Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, à Europe 1 le 13 septembre 2019, sur la réforme des retraites et le budget pour 2020.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour Gérald DARMANIN.

GÉRALD DARMANIN
Bonjour.

SONIA MABROUK
Première mobilisation et coup de semonce aujourd'hui contre la réforme des retraites avec cette grève de la RATP. Est-ce que vous redoutez que ce mouvement s'étende ?

GERALD DARMANIN
Non, et par ailleurs les propos du Premier ministre sur la méthode de la concertation, je crois, devraient rassurer les Français. Mais pourquoi surtout on fait cette réforme des retraites ? C'est ce qu'il y a de plus important. Aujourd'hui, la réforme des retraites elle est indispensable, à chaque élection présidentielle, depuis que je fais de la politique, que je suis en âge d'écouter la télévision, on dit : il faudra faire de réforme des retraites. Et les Français en ont marre qu'on repousse à chaque fois l'horizon. Et les jeunes, pardon de le dire comme ça, de ma génération, considèrent sans doute qu'ils n'auront pas de retraite comme les parents ou les grands-parents les ont eues, parce que la démographie change, parce que la vie économique change. Donc, ce que propose le président de la République c'est un système nouveau, universel, qui de gomme toutes les difficultés et toutes les disparités entre les citoyens, parce que les Français sont très attachés à l'égalité.

SONIA MABROUK
Pardonnez-moi, vous avez dit que vous ne craignez pas que le mouvement ne s'étende, c'est un excès de confiance ou vous pensez que les Français ne vont pas soutenir les agents de la RATP, parce que c'est un régime très spécial ?

GERALD DARMANIN
Moi je fais le pari de la concertation. Jean-Paul DELEVOYE a beaucoup travaillé depuis désormais plus d'un an et demi, j'ai été témoin, j'ai assisté à beaucoup de…

SONIA MABROUK
Pour le moment, vous n'avez pas beaucoup retenu ses pistes, à Jean-Paul DELEVOYE.

GERALD DARMANIN
Bien sûr que si, puisque non seulement il a présenté un rapport, qu'il a signé, mais en plus il est rentré au gouvernement, et on connaît tous à la fois le caractère et la personnalité de Jean-Paul, et le fait qu'il rentre au gouvernement est une bonne chose pour la concertation, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de différence entre ce qu'il a dit avec les partenaires sociaux et-ce qu'on va faire au gouvernement. Et puis deuxièmement, le projet de loi n'est pas déposé aujourd'hui, alors ce qui est un peu étonnant dans la grève de ce matin, c'est que le projet de loi n'est même pas présenté, on n'a même pas encore commencé à discuter, qu'une partie seulement disent non. Bon. Et il y a des différences, quand on voit que les agents de la RATP partent en moyenne en retraite à 56 ans, alors qu'un fonctionnaire civil, je ne parle même pas des gens du privé, partent en moyenne en retraite à 61 ans, eh bien les Français ont le droit de se dire : mais pourquoi il y a un tel régime spécial ? Quand on voit que la pension moyenne des agents de la RATP c'est 3 700 €, alors que pour un fonctionnaire civil c'est 2 100, 2 200 €. Eh bien il y a des différences, et ça je pense qu'il faut qu'on les mette sur la table et qu'on discute pour l'égalité entre les personnes.

SONIA MABROUK
En tout cas, c'est un Premier ministre extrêmement prudent, qui a fixé hier, vous l'avez dit, la méthode et le calendrier de cette réforme. Qu'y a-t-il derrière cet excès de prudence, Gérald DARMANIN ? La peur de réactiver la crise des Gilets jaunes ? On peut le comprendre, parce que les plaies ne sont pas refermées.

GERALD DARMANIN
Je ne pense pas que ce soit ça, même si évidemment le gouvernement a écouté et a regardé les yeux grand ouverts la crise des Gilets jaunes par le Grand débat où le président de la République a mis beaucoup de sa personnalité. Je pense que la réforme des retraites, en tant que telle, est une réforme extrêmement importante, et par ailleurs extrêmement difficile. Elle est importante parce qu'elle touche tous les citoyens, d'ailleurs il se permet de dire à votre micro que tous ceux qui sont en retraite aujourd'hui ou tous ceux qui sont nés avant 1963, ne sont pas concernés, mais elle est très importante aussi pour nos concitoyens, parce que c'est 320 milliards d'euros, c'est 25 % de notre de dépense, à nous, Etat si j'ose dire, Etat Sécurité sociale, et par ailleurs elle touche 42 régimes, plein de professions, et elle est évidemment parfois angoissante.

