Interview de Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'Etat auprès du ministre de de la transition écologique et solidaire, à Radio Classique le 22 mai 2019, sur les élections européennes et la politique de l'environnement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Emmanuelle Wargon - Secrétaire d'Etat auprès du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire

Média : Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Nous sommes avec Emmanuelle WARGON en direct, je rappelle qu'elle est secrétaire d'Etat chargée de la Transition écologique au gouvernement et qu'elle a joué un rôle important dans le grand débat. D'abord bienvenue. Pourquoi insister à tel point sur la volonté d'une première place quand on sait que les sondages vous donnent probablement la deuxième, et pourquoi se mettre tellement en avant dans cette affaire ? Je parle d'Emmanuel MACRON évidemment. Est-ce que ce n'est pas un manque de prudence ?

EMMANUELLE WARGON
Bonjour Guillaume DURAND.

GUILLAUME DURAND
Bonjour.

EMMANUELLE WARGON
Le projet du président de la République c'est un projet pour la France, pour lutter contre le chômage en France, pour faire de la France une puissance verte et faire la transition écologique, pour retrouver une politique industrielle, une politique commerciale, qui équilibrent dans les échanges internationaux. Ce projet pour la France il passe par l'Europe, et c'est la raison pour laquelle le gouvernement, et le président de la République, s'engagent dans cette campagne, c'est que pour faire gagner ce projet pour les Français nous avons besoin de politiques cohérentes au plan européen. Et Guillaume TABARD en parlait, c'est vrai qu'il y a une contradiction avec les listes nationalistes, ces listes nationalistes qui nous disent « nous sommes là pour protéger les intérêts des Français », elles allient des égoïsmes, des égoïsmes avec d'autres égoïsmes en Europe, et des égoïsmes qui sont en fait soutenus et alimentés par Monsieur BANNON, par la Russie, et d'ailleurs, en Italie, par la Chine.

GUILLAUME DURAND
Mais est-ce que vous êtes vraiment certaine, Madame, ce matin, que Monsieur BANNON joue un rôle de conseiller occulte de Marine LE PEN, est-ce que vous en avez les preuves, est-ce qu'on n'est pas dans l'incantation, le parti de l'étranger ?

EMMANUELLE WARGON
Quand Monsieur BANNON vient en France et dit « moi je suis là pour peser dans la campagne, je suis là pour peser dans la campagne des européennes en France », et d'ailleurs dans d'autres pays européens, il annonce une intention qui est très claire, et cette intention c'est de façonner une Europe qui convient aux Etats-Unis. Après, quels sont ses liens avec les uns et les autres, seuls les intéressés le savent, mais cette intention il ne s'en cache pas, il l'a dit d'ailleurs.

GUILLAUME DURAND
Donc il y a un parti de l'étranger ?

EMMANUELLE WARGON
Il y a une volonté, des Etats-Unis, en tout cas de l'équipe de Monsieur TRUMP, probablement une volonté russe, et sûrement une volonté chinoise, à travers les Routes de la soie, de morceler l'Europe, d'avoir plutôt 28 interlocuteurs, que d'avoir un interlocuteur unique fort, et seul cet interlocuteur unique fort a une chance face à ces grandes puissances.

GUILLAUME DURAND
Mais Emmanuelle WARGON, vous savez qu'au départ de ce quinquennat Emmanuel MACRON a fait tous les efforts de la planète, si je puis dire, en tout cas en sa possession, pour séduire TRUMP, et le moins qu'on puisse dire, pardonnez-moi cette expression un peu vulgaire, c'est qu'il s'est fait totalement avoir, le dîner de la Tour Eiffel, tout le monde s'en souvient, et résultat zéro, il n'a pas signé les accords sur le climat, il est sorti du nucléaire iranien, enfin bref, tout ce que MACRON a essayé de faire a échoué.

