Interview de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à Radio Classique le 5 septembre 2019, sur le Brexit, le nouveau gouvernement italien, la réforme des retraites et les élections municipales à Paris.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Il est 08h15 sur l'antenne de Radio Classique, nous avons rendez-vous avec Amélie de MONTCHALIN.

GUILLAUME DURAND
Bonjour. Première question : est-ce que vous allez rencontrer Boris JOHNSON ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, moi je ne rencontre pas, en général, moi-même toute seule, les Premiers ministres, en revanche je rencontre mon homologue britannique très régulièrement, il était à Paris mercredi dernier, et nous nous parlons, nous nous téléphonons, nous sommes toujours en contact. Les relations diplomatiques ne sont pas rompues, elles ne le seront d'ailleurs je crois jamais.

GUILLAUME DURAND
Sauf que ça change tous les jours.

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, ça change tous les jours…

GUILLAUME DURAND
Il était question d'un Brexit dur, et maintenant l'obligation a été demandée par les députés à Boris JOHNSON de négocier un délai, et voire même de renoncer à des élections.

AMELIE DE MONTCHALIN
Donc, au fond il y a beaucoup d'épisodes, ça bouge beaucoup, il y a une lutte, on le voit, politique très intense entre le gouvernement et le Parlement. Si on résume ce qui s'est quand même passé depuis quelques jours, c'est qu'au fond on est revenu à un point de départ qu'on connaît. C'est qu'on sait que le Parlement britannique ne veut pas sortir de l'Union européenne sans un accord. Ça on le sait depuis des mois, c'est d'ailleurs pour ça qu'ils l'ont plusieurs fois répété quand Theresa MAY était déjà Première ministre, parce qu'ils veulent comme nous les 27, que cela se passe de manière ordonnée. C'est pour ça que pendant 2 ans et demi on a travaillé à voir comment on pouvait…

GUILLAUME DURAND
Ça avait été le travail de BARNIER, mais tout ça a été déchiré…

AMELIE DE MONTCHALIN
... protéger les citoyens, et comment nous pouvions surtout permettre à l'économie de continuer à fonctionner, même si nous avions de nouvelles relations. Donc le Parlement il est très clair là-dessus. Ce qu'on voit en parallèle, c'est que le même Parlement britannique nous dit aussi qu'il ne veut pas que des élections se passent, et que donc aujourd'hui on est dans une situation un peu bloquée, c'est qu'on sait ce qu'ils ne veulent pas, on a toujours du mal à comprendre ce qu'ils veulent. Et donc notre position vis-à-vis de mes homologues et vis-à-vis des Britanniques en général, c'est de leur dire : faites-nous des propositions concrètes, c'est ce que nous attendons maintenant depuis des semaines et des semaines, pour que nous comprenions si par rapport à l'accord que nous avons négocié, s'il y a des amendements mineurs qui nous permettent d'avancer, eh bien il n'y a pas de raison qu'on ne vous écoute pas. S'il y a des choses majeures à faire, est-ce que c'est dans le cadre de cet accord de divorce, au fond, qu'il faut le faire, ou est-ce que c'est dans le cadre de la relation future que nous aurons à voir avec les Britanniques ? Ce que je veux dire aujourd'hui aux Français, c'est qu'on peut faire le commentaire de la politique britannique, c'est passionnant, ça change tout le temps. Ce n'est pas notre rôle. Notre rôle, nous en tout cas aux responsabilités, c'est d'être prêt à toutes les éventualités, parce que la sortie sans accord le 31 octobre reste une possibilité très forte, et donc c'est pour ça qu'avec Agnès PANNIER, avec Olivier DUSSOPT, moi je vais rencontrer les ambassadeurs de tous les pays de l'Union européenne la semaine prochaine, le Premier ministre réunit tous les ministres lundi. On se prépare. Parce que derrière cet enjeu il y a des…

GUILLAUME DURAND
Mais il y a des questions économiques majeures pour les entreprises françaises pour ceux qui exportent vers la Grande-Bretagne, ne savent même pas quels vont être les droits de douane.

