Déclaration de Mme Brune Poirson, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, sur l'avenir du secteur hydroélectrique, à l'Assemblée nationale le 6 mars 2019.

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  • Brune Poirson - Secrétaire d'Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire

Circonstance : Débat sur l'avenir du secteur hydroélectrique, à l'Assemblée nationale le 6 mars 2019

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur l'avenir du secteur hydroélectrique.

La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses. Je vous rappelle que la durée des questions comme celle des réponses est limitée à deux minutes.

(...)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous le savez, le Gouvernement soutient pleinement la production d'hydroélectricité pour une raison simple, que vous avez tous soulignée : c'est notre première source de production d'électricité renouvelable. L'hydroélectricité est essentielle à la fois pour le système électrique national, pour nos objectifs d'énergie renouvelable et pour le développement économique local.

Le bilan de l'année 2018 publié récemment par RTE indique que l'hydroélectricité a permis de produire 68 térawattheures, soit l'équivalent de 14 % de notre consommation d'électricité.

Le maintien et le développement de cette ressource, dans le respect des enjeux environnementaux, sont donc indispensables pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques ambitieux que notre pays s'est fixés.

Le projet de révision de la PPE donne de la visibilité au développement de cette filière, d'abord en faisant le point sur le potentiel technique restant et surtout en fixant des objectifs de développement ambitieux. Le Gouvernement souhaite ainsi atteindre l'objectif de 26,4 à 26,7 gigawatts de puissance installée en 2028.

Ces objectifs doivent être atteints grâce à l'optimisation et au suréquipement de barrages existants, mais aussi, dans une moindre mesure, par l'équipement de quelques nouveaux sites de puissance moindre.

Je pense notamment à la petite hydroélectricité, qui fait l'objet, au même titre que les autres filières renouvelables, d'un constant soutien du Gouvernement, lequel se traduit, d'une part, par un arrêté tarifaire pour les plus petites installations, et d'autre part, par des appels d'offres de 35 mégawatts, lancés chaque année par le ministère de la transition écologique et solidaire.

Mais le principal enjeu de la filière reste celui du renouvellement des concessions hydroélectriques. À la différence d'autres pays où les installations hydroélectriques appartiennent aux exploitants privés, en France, les grandes installations sont exploitées sous le régime de la concession. Ce régime permet un contrôle fort au travers de la réglementation et du contrat signé entre l'État et le concessionnaire, garantissant ainsi le respect de l'intérêt public.

Le droit français, en conformité avec le droit européen, prévoit que les concessions hydroélectriques échues doivent être renouvelées par mise en concurrence. La loi de transition énergétique…

Mme Mathilde Panot. Que vous ne respectez pas !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. …, votée sous le gouvernement précédent, avec le soutien de députés ici présents, a introduit plusieurs mesures capables de garantir le respect de l'intérêt public lors de ces renouvellements. Je pense notamment à la possibilité pour les collectivités locales d'être associées à la concession dans le cadre d'une société d'économie mixte hydroélectrique…

M. Martial Saddier. C'est du pipeau !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. …mais aussi à l'option de regrouper des concessions pour faciliter leur exploitation, ou encore aux dispositions destinées à protéger les salariés des concessions.

Comme vous le savez, comme vous l'avez tous rappelé, la Commission européenne a adressé en 2015 une mise en demeure aux autorités françaises au sujet des concessions hydroélectriques. Les gouvernements successifs ont contesté les fondements de cette mise en demeure…

M. Jean-Paul Lecoq. Ils ont eu raison !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. …mais ont entretenu de nombreux échanges avec la Commission européenne afin de parvenir à une solution partagée et équilibrée. La Commission n'a pas validé les différentes propositions faites, ni formulé de contre-propositions que nous pourrions juger acceptables.

Néanmoins, le Gouvernement souhaite poursuivre les discussions dans le même état d'esprit, en tenant compte de l'ensemble des enjeux et de l'intérêt public. L'objectif est de sortir du statu quo, car, aujourd'hui, celui-ci nuit aux investissements dans le secteur et constitue une source d'incertitude pour les entreprises, les salariés et les collectivités. Mais cela exige une approche équilibrée, respectueuse de points qui sont pour nous intangibles. Ainsi, il ne peut être question d'interdire à EDF de candidater au renouvellement de ses propres concessions, ni de la défavoriser, ni encore de mettre en concurrence des concessions non encore échues.

Vous l'aurez compris, le renouvellement des concessions est une politique nationale que nous souhaitons mener de manière stratégique. Il s'agit notamment d'optimiser la gestion de nos barrages et de relancer l'investissement, tout en redistribuant des ressources financières vers les territoires par de nouvelles redevances. Il ne faut pas oublier que les barrages appartiennent à l'État et demeureront propriété de l'État.

