Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat en vue du Conseil européen des 21 et 22 mars 2019.
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séance de questions-réponses. La durée des questions et des réponses, je le rappelle aussi, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
(…)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des affaires européennes. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
M. Jean-Paul Lecoq. Ça va être dur de répondre, madame la ministre, surtout au dernier orateur !
Mme Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes. Merci, cela change de la goujaterie de certains de vos collègues. Et, après tout, c'est la semaine des droits des femmes ! (Sourires et applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Jean-Paul Lecoq. Chez les communistes, la semaine des droits des femmes, c'est toute l'année !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. La goujaterie dont je parlais n'est pas venue de vos bancs, monsieur le député, mais d'autres, un peu plus tôt dans l'après-midi.
Oui, le Président de la République s'est adressé ce matin à tous les citoyens européens. Parce que nous vivons un moment sans précédent, il fallait en effet une démarche elle aussi sans précédent. Le Président a fait part d'une vision large et de propositions nouvelles pour l'Union européenne. Faut-il s'excuser d'avoir des idées, une ambition pour l'Union ? Faut-il se résigner à voir celle-ci malmenée, attaquée, affaiblie, sans rien faire ? Je comprends qu'il soit souvent plus facile d'émettre des critiques que de proposer des idées. Mais nous ne nous excuserons pas d'avoir un projet, ni de faire entendre haut et fort la voix de la France en Europe : elle est attendue, et nous sommes au rendez-vous.
Les 21 et 22 mars, à une semaine de la date prévue pour le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, il ne fait aucun doute que la question du Brexit occupera les esprits et qu'elle s'invitera d'une façon ou d'une autre dans les discussions du Conseil européen.
La ratification de l'accord de retrait reste plus que jamais notre objectif. C'est la seule voie possible pour un Brexit ordonné. Cet accord apporte clarté et sécurité juridique aux citoyens, aux entreprises et à l'ensemble des parties prenantes. Il leur donne aussi du temps pour s'adapter, grâce à une période de transition.
Depuis le vote négatif de la Chambre des communes le 29 janvier dernier, les échanges se sont poursuivis entre les responsables européens et les autorités britanniques pour trouver des réponses acceptables aux préoccupations exprimées par une majorité de députés britanniques.
Sur le principe, l'Union l'a répété à plusieurs reprises, l'accord de retrait ne sera pas rouvert. Si des clarifications supplémentaires sont demandées, par exemple dans la déclaration politique sur le cadre des relations futures, nous n'y sommes pas hostiles, sous réserve qu'elles respectent les principes fixés par le Conseil européen au mois de mars 2018. Sur ce point, si l'écart avec la position du gouvernement britannique se réduisait, ce serait une évolution positive.
Michel Barnier, auquel je tiens moi aussi à rendre hommage, rencontre aujourd'hui une délégation britannique à Bruxelles. C'est lui qui négocie au nom des Vingt-Sept et c'est derrière lui que nous sommes unis.
Mme May a également évoqué devant la Chambre des communes l'hypothèse d'une extension « courte et limitée » de la période de négociation de deux ans prévue par l'article 50 du traité sur l'Union européenne. Elle s'est engagée à la proposer à la Chambre des communes si cette dernière rejetait à la fois la ratification de l'accord de retrait et une absence d'accord. Jusqu'à présent, en effet, nous avons plus souvent entendu ce que les Britanniques ne veulent pas plutôt que ce qu'ils souhaitent pour la suite du processus.
Le Président de la République et le Gouvernement, comme, du reste, Michel Barnier et nos partenaires, ont été clairs : une prolongation de la durée de l'article 50 n'a de sens que si le Royaume-Uni propose une ligne claire, crédible et acceptable par les Vingt-Sept. Un report éventuel doit avoir une raison ; il doit aussi avoir une durée limitée. Imagine-t-on le gouvernement britannique organiser des élections européennes au Royaume-Uni juste avant de quitter l'Union ?
M. Jean-Louis Bourlanges. Ça, ce serait marrant…
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Soyons clairs : nous souhaitons un retrait ordonné, et nous sommes dans l'attente d'un signe que le Royaume-Uni s'en donne les moyens en ratifiant l'accord négocié et conclu ensemble. Mais nous ferons toujours primer les intérêts des Européens, et, au vu de la situation politique britannique, nous ne pouvons pas exclure aujourd'hui que le Royaume-Uni glisse vers une sortie sans accord.
Dans cette éventualité, nous serons prêts. L'État a fait tout ce qu'il avait à faire pour cela : vous avez bien voulu voter une loi d'habilitation, le Gouvernement a pris six ordonnances et les décrets d'application sont prêts eux aussi. Sur le terrain, les travaux d'infrastructure avancent ; les douaniers et les vétérinaires supplémentaires sont recrutés et formés. Je serai jeudi à Londres pour rencontrer à nouveau les autorités britanniques et la communauté française. Notre engagement est total : nous demandons que les Français bénéficient du maintien de leurs conditions actuelles de séjour au Royaume-Uni. En outre, nous travaillons activement avec la Commission européenne comme au plan national pour venir en aide aux pêcheurs – que j'ai rencontrés la semaine dernière à Cherbourg – en cas de sortie sans accord.
Je tiens par ailleurs à redire devant vous que, s'il est normal que les budgets européens soient affectés par la perte de la contribution du Royaume-Uni, nous veillerons en revanche, contrairement à ce que certains ont pu dire de manière assez irresponsable, notamment au salon de l'agriculture – où je me suis moi aussi rendue –, au maintien des financements de la politique agricole commune, lesquels ne peuvent ni ne doivent servir de variable d'ajustement du Brexit.
Les discussions sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union ne doivent pas nous détourner de notre objectif central de relance du projet européen. À cet égard, le Conseil européen de mars sera une échéance importante, à l'opposé de ce que certains ont laissé entendre.
Conformément à ses conclusions de décembre dernier, le Conseil européen débattra de l'avenir du marché unique dans la perspective du prochain programme stratégique. Cela permettra d'aborder les sujets liés au marché intérieur, comme l'approfondissement de l'intégration des marchés, l'innovation, la concurrence loyale et la protection des droits des consommateurs, mais aussi de traiter de la protection des données et des transformations induites par la numérisation, l'intelligence artificielle et les nouvelles technologies. Qui pourrait dire que ces sujets ne méritent pas que l'on s'y arrête un moment ?
C'est dans ce cadre que nous voulons engager le débat sur l'avenir de l'industrie européenne et sur la nécessité d'une réelle politique industrielle. La France et l'Allemagne ont présenté des propositions stratégiques ambitieuses ; il est maintenant nécessaire que le Conseil européen en débatte. Il s'agit d'avancer sur trois axes.
Premièrement, permettre à l'Union d'investir dans les nouvelles technologies et de les financer massivement, notamment en donnant au Conseil européen de l'innovation des moyens comparables à ceux disponibles aux États-Unis, comme l'a indiqué dans sa tribune le Président de la République.
Deuxièmement, rendre nos entreprises plus concurrentielles, y compris en révisant les lignes directrices en matière de concentration d'entreprises en Europe pour tenir compte de la concurrence au niveau mondial. Qui pourrait nier que le sujet est d'une actualité brûlante ?
