Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à Public Sénat le 28 février 2019, sur la politique économique du gouvernement.

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Média : Public Sénat

Texte intégral

CYRIL VIGUIER
Et l'invité politique ce matin en direct sur ce plateau, c'est Bruno LE MAIRE, le ministre de l'Economie et des finances. Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour.

CYRIL VIGUIER
Merci d'être avec nous ce matin, ici. J'ai envie de vous qualifier du ministre de tous les dangers en ce moment, on va revenir bien sûr avec vous sur ASCOVAL, sur AIR FRANCE-KLM, sur tous ces sujets, avec Nathalie MAURET, de l'Alsace, du groupe EBRA. Merci d'être avec nous sur ce plateau, Nathalie, ce matin.

NATHALIE MAURET
Bonjour.

CYRIL VIGUIER
Et Oriane MANCINI, notre spécialiste politique de Public Sénat. Bonjour Nathalie (sic). Merci d'être là. Votre interview sera retransmise sur les sites Internet de la presse quotidienne régionale à partir de 10h ce matin, et également sur les télés locales de France, dont TV7 en Gironde, c'est pour ça, on parlera de FORD avec vous tout à l'heure, Bruno LE MAIRE. Tout de suite, c'est la montée surprise des Pays-Bas à 14 % dans le capital d'AIR FRANCE-KLM. C'est une montée de tensions entre les Pays-Bas et la France, Bruno LE MAIRE. Comment qualifiez-vous cette opération des Néerlandais, comment est-ce que vous la jugez ?

BRUNO LE MAIRE
Inamicale, et incompréhensible. Inamicale, parce que nous n'avons pas été prévenus, et surtout, je tiens à dire que la semaine dernière, j'ai eu un entretien avec mon homologue néerlandais, et nous avons discuté d'AIR FRANCE-KLM, il m'a fait part de certaines préoccupations, je lui ai dit : on va y répondre…

CYRIL VIGUIER
Le même que vous recevez demain, pardon ?

BRUNO LE MAIRE
Le même que je reçois demain, le ministre des Finances néerlandais. Nous avons eu une longue discussion, il m'a fait part de préoccupations néerlandaises sur AIR FRANCE-KLM, je lui ai dit que nous allions y répondre, nous y avons répondu. Nous avons confirmé monsieur ELBERS à la tête de KLM. Nous avons travaillé sur des garanties pour Schiphol, pour la compagnie KLM. Parce que je comprenais les préoccupations du gouvernement néerlandais. Et la réponse, singulièrement inamicale, c'est cette montée au capital surprise, sans prévenir personne. Et puis, c'est incompréhensible, parce que ça détruit de la valeur. A la rigueur, si ça permettait à AIR FRANCE-KLM, qui est mon seul objectif, que ça aille mieux pour AIR FRANCE-KLM, qu'elle dégage davantage de profits, que les salariés se portent mieux, et que ce fleuron aéronautique se porte bien, à la rigueur, je dirais, pourquoi pas, mais là, il se trouve que ça détruit de la valeur, que ça crée de l'instabilité. Donc il est urgent maintenant de revenir à la sagesse, à la raison, de travailler ensemble et de trouver une voie qui permet, parce que c'est ma seule obsession, que ce magnifique fleuron du transport aérien se porte mieux dans les années qui viennent et il se portera mieux si nous travaillons bien ensemble.

CYRIL VIGUIER
Certains parlent d'un comportement de « raideur », de « trader », est-ce que vous ressentez cela comme ça ?

BRUNO LE MAIRE
Non, parce que les « raideurs » auraient sans doute mis un peu plus de temps pour monter au capital, et auraient été moins brutaux que ne l'a été le gouvernement néerlandais…

NATHALIE MAURET
Mais est-ce que c'est une attaque…

BRUNO LE MAIRE
Donc je crois que c'est incompréhensible, inamical, mais je crois surtout que le sens des responsabilités, c'est de sortir de cette situation qui ne bénéficie à personne, ni à AIR FRANCE, ni à KLM, ni au groupe dans son ensemble, et pour cela, j'ai demandé à mon homologue, ministre des Finances, de venir à Paris, de s'expliquer et de me faire des propositions pour que nous puissions sortir de la situation actuelle…

ORIANE MANCINI
Qu'est-ce que vous allez lui dire, comment on en sort de cette situation, vous parlez de sagesse, de raison, comment on en sort ?