SONIA MABROUK
Vous avez raison de rappeler, on sait que c'est de la nitroglycérine mais pardonnez-moi, je reviens sur les mots, ce ne sont pas des mots qu'on a beaucoup entendus lors de la première phase du quinquennat : concertation, temps long, autant de mots, on dirait que vous avez peur de cette réforme, en tout cas que vous la maniez avec prudence.

GERALD DARMANIN
Je crois que quand on touche le système des retraites, de manière générale, il vaut mieux être prudent et concerté. Moi-même j'ai dit d'ailleurs il y a…

SONIA MABROUK
Prudence ne veut pas dire recul.

GERALD DARMANIN
Non, je crois que le Premier ministre a montré que, à la fois hier soir à la télévision et dans son discours le matin devant le Conseil économique et social, qu'il y avait à la fois de la détermination et de la souplesse, et je pense que c'est comme ça qu'on dirige un pays, et un pays parfois aussi éruptif, compliqué, politique, que la France.

SONIA MABROUK
Vous dites détermination et souplesse, c'est intéressant, est-ce que vous nous confirmez ce matin que cette réforme, et c'est peut-être le côté souplesse, n'a pas pour objectif de faire des économies, qu'il ne s'agit pas d'une réforme budgétaire ?

GERALD DARMANIN
Ah oui, il ne s'agit pas de réforme budgétaire, puisque le premier principe qui est retenu dans le propos de monsieur DELEVOYE, que j'ai confirmé à plusieurs reprises, c'est que si les retraites nous coûtent globalement 320 milliards d'euros, demain ce sera le même montant qui sera consacré aux retraites. Et le problème n'est pas un problème de réduire son budget demain, ou après-demain, puisque la réforme elle arrive en 2025. J'espère que je ne serai plus ministre des Comptes publics en en 2025, j'espère que je ne le plus pour les Français, et pour moi-même d'ailleurs, parce que c'est bien de savoir... il faut savoir faire autre chose.

SONIA MABROUK
On parlera tout à l'heure de votre parcours, de votre ambition, à venir.

GERALD DARMANIN
Je ne suis pas... Moi je n'ai pas compté des économies dans le budget, si c'est votre question très concrète, ni l'année prochaine, ni l'année d'après, sur les retraites…

SONIA MABROUK
Non mais ça veut dire que vous avez changé en faveur de Laurent BERGER de la CFDT, et que vous dites au patron du MEDEF, qui était à votre place il y a quelques jours : il n'y aura pas d'économies, ce n'est pas une réforme budgétaire, malgré ce que vous avez demandé.

GERALD DARMANIN
Non, mais il y a des économies ailleurs. Mais vous savez, en France…

SONIA MABROUK
Ailleurs, mais pas pour la réforme des retraites.

GERALD DARMANIN
Exactement. Vous savez... eh bien je le dis d'ailleurs au président du MEDEF…

SONIA MABROUK
C'est clair.

GERALD DARMANIN
... vous savez, en France c'est très français, on ne veut pas payer d'impôts, mais on veut que le voisin en paie, et un bon impôt c'est celui que je ne paie pas, et on veut faire des économies, mais pas chez moi, mais chez les autres. Et on a proposé déjà à Monsieur le Président du MEDEF, notamment des économies sur l'assurance chômage, qui est une réforme très importante, dont on parle moins, mais qui pour le coup économise plus de 3 milliards d'euros, ou vous des réformes sur les niches fiscales qui touchent parfois les entreprises. Je constate que là, il ne veut pas faire des économies « dans son giron », mais ça c'est le jeu normal des jeux des acteurs, on ne donne pas raison, plus à l'un, plus à l'autre, on a considéré que ce qu'il fallait surtout c'était sauver le régime de retraite par répartition, qui est un acquis de la Résistance et du gaullisme et des communistes, pardon de le dire comme ça, plutôt que d'essayer de faire des économies de bouts de chandelles sur le régime des retraites.