Nous proposons aussi que le Conseil puisse bénéficier d'un droit de recours après une décision de la Commission.
Troisièmement, il s'agit de mieux défendre nos technologies, nos entreprises et nos marchés en tirant pleinement profit du nouveau cadre de filtrage des investissements, en exigeant une plus grande réciprocité dans les marchés publics avec les pays tiers et en appuyant le multilatéralisme, tout en le modernisant chaque fois que c'est nécessaire – je pense notamment à l'Organisation mondiale du commerce. Qui pourrait dire qu'aujourd'hui le multilatéralisme n'est pas attaqué ?
En outre, les chefs d'État ou de gouvernement discuteront des orientations politiques à adopter pour que l'Union soit en mesure de préparer, d'ici à 2020, une stratégie de long terme de lutte contre le changement climatique, dans la continuité de l'accord de Paris. Il est fondamental de maintenir la dynamique engagée en la matière en vue du Conseil européen de juin, afin que l'Union soit en mesure d'adopter à cette date le scénario de neutralité carbone pour 2050 et de présenter cette stratégie au sommet sur le climat que le secrétaire général des Nations unies organisera en septembre 2019. Le Président de la République a fait des propositions fortes en ce sens : neutralité carbone en 2050, division par deux de la consommation européenne de pesticides d'ici à 2025.
Si M. le député Coquerel était là pour m'écouter…
M. Jean-Paul Lecoq. Nous, nous sommes là !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. …je lui dirais que, si nous n'avons pas interdit le glyphosate sans attendre, c'est parce que nous avons parlé avec ses utilisateurs et que nous ne voulons laisser personne sans solution. C'est notre responsabilité. Il est parfois plus facile d'être dans l'opposition que d'être aux responsabilités…
M. Aurélien Pradié. Il fallait leur parler avant ! C'est invraisemblable !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Nous n'avons jamais cessé de leur parler, monsieur le député.
M. Jean-Paul Lecoq. On y a passé des heures, en pleine nuit ! On nous a dit que ce serait fait dans les trois ans ! La ministre contredit la majorité !
M. le président. S'il vous plaît, messieurs ! La ministre, et elle seule, a la parole. Vous pourrez lui poser des questions ensuite.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Je le répète : pas d'interdiction immédiate du glyphosate comme le demandait le député Coquerel…
M. Arnaud Viala. Il n'était pas le seul ! Orphelin le demandait aussi !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. …sans se préoccuper de savoir ce que deviendraient les utilisateurs du glyphosate.
Le sommet de la zone euro de décembre dernier a décidé de la création d'un instrument budgétaire pour la zone euro. L'Eurogroupe y travaille et doit aboutir en juin, grâce notamment à un intense travail franco-allemand. Nous avons voulu que le Conseil européen fasse un point d'étape à mi-parcours, en mars. Nous tenons à appuyer les réformes menées par les États de la zone euro, mais aussi à financer des investissements pour accroître la compétitivité et renforcer la convergence des économies. Les orientations stratégiques de ce budget devront être fixées par les Dix-Neuf. Je mesure bien évidemment la sensibilité des questions qui restent à trancher, qu'il s'agisse des modalités de financement par le budget communautaire, par des contributions des États membres et, le cas échéant, des recettes propres, ou, bien entendu, du volume financier. Nous avons encore bien des nuits de négociations devant nous, mais chacun peut reconnaître le chemin déjà parcouru.
Enfin, le Conseil européen examinera les progrès accomplis dans la lutte contre la désinformation et la nécessaire protection de l'intégrité démocratique des élections européennes et nationales dans l'ensemble de l'Union. Le Président de la République a proposé ce matin, très concrètement, que des experts européens se rendent aux côtés des pays exposés à des cyberattaques, à des ingérences étrangères ou à des campagnes massives de désinformation.
Nous sommes également déterminés à oeuvrer pour renforcer la convergence économique et sociale au sein de l'Union, qui est au coeur du projet européen, afin de nous doter de ce que le Président de la République a appelé ce matin un « bouclier social ». C'est le sens de l'action que nous avons menée pour créer une autorité européenne du travail ou encore de nos efforts pour lier solidarité financière et convergence sociale dans le prochain budget européen.
Les chefs d'État ou de gouvernement reviendront sur ces sujets lors de l'adoption, en juin prochain, du programme stratégique pour la période 2019-2024, qui fixera les orientations et priorités politiques du prochain cycle institutionnel.
En ce qui concerne la méthode, nous voulons nous appuyer, pour définir les priorités de l'Union, sur les principales préoccupations et attentes des citoyens telles qu'elles se sont exprimées, en France et au-delà, dans les consultations citoyennes sur l'Europe qui se sont tenues au second semestre 2018.
Enfin le Conseil européen fera le point sur quelques aspects de la situation internationale. Il travaillera notamment à la préparation du sommet entre l'Union européenne et la Chine, puis du sommet du forum des nouvelles routes de la soie, qui aura lieu fin avril. L'unité européenne est tout aussi stratégique en la matière que lorsque nous discutons du Brexit ou des relations commerciales avec les États-Unis. Chacun voit bien qu'il est indispensable que l'Union se coordonne mieux pour obtenir une meilleure réciprocité commerciale ou des exigences sociales et environnementales supérieures concernant les investissements dans les routes de la soie. De même, nous devons mieux contrôler les investissements étrangers.
Ces discussions à venir ne doivent pas éclipser les avancées récentes ou en cours. J'en ai cité certaines, comme la création de l'autorité européenne du travail ; je pense aussi, par exemple, à la réforme du droit d'auteur, qui est en très bonne voie, ou à la limitation des émissions de CO2 pour les poids lourds, qui complétera la législation applicable aux véhicules légers et permettra d'impliquer davantage le secteur du transport routier dans la lutte contre le changement climatique.
Il nous reste encore quelques semaines et beaucoup de travail sur des textes délicats comme le paquet mobilité ou le texte relatif à l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants, qui devrait en particulier permettre d'accroître la participation des femmes au marché du travail.
Vous le voyez, mesdames et messieurs les députés, l'Europe avance et ces textes permettront d'améliorer concrètement le quotidien des citoyens européens, en renforçant les différentes dimensions de cette « Europe qui protège » et, au-delà, de cette Europe de la « renaissance » que nous appelons de nos voeux. Le Conseil européen de mars puis le sommet informel de Sibiu prévu pour le mois de mai seront des moments importants avant que, après les élections européennes, une réelle Conférence pour l'Europe ne propose les changements nécessaires à notre projet politique. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le président. Nous en venons aux questions.
Je rappelle que chaque question ou réponse ne doit pas excéder une durée de deux minutes et qu'il n'y a pas de droit de réplique.
La parole est à Mme Natalia Pouzyreff.
Mme Natalia Pouzyreff. Les arcanes des institutions européennes sont bien peu compréhensibles pour nos concitoyens et le fonctionnement du Conseil européen, qui réunit les chefs d'État et de gouvernement, est encore plus mystérieux. Aussi le présent débat apporte-t-il l'occasion d'expliciter la manière dont se forme le programme politique de l'Union européenne, la manière dont sont adoptées les décisions qui engagent dirigeants et citoyens européens sur le long terme.
Ainsi en est-il des questions relatives à notre politique de sécurité et de défense.
