plus vite que ça des contenus qui sont manifestement illégaux, qui auront été identifiés de telle manière qu'ils sont considérés comme étant manifestement illégaux. Ce qui est important, c'est qu'on définisse très clairement et en toute transparence quelles sont les règles de signalement, quels sont les types de contenus et quelles règles de modération s'appliquent. Et si on a des règles qui sont très bien structurées, très bien expliquées, très transparentes, alors derrière la suppression doit être très rapide.
RENAUD DELY
Donc concrètement, ça veut dire quelles sanctions ? Ça veut dire des amendes, des amendes de quel montant ?
MOUNIR MAHJOUBI
Il faut imaginer deux types de choses. 1 : des obligations de moyens. On va obliger les plateformes, c'est là où on va plus loin que la loi allemande. On va obliger les plateformes 1 : à rendre transparent et avoir un dispositif avant que les actes arrivent. Avec un vrai processus de modération transparent, avec des obligations de moyens humains derrière pour s'assurer qu'ils vont vraiment traiter les sujets. Et puis après une obligation de résultat, c'est-à-dire que si ces contenus ne sont pas supprimés, une amende et une amende très importante.
MARC FAUVELLE
Ça veut dire quoi une amende très importante ? En Allemagne, c'est jusqu'à cinquante millions d'euros.
MOUNIR MAHJOUBI
Tout à fait.
MARC FAUVELLE
En France, ce sera quoi ?
MOUNIR MAHJOUBI
Et le but de cette amende, c'est quoi ? Ce n'est pas qu'elle soit activée régulièrement. C'est que le jour où elle est activée, elle est douloureuse pour la plateforme. Donc en Allemagne, elle a été…
MARC FAUVELLE
Vous pensez que vous allez faire trembler Facebook qui réalise des bénéfices en dizaines de milliards de dollars avec des amendes de quelques millions d'euros ?
MOUNIR MAHJOUBI
Il ne s'agit pas de faire trembler ou ne pas faire trembler. Aujourd'hui, ces plateformes ont envie de respecter la loi et ces plateformes ont compris que si elles n'apportaient pas une solution à la lutte contre la haine en ligne, c'est tous les utilisateurs qui vont quitter ces plateformes. Aujourd'hui il se passe des choses ignobles. On va en parler tout à l'heure peut-être. Ce qui s'est passé pendant le live Facebook de France 3, c'était ignoble.
MARC FAUVELLE
On va en parler tout de suite si vous le voulez bien. Renaud DELY, on en parle tout de suite.
MOUNIR MAHJOUBI
Les gens ont quitté la plateforme tellement c'était sale. On ne peut plus rester dans un Internet comme celui-là.
RENAUD DELY
C'était mardi. Ça, c'était mardi. France 3 a dû interrompre la retransmission effectivement sur Facebook, Facebook live, de la visite d'Emmanuel MACRON au cimetière juif profané de Quatzenheim qui est à une vingtaine de kilomètres de Strasbourg parce que l'écran qui retransmettait cette visite était submergé de messages antisémites, haineux, Heil Hitler, sale Juif et cætera. Qu'est-ce que vous pouvez faire dans ce contexte-là et qu'est-ce que votre loi va changer ? Qu'est-ce que votre future loi va changer ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ce que je veux que tout le monde comprenne, c'est que ceux qui ont fait ces commentaires, pas ceux qui en ont écrit des milliers, même celui qui en a fait, un celui qui a écrit « sale Juif », celui qui a écrit « les Juifs n'ont pas leur place ici, Heil Hitler », je veux que chacun se dise que chacun peut être poursuivi et que chacun pourra l'être et qu'avec les nouveaux outils qu'on va mettre en place ce sera très rapide. Aujourd'hui, nous avons déjà les outils pour les poursuivre mais pour chacun ça mettra plusieurs mois pour y arriver. Avec le dispositif que nous allons mettre en place et qui sera porté par la députée Laetitia AVIA, nous allons pouvoir les attraper un par un et les sanctionner. Ce qui ne fonctionne pas aujourd'hui, c'est l'impunité. C'est de se dire : « Comme c'est trop compliqué, les juges ne poursuivront. Les enquêteurs n'y arriveront pas. » Maintenant, on peut le dire : les juges y arriveront, les enquêteurs y arriveront.
RENAUD DELY
Mais est-ce que l'outil le plus simple, ce ne serait pas de lever l'anonymat ?
