Texte intégral
Madame la Présidente de l'Institut français des administrateurs, [chère Agnès]
Mesdames et Messieurs les administrateurs,
Je suis très heureux d'intervenir à l'ouverture de votre Assemblée générale. J'avais promis à Agnès de venir avant son départ : chose promise, chose due.
Un changement de présidence est toujours un moment particulier. C'est le temps des adieux, des nouveaux projets, mais c'est aussi le temps du bilan.
Eh bien, je crois que la gouvernance d'entreprise ne s'est jamais autant transformée que durant ces quatre dernières années. On le doit en grande partie à Agnès Touraine.
1. A son engagement auprès de l'Institut et de tous ses administrateurs, pour les former ou pour les informer.
2. A sa mobilisation sur une gouvernance d'entreprise conciliant la compétitivité et l'ambition sociale et environnementale, qu'il ne faut pas séparer, mais faire vivre de concert.
3. A son implication dans le projet de loi PACTE dont vous avez inspiré de nombreuses mesures, sur lesquelles j'aurai l'occasion de revenir.
J'ai relu le rapport que tu m'avais remis, chère Agnès Touraine, avec Stanislas Guerini il y a 18 mois lors du lancement des travaux de la loi PACTE. La quasi-totalité des propositions qui y figurent ont été reprises dans la loi PACTE. C'est sans doute l'un des rapports qui a été le plus repris dans le projet de loi final. C'est ce rapport qui a permis de concevoir le troisième pilier de la loi PACTE, intitulé « des entreprises plus justes ». Je tiens à sincèrement vous en remercier.
PACTE est une réponse de l'économie française aux transformations profondes de notre économie. Dans ces transformations, la place de l'Etat et de l'entreprise est un des sujets qui me tient à coeur.
4. Cette loi répond aux faiblesses de notre économie : des entreprises trop petites, pas assez robotisées, pas assez digitalisées et numérisées, un manque d'ETI, qui n'arrivent pas à exporter et à profiter de la croissance externe à travers la planète.
5. PACTE est une réponse à l'impératif de conciliation de la compétitivité et des défis environnementaux. A ce titre, le message des dernières élections européennes doit être reçu par les responsables politiques, et aussi par les chefs d'entreprise. Il ne pourra plus y avoir de croissance économique en Europe sans respect de l'environnement, car elle sera refusée. En revanche, la lutte contre le réchauffement climatique, la transition énergétique, peuvent être des vecteurs de recherche, de technologie et de croissance considérables. C'est notre défi à tous, et il faut que chacun soit convaincu de la nécessité d'avancer dans cette direction. Nous mettons des outils à disposition, mais ceux qui se servent des outils, ce sont les chefs d'entreprise.
6. En un mot, PACTE apporte une pierre à la construction d'un capitalisme européen auquel je suis profondément attaché et qui constitue l'un de mes grands engagements dans la mission qui m'a été confiée par le Président de la République. Il y a un capitalisme d'Etat en Chine, un capitalisme anglo-saxon, plus libéral que le nôtre, et un capitalisme européen, qui veut de la croissance durable, respectueuse de l'environnement, qui tient également à préserver une certaine équité dans le partage de la richesse, et qui est attentif à poser des limites à son développement. La France doit avec l'Allemagne en définir les grandes lignes et le faire année après année avec détermination.
Le premier levier de cette construction d'un nouveau capitalisme européen, c'est la simplification de la vie des entreprises.
1er levier : la simplification de la vie des entreprises.
La simplification des entreprises est un long poème qui dure depuis longtemps. Mais on ne doit jamais arrêter de tisser cette toile, parce que chaque fois que l'on simplifie, des « complexificateurs » viennent reprendre la main et rajoutent des normes. Les meilleures normes du monde peuvent n'aboutir parfois qu'au manque de compétitivité et de croissance.
