Interview de M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, à France 2 le 1er mars 2019, sur les efforts en faveur des forces de l'ordre, la sécurité routière, les "Gilets jaunes" et le retour des jihadistes français.

Prononcé le 1er mars 2019

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

GUILLAUME DARET
Bonjour à tous, bonjour Christophe CASTANER.

CHRISTOPHE CASTANER, MINISTRE DE L'INTERIEUR
Bonjour.

GUILLAUME DARET
Juste après cette émission, vous prenez la direction de Limoges. Vous allez à la rencontre des forces de l'ordre. Des forces de l'ordre qui depuis des mois et bien au-delà de cette crise des gilets jaunes demandent davantage de moyens. Alors est-ce que vous allez justement leur en donner davantage ?

CHRISTOPHE CASTANER
Oui, c'est ma priorité, et des moyens matériels. Je vais tout à l'heure à Limoges dans un centre où on prépare les voitures pour les équiper pour la police et la gendarmerie. J'ai fait en sorte que nous ayons la capacité d'acheter 30 000 voitures pendant la durée du quinquennat. Faire en sorte que l'année dernière nous avons commandé 6 000. 5 600 cette semaine seront présentées et seront initiées et lancer. C'est donner des moyens du quotidien, c'est leur donner des conditions de travail correctes. C'est pareil sur l'immobilier. Nous allons mobiliser 900 millions d'euros pour remettre en état ou construire de nouveaux commissariats et de nouvelles casernes parce que je ne supporte pas l'idée que le caïd du quartier ait des conditions de business supérieures et meilleures que les conditions de travail de mes policiers.

GUILLAUME DARET
Plus de moyens, plus de moyens de protection également ?

CHRISTOPHE CASTANER
Nous allons aussi investir 18 millions d'euros pour protéger nos policiers qui en ont besoin. Mais donc c'est vraiment cette police de sécurité du quotidien au plus près du terrain. Moi je souhaite une police qui soit différente à Limoges, à Paris, en zone urbaine, en milieu rural ou sur la côte littorale pendant les vacances. On est sur des sujets différents.

GUILLAUME DARET
Plus de gilets pare-balles par exemple, plus d'équipements de ce type-là.

CHRISTOPHE CASTANER
Bien sûr. Il est indispensable que tous nos policiers, tous nos gendarmes aient un équipement qui les protège au quotidien.

GUILLAUME DARET
On a appris cette semaine que le nombre de morts sur les routes au mois de janvier a augmenté de près de 4 %. Est-ce que pour vous c'est directement lié aux radars qui ont été détruits ? Et d'ailleurs, combien de radars ont été détruits et ne sont plus en état de fonctionnement ?

CHRISTOPHE CASTANER
A peu près 75 % du parc des radars a été soit détruit, soit détérioré, soit attaqué, soit neutralisé. Oui, il y a un lien direct. Je vais vous prendre un exemple. Il y a des radars, vous savez, qui sont masqués. Les automobilistes voient qu'ils sont masqués, et puis comme ils ont l'habitude de passer au même endroit, ils voient qu'ils sont masqués. Sauf qu'en fait, ils continuent à enregistrer la vitesse. Ils ne font pas de photographies, il n'y a pas de procès-verbal mais en ils enregistrent la vitesse. Sachez qu'au mois de décembre, en moyenne, il y a quatre fois plus d'infractions sur un radar masqué à proximité du radar masqué que dans les faits quand il fonctionne.

GUILLAUME DARET
Quatre fois plus !

CHRISTOPHE CASTANER
400 % d'augmentation. Et au bout du compte, ça fait des morts. A chaque instant, il y a dans notre pays des situations dangereuses et tous les jours il y a des dizaines de morts. C'est insupportable.

GUILLAUME DARET
Alors demain marquera le seizième samedi de mobilisation des gilets jaunes. Vous appelez à la fin des manifestations, à la fin de ces mobilisations. Pourquoi ne pas aller jusqu'à les interdire formellement ?

CHRISTOPHE CASTANER
D'abord parce que c'est un sujet démocratique. Moi, je ne suis pas un ministre de l'Intérieur qui veut interdire le droit de manifester mais j'appelle à la responsabilité. Il y a chaque semaine 40 000, 50 000 personnes qui manifestent, c'est-à-dire à peu près autant que pour voir un match de foot de l'OM. C'est ça la réalité, c'est-à-dire au fond plus grand monde. Et systématiquement, il y a des violences parce qu'il y a des gens qui se mêlent à ces manifestations pour venir casser, pour venir détruire, pour venir agresser nos forces de l'ordre.

GUILLAUME DARET
Vous leur dites quoi alors aux gens qui s'apprêtent à descendre dans la rue demain ?