MOUNIR MAHJOUBI
Mais qu'est-ce qu'on appelle « lever l'anonymat » ? Ce que je vous ai présenté tout à l'heure, c'est lever l'anonymat. Chacun de ces commentateurs…
MARC FAUVELLE
A posteriori, une fois que le délit est commis. On vous pose la question, Mounir MAHJOUBI, parce qu'en ce moment-même la loi casseurs a été votée il y a quelques jours : on interdit les cagoules dans la rue mais on autorise les utilisateurs des réseaux sociaux à rester masqué, à avancer masqué et à insulter masqué.
MOUNIR MAHJOUBI
Il faut qu'on revienne…
MARC FAUVELLE
Ce n'est pas comme dans la vraie vie, les réseaux sociaux.
MOUNIR MAHJOUBI
En fait, on peut appeler ça les réseaux sociaux mais parlons d'Internet. Sur Internet, il n'y pas deux mille moyens de lever l'anonymat. Si on veut lever l'anonymat, il faut le lever complètement et donc ça veut dire que pour vous connecter à l'Internet, vous devez mettre votre carte de citoyen et on identifie que c'est le citoyen MAHJOUBI qui se connecte à tous les sites Internet et cætera.
MARC FAUVELLE
Obliger comme le dit à droite Eric CIOTTI tous les utilisateurs des réseaux sociaux avant de s'inscrire à envoyer leur carte d'identité. Je crois que c'est déjà le cas sur Facebook.
MOUNIR MAHJOUBI
Non. C'est le cas sur Facebook en cas de compte suspicieux.
MARC FAUVELLE
Ça ne serait pas le minimum ça ? Que derrière chaque utilisateur il y ait, pas forcément en données publiques, ces informations.
MOUNIR MAHJOUBI
Tirons ensemble le fil de cela. Qu'est-ce qui se passe si on obligeait Facebook et Twitter à faire ça ? Eh bien, une grande partie des utilisateurs se déporteront sur d'autres plateformes qui ne l'appliqueront pas ou qui ne seront pas de type réseaux sociaux. Vous savez par exemple le chat, moi j'ai commencé le chat il y a vingt ans sur IRC. C'est un protocole de chats qui échangent, ce n'est pas une plateforme, ce n'est pas une marque donc il n'y a pas de moyen de…
RENAUD DELY
C'est la concurrence. C'est la concurrence en fait qui vous empêche de prendre cette mesure.
MOUNIR MAHJOUBI
Ce n'est pas la concurrence. C'est la concurrence des technologies. En fait…
RENAUD DELY
C'est le marché.
MOUNIR MAHJOUBI
Ce n'est pas le marché. Pour ceux qui viennent de l'Internet, en fait vous voyez cette incompréhension majeure qu'il y a entre nous, c'est strictement impossible. Mais je vois dans vos yeux cette idée qu'on parle de concurrence. Il y a dans la profondeur des réseaux, de ce que sont les réseaux, de ce que sont ces protocoles, l'incapacité à obliger les personnes à donner leur pièce d'identité. On peut le faire sur…
MARC FAUVELLE
Mais on le fait partout. On le fait pour acheter de l'alcool. On le fait pour acheter du tabac. On le fait pour aller manifester. Mais pour aller sur Facebook, on ne peut pas le faire. Pardon, on est très en retard.
MOUNIR MAHJOUBI
Par site Internet, on pourrait le faire. Mais je vous assure que ça n'aurait aucune efficacité dans ce que nous disons aujourd'hui. Ce que nous souhaitons aujourd'hui, c'est lever l'anonymat d'une personne quand elle a commis un délit. Et aujourd'hui, je vous le dis, c'est faisable et personne ne se connecte de façon anonyme. On a tous un fournisseur d'accès. C'est pour ça que quand Twitter ou Facebook donnent l'adresse IP, dans la très grande majorité des cas on les retrouve, on les condamne et ça c'est une certitude que chacun doit avoir quand il est en ligne. (…)
MARC FAUVELLE
Question très simple pour les auditeurs et les téléspectateurs de Franceinfo, quand on est témoin ou victime d'une injure, d'une insulte, d'une haine sur Internet, on fait quoi ?