AMELIE DE MONTCHALIN
Il y a 300 000 Français qui habitent à Londres, et y a 150 000 Britanniques qui habitent en France. Donc, derrière ces enjeux qui peuvent être, paraître de la grande diplomatie, très compliquée, il y a des choses très concrètes et notre rôle c'est d'être à la fois très calme, parce qu'on n'est pas là pour, voyez, on ne va pas rentrer en conflit avec le Royaume-Uni, les falaises de Douvres resteront toujours là où elles sont. Moi j'ai grandi à Calais, je peux vous dire que le tunnel il fait toujours 50 km, il fera toujours 50 km, ils resteront des voisins avec qui on aura énormément d'échanges. Donc il faut qu'on puisse rester calmes, parce que cette relation future il faudra qu'on construise, et puis il faut qu'on se prépare pour que ces éléments diplomatiques, ce choix souverain des Britanniques, n'impacte pas, ne mette pas en danger, ni notre commerce, ni nos entreprises, ni les familles françaises au Royaume-Uni et britanniques en France.

GUILLAUME DURAND
Mais vous reconnaissez que ce matin c'est extrêmement compliqué, car vous avez un peuple britannique qui veut un Brexit, des parlementaires qui n'en veulent pas, JOHNSON qui veut les élections et les parlementaires ne veulent pas des élections.

AMELIE DE MONTCHALIN
Non, il y a une chose que laquelle on pense qu'on peut s'accorder, c'est que le Brexit, ils sont d'accord pour l'avoir au Parlement, mais ils veulent un accord. Eh bien nous leur disons : aidez-nous…

GUILLAUME DURAND
Avant le 31 ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, mais aidez-nous à construire l'accord !

GUILLAUME DURAND
Avant le 31 ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ça fait 2 ans et demi qu'on y travaille.

GUILLAUME DURAND
Avant le 31 ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est-à-dire ?

GUILLAUME DURAND
Eh bien cet accord, est-ce que vous pensez qu'il est négociable avant le 31 ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais ça fait 2 ans et demi qu'on en a un sur la table.

GUILLAUME DURAND
Je le sais bien, mais ils n'en ont pas voulu jusqu'à présent. Alors…

AMELIE DE MONTCHALIN
Il y a une chose que l'on a aussi dite clairement avec le président, ce n'est pas parce qu'un problème est compliqué, qu'en le diluant dans le temps, qu'en le repoussant de 3 mois sans rien changer que ça va se résoudre.

GUILLAUME DURAND
Donc on peut l'obtenir avant le 31.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais c'est ce qu'on fait tous les jours, c'est ça qu'on essaie de travailler. Mais quand j'entends les Britanniques dire : donnez-nous 3 mois de plus et on va résoudre le problème, on voit bien que ce n'est pas 6 mois de plus qui ont résolu le problème, ce n'est pas 3 mois de plus. Il faut qu'il y ait un choix, il faut qu'il y ait une forme d'unité nationale, il faut qu'ils sachent nous dire ce qu'ils veulent. Aujourd'hui on a bien compris ce qu'ils ne veulent pas. On est comme eux, on n'a pas envie d'une sortie du Royaume-Uni sans accord, ça on est tous d'accord, ça c'est la seule chose…

GUILLAUME DURAND
Question, est-ce que le fait que SALVINI sorte de la majorité gouvernementale, donc en Italie, est une bonne chose pour vous ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui est une bonne chose, c'est que la crise italienne ait pu être résolue. Ce qui est une bonne chose, c'est que l'Italie va pouvoir construire un budget, et ce qui est une bonne chose c'est que l'Italie fait le choix de l'Europe.

GUILLAUME DURAND
En rappelant donc que CONTE a été renommé Premier ministre, mais avec une autre majorité.

AMELIE DE MONTCHALIN
Et qu'il fasse le choix de l'Europe et qu'il nous dise : on a envie de travail que les Européens, parce qu'on voit bien qu'un certain nombre des grands défis italiens, ne peuvent pas trouver de solutions seulement à Rome, et qu'on a besoin, mais comme en France, il y a énormément de sujets, Guillaume TABARD parlait des sujets migratoires, une énorme partie de la clé de ce sujet qui reste un sujet que les Français voient comme une préoccupation, et qui pour nous est également une préoccupation, c'est que nous ne pouvons pas imaginer que la France toute seule va pouvoir régler le sujet de l'asile, des migrations économiques, des migrations climatiques. Nous avons besoin d'être ensemble avec les Européens. Donc c'est un sujet par exemple sur lequel nous travaillons énormément et donc les italiens…

GUILLAUME DURAND
Donc c'est une bonne chose que SALVINI sorte pour l'instant, même s'il est encore très fort dans l'opinion, car s'il y a des élections en Italie, il a une bonne chance de les emporter.