M. Jean-Paul Lecoq. La bombe atomique !
Mme Natalia Pouzyreff. Or, à cet égard, après des décennies de mutisme, de la part de l'Union européenne, sur les questions de défense, nous assistons, depuis 2017, à un réveil de l'UE et à un vrai regain d'intérêt de nos concitoyens pour ces problèmes.
Cette réalité, cette volonté politique, cependant, ne s'incarne pas encore au sein des instances européennes. En effet, au Parlement européen, il n'existe qu'une sous-commission « Sécurité et défense » rattachée à la commission des affaires étrangères. De même, le Conseil des affaires étrangères, mensuel, ne réunit-il une formation « Défense » qu'une fois par an. Certes, il existe un comité politique et de sécurité, le COPS, placé sous la double tutelle du service européen pour l'action extérieure – SEAE – de la Commission et du Conseil, mais il n'a aucun pouvoir décisionnaire, contrairement au Conseil de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord – OTAN.
C'est pourquoi, madame la ministre, la proposition du Président de la République de créer un Conseil de sécurité européen, qui plus est associant le Royaume-Uni, m'apparaît comme une solution de nature à rendre plus lisible et plus effective notre politique de sécurité et de défense.
M. Jean-Paul Lecoq. Voilà qui est puissant !
M. le président. Je vous remercie, chère collègue.
Mme Natalia Pouzyreff. J'en viens à ma question. Dans ce contexte, la France entend-elle promouvoir une Europe plus forte, plus autonome, plus souveraine ? Et comment peut-on inclure l'ensemble des pays…
M. le président. Merci, madame Pouzyreff.
Mme Natalia Pouzyreff. …ou associer les seuls pays volontaires sur ces questions d'organisation et de sécurité et de défense ?
M. Jean-Paul Lecoq. Et qui va payer la bombe atomique ?
M. André Chassaigne. Mme Pouzyreff a parlé pendant deux minutes trente !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Des progrès ont déjà été accomplis au cours du début du mandat de Mme Mogherini, avec l'instauration d'une sorte de double casquette concernant la politique étrangère et de sécurité commune – PESC –, mais nous pouvons et devons améliorer encore la qualité de la prise de décision et faciliter la recherche du consensus. Il faut commencer par des solutions pragmatiques, par exemple faire en sorte que le Conseil européen des affaires étrangères joue un rôle central pour orienter l'action extérieure de l'Union européenne.
Il faut également faire en sorte que le haut représentant et le SEAE soient des outils permettant l'application de ces orientations, et non les instruments d'une vingt-neuvième diplomatie – ce qui est parfois notre inquiétude.
Au-delà, se posent des questions de méthode. Il est important que les pays les plus engagés, les plus volontaires, les plus ambitieux puissent parler ensemble de politique étrangère, de politique de sécurité à l'échelle européenne tout entière. C'est l'objectif de la proposition de créer un Conseil de sécurité européen : il ne s'agit pas de se substituer aux décisions de l'Union européenne, mais de les préparer avec ceux des pays de l'Europe au sens large – et pourquoi ne pas y associer le Royaume-Uni ? – qui ont une politique extérieure et une politique de défense particulièrement volontaires.
M. Jean-Paul Lecoq. Grandiose !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Il s'agit de faire en sorte que des décisions soient préparées avec ces pays-là et de bâtir ensuite un consensus au niveau de l'Union européenne, consensus dont nous regrettons parfois l'absence en ces temps troublés où certains gouvernements, mus par une idéologie nationaliste, préfèrent s'opposer à l'Union et ainsi l'affaiblir face aux menaces extérieures.
M. le président. La parole est à Mme Delphine O.
Mme Delphine O. Le 9 avril prochain se tiendra le 21e sommet entre l'Union européenne et la Chine. Lors du dernier sommet, qui a eu lieu à Pékin en juillet 2018, les deux parties se sont mises d'accord sur l'approfondissement du partenariat stratégique, sur leur volonté de promouvoir un commerce international fondé sur des règles communes et sur leur intention de travailler à une refonte de l'Organisation mondiale du commerce.
Les relations commerciales entre l'Union européenne et la Chine sont primordiales : chaque jour, près de 1,5 milliard d'euros de marchandises transitent entre l'une et l'autre. La Chine est notre deuxième partenaire commercial et nous sommes son premier partenaire. Dans un contexte de relations très tendues entre les États-Unis et la Chine, l'Europe doit pleinement jouer son rôle pour réaffirmer le respect des règles commerciales et du multilatéralisme.
Mais ce sommet sera aussi l'occasion, je l'espère, d'aborder la question des droits de l'homme. Dans la province du Xinjiang, à l'ouest de la Chine, plus de 1 million de personnes sont internées dans des camps dits de « rééducation », selon un comité de l'Organisation des nations unies. Les Ouïghours, minorité musulmane et turcophone, font l'objet d'une campagne de répression sans précédent par le gouvernement chinois : actes de torture, détention au secret sans inculpation ni jugement, cela au prétexte de la lutte contre le terrorisme.
Récemment, la presse rapportait que 2,5 millions d'Ouïghours sont recensés, surveillés et analysés quotidiennement grâce à la technologie de reconnaissance faciale. Dans la seule capitale du Xinjiang, Ürümqi, plus de 5 000 capteurs ont été installés par le gouvernement chinois pour surveiller sans relâche la population.
Dans ce contexte, le Conseil européen inscrira-t-il à l'agenda du sommet UE-Chine la question des droits de l'homme et en particulier de leur violation concernant les Ouïghours ? La Chine sera-t-elle ainsi mise face à ses responsabilités ?
M. Jean-Paul Lecoq. Et la libération des Français détenus en Chine, comme Laurent Fortin ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Le sommet Union européenne-Chine doit nous permettre de parler de façon unie pour faire valoir, de manière efficace, non seulement nos intérêts communs, mais aussi nos principes. Nous ne devons transiger ni sur les principes qui nous unissent, lorsque la garantie des libertés fondamentales est en jeu, ni sur la protection de nos intérêts, en particulier dans les domaines stratégiques.
Pour ce qui est des droits de l'homme, la France a exprimé à de nombreuses reprises ses préoccupations pour l'ensemble de la Chine et en particulier en ce qui concerne les Ouïghours du Xinjiang, à la fois dans le cadre de ses contacts bilatéraux avec les autorités chinoises et dans les enceintes de l'ONU, en particulier auprès du Conseil des droits de l'homme. Ainsi, lors de l'examen périodique universel de la Chine, le 6 novembre dernier, la France a adressé deux recommandations aux autorités chinoises portant sur le Xinjiang : appliquer l'ensemble des recommandations sur le Xinjiang émises le 31 août 2018 par le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale ; mettre fin aux internements massifs dans des camps dans cette région et inviter des représentants du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme à s'y rendre, ainsi qu'au Tibet.
Par ailleurs, lors de la 39e session du Conseil des droits de l'homme, en septembre 2018, au point 4 de l'ordre du jour consacré aux situations appelant l'attention du Conseil, la France, dans sa déclaration nationale, a invité les autorités chinoises à mettre un terme aux détentions arbitraires de masse dans ce qu'elles nomment « camps de rééducation ». La déclaration de l'Union européenne, à cette même occasion, a également appelé l'attention des autorités chinoises sur les préoccupations européennes quant à la situation au Xinjiang.
