Texte intégral
HEDWIGE CHEVRILLON
Jean-Baptiste LEMOYNE, bonjour.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Bonjour.
HEDWIGE CHEVRILLON
Merci d'être là. On va dire que vous êtes plutôt en charge de la diplomatie économique, ça tombe bien, merci d'être là. On a l'impression que c'est vraiment la confusion en Grande-Bretagne, avec Boris JOHNSON qui a dit qu'il ne voulait pas un nouveau délai pour le Brexit, et puis les députés qui ont donc rejeté la nouvelle tenue d'élections législatives. On est dans l'impasse la plus totale, et on commence à avoir, notamment à Bruxelles, certains qui disent il va falloir accepter un nouveau délai pour le Brexit. On sait que la France était très opposée, Emmanuel MACRON évidemment en tête, quelle est la position de la France, au cas où ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Bon, effectivement le fog londonien s'épaissit, et face à cela, en tous les cas, nous on se prépare à tous les scénarii, et surtout la France elle est prête pour que le 31 octobre, si le Brexit se fait, eh bien nous soyons parés. Nous avons recruté 600 douaniers, nous avons recruté 200 vétérinaires…
HEDWIGE CHEVRILLON
Ils sont recrutés, parce qu'on en entend parler depuis longtemps ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ah mais ils sont, ça y est, ils sont opérationnels, et donc c'est important parce que les entreprises françaises commercent beaucoup avec le Royaume-Uni, c'est notre…
HEDWIGE CHEVRILLON
Elles ne sont pas très prêtes les entreprises françaises malgré…
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, on continue à les accompagner, il y a eu une réunion la semaine dernière avec Agnès PANNIER-RUNACHER et Amélie de MONTCHALIN, et donc nous allons continuer à appeler individuellement à faire du phoning auprès des 20.000 entreprises exportatrices vers le Royaume-Uni parce que c'est indispensable, effectivement, qu'elles aient toutes les procédures nouvelles. Donc, on est prêt, et on est prêt à toutes les éventualités.
HEDWIGE CHEVRILLON
Et, sur la question du délai, vous êtes prêt à accepter un nouveau délai ? Est-ce que la France, le gouvernement français, est prêt ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais, une extension ne peut pas être un projet en soi. On l'a vu, il y a déjà eu une première extension, est-ce que ça a changé les choses fondamentalement ? Non. Boris JOHNSON a dit qu'il avait des idées, pour l'instant on attend de les voir. Donc je crois que, pour l'instant, Jean-Yves LE DRIAN l'a dit d'ailleurs, chez vos confrères dimanche, la France elle n'est pas sur l'idée d'un report.
HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, mais en même temps on voit qu'à Bruxelles l'idée commence à faire son chemin en disant il faut bien qu'on sorte de ce fog londonien, pour reprendre votre expression.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Vous savez, il y a eu un vote, un vote du peuple…
HEDWIGE CHEVRILLON
Ça pourrait se faire sans la France ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non, ça se fait à l'unanimité, donc ça ne peut pas se faire sans la France, et le peuple britannique a voté. Je crois que dans ce contexte, où les populistes montent partout en Europe, ne pas mettre en oeuvre ce qui a été voté n'est pas un service à rendre aux démocraties européennes dans leur ensemble.
HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, vous me direz il reste un petit peu de temps, le Parlement doit se réunir le 14 octobre, donc 15 jours avant ce délai, si on est dans un blocage le plus total, l'Union européenne il faudra bien qu'elle agisse, qu'elle fasse quelque chose !
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
L'Union européenne, elle a agi, elle a négocié, un accord a été trouvé, cet accord il engage le gouvernement britannique, il engage le Royaume-Uni, Boris JOHNSON, je veux dire, était ministre des Affaires étrangères quand cet accord était en train d'être négocié, donc on ne peut pas s'affranchir, comme ça, de toutes les règles auxquelles on a souscrit. Donc, il y a un moment, il faut faire respecter les règles du jeu.
HEDWIGE CHEVRILLON
Donc niet, en l'occurrence, puisqu'on parle beaucoup russe en ce moment, niet ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
No.
