Extraits d'un entretien de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, à Europe 1 le 5 mars 2019, sur la construction européenne et sur le Brexit.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Bonsoir, Nathalie Loiseau.

R - Bonsoir.

Q - Par où commencer, à travers de cette Tribune d'Emmanuel Macron, le projet, votre projet pour l'Europe, finalement, s'il séduit nos voisins européens ? 28 pays ont reçu cette lettre d'Emmanuel Macron, je vous voyais acquiescer pendant l'intervention de notre auditeur.

R - Il avait raison sur beaucoup de choses, sur le besoin de convergence fiscale et de convergence sociale, complètement, et c'est exactement ce que nous portons. On ne peut pas se faire concurrence à l'intérieur de l'Union européenne aujourd'hui, alors que la concurrence est mondiale. Il parlait de la bureaucratie européenne, il a en partie raison ; parfois c'est une bureaucratie nationale qui se surajoute. Il a fallu que l'on fasse le ménage dans nos propres "paperasseries". Il y a plutôt moins de fonctionnaires à la commission européenne qu'à la mairie de Paris, mais parfois, certains secteurs ont eu l'impression que l'on réglementait beaucoup. Mais il y a des injonctions contradictoires, nous sommes malgré tout bien contents que la qualité l'eau de baignade soit garantie dans l'Union européenne, que la qualité de ce que l'on mange soit garantie mieux qu'ailleurs.

Q - Emmanuel Macron propose justement un gendarme européen pour nos assiettes, c'est encore plus d'administration européenne, ça ?

R - Non, ce sont des gens qui viennent sur le terrain pour éviter ce qui vient de se passer. Souvenez-vous du scandale de la viande polonaise. Ce scandale, on l'a appris grâce à un journaliste polonais travaillant dans un journal indépendant qui a écrit un article. On ne l'a malheureusement pas su grâce au gouvernement polonais qui n'a pas dit à la commission européenne qu'il y avait un problème.

Ensuite en France, très vite on a pu tracer la viande en question, l'identifier et la retrouver, il n'y a pas eu de problème. Mais ce qu'il faut, c'est que l'on puisse envoyer des experts des Etats membres se rendre compte sur le terrain s'il y a un problème.

Nous sommes aujourd'hui l'espace le plus sûr et le plus sain au monde en termes d'alimentation, mais ce que l'on sait, c'est que nos compatriotes veulent que nous le restions et que nous luttions encore plus efficacement contre les fraudes. Les agences sont là pour agir, ce n'est pas pour faire de la bureaucratie avec des personnes assises dans leurs bureaux.

Q - Un "buy european act", une préférence européenne ; c'est fait. Après la Chine, après la Russie, après les Etats-Unis, nous entrons dans l'ère du protectionnisme européen ?

R - Non, ce n'est pas le protectionnisme, c'est la fin de la naïveté.

Q - Mais c'est du protectionnisme, d'acheter en priorité européen!

R - Non, il n'y a que nous pour considérer cela.

Q - On peut le souhaiter, mais c'est du protectionnisme.

R - L'Europe de la défense, cela consiste à être mieux armés, mieux organisés, à mieux travailler entre les armées européennes. Mais si c'est pour acheter des armes ailleurs que dans l'Union européenne, c'est un peu absurde de dépenser l'argent du contribuable pour servir des marchands d'armes qui ne sont pas européens. De plus, comment se fait-il que l'on n'utilise pas systématiquement des lanceurs européens - Ariane ou Vega - pour les satellites européens ? C'est quand même absurde ! Avez-vous déjà vu des Américains utiliser autre chose que les lanceurs américains ? Non, donc on se fait mal tout seul et il faut qu'on y mette fin.

Q - Mais c'est l'air du temps, nous sommes au XXIe siècle et ce siècle démarre sur le ton du protectionnisme.

R - Non, ce n'est pas du protectionnisme, mais nous avons eu une politique de la concurrence exclusivement tournée vers le consommateur. Cette politique a permis d'infliger des amendes à Google, à Amazone, à Apple pour de vraies raisons, et nous n'aurions pas pu le faire au niveau national de la même manière et avec la même efficacité qu'au niveau européen, quand on parle de 13 milliards d'euros, je peux vous assurer qu'un GAFA écoute. Mais à force de ne penser qu'aux consommateurs, nous n'aidons pas à la construction de champions européens. Je ne suis pas sûre qu'aujourd'hui, avec les règles que nous avons, nous parviendrions à faire Airbus. Cela est absurde et il faut que cela change.