La France participe également, de manière active, au dialogue Union européenne-Chine sur les droits de l'homme, qui permet de soulever un certain nombre de problèmes ; elle entretient en outre des échanges réguliers et constructifs avec les organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme, y compris au sujet du Xinjiang.
L'ambassadeur pour les droits de l'homme s'est par ailleurs rendu en Chine en octobre dernier, en amont de l'examen périodique universel de la Chine. Il a pu s'entretenir à la fois avec des membres de la société civile et avec des responsables chinois au sujet de la situation des droits de l'homme au Xinjiang qui continuent d'être suivis avec attention par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
M. le président. La parole est à M. Arnaud Viala.
M. Arnaud Viala. Une des principales questions qui se posent aujourd'hui à la France, à ses territoires, à son monde agricole, à ses exploitants, c'est celle de l'impact du Brexit sur la future politique agricole commune.
La Commission européenne présentera le 2 mai prochain ses propositions de budget pour la période 2021-2027. Le coût réel net du départ du Royaume-Uni de l'Union européenne s'établirait à 2,7 milliards d'euros par an en euros constants, soit 5 % du budget de la PAC. Mais ce coût pourrait aller jusqu'à 6,5 % du budget européen consacré à l'agriculture si l'intégralité de cette baisse devait concerner le premier pilier, celui des aides directes. La baisse des aides consécutive au Brexit oscillerait, pour les producteurs français, entre 2,4 et 9,1 % ! Et, en fonction de l'affectation de la baisse des aides sur l'un ou l'autre des piliers de la PAC, le revenu des agriculteurs diminuerait de 1,4 à 5,1 %.
Ces taux moyens de baisse du revenu agricole masquent toutefois des disparités entre secteurs de production, avec des effets concentrés sur les secteurs des grandes cultures, de la viande et du lait, et donc des baisses beaucoup plus importantes pour ces productions. Ces secteurs, déjà fragilisés aujourd'hui, ne sauraient être en mesure d'absorber de telles baisses, puisque la pérennité de l'activité et bien sûr l'emploi s'en trouveraient considérablement touchés. Quelles que soient les modalités du retrait du Royaume-Uni de l'Union et donc du budget de la PAC, ce dernier sera amputé d'au moins 1,35 milliard d'euros. L'impact immédiat sur le revenu moyen agricole sera de l'ordre de 2 %.
Au vu de tous ces chiffres, au vu des atermoiements relatifs à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, l'inquiétude de nos agriculteurs augmente à l'approche des négociations de la future PAC. Pouvez-vous, madame la ministre, nous dire, leur dire, à quoi ils doivent réellement s'attendre ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Vous avez raison de souligner, monsieur le député Viala, l'impact du Brexit sur le prochain budget européen. J'aurais aimé qu'un certain nombre de responsables politiques français, qui se sont félicités du Brexit et qui y ont applaudi, réfléchissent aux conséquences du départ d'un contributeur important de l'Union européenne. Ces mêmes responsables vont aujourd'hui voir les agriculteurs en leur disant : c'est terrible, le budget de la PAC risque d'être affecté. Que n'y avaient-ils pensé plus tôt ?
En ce qui nous concerne, nous avons examiné le projet de budget présenté par la Commission européenne en 2018 pour la période 2021-2027. Il comporte certes des avancées mais prévoit une baisse significative des crédits affectés à la PAC. C'est inacceptable et nous refusons donc ce projet de budget. Nous n'avons cessé de l'affirmer à la fois à la Commission et à nos partenaires. Nous avons réuni vingt autres États membres pour réclamer un maintien du budget de la PAC à vingt-sept.
Nous sommes particulièrement préoccupés par le maintien du premier pilier, celui des aides directes, dont nous savons à quel point il est essentiel aux revenus des agriculteurs. Dans combien de départements les subventions versées par l'Union européenne sont-elles supérieures aux revenus des agriculteurs ! Je le sais d'autant mieux que je me déplace régulièrement à travers le pays et, chaque fois, je rencontre des agriculteurs pour parler de la PAC qu'ils souhaitent. Ils souhaitent une PAC modernisée, une PAC qui permette de participer à la transition écologique, une PAC grâce à laquelle ils pourront faire face aux crises, qu'elles soient sanitaires, climatiques ou simplement des crises de marché.
Ils ne sont donc pas des conservateurs de la PAC, mais ils souhaitent pouvoir compter sur elle pour accompagner leur transition, leur modernisation. Ils peuvent compter sur le Gouvernement pour défendre ces préoccupations à l'échelle de l'Union européenne. (M. Jean-Louis Bourlanges applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Latombe.
M. Philippe Latombe. Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, l'Union européenne s'est fixé un objectif clair : atteindre, d'ici à 2050, une réduction des émissions de gaz à effet de serre comprise entre 80 et 100 % par rapport aux niveaux de 1990, ce que le groupe du Mouvement démocrate et apparentés ne peut qu'approuver, conformément à sa ligne politique.
Pour l'Union européenne, cet enjeu est fondamental. Il s'agit de devenir le chef de file mondial de la transition climatique, d'être ainsi en mesure d'attirer des profils qualifiés, des investissements, et de préparer une transition vers une économie plus verte et durable. Toutefois, les investissements dans les projets liés à la transition climatique sont confrontés à des obstacles comme la grande diversité des projets concernés en termes de taille et de secteur, ou encore leur caractère fortement risqué en raison des nouvelles technologies, parfois non encore éprouvées, sur lesquelles ils reposent.
De plus, les matières premières, en particulier les terres rares, sont indispensables à une politique industrielle efficace comme au déploiement de solutions décarbonées. Une éolienne terrestre de taille moyenne a, par exemple, besoin de 600 kilogrammes de terres rares pour produire de l'énergie, une éolienne offshore de près d'une tonne, et une voiture électrique en nécessite 3,5 kilos, hors batteries. Or l'approvisionnement mondial de ces terres se fait en dehors de l'Union européenne, dans des conditions d'extraction et de purification qui ne sont pas forcément très respectueuses de l'environnement.
M. André Chassaigne. Très juste !
M. Philippe Latombe. In fine, cette transition climatique représente pour l'Union un coût estimé à environ 13 000 milliards d'euros, à un horizon compris entre 2030 et 2035, alors que les investissements européens, qui ne s'élèvent qu'à 2,6 % du PIB, accusent un retard, et que les dépenses en recherche et développement, tout comme celles concernant les infrastructures, demeurent insuffisantes.
Aussi, madame la ministre, souhaiterais-je connaître la vision que portera notre pays lors du Conseil européen en matière de financement de la transition climatique, ainsi que les priorités qui y seront attachées dans un contexte difficile d'approvisionnement en certaines matières premières utiles au déploiement des solutions décarbonées. (MM. Jean-Louis Bourlanges, André Chassaigne et Jean-Paul Lecoq applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Monsieur le député, votre question traite de plusieurs aspects de la transition écologique dans laquelle nous comptons résolument continuer à engager la France et l'Europe. Vous évoquez d'abord notre niveau d'ambition, avant d'aborder la question des financements, puis, enfin, celle des technologies, donc de l'approvisionnement en matières premières nécessaires à leur déploiement.
