Interview de M. Cédric O, secrétaire d'Etat au numérique, à BFM Business le 11 septembre 2019, sur l'économie numérique.

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Média : BFM

Texte intégral

HEDWIGE CHEVRILLON
Cédric O, bonjour.

CEDRIC O
Bonjour.

HEDWIGE CHEVRILLON
On va rappeler quand même, parce que c'est dans le background, c'est important, que vous avez été conseiller à l'Elysée d'Emmanuel MACRON. Cédric O, beaucoup l'actualité en France bien sûr. La semaine prochaine, il y a le Digital Day, le D Day, avec des annonces assez fortes du président de la République qui sont annoncées. Puis là, vous avez des chiffres pour nous qui montrent que c'est un bon cru, ça marche bien en tous les cas les levées de fonds. Un mot quand même sur l'Europe. On voit bien que le climat et puis le numérique sont un peu la tête d'affiche de la nouvelle Commission européenne avec Margrethe VESTAGER qui va superviser le numérique. On va rappeler c'est quand même la bête noire de la Silicon Valley. Est-ce que vous vous dites : « C'est une superbe nouvelle ; enfin l'Europe a compris qu'il fallait se réveiller » ?

CEDRIC O
Alors je pense qu'il y a deux super nouvelles. D'abord il y a la tonalité globale du discours d'Ursula VON DER LEYEN qui est très ambitieuse en matière de numérique, d'industriel et qui a la volonté vraiment d'inscrire l'Europe dans la compétition avec les Américains et les Chinois. Et puis il y a la nomination à la fois de Margrethe VESTAGER et de Sylvie GOULARD sur les sujets du numérique. Ce sont des personnes qui connaissent extrêmement bien ces dossiers et qui sont très ambitieuses sur le numérique.

HEDWIGE CHEVRILLON
Parce que Sylvie GOULARD, elle aura… On va peut-être l'expliquer en fait, parce qu'elle est à l'industrie, marché intérieur et défense, mais en fait elle va superviser la direction qui s'occupe justement du numérique au sein de la Commission européenne.

CEDRIC O
Exactement. C'est un peu dans la tambouille européenne. Margrethe VESTAGER est la coordinatrice vice-présidente. Elle a la concurrence et le numérique. Mais celle qui a la main directe sur l'administration européenne qui s'occupe du numérique qui s'appelle la DG Connect, c'est Sylvie GOULARD. Donc elles vont devoir travailler ensemble mais c'est une très bonne chose.

HEDWIGE CHEVRILLON
Est-ce que c'est le début un tout petit peu de la fin de l'ère des GAFA ? Lorsque vous voyez ce qui se passe aux Etats-Unis, vous avez cinquante procureurs qui donc ont attaqué GOOGLE pour des procédures antitrust, est-ce que vous pensez que c'est un peu le début de la fin ou pas ? Et est-ce que c'est souhaitable ? On se sert tous des GAFA.

CEDRIC O
Alors je pense que la question se pose réellement. En tout cas, elle ne s'est jamais posée de manière aussi aiguë. Vous avez dit il y a cinquante procureurs américains qui ont attaqué GOOGLE pour antitrust, il y a des procédures antitrust sur FACEBOOK etc. Je ne préjugerai pas tout de suite de la fin de l'histoire aux Etats-Unis, parce que pour des raisons politiques et pour un certain nombre de raisons, en fait les Américains savent aussi très bien défendre leurs entreprises. En tout cas, il y a une question qui se pose sur la taille et sur l'emprise qu'ont ces gros acteurs sur nos vies et nos économies. Il y a la question du démantèlement qui est très vive dans le débat académique américain qui peut se poser.

HEDWIGE CHEVRILLON
Enfin partout. C'est la une du Financial Times.

