Extraits d'un entretien de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, avec Le Figaro le 5 mars 2019, sur la construction européenne.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Q - J'ai le plaisir d'accueillir aujourd'hui Nathalie Loiseau.

R - Bonjour.

Q - Bonjour. Merci beaucoup d'être avec nous. Vous êtes ministre en charge des affaires européennes. On va beaucoup parler des élections européennes, revenir sur la Tribune du président de la République qui a été publiée hier soir. Alors, Emmanuel Macron veut faire renaître le continent, rien que ça, c'est un grand projet. Dites-nous, cela veut dire quoi ? Est-ce que cela veut dire que, avec Emmanuel Macron, c'est lui ou le chaos en Europe ?

R - Emmanuel Macron part d'un constat lucide, c'est que l'Europe va mal. D'abord parce que les Britanniques quittent l'Union européenne, c'est la preuve d'un échec de l'Europe, si les Britanniques s'en vont. Et puis parce que partout on voit des forces nationalistes qui n'ont comme projet que de déconstruire l'Union européenne.

Donc, l'Europe va mal, cela fait bientôt deux ans qu'Emmanuel Macron a été élu sur une ambition européenne forte. Nous avons réussi à agir dans un certain nombre de domaines mais il y a aussi des blocages, il faut les surmonter parce qu'en réalité on n'a jamais eu autant besoin d'Europe qu'aujourd'hui.

Q - Est-ce que c'est le rôle d'un président de la République de lancer une campagne, de publier comme ça des propositions, un véritable programme en fait pour l'Europe, surtout qu'il l'avait déjà fait, on se souvient du discours de la Sorbonne, d'une cinquantaine de propositions ? Un certain nombre n'ont pas encore abouti.

R - Sur le discours de la Sorbonne, il y a une cinquantaine de propositions en effet, c'était une ambition européenne qui était dressée. Plus de la moitié ont commencé à être mises en oeuvre, alors que l'objectif en termes de temps c'est 2024, c'est la fin de la prochaine Commission et du prochain Parlement. Plus de la moitié déjà mis en oeuvre en 2019, vous reconnaîtrez que ce n'est pas mal. Mais vous avez raison, il y a des choses qui sont trop lentes, qui ne correspondent pas aux attentes, qui ne sont pas à la hauteur des défis de l'Europe. Et c'est précisément le rôle d'Emmanuel Macron d'exercer son leadership européen, de l'assumer. Il est attendu. Sa parole et ses actions, plus encore que sa parole, sont attendues partout en Europe. On le voit depuis ce matin : il y a des réactions partout dans l'Union européenne, en général très positives, sur la Tribune et surtout sur les actions qu'elle propose.

Q - Justement, parmi les propositions, on peut citer l'Agence européenne de protection des démocraties, la création d'un bouclier social. Est-ce que ce n'est pas justement ce genre d'idées qui a un petit peu tué l'Europe, parce qu'il y a eu beaucoup de grandes idées, de beaux projets qui n'ont pas réussi à aboutir ?

R - Là, ce sont des propositions très concrètes.

Une agence c'est fait pour agir, et pour agir pour protéger nos pays à un moment où nous savons que les ingérences extérieures existent, où nous savons que la désinformation, que les cyberattaques ce sont des réalités, pas du tout des fantasmes. Et toute l'Union européenne est préoccupée. Ce que nous proposons, ce sont des experts qui viennent d'un pays à l'autre aider un pays quand il fait face à ce type d'attaques venant de l'extérieur.

Sur le bouclier social, jusqu'à présent, beaucoup de ceux qui ont été aux manettes dans l'Union européenne, beaucoup de ceux qui aujourd'hui font campagne en ayant des propositions, se sont contentés de dire : il n'y aura pas d'Europe sociale. Nous, nous avons refusé cette fatalité : depuis deux ans, les travailleurs détachés, nous les avons réformés. Aujourd'hui, ce que nous proposons c'est très concret : c'est un salaire minimum dans l'Union européenne.

Q - C'est une vieille idée, c'est compliqué à mettre en oeuvre.