M. Jean-Paul Lecoq. Mais il faut les entretenir !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Enfin, j'ai bien conscience que des inquiétudes se font jour parmi les salariés et chez certains élus. Je tiens donc à vous rassurer quant à notre démarche. D'une part, nous nous attacherons à informer régulièrement les acteurs sur l'avancée des discussions, et d'autre part, nous veillerons à ce que ce processus ne puisse pas aboutir à une dégradation sociale ou territoriale. J'ajoute que les préoccupations de sécurité sont fondamentales pour nous et le resteront. D'ailleurs, une réglementation exigeante s'applique déjà, sous le contrôle de l'État, par le biais des DREAL – directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement. Elle restera un impératif, un prérequis non négociable. Elle a d'ailleurs été renforcée par un arrêté ministériel national pris l'année dernière.

Les cahiers des charges des concessions permettent de prendre en compte les enjeux d'intérêt général liés aux usages de l'eau, au soutien d'étiage, à la protection de l'environnement. C'est un impératif de l'État, auquel nous souhaitons associer étroitement les collectivités.

C'est à ces conditions, et uniquement à ces conditions, que l'hydroélectricité pourra jouer tout son rôle dans la transition énergétique et le développement des territoires. Je sais que vous partagez ici les préoccupations du Gouvernement. Il s'agit là de défendre l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) 


M. le président. Nous en venons aux questions.

La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Alors que les gouvernements précédents ont tous cherché à gagner du temps face aux pressions de Bruxelles – je pense notamment à la proposition pertinente de Delphine Batho de créer des sociétés d'économie mixte pour exploiter nos barrages –, vous vous apprêtez à plier sous l'Europe de l'argent en ouvrant à la concurrence nos 150 plus grands ouvrages hydroélectriques.

Je ne rappellerai pas les chiffres, d'autres l'ont déjà fait avant moi. En revanche, je tiens à manifester ma profonde opposition à ce qui ressemble fort à un non-sens stratégique et économique : vous n'escomptez que 520 millions d'euros de redevances annuelles, alors que l'excédent brut annuel des concessions s'élève actuellement à 2,5 milliards d'euros, dont la moitié revient aux collectivités territoriales. En réalité, les réformes envisagées diviseront par cinq l'argent qui entre dans les caisses publiques.

Et je vous fais grâce des questions soulevées en matière de sécurité, alors que plusieurs ouvrages présentent des risques sérieux, souvent en raison de leur grand âge. Les investisseurs auront-ils envie d'investir pour les entretenir convenablement, sachant qu'EDF dépense 400 millions d'euros par an pour renforcer ses ouvrages ? Il y a de quoi s'inquiéter quand on voit le fonctionnement de la vaste majorité des infrastructures dont la gestion et la maintenance ont été confiées à des acteurs privés, notamment des réseaux de distribution d'eau et des autoroutes.

S'agissant de la Guyane, je suis particulièrement préoccupé par le barrage de Petit-Saut, le premier de France par la surface d'ennoiement, qui alimente les trois quarts des foyers du littoral et représente 55 % de la production électrique du territoire. Ses coûts de production sont les plus élevés de France.

Pouvez-vous me préciser, madame la secrétaire d'État, si le projet d'ouverture à la concurrence concerne également les ouvrages situés outre-mer ? Si oui, qu'en sera-t-il de l'avenir du barrage de Petit-Saut ?

Par ailleurs, puisque nous débattons ce soir de l'avenir du secteur hydroélectrique, pouvez-vous nous indiquer votre position sur le projet, écocide, d'un second barrage hydroélectrique en Guyane ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Je me demande si vous étiez présent dans l'hémicycle, monsieur Serville, au moment où j'ai prononcé mon discours introductif… Je ne vais pas le reprendre. Je vous conseille de le réécouter, ce qui nous permettra d'engager la discussion sur de bonnes bases. (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et FI.)

L'hydroélectricité joue déjà un rôle très important en Guyane, puisqu'elle représente plus de la moitié de la production électrique du territoire, notamment grâce au grand barrage de Petit-Saut. Un second grand barrage hydroélectrique présenterait un certain intérêt pour le système électrique guyanais, mais son impact environnemental devrait faire l'objet d'une attention toute particulière, compte tenu des enjeux spécifiques du territoire.

C'est pourquoi l'actuelle programmation pluriannuelle de l'énergie de la Guyane prévoit la réalisation d'études sur les potentiels techniques de l'hydroélectricité ainsi que d'une étude sur l'opportunité d'un second grand barrage « au regard de la dynamique de développement du territoire et de ses impacts environnementaux, sociaux et économiques ». Les services de l'État apporteront leur appui à la collectivité territoriale pour la réalisation de ces études et pour les suites éventuelles qui y seront données.

Comme vous le savez, monsieur le député, vous pouvez discuter de cette question avec les services du ministère de la transition écologique et solidaire. Pour le reste, je vous invite à vous référer à mon propos introductif.

M. Jean-Paul Lecoq. Restez zen, madame la ministre !

Mme Mathilde Panot. Vous répondez à un élu !