CHRISTOPHE CASTANER
Mais la démocratie, ce n'est pas la démocratie de l'émeute. Le Président de la République l'a dit. Moi, je pense à la démocratie du débat. Aujourd'hui, il y a un débat. Le mouvement, il est là. Vous avez près de deux millions de personnes qui sont allées sur le site du Grand débat. Vous avez un million deux cent mille contributions. Vous avez près de 10 000 réunions qui sont organisées, qui vont être organisées partout en France. C'est ça la démocratie. Et donc oui, je les invite à participer au débat, à peser de tout leur poids. Il faut qu'ils se posent une question simple : quelle trace au fond ils veulent laisser ? C'est un mouvement social exceptionnel. On en a suffisamment parlé, ce n'est pas nécessaire d'en rajouter. Avec des revendications sociales, des revendications de démocratie et de fonctionnement de la démocratie. Et maintenant, la seule trace qu'il reste, c'est celle de ces violences répétées. Il y a une sorte de rite et de quelques leaders qui font des sorties toutes plus surprenantes les unes que les autres.

GUILLAUME DARET
Justement, plus de trois mois après le début de ce mouvement, est-ce que vous pouvez nous dire où est-ce qu'on en est ? Combien est-ce qu'il y a eu de personnes interpellées ? Combien de policiers blessés ? Combien d'enquêtes ouvertes notamment par l'IGPN pour des soupçons de violences policières ?

CHRISTOPHE CASTANER
D'abord, il y a eu presque 2 000 policiers blessés, gendarmes, pompiers qui ont été caillassés, agressés, blessés et blessés gravement. Et il y a un peu plus de 150 enquêtes aujourd'hui qui ont été demandées à l'IGPN. L'IGPN qui l'Inspection générale de la police nationale. Quelques-unes du côté…

GUILLAUME DARET
Certaines ont déjà abouti ?

CHRISTOPHE CASTANER
Non parce qu'elles sont, du coup, placées sous l'autorité judiciaire et dans ce cas-là, il faut le temps de l'instruction. Sachez que s'il y a des fautes, les fautes seront sanctionnées. Et ça se fait sous contrôle d'un juge parce qu'évidemment il y a une enquête. Et moi je souhaite que systématiquement, quand il y a un signalement contre une faute alléguée contre un policier au contre un gendarme, il y ait une enquête. Je voudrais quand même préciser que dans les chiffres que je vous donne de saisie de l'IGPN, ça va de l'injure jusqu'à des violences graves.

GUILLAUME DARET
Est-ce que c'est normal que le Procureur de Paris encourage à ne lever les gardes à vue sur ces jours de mobilisation qu'après les manifestations des gilets jaunes ? Est-ce que ce n'est pas une atteinte à leur liberté ?

CHRISTOPHE CASTANER
Alors l'atteinte, ce serait si le ministre de l'Intérieur se mettait à commenter des décisions et des circulaires du Procureur de la République. Donc évidemment je ne le ferai pas.

GUILLAUME DARET
Justement, vous parlez des portes de sortie de ce Grand débat. Il a été question à un moment d'un référendum. Est-ce que ce matin vous nous confirmez qu'un référendum le jour des européennes, c'est politiquement et matériellement exclu ?

CHRISTOPHE CASTANER
Matériellement, ça n'est pas exclu parce que le ministère de l'Intérieur qui sera en charge de l'organiser est capable de l'organiser. La question, elle est politique. Elle est celle de la décision politique. Mais je dirais presque que c'est accessoire. Ce qui compte, c'est la question que vous posez. Et que la traduction concrète dans la vie des Français se fasse par un référendum, par une loi, par un décret, les Français s'en fichent un peu. Ce qu'ils veulent, c'est effectivement des choses qui changent en profondeur dans leur vie quotidienne.

GUILLAUME DARET
Juste en un mot. Dans les propositions qui reviennent dans le Grand débat, il y en a certains qui disent : « Il faut revenir sur le cumul des mandats. » Vous seriez pour ou contre ?

CHRISTOPHE CASTANER
Alors moi, j'ai pratiqué le cumul des mandats. J'ai été maire d'une petite commune, Forcalquier, et député et je vois le volume de travail qu'il faut quand on s'engage dans ce boulot-là. Donc non, je pense que c'est les parcours qui vous font, qui vous forment, mais je pense que revenir aujourd'hui sur la question du cumul n'est pas opportune. Mais c'est un débat, c'est un débat qui est ouvert. Moi à titre personnel, je n'y suis pas favorable.

GUILLAUME DARET
Alors vous êtes ministre de l'Intérieur, ministre des cultes également. Il y a eu une polémique cette semaine : est-ce que porter un hijab de course, vous considérez que c'est une atteinte à la laïcité ?

CHRISTOPHE CASTANER
Non, ce n'est pas une atteinte à la laïcité parce que la laïcité elle est simple. Elle consiste à défendre le droit de ne pas croire comme le droit de croire et on peut porter des signes religieux dans l'espace public.

GUILLAUME DARET
Vous regrettez donc que DECATHLON finalement ait renoncé à vendre ce hijab ?