HEDWIGE CHEVRILLON
No, peut-être. La nouvelle commission va être connue, enfin on connaît la composition, mais pas l'affectation des différents portefeuilles, on connaîtra à midi en l'occurrence, vous pourrez peut-être le suivre sur BFM Business, est-ce que la France est en position de force, vous considérez, ou pas, est-ce que Sylvie GOULARD aura bien ce que souhaite la France en l'occurrence, le marché intérieur, l'industrie, et la défense ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ça c'est à Ursula VON DER LEYEN qu'il appartient de l'annoncer. Ce qui est sûr c'est que la France elle est moteur dans l'Union européenne d'aujourd'hui, dans ce nouveau mandat qui s'ouvre, parce que, regardez l'état de nos voisins en matière politique, le gouvernement espagnol n'a pas été investi, on a parlé… l'Allemagne est en fin de cycle politique, l'Italie, vous avez vu les renversements d'alliances…
HEDWIGE CHEVRILLON
Angela MERKEL est affaiblie ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ce que je veux dire c'est qu'on voit qu'il y a la fin d'un cycle politique, que les formations allemandes sont, pour certaines, au sein de la coalition, en train d'élire leurs propres leaders, donc tout ça fait que, au sein de l'Union européenne c'est bien la France qui est en capacité d'être en initiative. Et regardez la façon dont le président de la République, Emmanuel MACRON, lors du Conseil européen de juin, a permis de trouver la solution, puisqu'on était, à un moment, dans une sorte d'impasse, avec certains qui voulaient imposer les fameux « spitzenkandidat », eh bien il a réussi, je crois, à participer à la constitution de ce quatuor avec Ursula VON DER LEYEN, Christine LAGARDE, Josep BORRELL…
HEDWIGE CHEVRILLON
Charles MICHEL.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Charles MICHEL, pour le Conseil européen, et donc je crois que ça montre que la France, elle est attendue, mais surtout la France elle est à la hauteur et elle propose. Vous prenez le programme stratégique de l'Union européenne, pour le nouveau mandat, sur la transition écologique, par exemple, eh bien beaucoup d'éléments que nous avions mis sur la table, la neutralité carbone en 2050, sont repris, et puis il y a cette idée de souveraineté européenne que le président affirme et qui sera un enjeu.
HEDWIGE CHEVRILLON
Justement, est-ce qu'il ne fallait pas plutôt demander le portefeuille de la concurrence, on le sait, avec Margrethe VESTAGER qui était… donc elle est très en pointe, la France s'est opposée à elle sur l'affaire ALSTOM-SIEMENS, est-ce que ce n'était pas le job à avoir pour modifier justement cette nouvelle Commission européenne, nouvelle politique de la concurrence ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais, vous savez, au niveau européen de nombreux postes sont capitaux. Vous prenez le poste du commerce, on est au moment où les tensions commerciales sont à leur paroxysme, où il faut refonder l'OMC, donc il y a énormément de missions qui sont capitales, mais cet enjeu de souveraineté européenne, quelle que soit la fonction qui sera détenue par le commissaire français, on va continuer à l'impulser, parce que c'est une exigence. Si on ne veut être, ni les vassaux des Etats-Unis, ni les vassaux de la Chine, eh bien il faut que, en matière numérique, en matière commerciale, en matière de défense, on affirme une autonomie européenne.
HEDWIGE CHEVRILLON
Est-ce que vous ne redoutez pas l'audition devant le Parlement européen de Sylvie GOULARD, on sait qu'il y a une histoire d'emplois fictifs, sur laquelle on ne va pas revenir, mais est-ce que vous ne redoutez pas l'audition devant le Parlement européen, de la commissaire française ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je pense que Sylvie GOULARD aura, au contraire, à coeur de mettre tous les éléments sur la table, et j'ai vu d'ailleurs que le Parlement européen avait blanchi, l'avait dédouanée de tout cela.
HEDWIGE CHEVRILLON
Mais la procédure n'est pas complètement éteinte en France.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui, mais écoutez, les parlementaires européens poseront leurs questions, elle apportera ses réponses, et voilà, je ne doute pas que tout ça se terminera bien.
HEDWIGE CHEVRILLON
Alors la grande question c'est aussi, là il y a une réunion très importante de la Banque Centrale Européenne, on sait que c'est les derniers mois, en l'occurrence de Mario DRAGHI, après c'est Christine LAGARDE, la française Christine LAGARDE, qui prendra les rênes de la Banque Centrale Européenne. Un nouveau geste, pour quoi faire, on voit bien que les chiffres ne sont pas très très bons sur la relance économique au sein de l'Union européenne, est-ce qu'il faut faire quelque chose, est-ce qu'il faut de la relance budgétaire, même les Allemands, même le ministre des Finances allemand que je recevais ici, disait « oui, il faut qu'on fasse quelque chose », est-ce que c'est ça que vous attendez de la Banque Centrale Européenne ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
En fait, effectivement, pour les Etats membres qui ont la capacité à faire de la relance budgétaire, il faut le faire. L'Allemagne a cumulé un certain nombre d'excédents, ces excédents ils doivent permettre, je crois, d'amorcer ce cycle, et ça profitera à l'ensemble de l'Europe. On est maintenant, avec la monnaie unique, avec le marché unique, une zone très intégrée, et ça veut dire qu'il peut y avoir des chocs asymétriques, et face à ces chocs asymétriques, eh bien il faut que ceux qui ont la capacité à relancer la machine puissent le faire, ça va entraîner un cercle vertueux, donc moi je me réjouis des propos d'Olaf SCHOLZ.