R - Cela n'est pas que parce que c'est compliqué que cela n'est pas plus nécessaire que jamais, en particulier à un moment où vous avez le plein emploi à l'Est de l'Europe. Il ne peut pas y avoir de dumping social, il ne peut pas y avoir des Européens de l'Est qui sont condamnés à être des travailleurs de deuxième classe. Il y a une vraie attente. À travers le grand débat, comme avant à travers les consultations citoyennes sur l'Europe, tout le monde attend cela, ce salaire minimum qui évite que l'on se fasse concurrence, à l'intérieur de l'Union européenne.

Q - Nathalie Loiseau, quelle est la prochaine étape ? Une tribune, et, après, quoi ? Vous dites qu'il y a eu beaucoup de réactions que ce soit en France mais aussi parmi les Etats membres. Est-ce que vous espérez que cela fasse bouger les lignes en Europe ?

R - Ce qu'il y a de très nouveau, de très particulier dans cette tribune, c'est qu'Emmanuel Macron s'adresse directement aux citoyens européens. Son travail de chef de l'Etat et le mien de ministre des affaires européennes, c'est de travailler avec nos homologues, tous les jours, dans le cadre des institutions comme elles existent. Le Conseil, c'est là où les chefs d'Etat et les ministres travaillent. On voit bien que cela ne va pas assez vite, on voit bien qu'il y a aujourd'hui deux types d'Européens : ceux qui se contentent du statu quo, qui ont l'impression que finalement préserver l'Europe telle qu'elle est, ce serait suffisant, alors que l'on voit la colère des peuples, et puis ceux qui vendent le simplisme d'une réponse de repli national qui est le contraire de ce dont on a besoin.

C'est le moment de s'adresser aux citoyens européens, de leur dire : il y a des vrais défis. Les questions que vous vous posez, c'est : est-ce que l'Europe est capable d'être à la hauteur ? Et nous, nous répondons : l'Europe doit être à la hauteur des attentes des Européens et des besoins du quotidien des citoyens.

Q - Pourtant, il va y avoir quand même quelques résistances. Si on lit bien ce texte, on se rend compte quand même que le président a lissé son discours, son fameux clivage entre progressistes et nationalistes. Il n'évoque plus par exemple la "lèpre populiste". Pourquoi ? Est-ce que c'était une erreur de construire son discours à travers ce logiciel très binaire ?

R - Si vous lisez bien la tribune, il parle de ceux qui n'ont que du rejet et pas de projet, il met en garde contre le repli nationaliste qui n'apporte rien. Emmanuel Macron a vu avant les autres ce qui était en train de se passer. Et il accepte de regarder cette réalité difficile en face. Là où, par exemple, les Républicains en France refusent de s'exprimer sur le parti de Viktor Orban en Hongrie et refusent de demander son exclusion du Parti populaire européen, c'est une vraie démission par rapport à ce qui est une menace réelle sur nos valeurs. Là-dessus, Emmanuel Macron n'a pas changé de logiciel.

Q - Mais il a changé les mots.

R - Je ne suis pas sûr qu'il ait changé les mots. Mais notre projet, cela n'est pas de diviser. Ce sont les populistes, ce sont les nationalises qui sont toujours dans la haine de l'autre. Nous, nous voulons rassembler les peuples, parce que jamais l'Europe n'a eu autant à répondre à la fois à des défis mais aussi à des opportunités. L'Europe, cela peut être par exemple, demain, le lieu dans le monde qui relève le défi du changement climatique. La proposition qui est faite, c'est-à-dire la neutralité carbone en 2050, c'est-à-dire diminuer, diviser par deux les pesticides d'ici 2025, c'est être à la hauteur.

Q - La Banque européenne du climat...

R - Et un outil, qui est la Banque européenne du climat. Qu'est-ce que c'est que cet outil ? Est-ce que c'est de la technostructure de plus ?

Q - C'est pour financer la transition écologique ?

R - Souvenez-vous 1989. Le Mur de Berlin s'effondre, le rideau de fer tombe, l'Europe de l'Ouest prend conscience qu'elle doit arrimer l'Europe de l'Est. Elle invente la BERD, et c'est un succès formidable. Aujourd'hui, l'Est et l'Ouest de l'Europe sont ensemble.