MOUNIR MAHJOUBI
Deux choses. Si vous pensez que c'est grave, si vous ressentez que c'est grave, vous allez sur la plateforme PHAROS qui est la plateforme de signalement des contenus Internet où derrière vous allez avoir des personnels de police, de gendarmerie qui vont pouvoir accueillir et traiter cette demande. Mais dans tous les cas sur toutes les plateformes, il y a une obligation d'avoir un dispositif de signalement. D'ailleurs dans le…
MARC FAUVELLE
Qu'on trouve facilement ?
MOUNIR MAHJOUBI
Qu'on trouve plus ou moins facilement.
MARC FAUVELLE
Bon, qu'on trouve en cherchant, oui.
MOUNIR MAHJOUBI
Et dont le parcours est plus ou moins facile. Et d'ailleurs, ça sera dans la fameuse proposition de loi un des éléments qu'il faudra absolument éclaircir.
MARC FAUVELLE
Un bouton unique pour signaler les problèmes, ce qui serait quand même une évidence.
MOUNIR MAHJOUBI
C'est en tout cas ce que moi j'ai souhaité depuis longtemps : un bouton unique qu'on retrouve sur toutes les plateformes, qui permet d'avoir aussi un vocabulaire unique. Aujourd'hui entre Twitter, Facebook et Instagram, chacun a des catégories différentes. Mais sachez que sur PHAROS, dès que vous signalez un cas d'harcèlement sexuel, un cas d'harcèlement groupé ou un cas de haine ciblée extrêmement grave, assez rapidement vous êtes contacté, assez rapidement vous êtes accompagné. Et sur les plateformes, c'est très inégale. Hier le Président rappelait : il y a des plateformes qui sont plus ou moins exemplaires. Twitter met plusieurs semaines à répondre et parfois ce n'est pas acceptable.
RENAUD DELY
Justement, Facebook en revanche depuis le 1er janvier ouvre ses portes, c'est ça ? Accueille des experts. Enfin ouvre en tout cas ses méthodes de lutte contre le harcèlement ?
MOUNIR MAHJOUBI
Oui. Mark ZUCKERBERG, vous savez, à travers le monde a été mis en accusation sur justement : que faites-vous monsieur ZUCKERBERG pour protéger les personnes qui sont sur votre plateforme ? Vous avez des centaines de millions, des milliards d'utilisateurs dans le monde ; que faites-vous pour les protéger ? Et il a publié un long texte en expliquant que, oui, aujourd'hui nous avons une responsabilité. Et nous, nous lui avons dit : puisque vous avez pris conscience de cette responsabilité-là, ouvrez-nous vos portes. Chiche, allez-y, ouvrez-nous vos portes.
RENAUD DELY
Et il le fait ?
MOUNIR MAHJOUBI
Depuis plusieurs semaines, une équipe d'une dizaine de personnes issues de différentes administrations - la justice, l'intérieur, les services du numérique, les services de lutte contre les discriminations au sein de la DILCRAH - ont accès, ont rencontré les équipes qui font la modération en ligne, ont rencontré les équipes qui ont mis en place les algorithmes de modération pour discuter avec eux de leur situation actuelle. Attention, ce n'est pas Facebook qui est en train d'écrire le texte de loi. C'est Facebook qui a dit : je sens cette pression, je vous ouvre les portes.
RENAUD DELY
Ce n'est pas du lobbying. Les GAFA ne vont pas faire du lobbying pour peser sur ce texte de loi à venir.
MOUNIR MAHJOUBI
Ils vont tous essayer évidemment. Mais je vous assure aujourd'hui que la détermination, elle est nette, elle est claire. Ce qu'a annoncé le Président de la République hier, il n'y a aucune ambivalence, aucune ambiguïté. Le mois de mai arrive, c'est très bientôt. Nous travaillons sur le sujet depuis un an. Il faut rappeler la genèse : c'était il y a un an à ce même dîner qu'il avait lancé la mission Avia-Taïeb-Amellal. Suite à cette mission, j'ai animé un travail interministériel. Donc aujourd'hui, il y a le travail construit par cette mission, tout le travail interministériel qui a été fait, l'expérimentation chez Facebook. Nous serons prêts pour le mois de mai avec Madame AVIA pour avoir une proposition nette pour poursuivre et pour punir.
RENAUD DELY
Et depuis un an, les affaires de harcèlement aussi se sont multipliées. On a appris par exemple il y a quelques semaines cette histoire dite de la Ligue du « lol », ces jeunes gens travaillant pour l'essentiel dans le milieu du journalisme ou de la communication qui en fait ont harcelé sous couvert de sarcasmes en particulier des jeunes femmes pendant des années. On s'aperçoit que le harcèlement aujourd'hui, ça concerne des tas de milieux différents en fait. Que toute la société est rongée potentiellement par ce mal-là.