CHRISTOPHE CASTANER
Non. Je regrette vraiment cette polémique. Ça, c'est un peu franco-français. On fait des polémiques sur ce sujet. Moi, j'ai plutôt envie de penser à ces femmes qui en Iran, en Algérie se battent pour ne pas porter le voile ou le hijab. Ce que je sais, c'est que le Coran n'oblige pas à porter le hijab. Et donc une chose est sûre : c'est qu'il y a d'un côté des militantes qui se battent pour leur liberté et je pense plutôt à elles.

GUILLAUME DARET
Un sondage Odoxa publié par nos confrères de Franceinfo et du Figaro montre que les Français sont extrêmement inquiets au sujet du retour des jihadistes possible en France. Qu'en est-il concrètement ? Emmanuel MACRON a dit : « Il n'y a pas de programme de retour. » Vous aviez dit : « Il faut les identifier pour mieux justement les emprisonner. » Est-ce qu'on sait déjà combien sont revenus et ont été emprisonnés ?

CHRISTOPHE CASTANER
D'abord oui, il y a des gens qui depuis plusieurs années sont revenus, ont été sur des champs d'opérations. Ça remonte même à l'époque de l'Afghanistan.

GUILLAUME DARET
C'est quel nombre à peu près ?

CHRISTOPHE CASTANER
Vous avez 275 personnes qui, ces dernières années et je suis sur une fourchette assez large, sont revenues en France, ont été interpellées, ont été jugées et emprisonnées dans la foulée.

GUILLAUME DARET
Aujourd'hui, il faut les rapatrier ceux qui sont là-bas ou pas ?

CHRISTOPHE CASTANER
Mais la question ne se pose pas. La question ne se pose pas. Il n'y a pas de rapatriement prévu et organisé. La seule chose que je peux vous dire comme ministre de l'Intérieur, c'est que si une personne devait revenir en France dans n'importe quelles conditions, y compris comme ç'a été le cas le plus souvent de façon irrégulière en franchissant la frontière, parce que nous les connaissons ceux qui sont sur place, nous l'interpellerons, nous la mettrons à disposition de la justice et elle sera jugée.

GUILLAUME DARET
Est-ce que c'est la même chose pour les enfants ? On les laisse là-bas ou est-ce qu'on les rapatrie est-ce que c'est particulier pour les enfants ?

CHRISTOPHE CASTANER
D'abord si les enfants ont des parents, ce n'est pas l'Etat qui doit décider. C'est d'abord les parents qui doivent décider. Et aujourd'hui, les parents sont partis. Ils ont fait le choix de vivre et d'aller mener une guerre en Syrie en particulier et ils restent sur place avec leurs enfants.

GUILLAUME DARET
Donc on ne s'occupe pas des enfants qui sont là-bas même s'ils sont mineurs, même s'ils sont français.

CHRISTOPHE CASTANER
Mais ils sont avec leurs parents. Et donc de toute façon, même d'un point de vue juridique, nous n'aurions pas le droit d'aller sur place, de prendre les enfants et de les rapatrier pour les protéger. Ce serait une violation totale du droit et du droit de l'enfant aussi.

GUILLAUME DARET
Quel est l'état de cette menace terroriste aujourd'hui en France ? On sent justement que nos compatriotes sont encore très inquiets.

CHRISTOPHE CASTANER
Alors elle est constante. Elle n'est pas liée au sujet précédent. C'est-à-dire ce que je veux dire par là, c'est qu'en réalité le risque de menace reste élevé mais de façon endogène. C'est-à-dire des gens qui, en France aujourd'hui, peuvent commettre un acte terroriste. On l'a vu sur Strasbourg au mois de décembre. Nous sommes passés d'une phase où les attaques étaient exogènes, organisées notamment par Daesh depuis l'Irak, depuis la Syrie dans certaines circonstances que l'on connaît, à aujourd'hui un risque permanent dans lequel nous vivons, dans lequel vivent nos forces. Ils sont formés pour cela. Nos services de renseignement montent en puissance. Nous recruterons 1 900 agents supplémentaires pour le Renseignement en France, notamment parce qu'il nous faut nous armer dans la lutte contre le terrorisme.

GUILLAUME DARET
Beaucoup d'attaques, d'attentats ont été évité ces derniers mois ?

CHRISTOPHE CASTANER
Ces dernières années, parce qu'on ne communique pas au quotidien sur ce sujet, ni ces derniers mois, vous comprendrez volontiers mon silence sur ce sujet. Nous avons neutralisé de nombreuses attaques. Vous savez, juste pour en illustrer cela, quelques jours avant le 17 novembre et le début du mouvement des gilets jaunes, un groupe s'était constitué et s'était intitulé « Ça va saigner le 17 ». C'était une attaque terroriste, nous l'avons neutralisée.

GUILLAUME DARET
Merci beaucoup Christophe CASTANER.

CHRISTOPHE CASTANER
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er mars 2019