Cette simplification a été l'objet d'une bataille extrêmement difficile. Je me souviens des dizaines d'heures passées à l'assemblée nationale à expliquer que ce n'était plus la peine de faire un stage préalable à l'installation des artisans. C'était une transgression que de dire qu'on ne devait pas ajouter à l'obligation de la certification un stage préalable coûteux en temps et en argent.
Toutes ces idées ont été des batailles, et je continuerai à livrer cette bataille, que ce soit sur la création, le rebond, la transmission des entreprises, le reporting ou l'audit. Je poursuivrai cette simplification car toux ceux qui veulent maintenir la complexité défendent leurs intérêts particuliers et pas l'intérêt général. D'aucun expliquent que si la vie des entreprises est compliquée en France, c'est la faute de Bruxelles. Mais lorsque l'Europe fixe une directive sur les commissaires aux comptes qui simplifie la vie des petites entreprises, là où la législation française prévoyait plusieurs seuils et un recours obligatoire aux commissaires aux comptes à des seuils beaucoup plus bas que le seuil européen, on expliquait que c'était pour la sécurité des entreprises. Je ne suis pas d'accord avec cela, et c'est pourquoi nous nous sommes alignés sur la réglementation européenne. Il a fallu expliquer que la France n'avait pas vocation à sur-transposer systématiquement les directives européennes et à ligoter nos entrepreneurs avec des règles plus complexes que celles de nos partenaires mais néanmoins concurrents italiens allemands ou espagnols.
La simplification est un élément majeur de PACTE, et je constate parfois que des responsables syndicaux opposés au gouvernement ont été beaucoup plus constructifs sur la simplification que certains responsables politiques venus de familles que j'ai bien connues, et qui estimaient que la simplification n'était pas la priorité.
C'était pourtant une priorité et nous sommes parvenus à la simplification avec notamment une mesure emblématique : la simplification des seuils, leur allègement et les 5 années qui sont données aux PME avant d'être astreints à de nouvelles obligations. Je pense que cette mesure, pour beaucoup de PME, va être un vecteur de création d'emplois considérable.
2ème levier : la redéfinition du rôle de l'Etat et des entreprises dans la société.
Vous savez que je suis attaché à la cession d'actifs de l'Etat dans les entreprises qui sont commerciales. En France, nous pensons que la meilleure manière de retenir l'activité des entreprises est de mettre l'Etat dans leur capital, ce que je ne crois pas : leurs entreprises garderons leurs emplois, leurs sites industriels, leurs centres de recherche en France si l'Etat met à disposition de ces entreprises l'environnement le plus attractif dans l'Europe et dans le monde. Voilà le rôle de l'Etat : il ne doit pas investir systématiquement dans toutes les entreprises pour que nous nous retrouvions avec un capitalisme d'Etat. Notre rôle est de créer le cadre le plus attractif possible pour les entreprises étrangères, par la baisse de l'impôt sur les sociétés, par la mise en place du CIR, par le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital, parce que l'Etat a simplifié le marché du travail et mis en place un système de formation bien plus efficace que par le passé.
L'Etat a donc un rôle décisif mais ce n'est pas celui qu'il joue depuis des décennies.
La loi PACTE a également apporté une pierre à la définition d'un modèle d'entreprise plus en phase avec les préoccupations de nos concitoyens, dans laquelle la réalisation des profits est nécessaire mais plus suffisante.
L'Entreprise a un rôle fondamental dans le quotidien des citoyens : vous, entreprises, êtes décisionnaires sur la chaîne d'approvisionnement, le respect de l'environnement, la mobilité, la qualité de ce nous mangeons. L'Etat peut instaurer des normes, mais ce sont les entreprises qui définissent et adaptent les règles pour changer notre vie quotidienne.
Ce qui change la société pour la rendre plus respectueuse de l'environnement, plus juste, plus sociale, ce sont les entreprises. Il me parait donc indispensable que les entreprises se dotent une raison d'être et définissent le sens de l'action qu'elles mènent.