BRUNO LE MAIRE
Mais c'est à lui de me faire des propositions, je pense que le sens des responsabilités, ce n'est pas de rester dans ce face-à-face qui aujourd'hui fait baisser le cours d'AIR FRANCE-KLM, qui fragilise le groupe, c'est d'en sortir le plus vite possible par le haut, en trouvant la meilleure coopération possible entre AIR FRANCE, KLM, pour que le groupe se porte bien, et en répondant – je le redis – à des préoccupations néerlandaises, que je peux parfaitement comprendre, mais sur lesquelles nous travaillons maintenant depuis des semaines avec un esprit d'ouverture. Il est dommage qu'à l'esprit d'ouverture de la France, ait répondu cette attaque surprise.

NATHALIE MAURET
Bruno LE MAIRE, vous dites que c'est incompréhensible, mais est-ce que quelque part, on est en train de payer les conflits sociaux à répétition d'AIR FRANCE ?

BRUNO LE MAIRE
Mais je ne sais pas ce qu'on paie, je sais simplement qu'entre 2 Etats, qui sont membres fondateurs de l'Union européenne, qui sont amis et qui sont proches, ce genre de comportement n'est pas acceptable, s'il y a une préoccupation, on en parle, et d'ailleurs, nous en avons parlé depuis plusieurs mois, moi, j'ai fait des gestes, je rappelle qu'il y a quelques mois, quand il a fallu trouver un président pour AIR FRANCE-KLM, l'un des premiers choix que nous avions proposé, c'était que le président de KLM, néerlandais, monsieur ELBERS prenne la tête du groupe, je pense que c'était un signal très positif de notre volonté d'être les plus ouverts possibles. Donc maintenant, revenons autour de la table, que mon homologue néerlandais apporte des éclaircissements, le président de la République les a demandés, je les demande également, et trouvons ensemble une porte de sortie qui permette au groupe de se renforcer. Dans la concurrence du transport aérien aujourd'hui, il n'est pas raisonnable de rester dans cette situation.

ORIANE MANCINI
Mais est-ce qu'aujourd'hui, vous êtes inquiet pour l'avenir d'AIR FRANCE et de ses salariés ?

BRUNO LE MAIRE
Non, non, je vous le dis tout de suite, je ne suis pas inquiet, AIR FRANCE-KLM est un groupe qui est très solide, il y a un remarquable président auquel je rapporte tout mon soutien, qui est monsieur Ben SMITH. AIR FRANCE-KLM est en train de renouer avec les bénéfices ; il commence à remonter la pente, donc je n'ai pas d'inquiétude pour le groupe, mais on ne peut pas rester dans la situation actuelle…

ORIANE MANCINI
En grande partie, grâce à KLM, en 2018, KLM a généré 80 % de résultat d'exploitation du groupe.

BRUNO LE MAIRE
Mais en partie aussi grâce au travail qu'a fait Ben SMITH depuis plusieurs mois, qui a apaisé les conflits sociaux, qui a remis AIR FRANCE dans la bonne direction. Donc quand on est dans la bonne direction, il vaut mieux la garder et ne pas en dévier.

CYRIL VIGUIER
Il n'y a pas une question politique au fond, il y a des élections qui se profilent aux Pays-Bas, est-ce que ce n'est pas, voilà, question Economique versus question politique, cette affaire ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, souvent, on reproche à la France de mêler la politique et les affaires, là, précisément, vous avez un ministre des Finances français qui vous dit : ne mêlons pas la politique et les affaires, laissons Ben SMITH faire son travail, laissons AIR FRANCE-KLM se redresser et les choses se passeront très bien, et, étrangement, un gouvernement libéral, lui, estime qu'il faut reprendre la main sur KLM. Le résultat, c'est que ça fragilise l'entreprise.

CYRIL VIGUIER
C'est la politique interne aux Pays-Bas, ça ?

BRUNO LE MAIRE
Je n'ai pas à juger les raisons pour lesquelles le gouvernement néerlandais a pris cette décision, je sais simplement que ça n'est pas l'Etat français ou l'Etat néerlandais qui géreront bien AIR FRANCE-KLM, c'est Ben SMITH, c'est monsieur ELBERS et c'est la gouvernance d'AIR FRANCE-KLM.

ORIANE MANCINI
Mais pour vous, il n'y a pas de menace sur l'alliance AIR FRANCE-KLM ? Est-ce que 2019 peut être l'année du divorce entre les deux compagnies ?

BRUNO LE MAIRE
Mais non, l'alliance est solide. Je n'ai aucun doute là-dessus, simplement, laissons la gouvernance d'AIR FRANCE-KLM gérer les affaires, et n'ayons pas des Etats qui interviennent pour des raisons politiques et qui, au bout du compte, fragilisent l'entreprise. La seule chose qui compte pour moi, c'est que l'entreprise soit solide, qu'elle dégage des bénéfices, que les salariés se portent bien et qu'ils aient confiance dans l'avenir de l'entreprise.