AMELIE DE MONTCHALIN
Pour moi, ce qui est une bonne chose, c'est que nous puissions travailler activement avec l'Italie, parce que c'est un grand pays européen, que nous avons besoin d'eux, et je crois que la clef de cette affaire, c'est qu'ils puissent construire un budget dans des conditions normales. Parce que le risque que faisait Prendre SALVINI à son pays, c'est que si son plan s'était déroulé comme il le voulait, il n'y aurait pas eu de gouvernement pour avoir un budget. Et vous savez comme moi qu'un pays sans budget, c'est un pays qui n'a plus de politique publique, c'est un pays qui devient dysfonctionnel.

GUILLAUME DURAND
Justement, concernant le budget, beaucoup de gens s'inquiètent, la réforme des retraites, il y a concertation ce matin, et puis donc un séminaire gouvernemental a eu lieu hier, vous y étiez avec le Premier ministre, pour essayer de définir les grands axes de l'acte 2, donc du mandat d'Emmanuel MACRON. Je prends un simple problème qui est celui des retraites, est-ce qu'à un moment ou à un autre on ne va pas être obligé de recourir plus ou moins officiellement au système privé ? Parce que si on prend la valeur du point et qu'à chaque budget, puisque vous parliez de budget, le déficit s'accroît, eh ben la valeur du point va changer ou il va y avoir une pression du gouvernement qui va dire : on va rembourser moins, etc. Donc, est-ce qu'il ne faut pas dire aux gens ce matin : préparez-vous, à un moment ou à un autre, à changer quand même de système, pas simplement à indexer sur le nombre d'années de cotisations mais à passer par le privé ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, ce qui est certain c'est que c'est un changement de système. C'est un système qu'on hérite aujourd'hui de 1945. Pourquoi en 1945 ont créé ce système par répartition ? Parce que la France entière sortait de la guerre et que les Français avaient peur de l'avenir, et que des hommes politiques de droite et de gauche se sont dit : si les Français ont peur de l'avenir, on n'arrivera jamais à reconstruire notre pays. Et donc c'était aussi un symbole confiance nationale. Aujourd'hui, ce même système, il fait quoi ? Il fait que les gens comme moi, les gens de ma génération, nous n'avons aucune idée de ce que sera notre retraite. Moi, depuis que je suis à peu près consciente des sujets, j'entends tous les jours à la radio que le système des retraites n'est pas financé…

GUILLAUME DURAND
Sur Radio Classique, vous n'écoutez que ça.

AMELIE DE MONTCHALIN
Et d'autres…

GUILLAUME DURAND
Non.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais on n'entend que le fait que ce système n'est pas financé, finançable et que nous les jeunes on n'aura rien. Donc, ce qu'on veut faire…

GUILLAUME DURAND
Ça veut dire qu'il va y avoir justement, puisque vous parlez de votre camp ô combien passionnant, qu'il va falloir, ma chère Amélie de MONTCHALIN, que vous ayez recours à un système privé.

AMELIE DE MONTCHALIN
Non, ce que je vous dis c'est qu'on va changer de paradigme, on doit recréer un système qui doit…

GUILLAUME DURAND
Oui, mais puisqu'ils disent que tout est sur la table, donc, pourquoi ça ne serait pas sur la table cette affaire-là ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais bien sûr que c'est sur la table. Sur la table, c'est qu'on voudrait que justement, dans les années qui viennent, on n'ait pas tous les 1er janvier le sketch du : attention les amis, il n'y a plus d'argent pour les retraites. On voudrait construire un système qui est équilibré, ça veut dire que les cotisations payent les retraites, ça s'appelle un vrai système par répartition, mais qui fonctionne et qu'il n'y a pas des déficits tous les ans. On voudrait créer un système qui s'adapte aussi au XXIème siècle. Les gens de ma génération…

GUILLAUME DURAND
C'est marrant, parce que vous tournez autour du pot.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais non, mais qu'est-ce que vous voulez me dire ?

GUILLAUME DURAND
Vous dites, donc, dites-moi, enfin, dites-moi, pardonnez-moi, je ne suis pas, on n'est pas dans un commissariat de police, donc fondamentalement l'assurance privée, à un moment dans ce domaine, va intervenir ou pourrait intervenir, si on veut garder une stabilité dans l'histoire de la retraite.

