Texte intégral
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mon invitée est la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie. Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci d'être avec nous. Une première question, parce qu'on vient, on sort de Jean-Marc DANIEL qui plaide pour la liberté d'entreprendre et d'investir et qui dit : « KRETINSKY, le Tchèque, a le droit de rentrer au capital du Monde ». Les journalistes du Monde, c'est un autre avis. Quel est le vôtre ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
KRETINSKY a le droit de rentrer au capital du Monde, et les journalistes du Monde ont raison de défendre leur indépendance. Le sujet c'est : quel est le projet de KRETINSKY pour Le Monde ? Ce n'est pas quelle est sa nationalité d'investisseur.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Voilà, message reçu. On va parler évidemment de cette crise dans le Golfe persique, l'attaque par des drones des installations pétrolières saoudiennes. Est-ce que, certains parlent de choc pétrolier, est-ce que c'est excessif ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est un peu tôt pour le dire, on est sur une matière première dont le prix est très volatil, qui avait connu une hausse en fin d'année dernière, qui était reparti en baisse, là on a une hausse de 15 %. Après, l'Arabie Saoudite c'est 5 % de la production pétrolière mondiale, donc ce n'est pas l'essentiel du marché comme on peut se le représenter, et on peut penser que d'autres pays vont probablement relâcher un petit peu de production pour essayer d'équilibrer le marché. C'est leur intérêt.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est 5% de la production mondiale qui a été entamée par cette attaque, mais c'est 10% de la production mondiale pour l'Arabie Saoudite, donc forcément il y a un impact, on le voit, +15 % sur le prix du pétrole hier. On dit que 10 centimes d'augmentation sur le carburant, c'est des baisses des marges des entreprises de 0,3%. Est-ce que selon vous, une baisse des marges de 0,3%, c'est de nature à entamer la confiance des entreprises et l'optimisme ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
La confiance des entreprises, je ne pense pas, parce que les entreprises ont l'habitude d'évoluer dans un monde où le taux de change, le prix des intrants évolue constamment. Vous avez pu voir par exemple que l'euro est plus faible aujourd'hui par rapport au dollar, ce qui leur donne de la compétitivité accrue à l'exportation.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça compense un peu aussi cette hausse des prix du pétrole.
AGNES PANNIER-RUNACHER
En revanche, une hausse du pétrole, ça a évidemment un impact sur les grands équilibres macro-économiques, donc ce n'est pas notre intérêt. 10 $, lorsque le prix du baril augmente de 10 $, c'est 0,1% de croissance du PIB, et c'est à peu près la même chose en termes de déficit budgétaire. Donc c'est pour ça qu'on sera vigilant. Et puis, point important, aussi, regarder comment cette augmentation ponctuelle, à ce stade, du prix de pétrole, impacte l'augmentation du prix du carburant…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Bien sûr.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Parce qu'il y a parfois un moment où il peut y avoir un peu l'envie de cranter cette augmentation, même si elle n'est pas réellement dans les coûts, et donc la DGCCRF sera très attentive aux marges du pétrole à la pompe, on fait des contrôles pour s'assurer qu'il n'y a pas un effet un petit peu d'aubaine.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est-à-dire que là vous suspectez, soit les groupes pétroliers, soit les revendeurs de pétrole, peut-être d'aller un peu trop vite en besogne pour reporter les hausses.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne suspecte personne, je dis juste que l'on a pris l'habitude de contrôler les prix à la pompe pour s'assurer que les marges correspondent bien à la réalité du prix de la matière première, c'est important, aussi en termes de confiance.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous avez raison, la concurrence aussi c'est important de contrôler d'éventuelles fraudes. Mais simplement, une question aussi : est-ce que vous pourriez dégainer la taxe flottante ? Parce qu'on sait que le président Emmanuel MACRON y était favorable en novembre dernier, que François de RUGY, l'ex-ministre, l'avait enterrée en mars. Est-ce que si ça continuait comme ça, vous pourriez re-réfléchir à ce mécanisme ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
A ce stade on a plutôt une appréciation contrastée de la taxe flottante. Il faut se rappeler que lorsqu'elle avait été dégainée dans les années 2000, elle avait coûté un milliard d'euros pour 0,3 centime d'amélioration du prix à la pompe pour les Français, ce qui n'était pas considérable, et on s'était posé la question de l'efficacité de cette dépense. Evidemment les circonstances peuvent changer, à ce stade il est beaucoup trop tôt pour prendre position.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, le gouvernement a sorti sa calculette pour dire : regardez toutes les baisses d'impôts que nous consentons aux ménages, 27 milliards d'euros sur le quinquennat, 20 milliards sur les deux dernières années, notamment après les réponses apportées par le président de la République à la crise des Gilets jaunes. C'est un choc de demandes que vous voulez installer dans l'économie. ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est une meilleure compétitivité de l'économie. Ce qu'on cherche, c'est à baisser la fiscalité. Lorsqu'on baisse la fiscalité, on crée un choc de compétitivité.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Les ménages, pas les entreprises.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Pas seulement, je rappelle que dans la baisse des impôts, vous avez deux éléments : vous avez baisse de l'impôt sur les sociétés, qui va passer de 33% à 25% sur le temps du quinquennat, qui est entamée …