NATHALIE MAURET
Justement, vous parliez de pays qui était libéral, là, on voit que les Pays-Bas sont en train de renforcer leur participation dans leurs aéroports, nous, en France, on fait le contraire, dans la loi Pacte, puisque, effectivement, il va y avoir une privatisation d'AEROPORT DE PARIS, est-ce que cet épisode peut vous faire revenir sur votre décision ?

BRUNO LE MAIRE
Certainement pas, certainement pas parce que le rôle de l'Etat, c'est quoi ? Moi, je crois à un rôle de l'Etat dans l'économie, ce n'est pas de gérer une compagnie aérienne, nous ne savons pas gérer une compagnie aérienne, ce n'est pas le rôle de l'Etat, ce n'est pas de gérer des boutiques ou des hôtels qui représentent une grande partie du chiffre d'affaires d'AEROPORTS DE PARIS, ce n'est pas le rôle de l'Etat. Le rôle de l'Etat, c'est de protéger les intérêts stratégiques des Français. Il y a dans AEROPORTS DE PARIS une frontière qui continuera être protégée, il y a des tarifs aériens qui continueront à être fixés par l'Etat, donc toutes les garanties dans le cas d'AEROPORTS DE PARIS seront apportées par l'Etat, parce que c'est son rôle. Le deuxième rôle fondamental de l'Etat, c'est de préparer l'avenir de nos enfants. Enfin, tout le monde voit bien qu'on est confronté à des révolutions technologiques qui sont sans précédent depuis un siècle, la 5G, l'intelligence artificielle, le digital, les énergies renouvelables, moi, je veux dégager des moyens financiers pour investir là-dedans, et que la France reste dans la course au 21ème siècle, ça, c'est le deuxième rôle de l'Etat. Et c'est pour ça que nous préférons nous retirer de certaines activités commerciales pour investir dans l'avenir des enfants. Et puis, le troisième rôle…

ORIANE MANCINI
Donc vous ne reviendrez pas sur la privatisation d'ADP, comme vous le demande le Sénat par exemple…

BRUNO LE MAIRE
Je ne reviendrai certainement pas sur cette privatisation au nom de ce rôle de l'Etat qui doit investir dans l'avenir de nos enfants. Et puis, il y a un troisième rôle, je pense qu'on y reviendra dans cette émission, c'est de défendre l'ordre public et économique, c'est de protéger les plus fragiles, c'est de protéger les ouvriers lorsque leurs emplois disparaissent, voilà pour moi les trois rôles de l'Etat. Mais l'Etat n'a pas à gérer des activités commerciales qu'il ne sait pas gérer.

CYRIL VIGUIER
C'est Bruno LE MAIRE, le ministre de l'Economie et des finances, qui est notre invité en direct du Salon de l'Agriculture ce matin, avec les sujets chauds du jour, ASCOVAL.

ORIANE MANCINI
Oui, l'avenir de l'aciérie ASCOVAL dans le Nord qui est compromis, puisque le repreneur franco-belge ALTIFORT n'a pas trouvé le financement nécessaire, est-ce que vous avez fait une erreur en faisant confiance à ALTIFORT ?

BRUNO LE MAIRE
Non, si c'était à refaire, je referais exactement ce que nous avons fait avec les salariés, avec le président de la région des Hauts-de-France, Xavier BERTRAND, avec les élus locaux…

NATHALIE MAURET
Donc c'est la faute d'ALTIFORT ?

BRUNO LE MAIRE
Il y a une aciérie qui est moderne, qui est compétitive, qui a des débouchés, qui a des contrats. Vous avez des salariés qui sont extraordinairement motivés et auxquels je rends hommage, et moi, je dirais : bon, eh bien, voilà, il n'y a pas de repreneur, on laisse tomber, on ferme ; le seul repreneur que nous avions trouvé à l'époque ; c'était ALTIFORT, nous avons fait le pari d'ALTIFORT, ils nous avaient dit : on va apporter 10 millions d'euros, ils ne les ont pas apportés, dont acte. On passe à autre. On va remettre le travail sur la table, nous allons nous battre pour essayer de trouver d'ici la fin du mois de mars un nouveau repreneur, on a déjà contacté une quinzaine de repreneurs possibles. C'est mon rôle…

ORIANE MANCINI
Vous avez des pistes, vous êtes optimiste ?

BRUNO LE MAIRE
Il y a des pistes. Je suis volontariste, pas optimiste, parce que le dossier est difficile, et tout le monde le sait, mais je voudrais que chacun comprenne que mon rôle de ministre de l'Economie est aussi de me battre pour chaque emploi industriel, c'est de protéger et de soutenir des salariés qui aujourd'hui travaillent dans cette usine et qui sont inquiets, et donc 24 heures sur 24, toute la semaine, jusqu'à la fin du mois de mars, mes services vont être mobilisés avec la région des Hauts-de-France pour essayer de trouver un repreneur ; je ne sais pas si on aura un résultat, je ne peux pas le garantir, mais je sais que jusqu'à la dernière seconde, je me battrai pour trouver un repreneur pour ASCOVAL.