M. le président. Mes chers collègues, s'il vous plaît…

M. Xavier Breton. Restez dans l'hémicycle, chers collègues !

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Les atouts de la filière hydroélectrique ne sont plus à démontrer. Les orateurs précédents les ont rappelés : il s'agit de la première énergie renouvelable ; les barrages contribuent au maintien de l'étiage des rivières, à l'écrêtement des crues et au stockage de l'eau. Qui plus est, c'est un secteur crucial pour certains territoires de montagne, notamment en matière d'emploi et d'aménagement.

Ce secteur connaît des innovations majeures qui visent à améliorer la flexibilité ou la gestion du stockage de l'électricité. Celles-ci impliquent des investissements massifs et de long terme.

Cela a été dit, nombre de concessions accordées au mitan du XXe siècle, très majoritairement au profit d'EDF, sont parvenues à expiration ou y parviendront dans les dix ans qui viennent. Cette situation découle de la libéralisation du secteur et de l'ouverture à la concurrence du marché européen de l'électricité. Le dossier constitue un point de friction entre Paris et Bruxelles.

Depuis près de six ans, nous rappelons régulièrement dans cette assemblée combien l'hydroélectricité, première énergie renouvelable, pourtant trop peu considérée, constitue un atout en matière énergétique. Je salue le travail remarquable réalisé par Marie-Noëlle Battistel à ce sujet et la constance avec laquelle elle défend ce secteur industriel stratégique, qui appartient au patrimoine national.

Le Gouvernement poursuit des négociations avec Bruxelles à propos de l'ouverture des concessions hydroélectriques à la concurrence. Qu'en est-il de ces tractations, qui inquiètent dans nos territoires ? À quelle échéance pensez-vous les achever ?

Nous savons que des opérateurs privés, notamment étrangers, lorgnent sur ces concessions. Bruxelles souhaite, semble-t-il, que l'opérateur historique, EDF, ne puisse pas candidater au renouvellement de toutes les concessions. Est-ce bien le cas ?

M. Jean-Paul Lecoq. Elle pose des questions précises, elle a raison !

Mme Jeanine Dubié. Il paraît peu pertinent, voire irresponsable, d'ouvrir à la concurrence un secteur aussi stratégique. Nous sommes attachés à notre modèle de service public énergétique. Quelle est votre modèle, madame la secrétaire d'État ? Comment envisagez-vous de garantir la bonne gestion de notre industrie hydroélectrique du point de vue de la sûreté et de la sécurité énergétiques ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LT et FI. – Mme Émilie Bonnivard applaudit également.)

M. Jean-Paul Lecoq. Encore une députée qui n'a pas écouté ce que disait Mme Poirson… (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Je sais que vous, monsieur Lecoq, vous m'avez écoutée et je suis ravie de constater que vous êtes très attentif à tout ce que je dis !

Vous m'avez interrogée, madame Dubié, sur l'état des négociations entre le Gouvernement et la Commission européenne. Comme vous le savez, la Commission nous a adressé une mise en demeure au sujet des concessions hydroélectriques, que les gouvernements successifs ont contestée. Nous continuons à discuter avec elle de façon à trouver un terrain d'entente. Elle a été, vous le savez, particulièrement véhémente à notre égard. Pour notre part, nous tenons à ce que les dispositifs existant dans le droit français soient appliqués de manière équilibrée. Nous avons soumis plusieurs propositions, qui n'ont pas été validées. De son côté, la Commission n'a pas formulé de proposition alternative. Nous poursuivons donc les discussions avec elle, notre objectif étant de sortir du statu quo, car celui-ci nuit aux investissements dans le secteur et suscite des interrogations de la part des collectivités, de ceux qui travaillent pour les barrages hydroélectriques et des populations locales.

M. Jean-Paul Lecoq. Nous pouvons faire ce que nous voulons ! Il adviendra ce qu'il adviendra ! Un peu de courage !

M. le président. La parole est à Mme Stéphanie Kerbarh.

Mme Stéphanie Kerbarh. Concernant le renouvellement des concessions hydrauliques, il convient de rappeler que la mise en concurrence porte avant tout sur un savoir-faire détenu par des employés attachés à l'ouvrage hydraulique. Si l'on brise le quasi-monopole d'EDF en matière de production d'énergie hydraulique, qu'adviendra-t-il des employés attachés directement ou indirectement à l'ouvrage ? Comment qualifiez-vous juridiquement le critère de « l'emploi équivalent » que le futur concessionnaire devra proposer aux salariés ? La France ne risque-t-elle pas de perdre son savoir-faire et donc, de facto, son indépendance énergétique ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Tout à fait !

Mme Stéphanie Kerbarh. Par ailleurs, comme la Commission de régulation de l'énergie ne détient aucune compétence en matière de concessions hydroélectriques, quelles garanties le Gouvernement apportera-t-il à son opérateur historique, EDF, pour qu'il ne soit pas pénalisé lors de la mise en concurrence des concessions ? En d'autres termes, comment protéger juridiquement les candidatures d'EDF aux futurs appels d'offres, sachant que l'État est à la fois le propriétaire des ouvrages hydroélectriques, l'autorité concédante, l'organisateur des appels d'offres et l'actionnaire majoritaire de l'opérateur historique ? Le juge administratif ne risque-t-il pas d'accueillir favorablement les recours fondés sur l'hypothèse d'un conflit d'intérêts ?