EMMANUELLE WARGON
C'est normal de commencer dans une relation, entre dirigeants internationaux, par chercher un terrain d'accord, sur les sujets de commerce, nous ne l'avons pas trouvé, c'est aussi la raison pour laquelle aujourd'hui le président dit « il n'est pas possible de signer un accord commercial avec les Etats-Unis si nous ne sommes pas sur une base saine qui est l'accord sur le climat, l'accord de Paris », donc c'est la position française….

GUILLAUME DURAND
Mais il ne le signera jamais l'accord de Paris, vous le savez très bien.

EMMANUELLE WARGON
Eh bien on verra quel accord commercial l'Union européenne signera avec les Etats-Unis, l'histoire n'est pas finie, au moins notre position est claire.

GUILLAUME DURAND
Oui, mais est-ce qu'il fallait vraiment dire « nous serons les premiers, nous allons gagner », et s'engager à ce point-là ? Vous avez entendu peut-être, dans le journal qui précède ces entretiens, François-Xavier BELLAMY à propos de l'interview dans la PQR, qui dénonce « l'incroyable narcissisme d'Emmanuel MACRON », c'est-à-dire qu'il n'y aurait en France, plus que lui en gros.

EMMANUELLE WARGON
Mais, de toute façon, beaucoup de listes se sont positionnées en disant « nous sommes pour ou nous sommes contre le projet du président », le président, de toute façon, est au coeur de cette campagne, et il l'a dit, il ne peut pas être spectateur. Nous avons besoin d'être un acteur fort en Europe, les enjeux européens sont liés aux enjeux français. Moi j'aimerais aussi insister sur la question de l'abstention, parce que je pense que c'est un point très important.

GUILLAUME DURAND
Je l'évoquais tout à l'heure, mais vous n'avez pas répondu sur le narcissisme, parce que, que le président de la République s'engage, ça a été le cas de nombreux président de la République, François MITTERRAND en 92 pour le référendum de Maastricht, Nicolas SARKOZY, par exemple, dans les élections européennes, donc ça, disons qu'il y a une certaine forme de logique, mais le narcissisme c'est au-delà, c'est-à-dire, c'est une critique qui lui est adressée…

EMMANUELLE WARGON
Le narcissisme c'est une critique ad hominem, à laquelle je ne souhaite pas répondre.

GUILLAUME DURAND
Pourquoi ?

EMMANUELLE WARGON
Parce que c'est une critique personnelle, là on parle de la fonction d'un président, qui a simplement donné une interview pour dire « voilà ma vision, voilà pourquoi le projet cohérent, voilà pourquoi c'est important », et qui appelle aussi tous les Français à voter, je ne crois pas que ce que fait le président de la République puisse être défini comme du narcissisme.

GUILLAUME DURAND
Question. On a vu lors d'un Conseil des ministres, en tout cas on l'a appris, puisque vous y étiez, qu'il avait dit au fond « on ne va pas pouvoir, si on n'arrive pas en tête, sortir en l'état de cette élection », or, en même temps, dans l'entretien d'hier il donne sa confiance à Edouard PHILIPPE, donc on n'arrive pas à percevoir exactement quelle est la contradiction du président de la République dans les adresses qui sont faites au gouvernement, c'est-à-dire à la fois il dit « il va falloir qu'on change quelque chose si on n'arrive pas en tête », et en même temps il conforte tout le monde.

EMMANUELLE WARGON
Le président de la République il veut un gouvernement au travail, efficace, et qui délivre des résultats, c'est vraiment la demande qu'il nous a faite, c'est aussi la raison pour laquelle, suite à sa conférence de presse, le Premier ministre a lancé une grande mobilisation du gouvernement, c'est la raison pour laquelle demain nous avons un Conseil de défense écologique, dans lequel nous allons aller plus loin sur l'ambition écologique et la mise en oeuvre des mesures…

GUILLAUME DURAND
Plus loin en faisant quoi, parce que vous avez entendu HULOT, dans un récent entretien, il a dit qu'il ne savait même pas pour qui il allait voter, et que, en gros, c'était la panne totale en matière d'écologie.