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, on n'est pas en train de créer un système par capitalisation, on est en train de créer un système par répartition, adapté au XXIème siècle. Au XXIème siècle…

GUILLAUME DURAND
Oui, mais s'il n'y a plus d'argent ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais, il y aura de l'argent. Si on fait 13,8 % de cotisations sur tous les salaires, de tous les régimes, il y aura de l'argent, et le problème n'est pas l'argent, la question c'est de savoir comment aujourd'hui on adapte ce système. Si les gens ont, regardez, quelqu'un qui a mon âge, dans la France d'aujourd'hui il a eu trop boulot, parfois il a été salarié, il a pu être contractuel à la Fonction publique, il a pu être autre auto-entrepreneur. Aujourd'hui, sa vie, c'est celle-là, c'est celle que je vous décris. La retraite n'est pas faite pour ça, la retraite aujourd'hui a été calée en 1945 sur un modèle où on faisait 45 ans, un métier qui était souvent le même, et donc on avait un régime, voilà, on était fonctionnaire, on avait le régime des fonctionnaires, on était marin, on avait le régime des marins, on était pêcheur, on avait le régime des pêcheurs.

GUILLAUME DURAND
Mais on est bien d'accord ce matin, qu'il n'y aura plus de régimes spéciaux au terme des consultations. Il n'y en aura plus.

AMELIE DE MONTCHALIN
Il n'y aura plus de régimes spéciaux et il y aura un système qui fait que justement, si on a plusieurs métiers dans sa vie, si on a plusieurs expériences, si on a, au fond on le voit bien, des carrières qui sont faites de plusieurs expériences professionnelles, eh bien on aura des droits similaires. Et ce qui est important pour moi, c'est se rappeler, en 45, c'était un projet d'Union nationale. C'était un projet qui avait permis justement aux Français de retrouver confiance. On voit bien qu'aujourd'hui le système des retraites, c'est un système qui est vu comme injuste, et qui est vu comme inefficace. Ça demande donc de recréer quelque chose qui recrée une forme d'unité intergénérationnelle et économique. Et donc les questions de savoir comment ce sera équilibré dans le futur, Jean-Paul DELEVOYE va nous expliquer tout ça à tous, mais la clef de cette affaire c'est qu'on ne commence pas tous les 1er janvier en se disant qu'il n'y a plus d'argent, parce que les gens de ma génération ils sont tous conscients qu'à la fin il n'y aura rien du tout, et c'est très mauvais, parce que sinon ça crée beaucoup d'anxiété, beaucoup d'épargne, et pour ceux qui n'ont pas la capacité d'épargner…

GUILLAUME DURAND
Voici la dernière question, pardonnez-moi de vous avoir interrompue. Est-ce que VILLANI ne joue pas le jeu ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Moi je pense surtout que si on veut l'alternance à Paris, il faut qu'on parte le plus unis possible. Cédric VILLANI…

GUILLAUME DURAND
Et ce n'est pas le cas, depuis hier soir.

AMELIE DE MONTCHALIN
Cédric VILLANI il a plein d'idées. Benjamin GRIVEAUX c'est notre candidat investi, moi j'aimerais bien que les idées de Cédric puissent aider Benjamin à…

GUILLAUME DURAND
Il en a parlé.

AMELIE DE MONTCHALIN
... à faire campagne et à renverser la table, pour que, à Paris les choses fonctionnent, que les familles puissent vivre, que l'on retrouve de l'attractivité.

GUILLAUME DURAND
Oui, mais vous avez bien entendu, il n'a pas du tout envie de faire jeu commun avec Benjamin GRIVEAUX, pour une raison très simple, c'est que le système de désignation du printemps, on dit « il a perdu », mais lui il considère que le système était truqué, donc il dit « Je n'ai pas perdu ».

AMELIE DE MONTCHALIN
Eh bien donc c'est pour ça qu'on peut regretter que dans une campagne, on sait tous comment ça se passe une campagne, si on part désunis, on est toujours moins bien que si on part unis. Et je pense qu'on a besoin de toutes les forces, de toutes les idées, de tous mes talents, parce que faire l'alternance à Paris, on le sait, c'est la fois nécessaire, mais c'est aussi difficile.

GUILLAUME DURAND
Et vous le gardez à l'intérieur de la République En Marche, celui qui fut votre voisin, donc, à l'Assemblée nationale ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Parce que je pense qu'il a de la hauteur et qu'il a des idées, et que donc il peut contribuer. Mais contribuons ensemble, jouons l'unité et disons nous qu'à la fin, ce qu'il faut, c'est que Paris change.

GUILLAUME DURAND
Merci beaucoup. Il est 08h26 sur l'antenne de Radio Classique. Nous avons rendez-vous avec David ABIKER. Merci Amélie de MONTCHALIN d'être venue ce matin.

AMELIE DE MONTCHALIN
Merci.

GUILLAUME DURAND
Je rappelle que vous êtes chargée des questions européennes dans le gouvernement d'Edouard PHILIPPE.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 septembre 2019