Pourquoi ne pas confier un rôle d'organisatrice à la Commission de régulation de l'énergie, comme pour les appels d'offres photovoltaïques ou éoliens onshore et offshore, afin de garantir une gestion indépendance des appels d'offres hydrauliques ?

La France a la chance de bénéficier de plus de 2 300 installations hydrauliques, qui font de cette « houille blanche » la première source d'énergie renouvelable. Il serait dommage que la mise en concurrence vienne cristalliser des tensions sur l'une des rares sources d'énergie qui fait consensus.

M. Jean-Paul Lecoq. Mme Kerbarh était, elle aussi, présente dans l'hémicycle… (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Nous allons peut-être verser toute la soirée dans un certain comique de répétition… (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et FI.)

Comme j'ai eu l'occasion de le rappeler, le Gouvernement soutient pleinement la production hydroélectrique. Il est convaincu de l'importance stratégique de la filière, tant au niveau national que dans les territoires. J'ai également souligné que le modèle français en matière d'hydroélectricité garantissait le respect de l'intérêt public lors du renouvellement des concessions hydroélectriques.

En particulier, comme vous l'avez rappelé, la loi a prévu des mesures protectrices pour les salariés des concessions hydroélectriques, qui garantissent le maintien de leur statut et leur reprise par le nouveau concessionnaire dans des conditions équivalentes. La notion d'équivalence revêt une importance particulière à nos yeux, car les salariés concernés doivent se voir proposer, par le nouveau concessionnaire, un emploi assorti de responsabilités, d'une rémunération et d'avantages sociaux similaires à ceux qui sont attachés à leur emploi actuel. Bien entendu, des discussions auront lieu entre les personnels, le concessionnaire sortant et le concessionnaire entrant pour arrêter les modalités pratiques de reprise, mais les dispositions que j'ai citées constituent des garanties importantes. L'État y sera particulièrement attentif le moment venu.

Concernant le deuxième point que vous avez soulevé, j'ai rappelé qu'il ne saurait être question d'interdire à EDF de candidater au renouvellement de ses propres concessions.

M. Jean-Paul Lecoq. De toutes ses concessions ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Nous l'avons dit à la Commission européenne.

En revanche, il n'est pas possible de confier à la Commission de régulation de l'énergie la responsabilité de l'octroi des concessions. Pour les autres énergies, la mise en concurrence porte uniquement sur le bénéfice d'un soutien tarifaire accordé à des installations privées. En l'espèce, il s'agit de confier, dans le cadre d'une concession, l'exploitation de biens publics dans des conditions respectueuses des intérêts publics, tant nationaux que locaux, ce qui dépasse largement le domaine de compétence du régulateur.

Selon la taille de la concession, les procédures d'octroi relèvent de la responsabilité du préfet ou de celle du ministre chargé de l'énergie. Elles sont encadrées par des dispositions du code de l'énergie qui visent à garantir leur totale impartialité et leur sécurité juridique. Il y va de notre responsabilité.

M. Jean-Paul Lecoq. Ce n'est toujours pas clair !

M. le président. La parole est à Mme Barbara Bessot Ballot.

Mme Barbara Bessot Ballot. Ma question porte sur les freins au développement de la filière hydroélectrique en France.

L'hydroélectricité est, de loin, la première filière de production d'électricité renouvelable, en France et dans le monde. Toutefois, il existe encore de nombreux freins qui fragilisent les installations existantes ou gênent le développement de nouvelles installations. Ils sont notamment de nature réglementaire, par exemple en matière environnementale.

Tout d'abord, la mise en conformité des ouvrages hydroélectriques en matière de continuité écologique entraîne des coûts abyssaux pour les exploitants. Le coût des équipements environnementaux semble disproportionné par rapport aux gains écologiques supposés.

En outre, il existe une instabilité, une complexité et une lourdeur administrative relatives. Ainsi, de nouveaux équipements ou des changements relatifs aux équipements existants peuvent être imposés à des ouvrages. La filière hydroélectrique semble alors faire l'objet d'une politique « à charge » : des ouvrages sont condamnés à l'arasement ; le renouvellement des autorisations est l'occasion de contentieux administratifs ; les procédures administratives pour le développement de nouveaux projets sont longues et jugées trop lourdes. Enfin, la fiscalité locale pèse considérablement sur les installations hydroélectriques.

Le développement de l'hydroélectricité en France et en Europe constitue sans aucun doute une réponse majeure aux problèmes environnementaux, notamment pour le maintien de la continuité des cours d'eau et la préservation de la biodiversité. Quelles mesures le Gouvernement prévoit-il de prendre pour favoriser la modernisation et un développement optimal de la filière dans nos territoires ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Comme vous l'avez rappelé, il importe que l'hydroélectricité se développe dans le respect des objectifs de bon état des eaux et de reconquête de la biodiversité. Depuis plusieurs années, vous l'avez dit, de nombreux producteurs ont consenti des efforts importants pour améliorer la qualité environnementale de leur installation, notamment pour garantir la continuité écologique. Ils ont par exemple installé des passes à poissons ou des turbines compatibles avec la circulation des poissons. Certains ont adopté des mesures d'exploitation innovantes.