Le défi que nous avons au XXIe siècle, c'est de répondre au changement climatique, de l'atténuer et de s'adapter. À la hauteur de ce défi, il faut là-aussi, une banque. Ce n'est plus la BERD dont nous avons besoin, c'est une banque du climat.

Q - Il faut aussi des alliés. Est-ce que vous pouvez nous dire aujourd'hui, Madame la Ministre, qui sont les alliés d'Emmanuel Macron au niveau européen ? Qui sera sur la photo avec Emmanuel Macron pour dire ensemble "on va refonder l'Europe" ?

R - D'abord, au niveau du Conseil, au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, Emmanuel Macron travaille tous les jours avec tous les pays européens. C'est ce que, malheureusement, son prédécesseur n'avait pas fait, en quelque sorte il avait snobé une grande partie de l'Europe. Ce que nous avons fait aujourd'hui, on l'a revu encore la semaine dernière : Emmanuel Macron a reçu Angela Merkel, il lui a donné la primeur de son initiative, elle en est pleinement informée, parce que sans un moteur franco-allemand, l'Europe n'avance pas.

Q - Elle n'a pas encore réagi ?

R - Pas encore. Mais elle connaît parfaitement tout ce qui est dans cette initiative et je suis convaincue qu'il y a énormément de sujets qu'elle partage.

Le Nord de l'Europe, les pays scandinaves, les Pays-Bas, sont des pays qui, très longtemps, se sont un petit peu cachés derrière le Royaume-Uni qui était le porte-voix d'une Europe sans ambition. Aujourd'hui que le Royaume-Uni s'en va, vous entendez un pays comme la Suède, qui a fondé son gouvernement sur une vision qui est très proche de la nôtre avec du centre gauche et du centre droit contre les extrêmes et avec une envie de voir l'Europe prendre à bras-le-corps les enjeux du moment.

Et ces enjeux, ce sont aussi les enjeux migratoires. Là-aussi, il y a des paroles très fortes d'Emmanuel Macron, quand il dit que l'Europe doit défendre à la fois ses valeurs et ses frontières. C'est une vision forte que nous avons commencé à mettre en oeuvre. C'est autre chose que les incantations de nos adversaires.

Q - La campagne est véritablement lancée avec cette tribune. Maintenant, il va falloir désigner quelqu'un pour mener cette liste La République en Marche et de ses partenaires. Votre nom revient avec beaucoup d'insistance pour mener cette liste. Est-ce que vous en avez parlé avec Emmanuel Macron ? Et est-ce que vous avez eu un rendez-vous sur ce sujet ?

R - Je ne suis pas candidate et je n'en ai pas parlé avec Emmanuel Macron. Que mon nom revienne, je ne vous cache pas que cela me fait plaisir, mais j'ai l'impression que pour une fois l'imagination n'est pas au pouvoir. Si l'on cherche quelqu'un qui s'intéresse à l'Europe et qui connaisse les affaires européennes, c'est assez normal que la ministre des affaires européennes connaisse ce dont elle s'occupe. Mais je suis convaincue que ce qu'il faut c'est une tête de liste avec des convictions européennes, avec une incarnation, avec un projet, et cela fera toute la différence avec nos adversaires qui ont quand même envoyé à peu près jamais le chef du parti et à peu près tout le temps des gens qui n'ont aucun passé européen.

Q - Justement, Daniel Cohn-Bendit qui était un eurodéputé écologiste que vous connaissez bien, fait un petit peu votre éloge dans Le Figaro ce matin. Il dit que vous êtes une personnalité expérimentée et il vous verrait bien mener ce combat-là.

R - J'ai connu Dany Cohn-Bendit dire qu'il fallait que l'imagination soit au pouvoir, là j'ai l'impression que c'est un petit manque d'imagination. Effectivement, celle qui parle d'Europe parce que je le vis et j'agis tous les jours, c'est moi, mais je suis convaincue qu'il y a bien d'autres convictions européennes qui peuvent porter la liste.

Q - Agnès Buzyn, par exemple, votre collègue ministre de la santé ?

R - J'ai à la fois énormément d'amitié et d'estime pour Agnès Buzyn.