NATHALIE MAURET
Autre dossier difficile, l'usine Blanquefort, FORD de Blanquefort donc, deuxième offre refusée, est-ce qu'aujourd'hui, cette usine de 850 salariés est condamnée ?

BRUNO LE MAIRE
Non, je pense qu'on peut trouver une ré-industrialisation, je pense qu'il ne faut pas fermer la porte à une reprise plus tard, d'ici un an, deux ans par PUNCH, qui avait marqué sa volonté de fabriquer des boîtes de vitesse sur le site, mais je pense que l'urgence aujourd'hui, c'est que FORD paye. Que FORD paye ce qu'elle doit aux salariés…

NATHALIE MAURET
Comment ?

BRUNO LE MAIRE
Je veux un plan social généreux pour les salariés et protecteur pour les salariés, je veux que FORD paye pour la dépollution du site, et je veux que FORD paye également pour la ré-industrialisation, et nous disent combien ils sont prêts à payer, nous sommes en négociation avec eux…

CYRIL VIGUIER
C'est quel montant, ça, Bruno LE MAIRE, à peu près ?

BRUNO LE MAIRE
C'est plusieurs millions d'euros. FORD doit payer pour la ré-industrialisation…

CYRIL VIGUIER
Plusieurs millions d'euros…

BRUNO LE MAIRE
Et nous sommes en train de regarder, entre le montant de la ré-industrialisation et la possibilité aussi de laisser les machines, parce que les salariés sont attachés à ce qu'un certain nombre de machines restent sur place, quel est le bon équilibre que nous pouvons trouver. Mais FORD doit prendre ses responsabilités. FORD a bloqué la reprise par PUNCH, eh bien, FORD doit payer…

ORIANE MANCINI
Mais quels moyens avez-vous ?

CYRIL VIGUIER
Mais ça va être compliqué, il paraît que vous n'arrivez pas à l'avoir au téléphone le président de FORD, vous avez eu des difficultés en tout cas, c'est ce qu'on a dit…

BRUNO LE MAIRE
J'ai eu le président de FORD régulièrement au téléphone, j'ai eu l'occasion de lui dire ce que je pensais du comportement de cette grande entreprise automobile sur le site de Blanquefort, j'estime que ce comportement n'est pas digne d'une grande entreprise industrielle, eh bien, puisque c'est leur comportement, ils doivent payer…

CYRIL VIGUIER
Qu'est-ce qu'il vous a répondu ?

ORIANE MANCINI
Mais quels moyens avez-vous de le contraindre à payer, Bruno LE MAIRE ?

CYRIL VIGUIER
Qu'est-ce qu'il vous a répondu ?

BRUNO LE MAIRE
Mais la réponse, elle est très simple, FORD ne veut plus d'empreinte industrielle en Europe, donc ils prennent leur décision, je regrette ce comportement, moi, ça m'incite à dire une nouvelle fois que nous avons besoin d'un capitalisme différent, d'un nouveau capitalisme qui soit plus respectueux des salariés et qui ne pense pas systématiquement uniquement à son cours de Bourse, qui soit plus respectueux du temps long plutôt que du temps court, et qui donne du sens à son activité ; je pense qu'il est indispensable de construire ce nouveau capitalisme, parce que ce genre d'attitude est incompréhensible et révoltante pour tout le monde.

ORIANE MANCINI
Nicolas DUPONT-AIGNAN, qui était à votre place hier, a dit, à propos de FORD : monsieur LE MAIRE est un hypocrite et un menteur qui prétend résoudre les problèmes et ne les résout pas, il dit que si, comme Donald TRUMP, vous aviez fait un tweet appelant au boycott de FORD, FORD aurait cédé, qu'est-ce que vous répondez à tout ça ?

BRUNO LE MAIRE
Mais monsieur DUPONT-AIGNAN ne sait pas quoi faire pour se faire remarquer, ce n'est pas comme ça qu'on fait de la politique, et ce n'est pas comme ça qu'on améliore la situation des Français. La réalité, quand vous prenez l'ensemble des dossiers industriels sur lesquels nous nous battons avec mes services régulièrement, c'est que sur quatre emplois industriels menacés, nous en sauvons trois. Alors c'est bien normal que ce soit les difficultés qui soient à la Une des journaux, c'est normal, je ne le conteste pas, mais j'aimerais simplement rappeler que la mobilisation, qui est celle des services de l'Etat, des élus locaux aussi qui font un travail remarquable, qui se battent à chaque fois, les maires, les députés, les sénateurs pour essayer de trouver des solutions, ça amène à un résultat simple : trois emplois sauvés sur quatre, qui sont menacés. Et je ne vais pas vous faire la liste de ces emplois. Mais moi, j'ai le souvenir quand je suis arrivé ici, au ministère de l'Economie et des finances, GM&S, dans la Creuse, la seule industrie de la Creuse menacée, elle devait fermer, tout le monde avait dit : c'est foutu, jamais vous n'arriverez à sauver GM&S dans la Creuse, GM&S continue à tourner, il y a moins de salariés, mais ça continue à tourner.