Bien sûr, ces mesures sont déterminées localement en fonction des enjeux de chaque site et en lien avec les services de l'État. Nous sommes néanmoins conscients que des divergences d'appréciation, voire des conflits peuvent apparaître dans certains cas.

Une première réponse a été apportée avec la mise en place, en mars 2017, de l'autorisation environnementale unique, qui apporte aux porteurs de projet des garanties importantes en termes tant de transparence que de rapidité accrue de la procédure. Beaucoup d'échanges ont lieu entre les directions des ministères et les acteurs de la filière pour orienter ceux-ci vers des projets plus vertueux, tout en limitant les contraintes administratives parfois importantes qui peuvent peser sur les exploitants.

Un groupe de travail a notamment été mis en place avec le Comité national de l'eau, pour faire le point sur la politique de restauration de la continuité écologique, en lien avec l'ensemble des acteurs concernés, dont les représentants de la filière hydroélectrique.

Ses travaux ont débouché sur un plan d'action visant à améliorer la mise en oeuvre de cette politique tout en prenant en compte d'autres enjeux, notamment énergétiques ou patrimoniaux. Il se traduira en particulier par des instructions aux services de l'État, afin de leur donner des outils supplémentaires lors de l'instruction des autorisations environnementales.

En ce qui concerne la petite hydroélectricité, j'ai rappelé les mesures de soutien tarifaire dont elle fait l'objet. Il faut néanmoins être conscient que, compte tenu de leur taille et de leur puissance, ces installations ne pourront jouer qu'un rôle limité dans l'atteinte des objectifs nationaux. C'est une réalité. 

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Je vais revenir sur l'ouverture à la concurrence lors du renouvellement de concessions, mais j'axerai mon intervention sur la sécurité des barrages hydroélectriques.

On sait qu'aujourd'hui, EDF ou la CNR consacrent des sommes importantes à la sécurité ou à la sécurisation de ces barrages. Il existerait cependant un risque réel si l'ouverture à la concurrence se concrétisait lors du renouvellement des concessions.

Contrairement à ceux qui l'ont précédé, le Gouvernement ne cherche ni à temporiser ni à freiner ce mouvement. Au contraire : il est complice de la libéralisation. Or on peut se demander si de nouvelles entreprises, plus attirées par la rentabilité que par l'intérêt général, continueraient à prendre en compte les impératifs de sécurité.

Il y a quelques semaines, un reportage – certes alarmiste – a pointé le risque d'une rupture du barrage de Vouglans, situé dans le département du Jura. Dans ce cas, 600 millions de mètres cubes d'eau se déverseraient dans les vallées de l'Ain ou des départements voisins, ou encore dans l'agglomération et la métropole de Lyon.

Il faut rassurer les populations. Que compte faire le Gouvernement non pour accompagner la mise en concurrence, mais pour la contester, voire la refuser, car ce n'est pas une fatalité ? D'autre part, si cette ouverture à la concurrence est effective, quelles modalités particulières prévoit-il pour assurer l'entretien et la sécurité des barrages hydroélectriques ? 

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. La sécurité dépend d'une réglementation nationale – c'est à ce niveau que se prennent les décisions – qui l'a placée sous la responsabilité de l'exploitant. Le cadre réglementaire est aussi défini par des arrêtés nationaux, qui ont été renforcés en 2018, et par des compléments locaux, lesquels prévoient des inspections périodiques et des travaux de renforcement, comme la création d'évacuateurs de crue plus grands.

La sécurité est une préoccupation majeure, essentielle et fondamentale pour le Gouvernement. Nous y veillons. C'est aussi une raison pour laquelle celui-ci tient à sortir du statu quo et à être volontariste : il faut veiller en premier lieu à la sécurité, et par conséquent donner une perspective aux concessions hydroélectriques.

M. Xavier Breton. Je ne sais pas si cette réponse est tellement rassurante.

M. le président. La parole est à Mme Émilie Bonnivard.

Mme Émilie Bonnivard. La production hydroélectrique représente 60 % de l'énergie renouvelable en France. Historiquement, elle est issue de territoires de montagne, qui ont consenti des sacrifices. Un village comme Tignes a été englouti et de grands travaux ont été accomplis pour que cette énergie propre soit disponible pour tous, notamment dans les territoires urbains.

L'expertise et le savoir-faire des salariés, hommes et femmes qui, depuis des décennies, au sein d'EDF ou de la CNR, ont permis à ces installations de fonctionner en toute sécurité, avec un haut niveau de technicité, font aujourd'hui de la France un leader mondial en la matière.