L'entreprise peut donner à ceux qui sont en situation de handicap la possibilité de travailler et de développer leurs talents. Elle peut promouvoir l'égalité femmes-hommes et l'intégration.
C'est ce qui nous a amené à modifier avec Agnès Touraine le Code civil pour inviter tous les entrepreneurs à prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité.
Les entreprises n'y perdront rien et y gagneront même beaucoup, en donnant du sens à leur activité quotidienne. Je suis convaincu que l'époque de la consommation de masse, où l'acte de consommation avait du sens par lui-même, est maintenant révolue. Nous consommerons moins et différemment, sans doute mieux, et le nouveau consommateur sera exigeant sur le sens de son acte de consommation.
C'est pourquoi nous avons donné aux entreprises la possibilité de se doter d'une raison d'être dans le code civil et la création du statut de sociétés à mission qui permettra aux entreprises d'aller encore plus loin dans cette démarche et de s'engager sur des objectifs concrets en matière sociale, environnementale ou qui intéressent plus largement la collectivité.
3ème levier : l'adaptation de la gouvernance d'entreprise à l'économie du XXIe siècle.
Nous avons en France un modèle solide de gouvernance d'entreprise, qui a su faire preuve de sa capacité d'adaptation, notamment grâce à l'initiative de l'AFEP et du MEDEF dont le code de gouvernance constitue aujourd'hui une référence reconnue.
Nous devons promouvoir un modèle de gouvernance renforçant l'attractivité de notre économie pour les investisseurs, qui permette de faire face aux transformations économiques, qui puisse adapter nos entreprises aux attentes de ses multiples parties prenantes.
Cette ambition de modernisation de la gouvernance d'entreprise, que nous avons promue dans la loi PACTE, repose sur quelques grands principes.
7. La gouvernance doit mieux associer les salariés aux résultats et la vie de l'entreprise.
Ce principe se fonde sur une réalité simple : sans succès des salariés, il n'y a pas de succès d'une entreprise.
L'idée qu'il y aurait les patrons d'un côté et les salariés de l'autre est une idée néfaste et dépassée. Lorsqu'une entreprise fait de bons résultats, il faut que les salariés, qui sont les premiers responsables de la création de richesse, en soient les bénéficiaires.
C'est l'objet du développement de l'intéressement et de la participation. C'est pourquoi la suppression de toute taxe sur l'intéressement et la participation, comme nous l'avons fait dans les entreprises de moins de 250 salariés, était si importante.
Je ferai des propositions dans les prochains jours pour simplifier les accords d'intéressement afin que n'importe quel patron puisse sortir et signer rapidement un accord d'intéressement.
Enfin, au-delà de l'actionnariat et des résultats, les salariés méritaient une plus grande place dans les décisions de gestion. Nous avons beaucoup consulté sur le sujet du nombre d'administrateurs salariés. Nous avons décidé de porter à 2 le nombre d'administrateurs salariés pour les conseils comptant plus de 8 administrateurs.
Cet ensemble de mesures tend à concilier compétitivité et justice sociale.
8. La gouvernance d'entreprise doit être plus inclusive.
L'égalité entre les femmes et les hommes est un combat culturel sur lequel la France a pris du retard. Les femmes ne sont pas assez représentées dans les entreprises du CAC40 ou dans les Comités exécutifs. Il faut que nous livrions ce combat de la parité, qui rendra la société française meilleure et plus efficace. La promotion de la parité a une vertu sociale, mais aussi économique.
Ne pas respecter la parité et la diversité des profils est donc à la fois injuste et inefficace.
Nous avons donc renforcé les sanctions : désormais les délibérations d'un conseil d'administration qui ne respectent pas les obligations de parité fixées par cette loi pourront être frappées de nullité.
Je suis prêt à pousser le curseur très loin si les résultats ne sont pas au rendez-vous car je pense qu'il en va de l'intérêt général. Il en va de même pour les recrutements, qui devront être paritaires.