EMMANUELLE WARGON
Alors d'abord, HULOT, c'est quelque chose qu'il avait réclamé, ce Conseil de défense écologique, quand le président de la République l'a annoncé, Nicolas HULOT a dit « c'est bien, c'est quelque chose que je souhaitais, et c'est bien que ça se mette en place. » Plus loin, ça veut dire on réunit les ministres concernés, sous l'impulsion du président de la République, pour traiter des sujets difficiles. La préservation de la biodiversité, c'est deux principales mesures, la première c'est réduire les pesticides, c'est un sujet sur lequel nous avons pris des engagements, c'est la transition agricole, et la transition agricole c'est la Politique Agricole Commune, donc on revient à l'enjeu européen. C'est aussi arrêter de voir la ville grignoter des espaces naturels, dans le langage technique ça s'appelle l'artificialisation des sols, c'est un mot compliqué, mais en gros ça veut dire…

GUILLAUME DURAND
On a compris.

EMMANUELLE WARGON
Tous les 10 ans on recouvre de bitume l'équivalent d'un département français, ça c'est à la frontière de l'urbanisme, de l'agriculture, de l'aménagement du territoire, des transports, c'est un sujet dont on va s'emparer, pour voir comment faire en trouvant les compromis nationaux, avec tous les acteurs, et avec les collectivités territoriales. Ça veut dire aller affronter des sujets difficiles, se donner des objectifs, et avancer.

GUILLAUME DURAND
Mais vous avez en même temps des Français, j'écoutais chez nos confrères de RTL ce matin, qui disent « nous on ne sera jamais au diesel », vous avez des gens qui disent « on nous demande de réduire les voyages aériens qui polluent énormément, mais enfin on ne va pas passer notre vie à Fontainebleau » - et j'adore Fontainebleau – « mais il faut quand même, puisqu'il s'agit de mondialisation, aller à Los Angeles, Sydney etc. » Enfin, on a l'impression qu'il y a une sorte de contradiction dans le monde contemporain entre, au fond, ce qu'il est ce monde contemporain, sa réalité, et en même temps les nécessités de sauver la planète.

EMMANUELLE WARGON
Oui, c'est compliqué, vous avez raison, parce qu'en fait ce qui se joue c'est une évolution de notre modèle économique, une évolution de notre modèle de consommation, et de production, on ne peut pas complètement vivre, consommer, se déplacer comme avant, et on sait aussi que, ce qu'on a appelé parfois l'écologie punitive, ça ne marche pas, ça a été dit clairement dans le grand débat…

GUILLAUME DURAND
C'est la base de départ des gilets jaunes, il y a quand même, derrière les gilets jaunes, une grande bataille de la voiture, pour tous ceux qui en ont besoin.

EMMANUELLE WARGON
Oui, mais les mêmes gilets jaunes, ou les mêmes personnes qui ont participé au grand débat, nous ont dit « comment est-ce que vous pouvez envisager d'alourdir les taxes sur le diesel ou sur l'essence, alors que vous ne taxez pas le kérosène », les mêmes qui nous disent « il faut une équité. Pourquoi est-ce que les déplacements du quotidien, on nous demande de changer et on nous dit qu'il va falloir contribuer, alors que les déplacements de loisirs, de confort, ces déplacements-là, les déplacements en avion, ne seraient pas touchés ? » Pour l'avion, en fait, il y a plusieurs choses à faire, la première c'est la technologie, avancer progressivement vers plus de biocarburants, vers des carburants qui polluent moins, et aussi avancer vers une réduction unitaire de la consommation par passager.

GUILLAUME DURAND
Mais est-ce qu'il pourrait y avoir une taxe sur le kérosène aérien ?

EMMANUELLE WARGON
La deuxième possibilité pour agir, c'est cette taxe, cette taxe elle doit être discutée au plan communautaire, il n'est pas possible de la mettre en place uniquement en France, mais au plan communautaire, c'est une proposition…

GUILLAUME DURAND
Au plan mondial même !