Députée d'un de ces territoires qui accueille parmi les plus grands barrages et ouvrages hydroélectriques de France – Mont-Cenis, Grand'Maison, centrale de Super-Bissorte –, je vous pose la question suivante : la France va-t-elle être le seul pays européen à accepter de fragiliser ce patrimoine, ce savoir-faire, cette expertise en ouvrant les concessions à la concurrence internationale, sans s'assurer que les enjeux du multi-usage de l'eau – eau potable, agriculture, sécurisation des biens et des personnes, débit d'étiage, enjeu piscicole et biodiversité – soient garantis, ni s'assurer non plus de la réciprocité d'interventions à l'international de l'opérateur historique ? En effet, une entreprise à capitaux essentiellement publics finlandais pourra exploiter nos barrages sans qu'EDF puisse le faire en Finlande.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Eh oui ! C'est un vrai problème !

Mme Émilie Bonnivard. Comment expliquer cela à nos concitoyens ? Pourquoi la France ne défend-elle pas davantage ses entreprises nationales gérant un patrimoine, une ressource vitale – l'eau –, dont l'usage sera tendu à l'avenir ?

Pourquoi devrions-nous accepter ce que d'autres États européens ont réussi à éviter, l'ouverture à la concurrence, qui n'est voulue ni par la majorité des Français (M. Hubert Wulfranc applaudit) ni par les populations locales vivant à proximité de ces barrages ?

Enfin, comment expliquer à nos concitoyens, à quelques mois des élections européennes, que finalement nous n'avons pas d'autre choix et que la France doit se résigner à renoncer à cette ressource stratégique, parce que la Commission européenne l'exige et que nous sommes incapables de faire autrement ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LR, SOC, GDR et FI.)

M. Hubert Wulfranc. La secrétaire d'État est en difficulté !

M. Jean-Paul Lecoq. Cette fois, il va falloir renoncer au comique de répétition !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. J'ai répondu dans mon discours introductif à beaucoup des questions très légitimes que vous soulevez. Je répète que le Gouvernement est pleinement concentré sur l'hydroélectricité, sujet qui relève de l'intérêt général.

Nous avons fondamentalement besoin de cette énergie, qui nous permet d'atteindre un mix énergétique équilibré et qui donne sa pleine mesure aux énergies renouvelables. Nous sommes attachés à elle, ainsi qu'à sa sécurité. La programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit d'ailleurs d'augmenter encore la production d'énergie hydroélectrique.

Le fait est toutefois que la Commission européenne nous a mis en demeure, en nous indiquant à plusieurs reprises qu'elle souhaite nous voir mettre les concessions hydroélectriques en concurrence.

M. Hubert Wulfranc. Sommes-nous à son service ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Nous lui avons proposé plusieurs options. Elle les a toutes refusées et s'est montrée particulièrement exigeante. Nous avons toutefois fixé certaines lignes rouges, que nous ne voulons pas dépasser.

M. Jean-Paul Lecoq. Quand Sarkozy a sauvé les banques, il a franchi la ligne rouge sans s'embarrasser de la Commission européenne !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Ainsi, il est indispensable qu'EDF puisse candidater au renouvellement des concessions. D'autres mesures nous semblent également nécessaires, comme la protection des salariés. J'ai eu l'occasion de le dire. Il s'agit de priorités. Nous nous battons sur ces questions. Nos lignes rouges sont très clairement définies. Je sais que, sur ce sujet, tous les députés sont d'accord avec nous.

M. Jean-Paul Lecoq. N'ayez crainte ! Si vous avez du courage, nous vous soutiendrons !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Je suis contente de l'entendre !

M. le président. La parole est à Mme Florence Lasserre-David.

Mme Florence Lasserre-David. En 2010, à la suite de la promulgation de la loi Grenelle 2, l'État et les acteurs intéressés ont signé une convention d'engagement pour le développement d'une hydroélectricité durable en cohérence avec la restauration des milieux aquatiques.

Cette convention était le fruit d'un double constat, toujours d'actualité : d'abord, il est nécessaire de développer l'hydroélectricité pour satisfaire nos besoins d'énergie et lutter contre les changements climatiques ; d'autre part, le développement de l'hydroélectricité ne peut se faire que dans le respect des milieux naturels, donc en les préservant et en assurant leur bon état.

Depuis dix ans, les producteurs d'hydroélectricité, en particulier les petits producteurs, ont consenti des efforts considérables et ont développé une production de haute qualité environnementale, conformément aux promesses qu'ils avaient faites en 2010.

Pour sa part, l'État s'était engagé à rendre plus lisibles les procédures administratives et à sensibiliser les services instructeurs aux enjeux du secteur de la petite hydroélectricité, afin d'assurer une meilleure prise en compte de l'usage énergétique dans les demandes d'autorisation IOTA – installations, ouvrages, travaux et aménagements.

Plus précisément, il devait rendre plus claire et plus transparente l'autorisation environnementale pour les installations et ouvrages qui sont soumis à autorisation au titre de la loi sur l'eau et qui conduisent à une décision unique du préfet de département.

Cet engagement tendait à garantir un juste équilibre entre l'absolue nécessité de maintenir la continuité écologique dans les cours d'eau et celle de développer une énergie vertueuse qui s'inscrit dans notre aspiration à verdir le mix énergétique français.