SONIA MABROUK
Gérald DARMANIN, vous dites « jeu normal », mais l'opposition vous dit : vous assumez le choix de laisser filer les déficits pour 2020, d'ouvrir les vannes.

GERALD DARMANIN
Bon, d'abord, l'opposition, vous pourriez mettre un « s », et elle est parfois incompréhensible.

SONIA MABROUK
Bon, alors, donnez-nous un exemple d'un début de piste d'économies conséquentes pour le projet de loi de finances 2020.

GERALD DARMANIN
Ah mais il y en a plein. D'abord, la présentation du budget c'est de 25 septembre, mais le ministère…

SONIA MABROUK
Oh, vous avez une idée de ce qu'il y a.

GERALD DARMANIN
Le ministère du Logement, le ministère du Travail, la réforme de l'audiovisuel public que présente le ministre de la Culture, dans mon propre ministère j'ai annoncé des économies, les niches fiscales que nous évoquons, les niches sociales que nous évoquons, il y a plein d'économies, ce qui fait d'ailleurs que nous sommes le premier gouvernement, depuis plus de 10 ans, à réduire non seulement le déficit, la dette, et à baisser les impôts. Mais le 25 septembre j'aurais l'occasion de le présenter, avec Bruno LE MAIRE.

SONIA MABROUK
Vous parlez du verre à moitié plein, permettez-moi de citer le verre à moitié vide. Vous avez décidé de recourir à nouveau à l'emprunt pour boucler le budget, dans un contexte où notre dette frôle les 100 % du produit intérieur brut. Et j'ajoute, circonstances aggravantes, ce n'est même pas pour des investissements d'avenir.

GERALD DARMANIN
Ce n'est pas vrai, ce que vous dites n'est pas vrai.

SONIA MABROUK
Un exemple. Prouvez-le nous.

GERALD DARMANIN
Eh bien l'écologie, on va augmenter l'année prochaine de plus de 800 millions d'euros les crédits pour l'écologie, c'est plus de 3 milliards d'euros sur le quinquennat. Et moi je suis à la fois pour celui quine veut pas augmenter la dette, puisque depuis que je suis ministre des Comptes publics nous l'avons stabilisée, c'est la première fois que ça arrive depuis 10 ans, et en même temps les Français ne comprendraient pas qu'on n'investit pas pour leur avenir, avec des taux d'intérêts aussi bas, et aujourd'hui, même si c'est une exception et qu'il ne faut pas s'y habituer, la France dont elle emprunte elle gagne de l'argent. Donc je crois que l'on peut toujours avoir un certain nombre de débats. Vous savez, moi depuis que je suis né, la France est en déficit. Depuis que le président de la République est né, la France est en déficit.

SONIA MABROUK
Mais je crois que même quand vous serez à la retraite, la France sera un déficit, vu comment on est parti.

GERALD DARMANIN
Eh bien je ne crois pas.

SONIA MABROUK
Ah ? Optimiste ce matin.

GERALD DARMANIN
Non, je ne crois pas, parce que lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, nous étions à 3,4 % de déficit, et aujourd'hui on est autour de 2 % dans le prochain budget.

SONIA MABROUK
Gérald DARMANIN, une bonne nouvelle, une bonne nouvelle quand même.

GERALD DARMANIN
Il y en a plusieurs de bonnes nouvelles, quand même.

SONIA MABROUK
Celle-ci je sais qu'elle elle vous fait plaisir, puisque vous vous êtes impliqué dans ce dossier, GOOGLE qui solde ses comptes avec la France, accord entre GOOGLE et le Fisc français. Un milliard d'euros directement dans les caisses, ça fait du bien ce matin.

GERALD DARMANIN
Ça fait du bien aux Français surtout. Il y a le principe…

SONIA MABROUK
Ça fait du bien aux caisses, pardonnez-moi, à la Direction générale.

