Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Cher amis,
J'ai de l'émotion à parler devant vous d'Europe dans ce beau lieu, cette belle ville de Florence, qui est à la fois le berceau de la Renaissance et le berceau de la modernité européenne. Dans les traités de Machiavel et les toiles de Botticelli, au milieu des conjurations et des révoltes, s'est inventée ici une part considérable de notre histoire, dont les fulgurances nous inspirent encore et dont les élans et les espérances nous rassemblent toujours.
Car notre conviction, celle du Président de la République, celle du Gouvernement français, c'est que le temps d'une nouvelle Renaissance, d'une nouvelle Renaissance européenne, ce temps-là est venu.
C'est le message que le Président Macron a souhaité adresser à tous les citoyens de l'Union dans sa lettre du mois de mars. Leur parler directement de notre vision de l'Europe. Il s'est adressé à tous les citoyens parce que c'est indispensable : rien de profond, rien de durable ne se fera sans eux, et le débat de tout à l'heure le montrait.
C'est aussi le message que je suis venu porter aujourd'hui devant vous, qui vous attachez à faire vivre le débat européen, vous qui, au sein de cet Institut universitaire, dressez régulièrement le tableau de l'Etat de l'Union.
Je suis venu en particulier parce que, nous le redisons ensemble, l'Europe se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins. L'élection du mois de mai sera déterminante. On y voit apparaître au grand jour les véritables lignes de partage : entre ceux qui veulent stopper l'Europe et ceux qui veulent la faire avancer ; entre ceux qui se satisfont de slogans et ceux qui travaillent à la recherche de solutions ; entre les marchands d'illusions et ceux qui regardent le monde en face.
Je suis venu aussi dire avec vous, mais je crois que nous partageons cette conviction, que face à ces risques, face à ces menaces, face à ces dangers, qui peuvent être mortels, il n'est pas trop tard pour agir. Le message d'optimisme du Président Iohannis tout à l'heure nous y amenait aussi.
Il n'est pas trop tard pour agir, à condition d'abord d'être lucides. Lucides sur les dangers et les périls qui nous menacent.
1) Le premier péril, c'est celui de la division.
Les forces centrifuges qui parcourent notre continent ont trouvé, dans le référendum qui a décidé du Brexit il y a bientôt trois ans, une forme de triste apothéose. Aujourd'hui, il faut bien le dire, le peuple britannique découvre, derrière les mensonges et les fausses promesses, l'incertitude et la peur du lendemain et le Royaume-Uni doit assumer des choix difficiles et douloureux.
Nous continuons à chercher, avec les Britanniques, le meilleur arrangement possible. Mais nous ne saurions accepter que le Brexit ne finisse par emporter l'Union toute entière dans ses remous. Il ne s'agit en aucun cas d'adopter je ne sais quelle attitude punitive à l'égard du Royaume-Uni, dont nous regrettons très vivement la défection. Mais il est de notre responsabilité de nous assurer que le départ volontaire du Royaume-Uni ne fragilisera pas la capacité de décision de l'Union européenne, jusqu'au Brexit définitif.
Les 27 se sont montrés unis dans la négociation. Je crois quand même que l'un des éléments positifs de cette crise, c'est cette unité maintenue, qui est l'un de nos plus grands biens. La volonté du président Iohannis de placer l'impératif de cohésion au coeur de la Présidence roumaine est tout à fait symptomatique de cette nécessité.
Mais au-delà des négociations d'aujourd'hui, qui – nous le souhaitons – pourraient aboutir vite, il nous faut tirer toutes les leçons du retrait britannique. Ne pas y voir un signal d'alarme nous condamnerait à répéter les erreurs passées et à laisser se défaire les liens qui unissent nos peuples.
2) Car notre Union, c'est le deuxième péril, est aussi fragilisée par des vents mauvais qui, ici, font vaciller, avec les fondements de l'Etat de droit, les valeurs fondamentales qui nous définissent ; des vents mauvais qui, là, agitent les braises d'un nationalisme que les tragédies du XXème siècle auraient dû éteindre à jamais ; des vents mauvais qui, de plus en plus, ravivent la flamme du populisme.
Comme nous devons tirer toutes les leçons du Brexit, nous devons aussi considérer la montée des populismes en Europe pour ce qu'elle est : le symptôme de malaises profonds.