Q - Il faut donc acheter européen.

R - Il faut acheter européen et en tout cas, il faut construire des champions européens, il ne faut pas être dépendants, pour des secteurs stratégiques, de partenaires qui sont en dehors de l'Union européenne. Nous avons réussi à faire acter par l'Union européenne la surveillance des investissements étrangers dans nos secteurs stratégiques.

Q - Quelle est la différence entre la préférence européenne d'Emmanuel Macron et la préférence nationale de Marine Le Pen ?

R - Cela n'a juste rien à voir ! L'Union européenne est un marché de 500 millions de consommateurs ; on est bien heureux que nos entreprises en bénéficient, que ce soit dans l'industrie, dans les services ou même dans l'agriculture. Si chacun se repliait derrière ses frontières nationales, il faudrait expliquer à nos producteurs de champagne, à nos pêcheurs, à l'ensemble de nos agriculteurs, à nos banques, qu'ils ne peuvent plus travailler ailleurs que dans l'Union européenne. Nous mettrions beaucoup de gens au chômage. C'est absurde.

Q - C'est la même logique à une autre échelle.

R - En revanche, à partir du moment où les personnes, les biens, les services et les capitaux circulent partout dans l'Union européenne, il faut que l'on ait la force de se positionner sur le marché mondial, pas pour se refermer parce que le protectionnisme ne fait que des perdants, mais pour ne pas s'affaiblir. Pour le moment, on s'est affaibli.

Q - Une harmonisation sociale aussi, vous l'avez notamment évoquée, après le témoignage de notre auditeur ; un salaire minimum dans tous les pays de l'Union européenne, comment serait-il calculé ?

R - Un salaire minimum dans tous les pays de l'Union européenne, c'est indispensable. On le calculerait par pays, mais en se mettant d'accord collectivement. Pour le moment, il n'y a que 22 pays de l'union européenne qui ont un salaire minimum, d'autres n'en ont pas et cela pose une vraie difficulté. Il y a également des différences de salaire et de protection sociale qui aujourd'hui amènent à de la concurrence déloyale.

On a réussi à traiter le sujet sur les travailleurs détachés, souvenez-vous, pendant la campagne présidentielle, on en parlait beaucoup. Lorsque je suis arrivée au gouvernement, Emmanuel Macron m'a demandé de m'en occuper avec Muriel Pénicaud. Tout le monde nous disait que c'était impossible et que l'on ne pouvait pas y toucher. Nous n'avons pas cru que c'était impossible et nous y sommes arrivées, mais il faut aller plus loin.

Aujourd'hui, il n'y a aucune raison que les travailleurs de l'Est de l'Europe soient des travailleurs de deuxième classe de l'Union européenne, et qu'ils soient condamnés à un manque de protection sociale, d'autant moins qu'aujourd'hui, il y a le plein emploi à l'Est de l'Europe, qu'il y a une envie d'augmentation des salaires et une envie de protection sociale. Il faut que l'on travaille à tout cela, ensemble.

Q - Il faut que l'on travaille mais on ne sait pas encore comment on calculera ce salaire minimum selon les pays ?

R - Si, il faut qu'il soit établi en fonction du salaire médian, nous avons plein d'idées. Je ne veux pas détailler ici, car c'est technique et cela peut être ennuyeux. Mais c'est parfaitement faisable et surtout, c'est éminemment souhaitable. Je dirais même que l'heure est venue, à un moment où le plein emploi est là, à l'Est de l'Europe. Moi qui circule beaucoup dans ces pays-là, je peux vous dire qu'il y a des attentes sociales.

En France, pendant les consultations sur l'Europe l'année dernière, ou pendant le Grand débat auquel je participe plusieurs fois par semaine, c'est quelque chose que j'ai régulièrement entendu, cette attente de la mise en place d'un salaire minimum européen. Nous avons des valeurs, l'Union européenne a été fondée sur un modèle d'économie sociale de marché, il faudrait arrêter d'oublier le social.

Q - On touche aussi à l'un des piliers de l'Union européenne, la remise à plat de l'espace Schengen, souhaitée par Emmanuel Macron.

R - L'espace Schengen a consisté, pour ceux qui l'ont défendu, à abattre les frontières intérieures ; c'est bien, mais nous n'avons pas suffisamment renforcé les frontières extérieures. C'était une erreur. Aujourd'hui, quand on veut être dans l'espace Schengen, il faut contrôler mieux sa frontière extérieure que certains ne le font, et accepter que la libre circulation des personnes, ce soit aussi la libre circulation des demandeurs d'asiles par exemple. Il ne peut pas y avoir de solidarité à sens unique. Donc remettre à plat Schengen, c'est indispensable.