S'agissant de notre niveau d'ambition, ce Conseil européen devra maintenir la dynamique engagée en matière de lutte contre le réchauffement climatique en vue du Conseil européen de juin, afin que l'Union soit en mesure, à cette occasion, d'adopter le scénario de neutralité carbone pour 2050, et de présenter cette stratégie au sommet sur le climat de septembre 2019.
S'agissant des financements, la France a mis le sujet au coeur des négociations du prochain budget européen. Le verdissement de l'action de l'Union européenne constitue un sujet majeur, et le budget de l'Union doit favoriser l'émergence d'un nouveau modèle productif et d'un nouveau modèle de société. Entre 2014 et 2020, il était prévu que 20 % de l'ensemble des dépenses du budget, toutes politiques confondues, soit consacré à la lutte contre le changement climatique. Nous devons prolonger et amplifier cet objectif pour atteindre 40 % dans le cadre du budget pour 2021-2027.
Il reste que les financements publics ne suffiront pas. Il sera nécessaire de réorienter les financements privés. C'est tout l'objet d'instruments comme le programme InvestEU, le successeur du plan Juncker, qui doit permettre, par effet de levier, de démultiplier l'effet de chaque euro public. Mais il faudra aller encore plus loin. C'est pourquoi nous proposons la création d'une banque européenne du climat – le Président de la République en a parlé dans la tribune publiée par la presse ce matin.
Nous devons aussi avancer dans trois directions complémentaires. Je pense d'abord à l'efficacité et à la sobriété énergétiques, car, il ne faut pas l'oublier : l'énergie la moins nuisible pour l'environnement est celle que l'on ne consomme pas.
M. André Chassaigne. Bien sûr !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Vient ensuite l'économie circulaire, car de nombreuses ressources en matériaux rares sont déjà présentes sur le sol européen, non pas sous forme de ressources minières, mais dans nos déchets électriques et électroniques usagés. Le développement de filières de tri et de recyclage est donc essentiel.
Enfin, je pense à la recherche et à l'innovation. En intensifiant notre effort dans ce domaine, nous pouvons espérer utiliser plus efficacement les matériaux rares, voire les remplacer, ou même inventer des technologies alternatives qui s'en passeraient.
M. André Chassaigne. Les multinationales ne sont pas des Bisounours !
M. le président. La parole est à M. Alain David.
M. Alain David. Plus personne n'en doute, la campagne des élections européennes est lancée : un débat sur la préparation du prochain Conseil européen, une tribune présidentielle publiée dans vingt-huit pays, et le sujet brûlant et pendant du Brexit de plus en plus présent dans tous les médias à mesure que l'échéance du 29 mars approche.
Au-delà de l'ordre du jour déjà copieux de ce Conseil européen, qui traite de l'emploi, de la croissance, de la compétitivité, de la lutte contre le changement climatique ou des relations extérieures, il semble indispensable que la France profite de cette occasion pour interroger le cours ultralibéral de l'Europe.
Sur le projet récemment avorté de fusion entre Alstom et Siemens, que Bruno Le Maire a jugé être une erreur économique et une faute politique, la Commission européenne a, encore une fois, montré son entêtement, pour ne pas dire son aveuglement coupable, en refusant la création d'un champion européen. Quels arguments le Gouvernement compte-t-il utiliser lors du Conseil pour plaider en faveur d'une Europe qui protège les industries des pays membres plutôt qu'une Europe qui les fragilise naïvement face à la concurrence internationale ?
Sur le Brexit, l'absence d'accord rend le scénario du « no deal » de plus en plus envisageable. Je souhaite savoir ce que le Gouvernement compte mettre en oeuvre dans une telle perspective, et quelles seraient les conséquences pour nos concitoyens installés en Grande-Bretagne comme pour les entreprises européennes et françaises qui entretiennent de fortes relations avec le marché britannique.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Monsieur le député, vous avez mentionné le cas de la fusion entre Alstom et Siemens en rappelant que la réponse apportée par la Commission ne nous satisfaisait pas. Il est temps de revoir le droit de la concurrence en Europe, même si tout n'est pas négatif : nous devons nous souvenir que, dans le souci de protéger les consommateurs, la Commission a su, à de nombreuses reprises, faire plier de grandes multinationales de l'internet. Les décisions prises par la Commission sont sans commune mesure avec celles qu'auraient pu prendre les États membres de façon isolée.
Cela dit, vous avez raison : il est indispensable de pouvoir créer des champions européens, et de prendre en compte la notion de taille critique dans un marché mondial. Nous dirons les attentes en la matière, et nous défendrons cette proposition de réforme du droit de la concurrence.
Vous m'interrogez également sur les conséquences d'un Brexit sans accord, à la fois pour nos compatriotes et pour nos entreprises. Durant toute la négociation, nous n'avons jamais cessé de faire prévaloir leurs intérêts. C'est aussi ce que nous faisons en nous préparant à tous les scénarios, y compris ceux d'un Brexit sans accord.
Le meilleur scénario serait encore celui de la ratification de l'accord de retrait – nous sommes impliqués en la matière. Mais un mauvais accord serait encore pire qu'une absence d'accord si l'on pense aux intérêts de nos entreprises, parce qu'un mauvais accord mettrait en cause l'intégrité du marché unique et exposerait nos entreprises à une concurrence déloyale de la part d'entreprises britanniques qui pourraient déréguler.
Qu'avons-nous prévu pour nos compatriotes ? Les ordonnances que nous avons adoptées, grâce à la loi que vous avez bien voulu voter, permettent d'assurer à nos compatriotes qui reviendraient du Royaume-Uni que leurs diplômes, leurs qualifications professionnelles, leurs années d'expérience, et leurs années de cotisation continueront d'être pris en considération à leur retour en France.
Nous faisons aussi en sorte que les échanges entre la France et le Royaume-Uni puissent demeurer aussi fluides que possible dans le cas où, faute d'accord, il y aurait lieu de rétablir des contrôles douaniers et des contrôles réglementaires. Cela explique la mise en place d'infrastructures ou le recrutement d'agents publics supplémentaires.
Nous serons évidemment engagés dans la négociation d'une relation future avec le Royaume-Uni, qui doit rester un partenaire proche de la France et de l'Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Pascal Brindeau.
M. Pascal Brindeau. Ma question fait écho à la première partie de celle d'Alain David. Elle donnera l'occasion à Mme la ministre d'apporter quelques précisions à la réponse qu'elle vient de formuler.
Le premier point de l'ordre du jour du Conseil européen des 21 et 22 mars prochains est relatif à l'emploi, à la croissance et à la compétitivité. Dans ce cadre, madame la ministre, je souhaite vous interroger sur la décision de la Commission européenne, qui, le 6 février dernier, a rejeté le projet de fusion entre Alstom et Siemens, dont l'objectif était de créer un leader industriel européen en matière de transport et de communication, capable de faire face aux géants américains et chinois.
Nous avons été nombreux, sur tous les bancs de l'hémicycle, à dénoncer cette décision prise au nom du dogme de la concurrence libre et non faussée, dogme qui défavorise l'économie européenne et suravantage les puissances continentales contre les États et les peuples européens. On marche sur la tête, et vous conviendrez avec moi que ce n'est pas le moyen le plus pratique d'avancer.