CEDRIC O
Oui, et il y a la question de la régulation. Mais il y a deux éléments que je voudrais ajouter. D'abord même si on démantèle, il ne faut pas abandonner la régulation parce que si vous coupez FACEBOOK en dix, il y aura toujours dix entreprises avec cent, cent quarante ou cent cinquante millions de personnes dedans. Donc ça pose toujours les questions de vie privée, ça passe toujours les questions de contenus haineux etc. Ça, c'est la première chose. Et la deuxième chose, c'est qu'il faut aussi prendre un peu de recul et réfléchir à notre politique commerciale, parce qu'aujourd'hui dans certaines technologies - je pense à l'intelligence artificielle particulièrement - la souveraineté occidentale dépend aussi des investissements des GAFA. Parce que vous avez quarante milliards d'euros qui sont investis chaque année par les GAFA dans l'intelligence artificielle, quarante milliards d'euros par les Chinois. L'Europe aujourd'hui n'existe quasiment pas. Donc si on décide de réduire et de tailler les GAFA pour des raisons économiques et pour des raisons démocratiques, alors il faudra se poser la question de notre politique commerciale.

HEDWIGE CHEVRILLON
Donc vous dites que c'est quand même le meilleur bouclier contre l'intelligence artificielle chinoise.

CEDRIC O
Je ne dis pas que c'est le meilleur bouclier. Je dis qu'à ce stade, ils font partie… Enfin, ils sont une brique essentielle de notre compétitivité. Donc si on décide de couper les GAFA, alors il faudra appliquer les mêmes règles aux Chinois ou alors leur fermer nos marchés.

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui. Est-ce que vous dites qu'il faut peut-être quand même se joindre à ces procédures qui ont été lancées aux Etats-Unis par notamment le procureur du Texas ?

CEDRIC O
Alors il y a des procédures aux Etats-Unis, il y a un certain nombre de procédures aussi en Europe. Nous on les regarde de très près. Il y a des questions légitimes qui se posent. A ce stade, je ne peux pas aller beaucoup plus loin.

HEDWIGE CHEVRILLON
Taxe GAFA, on en dit un mot quand même, même si on en a beaucoup parlé. Je ne sais, pas, Bruno LE MAIRE est parti, c'était la semaine dernière, voir son homologue pour essayer de pousser et avancer ce dossier. Vous y croyez, vous, ou pas ?

CEDRIC O
De quoi ? A la taxe GAFA ou à l'accord ?

HEDWIGE CHEVRILLON
L'accord. L'accord sur la taxe GAFA.

CEDRIC O
Ecoutez, je reste optimiste. Là on est un peu au milieu de la tranchée dans les discussions avec les Américains. On va voir ce qui se passe dans les jours qui viennent. Grosso modo, l'idée c'est qu'ils sont d'accord avec nous pour dire que les bases taxables doivent être réactualisées et qu'aujourd'hui on ne taxe pas vraiment la valeur là où elle est créée. Par contre ils ne sont pas d'accord pour qu'on anticipe un accord international. Tout tourne autour de ça. Aujourd'hui on est encore au milieu des discussions, je ne veux pas préjuger de la fin. Tout ça est très bien mené par Bruno LE MAIRE. Il était encore effectivement avec son homologue il n'y a pas très longtemps. En plus toute déclaration et toute embardée ne facilite pas un accord.

HEDWIGE CHEVRILLON
Cédric O, vous êtes est en charge du Numérique. Mais est-ce que vous avez les moyens de lutter - enfin pas de lutter - de promouvoir, de défendre le numérique ? Est-ce qu'on vous donne les moyens ? Parce que c'est Bruno LE MAIRE, c'est Emmanuel MACRON, puis il y a vous. Ce n'est pas un peu compliqué comme schéma ?

CEDRIC O
En fait, la manière dont moi je vois mon job, c'est que ce n'est pas moi qui crée la valeur. Ce n'est pas moi qui fais en sorte que les entreprises elles se développent, c'est les entrepreneurs. Et d'ailleurs vous citiez les chiffres tout à l'heure, les chiffres sont excellents.

HEDWIGE CHEVRILLON
On va y revenir, oui.

CEDRIC O
On va y revenir si vous le voulez. Moi mon rôle, c'est d'être un facilitateur. Aujourd'hui il y a trois problèmes avec les entreprises du numérique pour leur permettre de grossir. Un, c'est le financement, on y reviendra. Deux, c'est les talents. Et là, c'est mon rôle et c'est ce qu'on fait. On travaille avec Muriel PENICAUD pour faire en sorte qu'il y ait plus de gens qui aillent dans ces entreprises. Parce que quand vous parlez au CEO de DOCTOLIB ou au CEO de MIRO (phon), il vous dit : « Mon premier problème, c'est recruter. »

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui.