ORIANE MANCINI
Mais on ne doute pas de votre mobilisation, de votre volontarisme, mais quand vous voyez FORD et ASCOVAL, est-ce que, finalement, vous ne devez pas admettre que l'Etat ne peut pas tout, Bruno LE MAIRE ?

BRUNO LE MAIRE
Non, non, je n'admettrai jamais que l'Etat n'est pas là pour défendre les salariés, protéger les plus faibles et se battre pour chaque emploi industriel, et je redis avec beaucoup de force que les résultats, nous les avons, trois emplois sauvés sur quatre, une stabilisation de l'emploi industriel alors que depuis dix ans – je le rappelle à monsieur DUPONT-AIGNAN – il y a eu un million d'emplois industriels supprimés, 100 usines par an. Cette hémorragie, nous l'avons stoppée, et je compte bien réussir la reconquête industrielle de la France. Parce que si nous en sommes arrivés…

NATHALIE MAURET
Bruno LE MAIRE, est-ce que ça peut passer…

BRUNO LE MAIRE
Je voudrais juste terminer sur ce sujet majeur, si aujourd'hui nous sommes arrivés à de telles crises sociales économiques, à de telles tensions entre les territoires, la désindustrialisation – qui a été une hémorragie – en porte une lourde responsabilité, je fais un lien direct entre le mouvement des gilets jaunes, cette attente de plus de reconnaissance, de plus de développement économique dans les territoires, et la désindustrialisation, depuis 20 ans, on a baissé les bras, eh bien, moi je ne baisserai jamais les bras…

CYRIL VIGUIER
Mais vous avez été au pouvoir déjà, Bruno LE MAIRE, vous savez bien qu'on va vous opposer ça, vous avez été ministre de Nicolas SARKOZY et de François FILLON, vous êtes coresponsable au fond de cette situation que vous décrivez aujourd'hui…

BRUNO LE MAIRE
Mais j'étais, Cyril VIGUIER, j'ai été ministre de l'Agriculture, et je me suis battu avec la même détermination pour les agriculteurs, et j'applique exactement la même méthode, il faut se battre à chaque fois avec beaucoup de détermination mais il faut aussi être capable d'avoir une stratégie de long terme. L'industrie française, c'est une industrie qui doit être de haute technologie, qui doit reposer sur des innovations que nous devons financer, d'où les choix que je fais en termes de financement de l'investissement en France, et qui doit reposer sur une fiscalité moins lourde pour les entreprises industrielles ; on n'arrête pas de critiquer nos choix fiscaux, on nous dit : pourquoi vous faites le prélèvement forfaitaire unique, pourquoi vous devez supprimer l'ISF ? Mais pour une raison qui est simple, l'industrie demande du capital, si vous taxez de trop le capital, c'est la mort de l'industrie, si vous allégez la fiscalité sur le capital, comme nous le faisons aujourd'hui, vous relancez l'emploi industriel, c'est exactement ce qui se passe.

NATHALIE MAURET
Bruno LE MAIRE, vous dites, vous avez dit à plusieurs reprises qu'il faut protéger les plus faibles, est-ce-que ce matin, vous fermez la porte à une nationalisation temporaire de Blanquefort et d'ASCOVAL ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, je vais vous dire tout simplement pourquoi, c'est parce que ça mettrait les salariés dans le mur, je me ferais plaisir, ce serait très populaire, mais est-ce que l'Etat a vocation à produire des boîtes de vitesses, admettons qu'il produise des boîtes de vitesse, il les vend à qui, où sont les débouchés ?

CYRIL VIGUIER
Temporaire a dit Nathalie MAURET !

BRUNO LE MAIRE
Mais même temporaire…

CYRIL VIGUIER
Pour résoudre les problèmes et ensuite, repartir…

BRUNO LE MAIRE
Si j'avais envisagé de reprendre le site pour immédiatement le céder à PUNCH, et donc dégager FORD de ses responsabilités, mais s'il n‘y a pas de repreneur derrière pour vendre les boîtes de vitesse et pas d'acheteur, eh bien, c'est mentir aux salariés, et moi, je ne mens jamais aux salariés, aux ouvriers, à ceux dont je peux avoir la responsabilité, je trouve que ce n'est pas de bonne politique.