Q - Avec un cahier des charges développé par Emmanuel Macron dans sa Tribune finalement concernant cette remise à plat de Schengen. Sur cette question précisément, mais sur toutes ces questions que nous évoquons, cela veut-il dire que l'Europe doit continuer, aller plus loin, quitte à être moins nombreux ?

R - Ce que nous voulons, c'est avancer tous ensemble, à chaque fois que c'est possible, mais ça ne l'est pas toujours. Parfois certains pays ne le souhaitent pas, ou ils ne peuvent pas tout simplement parce qu'ils ne sont pas prêts. Faut-il les forcer quand ils ne veulent pas, ou faut-il les faire entrer de force dans des coopérations plus intégrées, quand ils ne sont pas prêts ? Sûrement pas.

Q - Nous aurons alors une Europe à plusieurs vitesses si le reste de l'Union européenne suit Emmanuel Macron.

R - Mais nous l'avons déjà. Tout le monde n'est pas dans Schengen, tout le monde n'est pas dans la zone euro, la coopération en matière de défense ou le parquet européen, tout le monde n'est pas dedans. Ceux qui y sont en sont heureux, ceux qui n'ont pas rejoint peuvent y réfléchir. Il ne faut exclure personne a priori mais ne forcer personne non plus.

Q - Êtes-vous fédéraliste Nathalie Loiseau ?

R - non je ne suis pas fédéraliste, je suis pour une Europe des résultats et des solutions. Je suis pour que nos concitoyens sentent que l'Europe est à la hauteur de leurs attentes, quelle que soit la forme que cela prend.

Q - Il y a plusieurs des propositions d'Emmanuel Macron - peut-être est-il fédéraliste - qui déplacent le niveau de souveraineté, qui l'élèvent d'un étage.

R - Nous n'avons jamais souhaité remplacer la souveraineté nationale par la souveraineté européenne, mais à force de parler de souveraineté nationale exclusivement, certains sont prêts à perdre l'indépendance nationale. On le voit aujourd'hui, quand on traite avec les GAFA, c'est à 28 que nous sommes efficaces. Quand on est face à des ingérences extérieures, à des cyber-attaques, croyez-vous que seul, un pays peut s'en sortir ? C'est en partageant les bonnes pratiques et ce n'est pas fédéraliste. Lorsque je vous parle de partager les bonnes pratiques en matière de cyber-sécurité, je n'ai pas envie que l'on remplace l'agence française qui s'occupe de sécurité informatique par une agence européenne qui ferait le même travail, et peut-être moins bien. J'ai envie que l'on travaille tous ensemble et qu'on y arrive.

Ce soir, au moment où je vous parle, je ne suis pas à l'inauguration d'un collège européen du renseignement. On n'a pas monté un FBI à la française ou plutôt à l'européenne, simplement nous faisons travailler ensemble les services de renseignement, parce que le terrorisme ne connaît pas les frontières et que nous voulons être plus efficaces. Ce n'est pas de l'idéologie, nous ne sommes pas euro béats, mais nous voulons que nos concitoyens sentent que l'Europe est à la hauteur de leurs interrogations et de leurs attentes.

(...)

Q - Le Brexit approche, a-t-on voulu faire payer aux Anglais leur choix ?

R - Evidemment non. Cela fait deux ans que la moitié de mon temps est consacrée à respecter le choix des Britanniques et à le mettre en oeuvre de la manière la plus ordonnée possible, pour faire en sorte que l'on puisse se séparer en douceur. C'est la raison pour laquelle il y a aujourd'hui un accord de retrait qui a été négocié et accepté par le gouvernement britannique qui, pour le moment, est refusé par la Chambre des communes, mais qui nous donne du temps et les moyens de permettre que le Brexit ne soit pas une catastrophe. Maintenant, c'est aux Britanniques de choisir ; la séparation en douceur, nous savons comment la faire car nous avons regardé tous les scénarios et Michel Barnier a fait un travail magnifique. S'ils préfèrent une séparation brutale, c'est leur choix, c'est dommage, mais on s'y est préparé aussi, car je ne peux pas me retourner vers mes concitoyens et leur dire que je n'avais rien prévu et que nous n'étions pas prêts.

Q - Merci, Nathalie Loiseau.

R – Merci.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2019