HEDWIGE CHEVRILLON
Donc c'est le retour du keynésianisme ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je crois que foin d'idéologie, ce qui compte c'est le pragmatisme et quelles sont les politiques économiques qui fonctionnent ou pas, je parle bien de relance pour des pays qui en ont la capacité, pour notre part il ne vous a pas échappé qu'on a mis un certain nombre de milliards sur la table pour le pouvoir d'achat, la consommation, tout en engageant aussi un travail très sérieux, quand même, de baisse des déficits et de stabilisation de la dette.
HEDWIGE CHEVRILLON
…Les économies, vous le savez mieux que moi Jean-Baptiste LEMOYNE, il y en a quand même très très peu du côté de l'Etat, d'autres font des économies, mais pas beaucoup l'Etat.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ah mais, je crois que quand vous regardez l'évolution du déficit, et de la dépense, la dépense publique…
HEDWIGE CHEVRILLON
Merci les taux bas !
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
La dépense publique, pour la première fois, baisse en volume et en valeur, donc je veux dire ça fait plusieurs années que ce n'était pas arrivé.
HEDWIGE CHEVRILLON
Est-ce que vous avez le sentiment que, aujourd'hui il est peut-être temps de revenir sur le traité de Maastricht ? Je veux dire, là aussi on commence à entendre ça, des économistes qui disent finalement ça a été créé à un moment particulier, aujourd'hui c'est différent. Est-ce qu'il faut revenir, peut-être desserrer les contraintes du traité de Maastricht ? Vous me direz la France s'en est affranchie depuis de nombreuses années.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je crois qu'il est important d'avoir des règles, et c'est ces règles qui font aussi que la zone euro est attractive en termes d'investissements directs étrangers, qui font qu'il y a un certain nombre de disciplines, et donc je pense que c'est un cadre qu'il faut conserver.
HEDWIGE CHEVRILLON
C'est un cadre qu'il faut conserver, donc on ne touche pas au traité de Maastricht ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui, oui.
HEDWIGE CHEVRILLON
Juste une petite question encore sur la Banque Centrale Européenne. Bruno LE MAIRE, que je recevais il y a quelques jours, disait « on voit bien que cette politique de taux bas maintenant, elle est inefficace sur le plan justement économique. » Vous partagez ce sentiment ou pas ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
En tout cas on voit qu'on a été effectivement, là aussi, au bout d'un cycle, et on voit qu'il faut sûrement, je pense, inventer une nouvelle économie sociale de marché. Il y a, au-delà de ces histoires de taux, je crois, un capitalisme un peu glouton qui doit se réinventer, se réformer, parce que, on le voit, face à la montée d'un certain nombre d'inégalités, eh bien les peuples ont tendance à se rebeller, et on peut le comprendre. Donc le besoin aussi, je crois, de réinventer notre modèle économique.
HEDWIGE CHEVRILLON
Avec la Russie on a l'impression que c'est le grand rapprochement, votre ministre de tutelle, Jean-Yves LE DRIAN, avec Florence PARLY, a été donc rencontrer ses homologues à Moscou, ça faisait très longtemps qu'on n'avait pas eu ce 2+2 comme on dit…
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ça faisait 6 ans, oui, tout à fait.
HEDWIGE CHEVRILLON
On a vu Vladimir POUTINE qui a été reçu en grande pompe à Versailles et puis à Brégançon. Est-ce que c'est le grand rapprochement pour des raisons économiques, c'est-à-dire que vraiment on s'est fermé les portes de la Russie, qui du coup en a profité pour doper son agriculture, pour doper son industrie ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je crois, tout simplement, la Russie elle est aussi une partie de la réponse sur un certain nombre de théâtres d'opérations, on pense à la Syrie notamment, et que la France elle a une vocation, que d'ailleurs le Général de GAULLE avait très bien exprimée, et que le président de la République souhaite illustrer, eh bien c'est d'être une puissance d'équilibre, d'être aussi une nation qui n'est pas alignée, qui sait parler à tout le monde, et je dois dire qu'on est dans l'état d'esprit de créer, de réduire la défiance, et de bâtir de la confiance, et c'était l'objet de cette réunion Florence PARLY/ Jean-Yves LE DRIAN, avec leurs homologues en Russie, pour pouvoir avancer sur un certain nombre de chantiers, une politique de petits pas, créer un état d'esprit nouveau, et il faut s'en féliciter parce que…
HEDWIGE CHEVRILLON
C'est le réalisme économique de la diplomatie française.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
C'est surtout le souhait de faire en sorte que, notamment sur ce continent européen, de Lisbonne à Vladivostok, on arrive à gérer et à résorber un certain nombre de crises. Regardez ce qui s'est passé en Ukraine ce week-end, ça montre qu'il y a une fenêtre d'opportunité pour avancer, ces échanges de prisonniers, le fait de pouvoir enfin engager un agenda positif, voilà, ça veut dire que les lignes bougent et la France elle contribue à tout cela à travers son action de puissance d'équilibre.
HEDWIGE CHEVRILLON
A faire bouger les lignes peut-être, sauf en Grande-Bretagne. Merci beaucoup Jean-Baptiste LEMOYNE d'avoir été avec nous, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 septembre 2019