MOUNIR MAHJOUBI
Elle est complètement rongée. Du collège au lycée jusque dans les milieux professionnels et les milieux d'élite. Et à chaque fois c'est le plus faible, à chaque fois ce sont les femmes, à chaque fois ce sont les personnalités LGBT qui sont les cibles de ces groupes. Il y a des dynamiques de groupe qu'on reconnaît mais c'étaient des dynamiques de cour d'école. Sauf qu'aujourd'hui elles sont multipliées, elles sont passées à un extrême absolu. La ligue du lol, c'est un ciblage absolu où une meute entière de jeunes hommes ensuite sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie venait harceler. Et on voit qu'aujourd'hui les femmes qui en ont été victimes, parce que ce sont 90 % de femmes ou plus, elles l'ont vécu et ça a amené dans leur vie à des drames. Certaines ont arrêté leur carrière, certaines n'ont jamais pu se reconnecter à Twitter, certaines ont arrêté le journalisme. C'est aujourd'hui intolérable. Il s'est passé deux choses. 1 : Il y a eu la libération de la parole. Les gens ont dit : on n'accepte plus ça. Pas qu'avec cette ligue du lol, aussi actuellement dans les rédactions. Tous les boys clubs virtuels qui existent et qu'on découvre chaque jour et qui mettent à mal toutes les rédactions. Et ça, il faut qu'on arrête.
RENAUD DELY
Ce que vous dites, est-ce que ça nécessite de changer la prescription en la matière ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ce qui était important, c'était déjà de qualifier le fait de harcèlement quand dix personnes venaient vous attaquer. Jusqu'à l'année dernière, avant la loi Schiappa, il n'y avait pas le moyen d'appeler ça du harcèlement.
RENAUD DELY
Mais il faut aussi permettre aux victimes de pouvoir porter plainte et souvent c'est délits-là sont prescrits, en tout cas avec la législation actuelle.
MOUNIR MAHJOUBI
Je comprends votre question de la prescription mais je vais vous dire que déjà on a fait avancer les choses. C'est qu'avant on ne pouvait même pas porter plainte, même dans la période avant la prescription, parce que ça ne s'appelait pas du harcèlement. Parce que le harcèlement, il fallait qu'il y ait plusieurs fois la même personne. Maintenant quand dix fois, une fois dix personnes le fait, c'est du harcèlement. Donc on a fait avancer les choses. Sur la prescription, vous savez, il faut toujours discuter de la prescription. La prescription, c'est dans notre droit quelque chose qui change avec les mentalités, qui change avec l'Etat d'acceptation. Est-ce qu'aujourd'hui on souhaite que le harcèlement en général - pas que sur Internet, il faut que ce soit une réflexion générale sur le harcèlement - est-ce qu'on pense qu'il faut aller plus loin ? Ça, il faut le poser mais la question de prescription, c'est des questions sociétales qui doivent prendre du temps.
MARC FAUVELLE
Vous en avez été victime vous aussi de ces campagnes de cyber-harcèlement ?
MOUNIR MAHJOUBI
Oui. Mais comme le rappelle Marlène SCHIAPPA, ce n'est pas très agréable. C'est un peu dur. On reçoit des vidéos de nous, on reçoit des photos de nous, on reçoit des montages de nous, on reçoit… Chaque jour, on voit une dizaine de messages qui appellent à mon meurtre, qui appellent à…
MARC FAUVELLE
Et qu'est-ce que vous faites ?
MOUNIR MAHJOUBI
Déjà j'ai installé une application qui s'appelle Bodyguard qui m'a été conseillée par Bilal HASSANI, qui utilise ça lui aussi pour filtrer…
MARC FAUVELLE
Le candidat français à l'Eurovision.
MOUNIR MAHJOUBI
Le candidat français à l'Eurovision qui a battu tous les records d'amour et de haine.
MARC FAUVELLE
Vous avez installé donc un logiciel qui fait quoi ?
MOUNIR MAHJOUBI
Bodyguard qui fait une chose : qui identifie les messages haineux et les supprime avant que vous puissiez les voir. Par contre je vais vous dire, dans cette application il y a aussi une fonction qui s'appelle « voir les messages qui ont été supprimés ». Et quand vous y allez, l'écran vous fait : êtes-vous sûr de vouloir vraiment voir ces messages ? Ils sont pleins de haine, vous ne devriez peut-être pas les regarder.