NATHALIE MAURET
Justement, vous avez fait le lien tout à l'heure entre l'industrie et les gilets jaunes, on en est à 15 samedis de mobilisation, est-ce que vous, en tant que ministre de l'Economie, vous avez chiffré le coût de ces 15 samedis pour l'économie ?

BRUNO LE MAIRE
C'est un coût qui est très élevé, c'est de l'ordre de 0,2 point de croissance trimestrielle, donc c'est très important, les manifestations doivent cesser, parce qu'elles ne mènent plus nulle part, elles mènent à une impasse, elles mènent à de la violence, à de la dégradation, à une situation pour les commerçants de centre-ville qui est très préoccupante. Moi, je me mets à la place des commerçants de Bordeaux, de Lyon, de Paris, de Toulouse, qui ont été – ou de Dijon – qui ont été lourdement touchés, de Rouen, dans ma région, lourdement touchés par ces manifestations, elles doivent cesser. A quoi est-ce qu'elles mènent ? Quelles sont aujourd'hui les revendications, les demandes supplémentaires ? Il y a un grand débat, que chacun s'exprime dans le grand débat et fasse ses propositions, mais les manifestations aujourd'hui ne mènent plus nulle part.

ORIANE MANCINI
Vous avez mis en place un dispositif d'aide et d'accompagnement pour les entreprises en difficulté, combien d'entreprises y ont eu recours ?

BRUNO LE MAIRE
Pas assez, pas assez, et je profite de votre antenne pour dire aux entreprises : il y a des dispositifs, notamment pour avoir de la trésorerie dans les banques, si vous avez la moindre difficulté, une PME, une TPE, un commerçant avec une banque, une agence bancaire, signalez-le-nous, et nous interviendrons auprès de la Fédération bancaire française. Il y a des possibilités d'étalement des cotisations sociales ou des impôts, profitez-en. Il y a des possibilités de chômage technique, beaucoup d'entreprises s'en sont saisi, mais il peut y avoir davantage d'entreprises qui s'en saisissent, et je reverrai très prochainement les maires des grandes villes pour leur faire un certain nombre de propositions, ils m'ont fait des demandes, nous allons y répondre.

CYRIL VIGUIER
Parmi ces demandes, la taxe carbone, Bruno LE MAIRE, qu'en est-il ?

NATHALIE MAURET
Oui, justement, le président de la République cette semaine est revenu sur la possibilité d'une taxe carbone flottante, quelle est votre position sur le sujet ?

BRUNO LE MAIRE
Moi, ma position sur toutes les questions fiscales est extraordinairement simple, il ne faut pas augmenter les impôts, il faut baisser davantage les impôts, et pour cela, baisser davantage la dépense publique…

NATHALIE MAURET
Donc vous êtes en désaccord avec le président de la République ?

BRUNO LE MAIRE
Mais la position qui est celle du ministre des Finances est très simple, les impôts sont trop lourds, pour les ménages comme pour les entreprises, nous avons commencé à les baisser, et ils vont baisser fortement en 2019 pour les ménages en particulier, 440 euros en moyenne de baisse d'impôts, c'est extrêmement important, et c'est ce qu'il y a de plus important depuis 12 ans. Mais moi, je souhaite qu'on puisse baisser davantage les impôts des ménages comme des entreprises, je pense aux impôts de production pour l'industrie, et pour ça, il faut baisser plus la dépense publique, c'est ma position…

ORIANE MANCINI
Mais pas de taxe carbone flottante ? Parce que c'est vrai que mardi, Emmanuel MACRON a semblé ouvrir la porte à cette taxe carbone flottante ?

BRUNO LE MAIRE
Ma position, ma position constante, et c'est le président de la République qui arbitrera à la fin, mais je pense que c'est bien d'avoir des ministres qui ont des positions claires, je souhaite que nous baissions davantage les impôts, et pour cela, que nous baissions davantage la dépense publique…

ORIANE MANCINI
Donc pas de taxe carbone, y compris flottante ?

CYRIL VIGUIER
Mais tous les ministres ne sont pas sur cette ligne-là, visiblement, on a entendu des voix discordantes, Bruno LE MAIRE

BRUNO LE MAIRE
Non, mais il y a toujours plein de propositions pour augmenter les impôts, les taxes, ça fait partie de la culture française…

CYRIL VIGUIER
Oui, mais pas au sein d'un gouvernement…

BRUNO LE MAIRE
Mais il faut parfois être capable de revenir à du simple bon sens, la manifestation des gilets jaunes, elle est née d'une exaspération fiscale, du sentiment que pour beaucoup de Français, 1 euro en plus à payer ou 2 euros, c'était trop, je crois que le signal, il doit être entendu, et que notre réponse doit être très simple : vos impôts n'augmenteront pas. Et dès que nous en aurons la possibilité si nous arrivons à baisser la dépense publique, nous les baisserons encore davantage, ça a été le résultat le plus important à mes yeux que nous avons obtenu en matière fiscale depuis quelques années, nous baissons enfin les impôts des ménages et des entreprises. Continuons dans cette voie.