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Pas pour les grands groupes.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Qui est entamée.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Moins vite pour…
AGNES PANNIER-RUNACHER
Qui est entamée, et 25% y compris pour les grands groupes en 2022, ça c'est le premier élément. Le deuxième élément, quand on baisse l'impôt sur le revenu, on baisse l'impôt de centaines de milliers d'entreprises, parce que, ce que les gens n'ont pas forcément toujours en tête, c'est que la majorité…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Les TPE.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Les Très Petites Entreprises, elles paient l'impôt sur le revenu, elles ne paient pas l'impôt sur les sociétés. Donc c'est elles que ça concerne. Donc évidemment c'est un choc de compétitivité, c'est la première fois qu'un gouvernement envoie un signal aussi massif de baisse des impôts, et je crois qu'on doit s'en réjouir. Et je rappelle que le déficit budgétaire est en diminution, pour la première fois depuis 10 ans. En 2000, depuis pardon 2007, on a toujours été au-dessus de 3%. Toujours. Là on est à 2,5% en 2018, et en 2020, dans le projet de loi de finances, on est encore en dessous de 2,5%. Donc il y a bien une maîtrise des dépenses publiques d'un côté, et une baisse des impôts de l'autre. On fait aussi beaucoup d'efforts, collectivement, pour maîtriser la dépense publique.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, je voudrais que nous parlions aussi ensemble d'un secteur très important pour l'économie nationale, souvent un peu négligé, oublié, la logistique. C'est 10% de notre PIB, c'est 1,8 million d'emplois en France, et vous devez, vous avez annoncé un plan de soutien ce secteur suite à un rapport. Quelles sont les principales mesures que vous allez mettre en oeuvre pour aider à conforter encore ce secteur ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Le secteur de la logistique en France, vous avez rappelé les chiffres, c'est aussi un des éléments de compétitivité des entreprises, et notamment des entreprises industrielles. Et le constat qu'on fait c'est qu'on est 15 % plus cher que la Belgique, que l'Allemagne, et que les Pays-Bas qui sont nos concurrents principaux.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
A cause de quoi, des coûts salariaux ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
A cause des impôts, notamment des taxes de production, c'est un des enjeux.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il faut peut-être revoir la taxe de production.
AGNES PANNIER-RUNACHER
A cause aussi de notre coût, de nos coûts en général, qui sont plus élevés, et à cause d'un manque de compétitivité de ce secteur, et d'un manque de regroupements. Donc l'enjeu…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
J'ai envie de rajouter la taxation des contrats courts qui va frapper ce secteur aussi.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, il faut savoir raison garder, on parle d'un bonus-malus, donc ça veut dire que c'est équilibré sur le secteur, donc ça ne frappera pas ce secteur, ça frappera peut-être les mauvais élèves du secteur, ce qui n'est pas tout à fait la même chose, et ça favorisera les bons élèves du secteur. En revanche, ce qui est important aujourd'hui, c'est qu'on augmente la compétitivité de ces secteurs. Pour le faire, il faut le représenter. Aujourd'hui ce secteur est méconnu, atomisé, mal représenté au niveau des instances de l'Etat, on crée une gouvernance de ce secteur. Mais évidemment il faut aller plus loin, on a six mesures immédiates, très simples. Deux exemples. Premier exemple, c'est la simplification de l'installation, des installations de logistique. En France on met quasiment deux fois plus de temps à installer, à autoriser une installation, que la Suède par exemple, et je ne crois pas que la Suède, en termes de réglementation environnementale soit moins-disante par rapport à la France, donc c'est une question d'efficacité administrative. Deuxième exemple, un seul point d'entrée pour tout ce qui est douaniers, pas seulement en fait douaniers, mais contrôles aux frontières, parce que derrière les douanes vous avez la DGCCRF, vous avez les vétérinaires, et en fait, ce qui nous est renvoyé par les étrangers, c'est que c'est très compliqué.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il faudrait un guichet unique en fait.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ils ne savent pas à quelle porte frapper, et là on veut un point de contact unique.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça sera quand ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça sera en début d'année prochaine.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Début 2020. On vous réinvitera pour faire le bilan. Juste une demi-question : le Brexit, est-ce que les entreprises s'y préparent ? Vous étiez venue pour ça il y a quelques semaines, est-ce que vous sentez des progrès, est-ce qu'on est prêt ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, je sens des progrès, parce qu'effectivement la mobilisation qu'on a lancée en septembre a été répliquée par beaucoup de fédérations, et ça c'est très positif. Il faut continuer, et surtout je pense qu'on voit dans la détermination qu'a le Premier ministre britannique, une volonté d'avoir une décision avant la fin de l'année, ce qui crédibilise effectivement le fait qu'on risque, enfin que la probabilité d'un Brexit sans accord soit réelle, donc je le redis aux entreprises : brexit.gouv.fr, pour se préparer. Et surtout, première chose : dématérialisez votre passage aux frontières, inscrivez-vous sur la base des douanes.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci Agnès PANNIER-RUNACHER, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie, d'avoir été notre invité ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 septembre 2019