Le malaise de la distance – cela a été évoqué tout à l'heure dans l'entretien avec le Président Iohannis – entre les institutions et les citoyens.
Le malaise d'une mondialisation qui frappe nos peuples de plein fouet, creusant les inégalités au sein de nos sociétés comme entre elles et inscrivant dans le quotidien de chacun les soubresauts d'un monde instable.
Oui, les menaces du terrorisme, le spectre de la guerre commerciale et les prémisses de la catastrophe climatique, l'évolution du numérique ont de quoi inquiéter. Mais prôner le repli et le rejet de l'autre, ce n'est pas apporter des solutions à ces défis. C'est, au contraire, nous ôter des mains les outils dont nous avons le plus besoin. Le paradoxe du populisme, c'est qu'il propose, en guise de solutions aux problèmes qu'il prétend résoudre, des mesures qui ne feraient que les aggraver.
Nous sommes dans cette logique absurde, car face au retour des logiques de puissance et des rapports de forces, face à la dérégulation de l'économie mondiale, face à la remise en cause du système multilatéral, face au caractère global des principaux défis qui se posent à nos sociétés, comment imaginer que la réponse appartienne à chaque Etat pris isolément ? C'est là le grand enjeu des élections à venir. Comment imaginer que nous renoncions à cette volonté de régulation multilatérale des grands défis transnationaux qui marqueront le XXIème siècle ? Comment l'Europe peut-elle fuir cette responsabilité et cette nécessité ? Si elle n'assume pas cette vocation, alors l'Europe peut disparaître de l'Histoire, car ce qui est devant nous est bien d'exister ou pas dans l'avenir historique.
3) Le populisme, c'est donc aussi, et c'est le troisième péril, le symptôme d'une perte de repères.
L'Europe, ce n'est pas le cynisme et l'indifférence. Le projet européen, c'est la recherche collective et humaniste des solutions. C'est particulièrement vrai sur la question de l'asile et des migrations, qui engage à la fois nos valeurs et notre capacité à relever ensemble l'un des plus grands défis pour nos sociétés, pour le vivre ensemble dans chacun de nos pays et en Europe. Des solutions existent pour que les scènes des étés précédents ne se reproduisent plus jamais. Nous devons à la fois, on le sait, poursuivre la consolidation de Frontex, mettre en place un Office européen de l'asile pour harmoniser nos pratiques, renforcer la solidarité européenne dans l'accueil des réfugiés qui ont droit à l'asile et faire en sorte que ceux qui ne peuvent y prétendre puissent rentrer de façon humaine chez eux. Voilà les orientations possibles à condition d'en avoir la volonté.
Le symptôme de la perte des repères vaut aussi pour la capacité de l'Union européenne à parler, à l'intérieur comme à l'extérieur, d'une seule voix sur les droits fondamentaux. La devise européenne « unie dans la diversité » ne veut pas dire que chacun peut, au titre de spécificités nationales, empêcher l'Union européenne de s'exprimer sur des principes et des valeurs aussi fondamentaux que les droits humains des migrants ou les droits sexuels et reproductifs.
Face à cette triple crise – crise de la représentation, crise sociale et crise des valeurs –, notre responsabilité est non seulement de dénoncer les sophismes et les raccourcis simplistes dont se pare le populisme pour extorquer le soutien des peuples, mais de répondre en profondeur au malaise européen et à la crise qui le guette et qui peut être mortelle.
C'est le sens de la Renaissance européenne que la France appelle de ses voeux. La Renaissance – cette ville en témoigne magnifiquement – fut d'abord un mouvement de retour aux Classiques. Eh bien, je crois que notre Renaissance doit être l'occasion de retrouver les fondamentaux du projet européen.
1) En premier lieu, l'horizon du progrès social.
Nous devons renouer avec le souci de protection qui a inspiré nos politiques communes les plus anciennes et les plus emblématiques.
Afin de lutter contre le dumping au sein de l'Union, nous avons besoin d'un véritable « bouclier social » pour tous les citoyens européens, sur la base des engagements qui ont été pris par les Chefs d'Etat et de gouvernement à Göteborg, qui intègre la réforme du travail détaché et un salaire minimum européen. Dans cet esprit de convergence indispensable, il nous faut aller jusqu'à conditionner le versement des fonds structurels européens au respect des standards sociaux essentiels que nous aurons délibérés ensemble.