ORIANE MANCINI
Vous présentez la semaine prochaine votre projet de loi de taxation des GAFA en Conseil des ministres, hier, les États-Unis ont ouvert la porte à un accord mondial, est-ce que pour vous, un accord au niveau de l'OCDE est possible d'ici la fin de l'année ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, et vous avez parfaitement raison, il se passe quelque chose de très important depuis deux jours, alors l'actualité l'a un peu éclipsé, l'Irlande, pour la première fois – je me suis rendu à Dublin – l'Irlande, pour la première fois, a dit qu'elle était prête à taxer les géants du numérique s'il y a un accord au niveau de l'OCDE, ça bouge. Mon homologue américain, Steven MNUCHIN, qui est venu hier à Paris, qui a rencontré le président de la République, j'ai déjeuné avec lui, pour la première fois, a dit : les Etats-Unis veulent un accord sur la taxation du digital à l'OCDE. Donc les choses bougent, tant mieux, et c'est la preuve que la mobilisation de la France…

CYRIL VIGUIER
A l'initiative de la France, ça bouge ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, eh bien, oui, parce qu'il y a deux ans, personne ne voulait taxer des géants du numérique, c'est nous, Français, qui avons mis ce sujet sur la table au nom de l'équité fiscale, de la justice et de l'efficacité. Au début, tout le monde se moquait de nous en disant : ce n'est pas possible, c'est hors de portée, nous avons rassemblé des Etats européens, 23 sur 27 soutiennent notre proposition, nous avons convaincu les Etats Unis, nous avons réussi à convaincre l'Irlande qu'il fallait bouger, et moi, je suis persuadé que d'ici la fin de l'année 2019, il peut y avoir un accord international sur la taxation des géants du numérique au niveau de l'OCDE. Et le fait que les Etats-Unis, que le ministre des Finances américain, pour la première fois, s'engagent aussi fortement sur ce sujet, c'est une excellente nouvelle.

ORIANE MANCINI
Et juste, ça bouge au niveau des Etats-Unis, c'est plus compliqué au niveau de l'Union européenne, il y aura un Conseil des ministres des Finances le 12 mars, est-ce que vous avez fait une croix sur un accord à l'unanimité ?

BRUNO LE MAIRE
Il n'y aura pas d'accord le 12 mars, soyons clairs, mais en revanche, nous pouvons trouver – pas d'accord sur le projet de directive – mais en revanche, je pense que nous pouvons trouver un nouvel accord pour qu'il y ait une position commune européenne à l'OCDE, et qu'avec la position commune européenne, le soutien des Etats-Unis, nous puissions avoir une taxation du digital proposée au niveau international à l'OCDE d'ici la fin de l'année 2019.

NATHALIE MAURET
Un mot sur le Brexit, Bruno LE MAIRE, le Parlement britannique, hier soir, a voté pour la nouvelle stratégie de Theresa MAY, impliquant un possible futur report du Brexit, est-ce que c'est une bonne nouvelle, en particulier pour les entreprises françaises ?

BRUNO LE MAIRE
Le report, il faut simplement qu'on comprenne un report, pourquoi ? Et le président de la République l'a dit très clairement, hier…

NATHALIE MAURET
Qu'il soit motivé…

BRUNO LE MAIRE
Il faut qu'il soit motivé, ce report, parce qu'un report pour un report, si c'est à chaque fois repoussé l'échéance, ça va nous mener nulle part, or, le sujet est grave, chacun le sait, les conséquences économiques peuvent être importantes, donc nous devons comprendre, un report pourquoi pas, mais quel est le motif de ce report. Et ça, c'est au gouvernement britannique de nous le dire.

ORIANE MANCINI
Et un nouveau référendum, vous seriez pour ?

CYRIL VIGUIER
Personne ne peut se prononcer à la place des Britanniques, les Britanniques ont fait le choix de sortir de l'Union européenne, je le regrette, qu'est-ce que ça montre ? Ça montre que sortir de l'Union européenne, c'est tout simplement une folie, une folie qui se paye cher. Et notre responsabilité à nous, politiques, c'est de nous battre pour expliquer à tous nos compatriotes : on est plus fort ensemble en Europe, plus fort en ayant des batteries électriques, que nous allons créer avec nos amis allemands pour ouvrir une nouvelle filière industrielle, plutôt que chacun, tout seul, dans son coin. L'expérience britannique devrait servir de leçon à tous ceux qui aujourd'hui ne cessent de taper sur l'Europe matin, midi et soir. Moi, je considère qu'on est plus fort ensemble que séparé, surtout face à la montée en puissance de la Chine et surtout face au comportement actuel des Etats-Unis.