CEDRIC O
Et dernière chose, pardon, c'est les cadres réglementaires et les relations avec l'administration. Et là, c'est mon rôle aussi de faire en sorte de déverrouiller chaque petit problème qui fait que ces entreprises-là…

HEDWIGE CHEVRILLON
Ce n'était pas complètement ma question. Ma question c'était de savoir… C'est ce que disait Mounir MAHJOUBI, c'est-à-dire qu'il avait du pouvoir quand il était auprès du Premier ministre et il n'a eu plus aucun pouvoir quand il était à Bercy. Vous êtes à Bercy, est-ce que vous avez du pouvoir ? Grosso modo, c'était ça ma question.

CEDRIC O
Moi, j'étais un gros partisan de rattacher le secrétariat d'Etat du Numérique à Bercy parce qu'un ministère qui n'a pas d'administration

HEDWIGE CHEVRILLON
D'accord.

CEDRIC O
Aujourd'hui, j'ai la main sur l'administration de Bercy sous délégation de Bruno LE MAIRE et Gérald DARMANIN et ça me donne beaucoup de pouvoir. Par ailleurs, il se trouve que j'ai le passé que j'ai, j'ai travaillé avec le président depuis assez longtemps, donc ma force c'est celle du président.

HEDWIGE CHEVRILLON
Donc ça facilite les choses. Alors les bons chiffres, les bons chiffres que vous allez nous annoncer un peu en avant-première parce que donc la semaine prochaine, c'est vraiment une journée start-up, skale up parce que c'est l'enjeu de ce Digital Day. C'est quoi ? Le premier semestre 2019, on a cartonné ?

CEDRIC O
Oui, le premier semestre 2019 est absolument excellent. Juste pour donner une idée. Il y a deux ans, le montant total d'argent investi dans les start-up françaises c'était 2,5 milliards d'euros. Au premier semestre 2019, c'est 2,8 milliards d'euros qui ont été investis dans les start-up françaises. Autre exemple. Si on prend ce qui aujourd'hui est assez symbolique c'est-à-dire les grosses levées, les entreprises qui lèvent plus de cinquante millions d'euros, c'était…

HEDWIGE CHEVRILLON
Annoncé ce matin sur BFM Business.

CEDRIC O
Oui. J'ai vu que JOBTEASER avait levé cinquante millions. Très belle boîte. JOBTEASER par exemple, c'est très intéressant. C'est un leader européen inconnu du grand public, mais c'est un leader européen dans sa verticale. Et donc je disais, levée de plus cinquante millions d'euros. C'était six en 2017, c'était douze en 2018 et c'est treize sur le premier semestre 2019. Donc on a une accélération extrêmement forte, ce qui est vraiment important. Juste un mot. Pourquoi c'est important ? C'est important pour deux raisons. D'abord pour une raison de création d'emplois. Pour vous donner une idée, dans les dernières années aux Etats-Unis, c'est entre un tiers et la moitié des créations nettes d'emplois qui sont liées directement ou indirectement à la technologie. Donc c'est assez basique. Si on veut des emplois…

HEDWIGE CHEVRILLON
Et ici en France, vous avez fait les chiffres ?

CEDRIC O
Non. On n'a pas les chiffres, c'est toujours difficile à estimer mais je dirais que c'est de l'ordre de 10 %. Donc le potentiel est énorme de ces créations d'emplois. Si on veut des emplois de demain pour nos enfants et pour nous, il faut des entreprises numériques fortes et puis c'est une histoire de compétitivité. Aujourd'hui, les entreprises qui dominent la scène technologique mondiale, ce sont des entreprises américaines ou chinoises qui sont nées dans les dernières années. L'âge moyen des groupes du CAC 40, cent vingt ans. Cent vingt ans. L'âge moyen des groupes du Nasdaq, vingt ans. Dernière introduction en Bourse d'une entreprise technologique française de plus d'un milliard d'euros à Paris, DASSAULT SYSTEMES en 1996.

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, super histoire.

CEDRIC O
C'est une super boîte, DASSSAULT SYSTEMES. Mais depuis, on n'a pas réussi à faire émerger ces géants technologiques et si on veut être présent dans l'IA, si on veut être présent dans l'ordinateur quantique on doit faire émerger des champions européens.