Q - L'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a annoncé dans nos colonnes hier qu'il ralliait la République en marche pour les Européennes. Vous êtes, Nathalie Loiseau, juppéiste. Comment réagissez-vous à ce soutien ? Et qu'est-ce que cela change pour vous ?

R - C'est important parce que c'est un signal fort. Alain Juppé a dit lui-même qu'il n'y avait pas une feuille de papier à cigarette entre sa vision de l'Europe et celle d'Emmanuel Macron. Aujourd'hui, il se plie au devoir de réserve de celui qui va siéger au Conseil constitutionnel et c'est tout à son honneur. Mais on sait sa proximité avec Jean-Pierre Raffarin.

On voit bien qu'une partie de la droite est très mal à l'aise avec la manière dont les Républicains aujourd'hui d'une part oublient qu'ils sont aux manettes au Parlement européen, à la tête de la Commission européenne, c'est le PPE qui dirige l'Europe depuis des années. Donc, lorsque l'on entend dire par exemple qu'il faudrait réviser le droit de la concurrence dans l'Union européenne, que ne l'ont-ils fait ? Et puis, on voit bien Jean-Pierre Raffarin considérer que la Droite se racornit, se rétrécit sur une Droite identitaire très à droite où, quelque part, les électeurs ne voient plus bien la différence avec ce que dit le Rassemblement national. Je vais vous dire une anecdote : ce matin j'écoutais la radio, j'entendais quelqu'un qui parlait de terrorisme islamiste, qui parlait de migrants en faisant un amalgame étrange, je me demandais quelle voix féminine pouvait parler depuis le Rassemblement national qui ne serait pas Marine Le Pen, et j'ai entendu à la fin de l'interview que c'était Nadine Morano, députée européenne des LR, cela dit tout.

Q - Pour vous, cela contribue encore une fois à fracturer davantage la Droite française ?

R - Ce que je constate, c'est qu'il y a des grandes figures de la Droite, des grands Européens, des gens qui ont été aux responsabilités et qui, aujourd'hui, face à l'urgence, face à l'inquiétude aussi sur l'évolution de l'Europe, rallient Emmanuel Macron et je m'en réjouis.

(...)

Questions des internautes.

Q - Est-ce vraiment le rôle d'un président de la République de faire campagne pour les élections ?

R - Le rôle d'un président de la République, c'est de s'impliquer. Emmanuel Macron a été élu notamment parce qu'il a un projet européen fort, il a un leadership incontesté à travers l'Union européenne et il s'intéresse aux élections européennes beaucoup plus que les chefs des autres partis, ça c'est clair.

Q - Quelle est votre position sur les événements qui se passent en ce moment en Algérie ?

R - L'Algérie est un pays avec lequel nous avons une histoire ancienne, forte, étroite et parfois troublée. Cela veut dire que vis-à-vis de l'Algérie on ne peut avoir ni ingérence, ni indifférence. Ni ingérence, parce que c'est aux Algériens de choisir leur destin. Et pas d'indifférence parce qu'il y a notamment des centaines de milliers d'Algériens en France qui regardent ce qui se passe. Il faut naturellement entendre les aspirations du peuple algérien.

Q - Une question d'un internaute qui juge que vous réduisez le débat européen à l'opposition entre mondialistes et populistes. Est-ce que vraiment le débat se réduit à cela ?

R - Je n'ai pas le sentiment d'être une mondialiste. Ce que je constate c'est qu'il y a aujourd'hui des nationalistes qui disent "on arrive" alors même qu'ils sont au Parlement européen depuis des années, et qui disent qu'ils veulent faire une "internationale des nationalistes", ce qui est une contradiction en soi puisque chacun plaide le repli sur soi et l'absence de collaboration avec les autres. Nous, nous ne sommes pas des mondialistes, nous disons qu'aujourd'hui il y a des enjeux qui sont du niveau du continent, que ce soit l'enjeu climatique, que ce soit l'enjeu migratoire, que ce soit la réponse aux géants du numérique. Cela n'est pas un pays européen seul, fut-il fort, qui peut répondre aux grandes plateformes ; on a besoin de solutions européennes. Nous ne sommes ni des fédéralises ni des "eurobéats". Nous sommes là pour que l'Europe puisse appuyer et renforcer notre souveraineté et notre indépendance. (…)


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2019