EMMANUELLE WARGON
Au plan mondial, sûrement, c'est une convention internationale, qui est la convention de Chicago, mais l'Union européenne est un espace suffisamment grand pour qu'on puisse imaginer de faire quelque chose par nous-mêmes, c'est une des propositions de la liste Renaissance, regarder ce qu'on peut faire pour que le kérosène contribue à financer la transition écologique. Après, il y a la question de la compensation, qui a été citée dans un des reportages sur votre antenne un peu plus tôt, pourquoi pas, on ne peut pas tout faire par compensation, compenser ça veut dire on pollue d'un côté et puis on plante des arbres de l'autre, ça ne peut pas totalement se traiter par compensation, mais cela dit la compensation c'est plus de nature, plus de verdure, des mangroves, des forêts, ça se regarde. Le gouvernement, moi je suis prête, avec mes collègues, à travailler avec le secteur, le secteur de l'aérien, le secteur des agences de voyages, avec Elisabeth BORNE, avec François de RUGY, avec Jean-Baptiste LEMOYNE en charge du tourisme, pour regarder s'il est possible d'avoir un pacte.

GUILLAUME DURAND
Vous avez peut-être entendu, lors de leur débat sur BFM TV, Jordan BARDELLA et Nathalie LOISEAU, Jordan BARDELLA lui a dit « finalement, vous avez été ministre » - alors, je ne reprends pas les arguments de BARDELLA à mon compte, mais son interrogation – « finalement, vous avez été ministre des Affaires européennes, vous avez peut-être beaucoup travaillé, mais vous n'avez obtenu aucun résultat. » C'était violent, et on l'a sentie gênée, car effectivement elle a travaillé, mais ça a été compliqué.

EMMANUELLE WARGON
C'est quand même paradoxal, parce que le Front national siège au Parlement européen depuis longtemps, a le record de l'absentéisme, ne vote absolument aucune directive, n'a pas voté les sujets sur lesquels ils sont en campagne aujourd'hui…

GUILLAUME DURAND
Travailleurs détachés.

EMMANUELLE WARGON
Travailleurs détachés ou renforcement des accords de Schengen, donc dire « nous on n'est pas allés siéger au Parlement européen, on n'a rien voté, on ne s'y est pas intéressé pendant la dernière mandature », et faire la morale…

GUILLAUME DURAND
Oui, mais ça ne change rien dans les sondages, regardez vous ce matin, ça ne change rien dans les sondages. Ils étaient, contre l'euro, contre l'Europe, ils sont arrivés en finale de la présidentielle, ils sont maintenant pour l'euro et ils acceptent une certaine forme d'Europe, à partir du moment où elle a une base nationale, et vous avez exactement le même nombre de gens qui votent pour eux, ou qui donnent leur intention…

EMMANUELLE WARGON
Ils sont à moitié pour l'euro, c'est-à-dire ils sont pour, mais à leur corps défendant, ils ne sont toujours pas pour l'Europe, et maintenant ils ont décidé plutôt de la détruire de l'intérieur, les sondages c'est une indication, mais le seul chiffre qui compte c'est celui de dimanche, donc voilà. Appel à la mobilisation, appel à lire les programmes, à comprendre, appel aux jeunes en particulier. Pour le Brexit les jeunes Anglais n'ont pas voté à hauteur de, je ne sais plus, un truc… 60 %, ils ont tous voté contre le Brexit, les jeune Anglais, mais simplement ils n'ont pas voté. Je ne veux pas qu'en France la jeunesse se retrouve avec une vision de l'Europe qui ne lui correspond pas, simplement parce qu'elle n'est pas allé voter.

GUILLAUME DURAND
Merci Emmanuelle WARGON d'être venue ce matin sur l'antenne de Radio Classique pour parler de ces sujets concernant la transition écologique et évidemment les européennes.

EMMANUELLE WARGON
Merci Guillaume DURAND.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 juin 2019