Le ministre de l'économie et des finances a notamment déclaré vouloir que le Conseil européen puisse « s'exprimer sur la décision de la Commission européenne en matière de concurrence » afin « que ce ne soit pas uniquement une décision technique ».
Qu'en est-il de la position française sur ce point ? Comment le sujet sera-t-il abordé par la France au prochain Conseil européen et, surtout, quelles propositions la France compte-t-elle présenter pour faire en sorte de ne pas laisser le dernier mot à la Commission européenne en matière d'intérêts industriels supérieurs européens ? En particulier, comment concevez-vous le droit de recours du Conseil européen que vous avez évoqué, il y a quelques minutes, à la tribune ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Monsieur le député, il faudrait être aveugle pour ne pas constater les insuffisances de la politique européenne de la concurrence. Certaines règles qui limitent de facto l'émergence de champions européens sont devenues absurdes dans le cadre de la concurrence internationale actuelle.
M. Jean-Paul Lecoq. Il faut le dire à M. Le Maire !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Dans son appréciation des marchés pertinents, la Commission doit pouvoir mieux tenir compte de la concurrence au niveau mondial, de la concurrence potentielle future, et du calendrier de développement de la concurrence. Cela permettrait une approche plus dynamique de la concurrence à l'échelle mondiale, une approche à long terme. Nous devons aussi mieux prendre en compte les interventions étatiques chez les concurrents des entreprises concernées.
Il faudrait examiner si un droit de recours du Conseil qui pourrait revenir sur des décisions de la Commission serait approprié dans des cas bien définis, dans des conditions strictes. Enfin, il faudrait autoriser l'intervention temporaire d'acteurs publics dans des secteurs spécifiques et à des moments précis pour assurer leur développement à long terme.
M. Jean-Paul Lecoq. Très bonne idée !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Ces réflexions s'inscrivent dans le cadre d'une approche plus générale de la politique industrielle, qui couvre également les questions de recherche et développement, de politique commerciale et de numérisation. La Commission a déjà fait évoluer de manière positive le contrôle des aides d'État. Le 18 février dernier a été signé un manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne. Le monde change et la politique industrielle n'est plus un mot tabou, ni à Berlin ni à Bruxelles. Nous sommes déterminés à saisir cette opportunité.
M. le président. La parole est à Mme Danièle Obono.
Mme Danièle Obono. L'emploi et le changement climatique sont deux des sujets principaux à l'ordre du jour du Conseil européen des 21 et 22 mars prochains. Or l'un des enjeux centraux en matière d'emploi et d'adaptation au changement climatique est celui de l'urgente et radicale transformation du modèle agricole européen actuel.
L'agriculture qui fournit l'essentiel de notre alimentation est un secteur économique vital à la survie de l'humanité, et à la préservation de l'écosystème, mais elle est également devenue, du fait du système de production actuel, un vecteur de sa propre mise en danger.
Elle est en effet la source de près d'un quart des gaz à effet de serre qui participent au réchauffement climatique, réchauffement qui, à son tour, a des conséquences négatives pour l'agriculture et menace à court terme la production de denrées alimentaires.
Agriculteurs et agricultrices sont aussi membres de la catégorie professionnelle qui se suicide le plus. Cela s'explique par la pression productiviste, et leurs conditions de travail et de survie. Il y a donc bien une urgence vitale, sociale et environnementale à changer radicalement de modèle, d'autant que l'Union européenne est la première puissance agricole mondiale, et que la France est la première puissance agricole européenne.
L'Union européenne pourrait et devrait être l'avant-garde de la révolution agricole, écologique et solidaire qui permettrait de répondre aux défis environnementaux et sociaux de la période, mais, à l'inverse, la politique agricole commune favorise l'agriculture intensive et complique en particulier l'accès aux aides pour les agriculteurs les plus vertueux et les agricultrices les plus vertueuses.
Ainsi, quand les grosses exploitations ou les exploitations productivistes obtiennent des subventions directement de la même source, qui représentent 70 % des aides, les subventions des exploitations de petite et moyenne taille, aux pratiques souvent plus écologiquement soutenables, sont émiettées entre l'Union européenne, l'État et les collectivités territoriales, ce qui multiplie les risques de non-versement.
Résultat : 25 % des aides au bio de la PAC que l'État devait verser en 2016, 50 % de celles de 2017 et 100 % de celles de 2018 ne l'ont toujours pas été, au point que la Fédération nationale d'agriculture biologique, après avoir saisi le Défenseur des droits en octobre dernier, accompagne aujourd'hui plusieurs agriculteurs et agricultrices qui poursuivent l'État en justice pour que les aides dues leur soient enfin versées. Le Gouvernement devrait donc finir par payer ces agriculteurs et agricultrices bio. Mais va-t-il défendre au niveau du Conseil européen un changement drastique des règles d'attribution des aides pour la PAC post-2022 ou continuer à poursuivre cette politique de renoncement dont il a donné un exemple sur le dossier du glyphosate ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI. – M. Jean-Paul Lecoq applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Madame la députée, vous avez raison de dire que la transformation de l'agriculture européenne, notamment française, est une priorité. La France est la première puissance agricole en Europe, cette dernière étant, vous l'avez rappelé, la première au monde, et nous devons tout cela à la politique agricole commune. Elle a été la première politique intégrée de l'Union européenne. Ainsi, 9 milliards d'euros sont versés chaque année aux agriculteurs français par l'Union européenne.
Mais vous avez aussi parfaitement raison de souligner les retards et les difficultés auxquels sont confrontés les agriculteurs s'agissant de l'utilisation d'instruments pourtant utiles et preuves de l'évolution de la politique agricole commune, qu'il s'agisse de l'aide à l'installation des jeunes agriculteurs, des aides à l'agriculture biologique ou des indemnités compensatrices de handicap naturel.
Oui, ce gouvernement a trouvé, à son arrivée, un retard considérable. Ce n'est pas de la responsabilité de l'Union européenne, mais d'un système informatique français obsolète, ce qui a mis les agriculteurs en difficulté.
M. André Chassaigne. C'est aussi dû à la complexité des aides !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Au moment où je vous parle, ces retards sont en train d'être rattrapés, comme me l'ont confirmé des agriculteurs, la semaine dernière, en région et au salon de l'agriculture. Nous devons maintenant surtout tirer les leçons de ces retards pour l'avenir.
Quant à la transformation de la PAC, je répète qu'elle est un objectif du Gouvernement. Plus largement, nous souhaitons que 40 % du budget européen soit consacré aux préoccupations environnementales – prioritairement par la PAC mais pas uniquement – et nous sommes évidemment attachés à une modernisation de cette politique, car les premiers à avoir conscience du changement climatique et à souhaiter pouvoir à la fois l'atténuer et s'y adapter, ce sont bien nos agriculteurs.