2) En deuxième lieu, il faut rendre la parole aux citoyens pour retrouver ces fondamentaux du projet européen.
Tout à l'heure, le Président Iohannis faisait référence au sommet sur l'avenir de l'Union qui va se tenir la semaine prochaine, le 9 mai, à Sibiu. Ce sera la première fois qu'un sommet délibèrera sur l'avenir de l'Union européenne à partir des contributions, des consultations citoyennes lancées dans la phase préparatoire, et c'est déjà un signe de ce qu'il faut faire pour l'avenir.
3) Enfin, Mesdames et Messieurs, nous devons affirmer et renforcer la souveraineté européenne.
L'Europe a besoin d'une vision de long terme et d'affirmer sa propre identité, sa propre puissance.
Au cours des derniers mois, des avancées considérables ont été faites. Je pense en particulier à tout ce qui a été obtenu dans le domaine de la défense. Je pense à l'Initiative européenne d'intervention, au Fonds européen de défense.
Sans tourner le dos à l'Alliance Atlantique, au contraire, nous devons continuer à affirmer cette souveraineté, cette autonomie stratégique, pour aboutir à un Traité européen de défense et de sécurité, complétant nos engagements de sécurité communs, mais renforçant aussi par le même biais le sentiment de sécurité, de protection, auquel peuvent prétendre nos concitoyens.
La souveraineté européenne doit aussi s'affirmer plus nettement au plan économique, industriel, technologique et commercial.
A cet égard, je relève – enfin – les premiers progrès de notre affirmation collective face aux Etats-Unis ou à la Chine, dans la grande bataille engagée pour la régulation du commerce mondial. Il faut approfondir ce mouvement, pour travailler avec nos partenaires à la définition des équilibres mondiaux.
C'est ce que nous faisons, depuis toujours, avec notre plus vieil allié : les Etats-Unis. Aujourd'hui ce grand pays, qui dans l'histoire a toujours oscillé entre isolationnisme et volonté de s'impliquer dans les affaires du monde, semble s'interroger sur les fondements mêmes de mécanismes multilatéraux qui sont pourtant la clef de la paix et de la stabilité internationales. Nous le déplorons, et nous n'en faisons pas mystère. Mais nous continuerons à nous battre pour conforter une relation transatlantique fondée à la fois sur un réel partenariat et en même temps sur le respect des valeurs.
Le travail sur les équilibres mondiaux, il faut que nous l'engagions désormais aussi avec la Chine, et que nous le fassions sans naïveté. Nous savons bien que, sur des questions aussi importantes que les investissements chinois sur notre continent, nous savons bien que Pékin a longtemps joué de nos divisions. J'observe que, depuis quelques mois maintenant, le travail de la Commission, validé par le Conseil européen très récemment, a permis de clarifier notre position, d'affirmer à l'égard de la Chine notre puissance et notre souveraineté. Nous n'hésitons plus à reconnaître collectivement que la Chine est pour nous « un rival systémique ». Nous sommes maintenant en situation de dire que la Chine est un « concurrent économique en quête de leadership technologique ». Mais nous savons en même temps que Pékin est devenu en quelques années un partenaire incontournable, sans qui rien ne pourra se résoudre : ni en matière de climat, ni en matière d'économie, ni en matière de multilatéralisme. Nous devons affirmer le rôle de l'Europe comme acteur global, y compris dans cette relation à la fois de partenariat et de concurrence avec la Chine.
Une Europe qui affirme sa souveraineté, c'est une Europe à même de conforter son rôle d'acteur global. C'est le sens de notre volonté d'ouvrir un nouveau partenariat avec l'Afrique pour promouvoir le développement de ce continent par l'investissement, notamment dans la révision des Accords de Cotonou. Il s'agit d'aider les pays africains à se doter des moyens nécessaires au maintien de la paix. Il s'agit d'agir ensemble, en tant qu'Européens, dans cette nouvelle stratégie pour l'Afrique, comme nous le faisons, en particulier ces dernières années, en partenariat étroit avec l'Allemagne.