Quelles mesures concrètes l'État a-t-il mises en place pour former et sensibiliser les services instructeurs aux défis du secteur hydroélectrique, et pour redonner du sens à la notion de partage et de gestion équilibrée de la ressource en eau inscrite dans la loi ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Je sais, madame la députée, que ce sujet vous tient à coeur et que vous vous battez sur ces questions. Comme vous l'avez rappelé, il est très important que le développement de l'hydroélectricité se fasse dans le respect des objectifs de bon état des eaux et de reconquête de la biodiversité.

Depuis plusieurs années, de nombreux producteurs ont fait des efforts considérables pour améliorer la qualité environnementale de leur installation, notamment, je l'ai indiqué, en installant des turbines compatibles avec le passage des poissons ou en prévoyant des mesures d'exploitation innovantes.

Ces mesures sont bien entendu déterminées localement, en fonction des enjeux de chaque site et en lien avec les services de l'État, mais des conflits – le mot n'est pas trop fort – peuvent apparaître dans certains cas.

Une première réponse a été apportée avec la mise en place, en 2017, de l'autorisation environnementale unique, qui permet plus de transparence et allège la durée de la procédure.

De nombreux échanges ont lieu entre les directions du ministère et les acteurs de la filière. Un groupe de travail a été mis en place en lien avec le Comité national de l'eau, pour faire le point sur la politique de restauration de la continuité écologique. Il a débouché sur un plan d'action qui vise à améliorer la mise en oeuvre de cette politique tout en prenant en compte d'autres enjeux, notamment énergétiques ou patrimoniaux. Il se traduira par des instructions aux services de l'État, afin de leur donner les outils supplémentaires lors de l'instruction des autorisations environnementales. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Vous vous dites soucieuse de l'avenir de l'hydroélectricité qui est, chacun l'a rappelé, la première des énergies renouvelables, et qui est en outre pourvoyeuse d'emploi et de ressources pour les territoires. Je regrette cependant que la programmation pluriannuelle de l'énergie n'en fasse pas assez état, et se montre en deçà des enjeux.

Ainsi, elle n'envisage pas la possibilité de lancer des appels d'offres sur quelques sites vierges…

M. Jean-Charles Colas-Roy. En Guyane !

Mme Marie-Noëlle Battistel. …afin de tester une concurrence totalement ouverte. On enverrait ainsi un signal à Bruxelles. Parallèlement, pourquoi ne pas prolonger les concessions sous conditions de travaux, comme la loi nous y autorise, ce qui permettrait un investissement rapide ?

Ma deuxième question porte sur les concessions déficitaires, dont l'exploitation repose aujourd'hui sur une péréquation. Il n'y a que deux solutions. Soit personne n'en voudra, soit on devra verser à l'opérateur qui l'exploitera un complément de rémunération. Quel sera le bénéfice pour le consommateur ? 

M. Jean-Paul Lecoq. Et pour le contribuable ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Vous avez dit, en répondant à certains députés, qu'EDF pourrait concourir pour toutes les concessions. C'est vrai, mais, pour être tout à fait transparent, il faut ajouter qu'aux termes de votre proposition, EDF ne pourra pas en obtenir plus de 66 %, puisque, sur les allotissements de trois barrages, un opérateur ne pourra guère obtenir plus de deux ouvrages sur trois. Cette limitation s'entend même si l'opérateur est moins-disant.

S'agissant du cahier des charges, il est vrai que les renouvellements de concessions et les éventuelles remises en concurrence font l'objet d'un encadrement. Néanmoins, comme vous le savez, madame la secrétaire d'État, un cahier des charges est établi à un instant t. Il y a un certain nombre d'années, lorsque les premiers cahiers des charges ont été conçus, on n'avait pas imaginé que des bases nautiques pourraient s'établir sur les lacs de retenue.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !

Mme Marie-Noëlle Battistel. On ne peut pas tout prévoir. Tout avenant, vous le savez, donne lieu à une renégociation financière et à une augmentation des tarifs appliqués aux consommateurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et LT.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Madame Battistel, votre question, qui aborde plusieurs sujets, montre combien, pour vous y intéresser depuis de longues années, vous connaissez ce sujet important.

La PPE prévoit d'augmenter la puissance hydroélectrique totale, ce qui justifiera le lancement d'appels d'offres. Par ailleurs, en ce qui concerne les concessions déficitaires, un complément de rémunération est possible.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Oui !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Cela se pratique pour la petite hydroélectricité. Je ne dis pas que cela se fera de manière certaine, mais c'est envisageable.

Enfin, en ce qui concerne la limitation d'EDF à 66 % du périmètre des concessions – soit deux ouvrages sur trois –, rien n'est acté à ce stade. Comme je l'ai dit, il existe un certain nombre de lignes rouges ; nous l'avons abondamment expliqué à la Commission européenne, et nous continuerons à le faire.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Auconie.

Mme Sophie Auconie. Madame la secrétaire d'État, sous l'influence, notamment, de la jurisprudence européenne, l'ordonnance du 19 avril 2017 modifie les règles de gestion du domaine public. Désormais, lorsque l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public permet à son titulaire de l'occuper ou de l'utiliser en vue d'une exploitation économique, l'autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d'impartialité et de transparence.