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Avec le marché unique du secteur agricole et alimentaire, nous touchons au coeur des contradictions qui minent tout renouveau du projet politique européen : d'un côté, l'affichage, les jolis mots en faveur d'une Europe qui s'engage pour la transition agroécologique, protégeant ses 10 millions d'actifs agricoles et ses 510 millions de consommateurs ; de l'autre, la réalité, celle d'une Commission européenne et de chefs d'État et de gouvernement tenants de l'ouverture des marchés, impulsant des accords de libre-échange où l'agriculture sert de simple variable d'ajustement, avec des menaces sur l'environnement et sur la qualité sanitaire et gustative de l'alimentation européenne, et favorisant un dumping au service exclusif des grands groupes de l'agroalimentaire et de la distribution.
Nous sommes à l'heure des choix pour refonder l'Europe. Mais ces choix supposent un préalable : se dégager au plus vite du fanatisme du tout-marché, qu'il soit extra ou infra-communautaire, car le tout-marché, c'est de toute façon la politique du tout-venant sans contrôle, sans garantie et sans efficacité pour les Européens !
Au nom du groupe GDR, je vous interroge donc sur trois points, madame la ministre. La France est-elle prête à protéger le secteur agricole alimentaire européen en l'excluant des accords de libre-échange, ce qui implique la reconnaissance d'une exception agricole ?
La France est-elle prête à défendre concrètement, dans le cadre du marché unique, l'exigence de strict respect des principes de réciprocité et d'égalité en matière de normes sanitaires, environnementales et sociales, alors qu'elles sont toutes deux bafouées aujourd'hui ?
La France est-elle prête à défendre réellement la garantie de traçabilité des productions sur le marché européen, ce qui suppose d'assurer l'étiquetage du pays d'origine pour tous les produits agricoles, à l'état brut ou transformé ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Monsieur le député, je sais que ce sujet vous passionne et vous en parlez avec passion, ce dont je vous remercie.
S'agissant du secteur agricole dans les accords de libre-échange, je tiens à aller à l'encontre d'une idée reçue en vertu de laquelle l'agriculture en serait une victime systématique, car elle est aussi capable d'en sortir gagnante. Je citerai un exemple qui surprendra ceux qui s'y sont opposés : l'accord avec le Canada, autrement dit le CETA. Il est entré en vigueur à titre provisoire depuis plus d'un an, ce qui permet déjà de dresser un premier bilan de l'évolution des échanges qui s'en est suivie. Nous constatons moins d'importations de viande bovine canadienne vers l'Union européenne qu'auparavant.
M. Jean-Paul Lecoq. Pour l'instant !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. La raison en est simple : le Canada doit respecter les normes sanitaires, y compris vétérinaires, européennes, ce que ne lui permet pas son modèle agricole.
M. Rémi Delatte. C'est une protection !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. À l'inverse, la protection des indications géographiques françaises permet notamment à nos producteurs de vins et de spiritueux, ainsi qu'à nos producteurs de produits laitiers, y compris de fromages, d'exporter bien davantage vers le Canada. Ils sont donc les gagnants de la mise en oeuvre du CETA. On peut faire le même constat s'agissant de la signature de l'accord avec le Japon : les arguments de réciprocité, qui vous sont chers à juste titre, sont pleinement pris en compte dans ledit accord.
M. Jean-Paul Lecoq. Ça n'a pas commencé !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Vous vous préoccupez également, avec raison, des conditions de distorsion de concurrence concernant le secteur agricole, soit au sein de l'Union européenne, soit avec les pays tiers. Ce secteur n'est pas le seul à y être exposé, mais il l'est certes particulièrement. Grâce à l'Union européenne, nous avons la chance d'être dans un espace où les règles communes sont nombreuses. Imaginons ce qui se passerait si on la démantelait demain : interdirions-nous l'importation de produits étrangers ? Je ne le crois pas, mais nous aurions la certitude que leurs producteurs ne leur appliquent pas les mêmes normes que nous aux nôtres.
La France doit évidemment aller vers encore plus d'harmonisation – d'harmonisation vers le haut. J'ai déjà évoqué, par exemple, la question du glyphosate : le Gouvernement a obtenu que l'autorisation de mise sur le marché ne soit pas maintenue à quinze ans, comme il était envisagé au départ, ni même à dix ans, mais à cinq ans. Et le Gouvernement ne mettra jamais nos agriculteurs en difficulté du fait de distorsions de concurrence. Nous avons l'espace agricole le plus sûr et le plus sain du monde. Et nous devons le préserver.
M. le président. La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac. Douze personnes, dont des dirigeants politiques élus démocratiquement par le peuple, ont été emprisonnées depuis octobre 2017. Ces faits ne se produisent pas dans une région du monde en proie à des dictatures, mais dans notre Europe démocratique, aux portes de la France. Depuis le 12 février dernier, en effet, l'Espagne juge six membres du gouvernement de la Generalitat de Catalunya, le président du parlement catalan ainsi que des présidents d'association.
Les chefs d'accusation sont tous plus disproportionnés les uns que les autres : rébellion, sédition, désobéissance, détournement de fonds et même conspiration criminelle. Leur supposé crime a été l'organisation d'un référendum, le 1er octobre 2017, sur l'autodétermination de leur entité politique, à savoir leur pays : la Catalogne. Pourtant, le scrutin s'est déroulé sans aucune forme de violence de la part des électeurs ou des organisateurs. Les observateurs présents ont pu constater que les violences ont été exercées par la guardia civil elle-même, c'est-à-dire par la police espagnole.
Face à une situation de blocage et de crise, la réponse ne peut pas être judiciaire : elle ne peut être que politique. Les dirigeants politiques accusés n'ont fait qu'exécuter le mandat pour lequel ils avaient été élus à l'automne 2016, à l'issue d'élections régionales dont le scrutin était légitime, démocratique et reconnu comme tel.
Dès lors, juger l'action des dirigeants catalans revient à juger le peuple catalan lui-même. La question n'est pas ici de savoir si l'on est pour l'indépendance de la Catalogne ou pour la défense de l'unité espagnole : si l'on se dit démocrate, on doit évidemment réagir. L'Union européenne se doit donc de le faire. À l'heure de la montée des populismes et des partis réactionnaires, à l'heure de l'accession au pouvoir en Europe de chefs d'État autoritaires bafouant la liberté d'expression, l'Union européenne ne peut plus fermer les yeux devant cette attaque des droits de l'homme.
Le peuple catalan a au moins un droit : celui de choisir son futur. Et, évidemment, les droits de l'homme légitiment son autodétermination s'il désire exercer ce droit. Le groupe Libertés et territoires estime que le Conseil européen aurait tout intérêt à se saisir de cette question. Je remarque que le peuple catalan a jusqu'ici fait preuve d'un pacifisme qui me remplit de fierté pour lui, car je pense que, dans bien d'autres pays, on en serait arrivé à une dictature, comme en Serbie. On aurait intérêt à remettre tous les intéressés autour de la table pour discuter d'une solution politique et négociée.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Une dynamique positive s'était enclenchée en juin 2018 à travers la constitution d'un gouvernement catalan sans personnalités en fuite ou en prison. Le président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, a eu des gestes d'apaisement : il s'est notamment dit prêt à discuter d'un nouveau statut pour la Catalogne, qui serait soumis ensuite à un référendum régional ; lors d'un conseil des ministres délocalisé à Barcelone, le 21 décembre, il a promis des investissements accrus dans les infrastructures catalanes et annoncé des mesures symboliques, à savoir la condamnation du conseil de guerre franquiste qui avait prononcé la peine de mort contre l'ancien président catalan Lluís Companys ou la décision de donner à l'aéroport de Barcelone le nom du dirigeant catalan en exil pendant le franquisme, Josep Tarradellas.