MARC FAUVELLE
Mais Mounir MAHJOUBI, c'est le même ministre qui nous a dit il y a dix minutes : il faut porter plainte dès qu'il se passe quelque chose et qui installe un logiciel qui fait qu'on ne voit plus ces messages-là. C'est le même ?
MOUNIR MAHJOUBI
Oui. Et c'est le même ministre qui a aussi…
MARC FAUVELLE
Non mais ça dit bien aussi la difficulté qu'on a…
MOUNIR MAHJOUBI
C'est le même ministre qui a aussi porté plainte à chaque fois que les menaces de mort étaient très précises, à chaque fois qu'elles étaient…
MARC FAUVELLE
Mais vous comprenez que si un ministre hésite à porter plainte à chaque attaque, un anonyme ou une anonyme qui est victime de ça a longueur d'année n'a pas forcément le courage non plus de le faire.
MOUNIR MAHJOUBI
C'est pour ça aussi, et le président l'a rappelé hier dans son discours, que dans quelques semaines, dans quelques mois on pourra grâce à la loi Justice qui vient d'être votée, déposer une plainte en ligne. Aujourd'hui pour déposer plainte, on doit aller au commissariat. Maintenant - enfin dans quelques semaines, maintenant que la loi est votée, maintenant il faut qu'on le mette en place, c'est le travail du gouvernement - on pourra déposer sa plainte depuis chez soi, entouré de ceux qu'on aime, dans un contexte rassurant pour décrire les pires choses qu'on vient de vivre. (…)
RENAUD DELY
Le gouvernement, plus précisément Bruno LE MAIRE d'ailleurs, avait annoncé l'instauration d'une taxe GAFA par la France, par la France seule, une taxe qui est censée rapporter je crois cinq cents millions d'euros sur l'année. Elle entrera en vigueur quand Mounir MAHJOUBI ?
MOUNIR MAHJOUBI
Vous savez que l'imposition des géants du numérique, c'est une priorité qu'on s'est donnée depuis près de deux ans, depuis que nous sommes au pouvoir avec une priorité : c'est l'obtenir au niveau mondial à l'OCDE, d'avoir une solution au niveau européen, et temporairement, puisque ces deux processus prennent beaucoup de temps, même si depuis que nous avons annoncé la solution nationale, les deux vont beaucoup plus vite. Et je pense qu'on aura une solution dès l'année 2019-2020, c'est-à-dire une solution valable pour toutes les entreprises alors à travers le monde.
RENAUD DELY
Alors puisque c'est prioritaire, c'est quand ?
MOUNIR MAHJOUBI
2019. C'est-à-dire que pour les législations fiscales, on peut faire des législations qui sont applicables au 1er janvier. C'est pour ça que Bruno LE MAIRE l'a rappelé : cette taxe, elle s'appliquera au 1er janvier 2019…
MARC FAUVELLE
Rétroactivement, donc une fois qu'elle sera adoptée.
MOUNIR MAHJOUBI
Tout à fait. Parce que les lois qui concernent la fiscalité le permettent. Donc oui, c'est l'engagement que nous avons pris avec une philosophie : il ne faut pas que cette loi elle sanctionne l'innovation, il ne faut pas que cette taxe elle sanctionne les entreprises qui sont en phase d'émergence, mais il faut aussi qu'elle ait du sens et il faut aussi qu'elle apporte de la justice. Personne ne comprend que ces géants ne payent pas d'impôts et fassent des milliards d'euros de bénéfices chaque année sur le territoire français.
MARC FAUVELLE
Mounir MAHJOUBI, vous nous disiez tout à l'heure que Twitter met des semaines à répondre aux sollicitations de la justice. J'ai une toute petite question : est-ce que le patron de Twitter vous prend au téléphone ?
MOUNIR MAHJOUBI
Le patron de Twitter est peut-être celui qui est le moins collaboratif si on veut dire les choses.
MARC FAUVELLE
Vous lui avez déjà parlé ?
MOUNIR MAHJOUBI
J'ai essayé à plusieurs reprises.
MARC FAUVELLE
Il ne vous répond pas ?
MOUNIR MAHJOUBI
Le patron de Twitter ? Non. Alors je peux vous donner un autre exemple : Mark ZUCKERBERG répond, s'engage, accepte aussi nos remarques…
MARC FAUVELLE
Il ne vous a jamais répondu ?