HEDWIGE CHEVRILLON
Et la semaine prochaine donc, là aussi après un peu en avant-première, le lancement d'un Next 40.

CEDRIC O
La semaine prochaine, tout l'esprit est autour du fait qu'on doit faire grossir ces entreprises. Aujourd'hui on a de belles entreprises, on doit en faire des ETI et demain des champions. Il y a deux sujets. Le financement, parce que les investisseurs institutionnels français n'investissent pas assez dans ce secteur-là, parce qu'il n'y a pas de marché des capitaux français qui permet de vous introduire en Bourse et de faire, comme on dit, des exit et la formation. Et la semaine prochaine, on met l'accent sur le financement et on met l'accent sur la volonté de faire grossir ces entreprises. C'est un certain nombre d'annonces spécifiquement sur le financement et c'est la création effectivement du Next 40. L'annonce du Next 40. En fait on a, avec Céline LAZHORTES qui est présidente d'un jury, choisi un certain nombre de critères sur les levées de fonds, sur le rythme de croissance, sur le chiffre d'affaires et on a sélectionné les quarante entreprises qui étaient les plus performantes, les quarante start-up qui étaient les plus performantes. Et donc on veut, un, les mettre en valeur pour montrer leur importance ; et puis, deux, leur apporter un certain nombre d'aides pour les aider à aller plus vite, que ce soit sur l'international, que ce soit dans la relation avec l'administration etc. Tout ça en fait, c'est un message d'ambition qu'on essaie de porter parce que, un, on pense que c'est important pour nos emplois et on pense que c'est important pour notre souveraineté technologique.

HEDWIGE CHEVRILLON
On voit bien qu'il y a des levées de fonds très importantes, vous vous avez dit un peu l'ampleur de ces levées de fonds, est-ce qu'il faut créer des grands fonds avec ce soutien des banques, de la BPI ? Est-ce qu'il faut une offensive peut-être plus forte en l'occurrence et mettre quelques milliards sur la table pour ce skale up ? Parce qu'ils vous disent tous ici - vous savez, on en reçoit beaucoup sur BFM Business – « on a du mal à trouver des fonds, on les trouve ailleurs. »

CEDRIC O
Alors, c'est sûr, en fait aujourd'hui le plus gros problème c'est les très gros tickets donc les très gros fonds. On n'en a pas beaucoup. Aujourd'hui il doit y avoir un fonds voire deux sur la place de Paris qui est capable de faire des tickets de plus de cent millions d'euros. Et puis c'est les introductions en Bourse, il n'y a pas assez de liquidités. Donc il faut qu'on mette tout notre effort sur les très gros fonds et sur l'animation de l'introduction en Bourse. J'ai vu qu'il y avait une idée intéressante dans le débat européen qui était la création d'une espèce de vision fund à la française doté de cent milliards d'euros pour faire des très gros tickets. Moi je trouve que ce sont… On peut travailler sur ce genre de proposition.

HEDWIGE CHEVRILLON
D'accord. Il faut s'attendre peut-être à ça en tous les cas la semaine prochaine. Un dernier point. Bientôt les élections municipales. Sur les fake news, on sait que vous avez demandé qu'il y ait un conseil des journalistes qui soit créé. On vous a bashé un peu en disant que c'était une mauvaise idée donc exit ça. Mais en revanche sur les fake news, comment faire pour qu'elles ne reviennent pas à l'occasion des élections municipales ?

CEDRIC O
C'est toujours très compliqué les fake news parce que si je reviens au sujet que vous aviez évoqué, qui détermine que c'est une fake news ou pas ? Je pense que les élections municipales sont assez peu propices à la propagation des fake news. Parce que ce qui est intéressant pour une fake news, c'est qu'elle ait une capacité de développement très rapide sur des sujets nationaux. Je suis assez peu inquiet pour les élections municipales. Il faudra qu'on se prépare suffisamment pour les élections nationales, mais ça c'est une autre histoire.

HEDWIGE CHEVRILLON
Vous reviendrez nous voir.

CEDRIC O
Avec plaisir.

HEDWIGE CHEVRILLON
Merci beaucoup Cédric O, secrétaire d'Etat en charge du Numérique, était l'invité de BFM Business.

CEDRIC O
Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 septembre 2019