Les avancées auxquelles sont parvenus, en décembre, M. Sánchez et le président catalan Quim Torra, sous-tendues par l'idée de rétablir les instances de concertation entre l'État et la région, sont cependant restées lettre morte, de même que l'idée de Madrid de nommer un rapporteur au sein du parlement catalan pour faciliter le dialogue.
L'exécutif régional persiste à appeler à l'autodétermination et, le 13 février dernier, les nationalistes catalans ont fait échouer le vote du budget pour 2019 proposé par Pedro Sánchez, provoquant la convocation d'élections générales anticipées pour le 28 avril. La question catalane sera certainement au coeur de la campagne qui s'ouvre.
Rappelons aussi que, devant la politique de la main tendue du gouvernement socialiste, l'opposition de droite et d'extrême droite, qui a organisé une manifestation importante le 10 février, demande une nouvelle suspension de l'autonomie régionale tant que les autorités catalanes continueront à exiger l'autodétermination.
Le procès des responsables de la tentative sécessionniste d'octobre 2017 a débuté le 12 février et devrait durer au moins quatre mois. Douze responsables indépendantistes, dont neuf sont en détention préventive depuis plus d'un an au motif d'un risque de fuite, doivent répondre des chefs d'inculpation de désobéissance, de détournement de fonds publics, de sédition, voire pour certains de rébellion. En octobre dernier, le gouvernement espagnol avait préconisé de limiter la portée de ce dernier chef d'inculpation particulièrement grave.
La France continue de plaider pour une reprise du dialogue, dans le strict cadre légal et constitutionnel espagnol, car elle plaide toujours et partout pour le respect de l'État de droit, y compris, bien sûr, en Europe.
M. le président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard. Le Conseil européen peut, en fonction de l'actualité, se pencher sur d'autres questions de politique étrangère que celles prévues dans son ordre du jour. Je souhaite ainsi que soit ajoutée à son ordre du jour, madame la ministre, celle de la situation de l'Algérie et de ses conséquences en termes d'immigration, qui pourraient s'avérer catastrophiques.
Je voudrais citer Emmanuel Macron, qui vient de publier une tribune dans plusieurs organes de presse européens : « Fondée sur la réconciliation interne, l'Union européenne a oublié de regarder les réalités du monde. Or aucune communauté ne crée de sentiment d'appartenance si elle n'a pas des limites qu'elle protège. La frontière, c'est la liberté en sécurité. »
En 2015, selon les chiffres de l'armée algérienne, 1 500 personnes ont été arrêtées alors qu'elles tentaient de quitter le territoire algérien par la mer. En 2017, on en comptait 5 000 : ces chiffres sont donc en constante augmentation. Compte tenu des événements actuels, cette tendance ne peut que se renforcer.
La situation est tragique : un président invisible, un président fantôme, que, faute de s'être mis d'accord sur le nom de son successeur, on présente une nouvelle fois à l'élection.
Le soulèvement populaire qui a suivi l'annonce de cette candidature pourrait avoir des répercussions directes tant en France qu'en Europe.
Rappelons quelques chiffres : 900 000 binationaux et près de 3 millions de descendants d'Algériens vivent en France. En outre, plus de 10 millions d'Algériens ont un parent, proche ou éloigné, en France, et 40 % des Africains, toutes nationalités confondues, souhaitent émigrer vers la France.
Madame la ministre, qu'allez-vous proposer au prochain Conseil européen en vue de protéger nos frontières ? Le Président de la République a appelé de ses voeux la création d'une police des frontières commune, ainsi que d'un office européen de l'asile. Deux organisations européennes existent déjà dans ces domaines, Frontex et le Bureau européen d'appui en matière d'asile : face à une situation algérienne explosive, quelle est leur efficacité ?
Il est temps de prendre ces questions à bras-le-corps : qu'allez-vous donc proposer en la matière, madame la ministre ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Madame la députée, lorsque l'on parle de l'Algérie et que l'on est en France, il existe deux principes auxquels on doit toujours réfléchir et se tenir : nous ne pouvons être ni dans l'ingérence ni dans l'indifférence.
M. Jean-Paul Lecoq. Très bien !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Nous ne pouvons pas être dans l'ingérence vis-à-vis de l'Algérie – comme vis-à-vis de bien d'autres pays, mais en particulier avec l'Algérie, à laquelle nous lie une histoire longue, riche, mais également troublée – ni dans l'indifférence, car, vous l'avez dit, il y a en France beaucoup de personnes détenant la personnalité algérienne.
Nous ne pouvons également l'être car l'Algérie, comme l'ensemble du Maghreb, est un partenaire important de l'Union européenne comme de la France.
Aujourd'hui, des élections se profilent en Algérie, et nous sommes attentifs à la situation de ce pays.
Ce n'est pas à nous, et à nous moins qu'à quiconque, de dire aux Algériens ce qu'ils doivent faire et de choisir leur destin à leur place. Il me semble que nous devrions tous, sur ces bancs, être d'accord avec cette affirmation.
M. Paul Molac. Tout à fait !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Nous gardons cependant un regard amical et vigilant sur ce qui se passe en Algérie, et nous souhaitons que les aspirations du peuple algérien puissent être entendues.
Vous avez, madame la députée, posé une question sur la politique migratoire : votre souci en la matière, qui ne m'étonne pas, est d'attiser les peurs.
Mme Emmanuelle Ménard. Non !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Aujourd'hui, que constate-t-on au sein de l'Union européenne ? Le nombre d'arrivées dans l'Union a été divisé par dix entre 2015 et 2018. Il doit donc exister, quelque part, une politique européenne migratoire efficace.
Je partage cependant un constat : le défi migratoire est probablement devant nous, et nous devons par conséquent renforcer l'efficacité de notre politique migratoire.
Celle-ci doit à la fois protéger nos valeurs et nos frontières : c'est ce que le Président de la République a écrit dans la tribune qui a été publiée ce matin.
Protéger nos frontières signifie mettre en place une véritable police européenne des frontières. Vous dites que Frontex existe déjà : savez-vous quel est l'effectif de cette agence au moment où nous parlons ? Il est de 600 hommes. Croyez-vous vraiment que l'on peut protéger les frontières extérieures de l'Union européenne avec 600 hommes ?
S'agissant du Bureau européen d'appui en matière d'asile, il vient en soutien d'États membres éprouvant des difficultés dans la mise en oeuvre de leur politique nationale de l'asile. On compte en effet aujourd'hui vingt-huit politiques de l'asile différentes au sein de l'Union européenne. C'est ce contre quoi nous devons aller : nous devons harmoniser nos critères d'asile et adopter des procédures qui soient semblables au sein de l'Union.
Nous devons naturellement, en particulier lorsqu'une crise migratoire survient, aider les pays qui se trouvent en difficulté.
Il reste donc beaucoup à faire : c'est cela que nous proposons.
M. le président. Madame la ministre, chers collègues, il me reste à vous remercier pour ce débat important et passionnant qui a été organisé en vue du prochain Conseil européen. Il est désormais clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 12 mars 2019