9. La gouvernance doit conduire l'entreprise à rendre compte de son action
Les entreprises doivent être plus transparentes et informer les investisseurs et les parties prenantes de leur activité.
Il faut notamment une meilleure transparence sur les écarts de rémunération. Nous ne voulons pas d'écarts de rémunération à l'américaine, où le salaire du dirigeant peut être 300 fois plus élevé que le salaire moyen. Je ne pense pas que de tels écarts soient une bonne chose pour ce capitalisme européen et français que nous voulons fonder.
Ces propos suscitent toujours des réactions mitigées. Je ne souhaite que la décence : quand les écarts de rémunération deviennent abusifs, ils détruisent la cohésion de l'entreprise et de la société toute entière.
Il n'est pas acceptable que, lorsque les résultats de l'entreprise ne sont pas bons, et que des efforts sont demandés aux salariés, les chefs d'entreprise puissent dans le même temps augmenter leur rémunération. Ces comportements suscitent du désordre, de l'incompréhension et un sentiment d'injustice.
La rémunération du dirigeant doit être solidement justifiée, d'autant plus lorsqu'elle atteint des montants élevés. Les dirigeants doivent être rémunérés à leurs succès : aux emplois, au chiffre d'affaires et à la valeur créés.
C'est la raison pour laquelle nous avons instauré dans PACTE un ratio d'équité mesurant l'écart entre les salaires des dirigeants et les salaires moyen et médian des salariés, dans les entreprises françaises cotées, ainsi que des réformes sur les retraites chapeaux, dans une ordonnance prévue par la loi, pour interdire le cumul des retraites chapeaux et des indemnités de non concurrence. Car là aussi, comment expliquer à nos compatriotes qu'un chef d'entreprise va partir à la retraite tout en touchant des indemnités de non concurrence ? Cette incohérence peut entraîner l'incompréhension.
Transparence et responsabilité vis-à-vis des actionnaires, enfin. En France, les actionnaires sont souvent accusés de tous les maux.
Or les actionnaires sont le fer de lance de l'entreprise, ceux qui lui permettent de se financer, et qui veulent légitimement que l'entreprise soit profitable. J'ai d'ailleurs été intéressé par les résultats d'une enquête sur les nouvelles menaces de l'activisme hostile qui gagne en intensité. Je pense qu'il faut pourtant bien faire la distinction entre différents activismes. Un certain activisme permet de tirer le meilleur résultat d'une entreprise, quand un autre activisme, qui n'est pas le bienvenu, est là simplement pour déstabiliser le capital des entreprises familiales.
10. Tout ce que nous avons fait, sur le développement de l'actionnariat salarié, sur le statut de « fonds de pérennité » avec l'action de Bpifrance et des investisseurs publics et avec la directive sur les investissements étrangers qui a été votée il y a quelques semaines, tous ces dispositifs visent justement à faire le partage entre des investisseurs qui veulent uniquement que la gouvernance fonctionne mieux et que les résultats soient au rendez-vous, et les activistes qui ne visent qu'à détruire la valeur et qui se comportent en prédateurs. Ceux qui ont des ambitions pour les entreprises sont les bienvenus, les prédateurs ne le sont pas.
Voilà les quelques éléments que je voulais vous transmettre ce matin.
J'attache de l'importance à cette question de la gouvernance des entreprises, ainsi qu'aux dispositifs essentiels inscrits dans la loi PACTE, qui vient d'être promulguée. Mais le succès de PACTE dépend de vous.
Le sujet de la gouvernance est décisif dans la redéfinition du capitalisme français et européen.
Si nous en sommes arrivés à ces aboutissements, c'est grâce à votre précieuse contribution, et au rôle essentiel de votre présidente.
Je tiens en votre nom et au nom du gouvernement français, à vous en remercier.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 4 juin 2019