CYRIL VIGUIER
Bruno LE MAIRE, tout le monde l'entend, nous sommes au Salon de l'Agriculture, vous êtes salué d'ailleurs par des…

BRUNO LE MAIRE
Par des dindons…

CYRIL VIGUIER
Des dindons depuis tout à l'heure. Alors la PAC, les élections européennes, les agriculteurs sont tous à la peine, vous le savez bien, qu'allez-vous dire au monde agricole aujourd'hui, vous êtes l'ancien ministre de l'Agriculture de Nicolas SARKOZY, est-ce que vous allez faire des annonces, est-ce que vous allez proposer de nouvelles aides, qu'est-ce que vous allez dire dans les travées, là, dans quelques minutes ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, d'abord, que je suis heureux de les retrouver, que je les aime, c'est important, j'étais trois ministre de l'Agriculture, c'est le plus beau poste que j'ai occupé, j'ai adoré ce poste. Je vais leur dire qu'on a pris aussi des décisions concrètes pour eux, je rappelle que nous avons mis en place l'épargne de précaution, quand j'étais ministre de l'Agriculture, j'ai essayé pendant trois ans de mettre en place une épargne de précaution, je n'y suis pas arrivé, cette fois-ci, on y est arrivé, 150.000 euros d'épargne de précaution…

CYRIL VIGUIER
Et de nouvelles mesures ou pas ? Ça, ce sont les anciennes…

BRUNO LE MAIRE
Nous avons aussi travaillé sur le seuil de revente à perte, je crois que c'était une grande demande du monde agricole, et ça marche, ça marche notamment dans la filière laitière, ça commence à se développer aussi dans la filière de la viande, donc c'est une bonne nouvelle. Et puis, je vais être à l'écoute de toutes leurs propositions, les agriculteurs, ils participent aussi aux grands débats, ils ont des propositions, et je vais les recueillir avec beaucoup d'attention.

CYRIL VIGUIER
Bruno LE MAIRE, « Paul, une amitié », c'est votre livre qui vient de sortir. Vous dites, dans ce livre, à un moment donné, vous dites : ce qui nous permet de tenir face aux épreuves, vous en connaissez quelques-unes, ce sont les mots, les images, la musique, que reste-t-il quand tout s'effondre ? La mémoire des personnes qui vous ont aimé et la culture, vous parlez de Paul et de la culture. Est-ce que vous allez le temps d'écouter de la musique, de regarder des images, de réfléchir et où et quand et à quel moment, à quelle heure, dans la nuit, le matin, dans la voiture ?

BRUNO LE MAIRE
Tôt le matin, non, plutôt tôt le matin, mais je pense que c'est très important, surtout quand on a une vie politique dense, intense, passionnante, de prendre parfois un peu de recul, de prendre du temps pour soi, de lire, d'écrire, d'écouter de la musique…

CYRIL VIGUIER
Vous y arrivez ?

BRUNO LE MAIRE
Eh oui, eh oui, la culture, je le dis ici, au Salon de l'Agriculture, la culture est à mes yeux le défi politique le plus important que nous avons à relever dans les années qui viennent. On a des problèmes économiques, on est en train de les surmonter, nous avons des problèmes financiers, nous allons les surmonter, mais le vrai problème français est un problème culturel, que nous retrouvions notre culture, notre langue, l'agriculture, les paysages, le développement du territoire, c'est notre culture, les produits alimentaires, le vin, c'est notre culture, retrouverons la culture française, c'est ce qui nous rassemblera, et s'il y a autant de tensions, de divisions aujourd'hui en France, c'est parce qu'on a perdu le sens de notre culture qui est ce qui nous rassemble le plus.

CYRIL VIGUIER
Eh bien, vous l'écrivez dans ce livre « Paul, une amitié », de Bruno LE MAIRE. Merci Bruno LE MAIRE…

BRUNO LE MAIRE
Merci à vous.

CYRIL VIGUIER
Ministre de l'Economie et des finances d'avoir été l'invité politique de « Territoires d'infos ». Bon Salon de l'Agriculture, où vous allez maintenant vous rendre, vous y êtes d'ailleurs, vous partez dans les travées. Merci Nathalie MAURET, de l'Alsace du groupe EBRA…

BRUNO LE MAIRE
Merci beaucoup…

CYRIL VIGUIER
Et merci Oriane MANCINI.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er mars 2019