MOUNIR MAHJOUBI
Non. Alors à chaque fois, on est renvoyé vers ses équipes de très haut niveau françaises. Vous savez, tous les grands patrons des boîtes internationales ne sont pas présents en France. Mais vous savez, je l'ai répété à plusieurs reprises : moi ce que je n'accepte pas, c'est que le patron de Twitter publie tous les six mois ce qu'ils appellent les community rules. C'est les règles du dialogue et de la parole sur Twitter. C'est lui seul dans un bureau qui valide tous les six mois quel est l'état de la régulation sur Twitter, quels sont les mots qu'on accepte. Par exemple il décide que la nudité doit disparaître ; hop ! la nudité disparaît. Ça n'est discuté avec aucune autorité, ce n'est dépendant d'aucune des cultures des pays dans lesquels ces plateformes existent. Donc je trouve ça inacceptable. Moi je demande à Twitter d'être beaucoup plus sérieux et de toute façon, vous savez, maintenant qu'on avance sur une loi, ils seront obligés d'être plus sérieux. Sur la question de la modération, sur les délais de réponse, sur l'engagement en moyens humains pour y aller, et je crois que c'est important que tout le monde s'engage aujourd'hui. Et ces plateformes elles sont très puissantes, elles ont énormément de consommateurs qui vont sur ces plateformes ; ça veut donc dire qu'elles ont une très grande responsabilité et il faut qu'elles la prennent en charge.
RENAUD DELY
Au début du mois de janvier, Mounir MAHJOUBI, vous avez publié une longue tribune dans Le Monde à la gloire du mouvement des gilets jaunes, chantant les louanges de ce mouvement.
MOUNIR MAHJOUBI
Non, ce n'est pas exactement ça. D'ailleurs on était venu en parler ensemble ici. Ce n'est pas vraiment ce que…
RENAUD DELY
Ce texte était titré : « Elevons-nous à la gloire des Français » et vous expliquiez que les gilets jaunes étaient une chance pour la France. Est-ce que vous pensez toujours que ce mouvement est une chance pour la France ?
MOUNIR MAHJOUBI
Le début de ce mouvement est une véritable chance pour la France. C'est ce qui nous a amené au Grand débat. Un million de contributions aujourd'hui à ce Grand débat.
RENAUD DELY
Le début. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui.
MOUNIR MAHJOUBI
Dans mon texte, je ne disais pas « Elevons-nous à la hauteur des gilets jaunes. » J'ai dit : « Elevons-nous à la hauteur des Français. »
RENAUD DELY
« La gloire des Français. »
MOUNIR MAHJOUBI
Parce que dans ce mouvement des gilets jaunes, il y a des paroles qui ont été essentielles et qui ont fait que nous tous, nous nous sommes changé. Que nous tous, nous avons évolué. Que nous tous aujourd'hui, nous nous rendons compte qu'il s'est passé quelque chose en France qui nécessite qu'on change la façon de faire de la politique. Mais aujourd'hui, qui sont ceux qui manifestent ? Qui sont ceux qui aujourd'hui cassent ? Est-ce que ceux-là sont les mêmes ? Quand j'ai fait un Grand débat avec près de 200 mamans monoparentales, certaines d'entre elles ont été gilets jaunes, la plupart d'entre elles ne l'étaient pas, mais c'est trace au début de ce mouvement qu'elles se sont réunies pour faire des propositions. A chaque fois que je fais des propositions c'est que je veux un grand débat ou que je rencontre des gilets jaunes encore aujourd'hui, parce que je suis pour leur parler. Ce qui m'intéresse c'est les revendications originelles. Ceux qui me disent « on veut faire tomber MACRON, ça sert à rien tout ça, c'est le RIC où on se barre », cela n'apporte rien au débat.
RENAUD DELY
Donc il faut que ça s'arrête.