GERALD DARMANIN
Oui, mais c'est de l'argent qui aurait dû rentrer. On me dit : « c'est une bonne nouvelle », ce n'est pas une bonne nouvelle, c'est l'argent qui aurait dû rentrer. Des sociétés, je suis tenu par le secret fiscal, je ne confirme ni les montants ni parfois le nom des entreprises, mais des sociétés qui sont parfois mises en avant, on dit : madame Michu, quand elle ne paie son impôt, on est méchant avec elle, et quand ce sont des grandes sociétés internationales, elles font des montages très compliqués, et l'argent va ailleurs. Eh bien ce n'est pas vrai. Depuis que le président de la République est président de la République, c'est 2 milliards d'euros qui sont rentré des géants des GAFA qui ont payé leur juste impôt, et on n'a rien lâché, et moi j'ai fait appel aux décisions qu'on a parfois perdues devant le tribunal. On a pris l'année dernière une loi fraude. Sans cette loi fraude, on n'aurait pas pu faire la transaction avec GOOGLE, puisque pour la première fois on a mis la présomption de fraude fiscale comme étant, relevant du parquet national financier. Et la justice et le fisc ont travaillé ensemble. Nous avons augmenté de 85 % les dossiers, tout confondu, de contribuables et singulièrement d'entreprises, qui... dont on pense qu'il y a une faute fiscale, on l'a donné à la justice, on n'a pas réglé entre nous au Fisc. Donc c'est beaucoup d'argent qui rentre, mais c'est le juste argent qui aurait dû déjà rentrer depuis longtemps.

SONIA MABROUK
Pour conclure, Gérald DARMANIN, le candidat aux municipales que vous êtes, et sûrement tête de liste à Tourcoing, va faire campagne avec un boulet à traîner, un sparadrap collé à vos chaussures. Lequel ? Richard FERRAND mis en examen, ce n'est pas évident pour un candidat.

GERALD DARMANIN
Ah mais je ne comprenais pas bien. Bon, d'abord, distinguons Tourcoing, qui est la ville que j'aime, ou j'habite, et je ne sais pas si je serai tête de liste, mais j'aiderai évidemment mon équipe municipale, et avant l'heure ce n'est pas l'heure, comme disait ma grand-mère, donc on verra ça en février. Et pour Richard FERRAND, moi je trouve que c'est un très bon président de l'Assemblée nationale, je trouve que l'obliger à démissionner est assez c'est absurde. Quand vous êtes membre du gouvernement, et que vous êtes mis en examen, vous êtes le collègue de la ministre de la Justice, ça paraît assez logique, même si on pourrait en discuter, que vous quittiez le gouvernement. En l'occurrence moi je suis, j'ai été parlementaire, je suis très sensible à une idée que le Parlement contrôle, y compris l'action du ministère de la Justice, il y a aucune raison de forcer monsieur FERRAND à démissionner.

SONIA MABROUK
Vous avez cité votre grand-mère, permettez-moi de citer la mienne, elle disait : une promesse est une promesse. Vous avez parlé de la probité en politique, c'était une promesse de campagne, pfft, envolée.

GERALD DARMANIN
Mais bien sûr, mais attendez, la mise en examen n'est pas l'inculpation. Viendra le moment demain où la rumeur fera démissionner des gens, d'ailleurs c'est fait, monsieur François de RUGY. Qui pleure aujourd'hui l'honneur de François de RUGY ? Personne. Il n'y a même pas eu d'enquête préliminaire sur lui. Une enquête préliminaire c'est rien.

SONIA MABROUK
Même pas vous, hein, vous pleurez.

GERALD DARMANIN
Pardon ?

SONIA MABROUK
Même pas vous.

GERALD DARMANIN
Mais bien sûr que si, moi je trouve que c'est dégueulasse ce qui est arrivé à François de RUGY, et ça tue des familles, ça tue des... Je pense que les politiques ne doivent pas forcément se plaindre parce que les gens vivent des choses bien plus dures que nous, mais quand même on pourrait considérer que ça devient une belle vocation, sans doute quelques profiteurs font partie de la politique, mais l'essentiel des gens de droite ou de gauche, que je connaisse, sacrifient leur vie de famille, et leur vie tout court parfois, sont jetés à l'eau propre, les trompettes de la renommée, comme disait BRASSENS, pour à la fin qu'est-ce qu'il se passe ? Eh bien ça ne fasse même pas une ligne dans les journaux.

SONIA MABROUK
Merci Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Merci à vous.

SONIA MABROUK
Merci d'avoir été notre invité ce matin sur Europe 1.


source : Service d'information du Gouvernement, le 25 septembre 2019