Enfin, Mesdames et Messieurs, cette Europe plus unie pour protéger ses citoyens, cette Europe plus démocratique, cette Europe plus souveraine, que le Président Macron a appelée de ses voeux en septembre 2017 à la Sorbonne, c'est une Europe qui nous permettra de nous imposer sur la scène internationale comme une puissance d'innovation et de régulation.
Notre continent a des solutions à proposer pour répondre aux grands défis de notre temps. C'est aussi cela, suivre le modèle de la Renaissance : non seulement revenir aux Classiques, mais s'appuyer sur eux pour façonner un monde nouveau.
1) Régulation et innovation, d'abord, dans le domaine des nouvelles technologies.
Vous le savez, nous sommes au coeur d'une véritable révolution –révolution des données, révolution des nouveaux médias, révolution de l'Intelligence artificielle. Une révolution qui est synonyme d'opportunités inédites, mais aussi de risques et de menaces d'un type nouveau : maîtrise des réseaux sociaux et de l'Internet par des groupes terroristes ou criminels, risques de déstabilisation par la manipulation des données, contrôle social par une utilisation dévoyée des moyens de surveillance massive, ou formation de nouveaux monopoles capables de capter une part inégalée de la valeur créée dans nos économies. Tout cela, c'est le risque mais en même temps, c'est une chance. Ce défi-là, l'Europe est à même de le relever parce qu'elle a la capacité de régulation. Nous devons montrer à nos concitoyens que nous avons la capacité de régulation face aux nouvelles technologies. Et nous avons besoin d'investir ensemble pour que l'Europe soit à la fois le berceau de certaines technologies mais aussi le modèle de régulation. Cela nous ramène un peu – petit clin d'oeil à Léonard de Vinci – à il y a 500 ans : berceau des nouvelles technologies mais rajoutons nécessité de la régulation.
2) Concernant l'innovation et la régulation, notre grand défi doit être de proposer des normes doit aussi nous permettre de montrer la voie en matière de lutte pour l'environnement.
Nous voulons agir concrètement, avec nos partenaires, pour empêcher le désastre environnemental qui nous menace. Et nous devons alors porter, nous Européens, des initiatives pragmatiques et innovantes pour que l'Accord de Paris ne reste pas qu'un accord mais qu'il puisse permettre une traduction concrète pour lutter contre le réchauffement climatique.
3) Enfin, la puissance de régulation et d'innovation que nous souhaitons voir l'Europe devenir, c'est aussi l'affirmation de l'Europe à la tête de la défense du système multilatéral.
Les Européens doivent travailler ensemble pour empêcher le travail de sape lancé contre les grandes institutions bâties au sortir de la Seconde guerre mondiale. Certes, les équilibres mondiaux ont profondément évolué depuis lors, ce qui appelle des corrections et des améliorations du système international. Mais nous voulons être, nous devons être le partenaire pour ceux qui tiennent à ce que l'ordre international soit fondé sur le droit et la coopération et ceux qui se reconnaissent dans les valeurs et les principes humanistes qui sont au coeur de notre projet politique. Ils sont nombreux à compter sur nous, partout dans le monde. Leurs attentes nous obligent.
C'est cette même démarche qui nous permettrait de moderniser le multilatéralisme commercial et de développer des disciplines collectives à même d'assurer une concurrence plus loyale à l'échelle mondiale. C'est ce même esprit d'innovation qui doit présider dans ces initiatives.
Voilà Mesdames et Messieurs,
Le projet européen n'a sans doute jamais été, dans notre histoire récente, au milieu de tant de doutes.
Ces doutes, il n'y a que dans l'action que l'on pourra les lever : en agissant pour renforcer la cohésion de notre Union, en agissant pour retrouver les fondamentaux de la construction européenne, en agissant pour affirmer la puissance de l'Europe sur la scène internationale.
D'Athènes à Florence, dans les 27 Etats qui composeront demain notre Union, l'Europe n'a cessé et ne doit cesser de renaître à elle-même. C'est ce qui fait la grandeur de l'histoire qui nous rassemble, en particulier dans ce lieu. C'est aussi – je le crois – la clef de notre destin commun.
Je vous remercie.
Source https://it.ambafrance.org, le 26 juin 2019