MOUNIR MAHJOUBI
Il faut que ces manifestations et ces blocages et surtout ces structures organisées de déferlement sur les villes, de destruction massive des objets collectifs, cela non seulement ça doit cesser, il faut qu'on les identifie et il faut qu'on les arrête. Ça n'est pas acceptable. Et ceux qui défilent encore avec eux, le font par conviction. Moi je leur dis : ne vous laissez pas manipuler, aujourd'hui vous êtes les manipulés de ceux qui ont décidé de mettre la France à bas, et la France n'acceptera pas, nous n'accepterons pas de nous faire violenter de cette manière, parce qu'il ne faut pas se tromper, ce n'est pas contre le gouvernement que ces gens se battent, c'est contre la France et c'est contre la République. Ceux qui ont tout cassé, ceux qui ont insulté FINKIELKRAUT, ceux qui chaque week-end font tout pour traumatiser les populations, vous croyez qu'ils en ont quelque chose à faire des familles monoparentales ? Donc ce n'est pas pour eux que j'ai proposé à nous tous de nous élever, c'est pour tous ceux qui ne parlaient pas et qui enfin ont parlé.
MARC FAUVELLE
Mounir MAHJOUBI, votre collègue du gouvernement Marlène SCHIAPPA donne une interview à Valeurs Actuelles, cette semaine, dans laquelle elle estime – je la cite - qu'il existe une convergence idéologique entre la Manif pour tous et les terroristes islamistes.
MOUNIR MAHJOUBI
Je crois que c'est toujours très important de tirer le fil d'une interview. Cette interview elle est très longue, je ne vais pas commenter l'interview d'une de mes collègues…
MARC FAUVELLE
« Une convergence idéologique entre la Manif pour tous et les terroristes islamistes », vous la voyez la convergence ?
MOUNIR MAHJOUBI
Vous savez, j'ai bien entendu votre question…
MARC FAUVELLE
Oui, c'est pour ça que je me permets de la répéter.
MOUNIR MAHJOUBI
Je ne vais pas y répondre, parce que je n'ai pas lu cette interview dans toute sa longueur, j'ai vu ses extraits, il y a eu près d'une centaine d'articles publiés depuis hier sur les réseaux sociaux…
MARC FAUVELLE
Vous n'avez pas eu le temps de lire l'interview ?
MOUNIR MAHJOUBI
Vous avez vu la journée que j'ai eue hier ? J'ai dû préparer notamment avec tout le monde les annonces que le président de la République a pu faire le soir, et depuis je travaille activement pour le faire.
MARC FAUVELLE
Vous voyez cette convergence vous ?
MOUNIR MAHJOUBI
Je vous répète qu'on ne peut pas répondre à ces questions de façon brève, de façon simple…
MARC FAUVELLE
On a du temps justement.
MOUNIR MAHJOUBI
Il faut aller plus loin. Si on parle de l'islamisme radical qui dans les esprits aujourd'hui existe dans certains quartiers, et qui promeut des idées qui sont antisémites, qui ne donnent pas à la femme sa place, sa juste place, qui ont un problème avec l'homosexualité…
MARC FAUVELLE
Là vous arrivez à la Manif pour tous ?
MOUNIR MAHJOUBI
Non, je n'arrive pas à Manif pour tous, par contre je vous dis qu'il y a un islamisme radical qui est dangereux. Et je…
MARC FAUVELLE
Ça personne n'en doute, enfin je crois que là-dessus, qu'il y ait un islamisme radical dangereux, je crois que ça fait moyennement débat.
MOUNIR MAHJOUBI
Oui, mais c'était aussi un des enjeux…
MARC FAUVELLE
Mais le rapport avec la Manif pour tous, moi je ne l'ai pas vu.
RENAUD DELY
La Manif pour tous, réclame des excuses et elle dénonce un scandaleux amalgame.
MOUNIR MAHJOUBI
Alors écoutez…
RENAUD DELY
Dans les propos de Marlène SCHIAPPA.
MOUNIR MAHJOUBI
Non mais je vois bien votre question, vous voyez bien mon comportement…
MARC FAUVELLE
Oui, on voit bien qu'on n'aura pas de réponse aujourd'hui.
MOUNIR MAHJOUBI
Attendez, moi je vais vous dire, il y a un islamisme radical d'un côté, il y, a la Manif pour tous. Moi je vais vous dire, à titre personnel, mon combat dans la vie, c'est contre les deux, donc peut-être, moi, je vois un point de ralliement pour moi, je suis contre la Manif pour tous et je suis contre ces personnes-là. Est-ce qu'il y a d'autres points de jonction, ce n'est pas ce que moi je vous déclarerai ce matin.
MARC FAUVELLE
Merci beaucoup Mounir MAHJOUBI.
MOUNIR MAHJOUBI
Merci à vous.
MARC FAUVELLE
Secrétaire d'Etat chargé du Numérique. Vous étiez l'invité de Franceinfo ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 février 2019