Ainsi, dans le cadre de l'exploitation d'un barrage hydroélectrique, selon sa puissance, une autorisation d'occupation temporaire du domaine public fluvial peut être délivrée par une commission librement composée par l'autorité préfectorale. Je regrette que, trop souvent, ces commissions se caractérisent par leur dimension technicienne et technocratique, et qu'elles ne prennent en compte que les seuls critères normatifs, sans tenir compte de l'ancrage des candidats dans l'économie des territoires. Je pense à un cas précis, qui se retrouve dans un certain nombre de lieux.

Les critères de sélection peuvent être la qualité environnementale, la qualité technique, l'aptitude de l'occupant et la solidité économique. Pour apprécier le critère de la « solidité économique et financière du porteur de projet », l'incidence sur l'emploi local est essentielle ; on ne la prend pourtant pas en compte. Une définition élargie de ce critère laisserait leur chance aux acteurs locaux qui souhaitent s'investir dans la gestion de nos petits barrages hydroélectriques pour ancrer leurs efforts économiques. M. le ministre de l'économie et des finances a affirmé que chaque entreprise industrielle ancrée dans un territoire rural était importante. Je suis prête à échanger avec vous à ce sujet. Je tiendrai le Gouvernement responsable si une entreprise devait quitter un territoire rural…

Mme Caroline Fiat. Oui !

Mme Sophie Auconie. …parce qu'on n'a pas pris en compte, dans le critère économique, son développement…

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !

Mme Sophie Auconie. …et sa capacité de gestion d'un barrage.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Ça arrivera, soyez-en sûre !

Mme Sophie Auconie. Madame la secrétaire d'État, quel est votre sentiment concernant la consolidation du critère économique dans le choix de la délégation de la gestion des barrages hydroélectriques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI. – M. Martial Saddier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Madame Auconie, votre question concerne principalement la petite hydroélectricité. Certains projets peuvent effectivement nécessiter une autorisation d'occupation temporaire du domaine public, par exemple pour équiper des barrages se trouvant sur son périmètre. L'ordonnance du 19 avril 2017, que vous avez évoquée, a consolidé les règles fixées en la matière par le code général de la propriété des personnes publiques. Ces règles relèvent de la compétence du ministère de l'action et des comptes publics. Les gestionnaires du domaine public ont toute latitude pour organiser les procédures de sélection concernant son occupation, à partir du moment, bien entendu, où ces procédures respectent les garanties d'impartialité et de transparence. En particulier, elles peuvent librement choisir les critères de sélection, dès lors que ces derniers sont cohérents avec la nature du domaine et de l'occupation concernés.

Madame la députée, il faut être prudent à l'égard des critères visant à favoriser l'emploi local, lesquels peuvent être jugés discriminatoires par certains participants aux procédures. C'est un fait, qu'il est important de prendre en compte. 

Mme Sophie Auconie. On en reparlera !

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Panot.

Mme Mathilde Panot. Madame la secrétaire d'État, vous ne nous ferez jamais croire que votre gouvernement oeuvre en faveur de l'intérêt général en privatisant les barrages !

Par ailleurs, vous nous dites que votre gouvernement est engagé en faveur de la petite hydroélectricité. Pourtant, la domination du nucléaire et le dogme centralisateur en matière de production énergétique ont conduit à la suppression des microcentrales hydroélectriques. L'avantage décisif des petites installations hydrauliques tient à ce que la production peut être dirigée localement.

Dans le cadre des dynamiques climatiques qui vont affecter profondément notre pays, il me semble fondamental de développer des projets résilients de production énergétique. Les dommages écologiques créés par de telles installations peuvent être limités par des projets de rénovation de l'existant, soit en remettant en service d'anciennes microcentrales, soit en transformant des moulins déjà existants afin qu'ils produisent de l'électricité.

La part de l'énergie hydraulique – environ 15 % – est stable dans notre pays depuis les années 1960. Afin de réduire la place du nucléaire, énergie particulièrement vulnérable au changement climatique – pensez par exemple à la baisse du niveau du Rhône et à ses effets sur les circuits de refroidissement –, il semble primordial de développer de façon coordonnée ce secteur. Du fait de l'élévation de la nappe phréatique, les installations hydrauliques permettent de résister plus efficacement aux phases de sécheresse. En effet, au cours de ces périodes, un accident nucléaire peut survenir. Par ailleurs, les phases de sécheresse peuvent être atténuées par la multiplication de centrales microhydrauliques. La suppression de tant de petites installations de ce type constitue l'application d'un schéma énergétique dont nous savons tous aujourd'hui qu'il est dépassé.

Madame la secrétaire d'État, plutôt que de privatiser les barrages (Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM)…

Mme Danielle Brulebois. Il ne s'agit pas de privatiser !

Mme Mathilde Panot. …ce qui constitue une aberration écologique, économique et démocratique, allez-vous mettre en oeuvre un plan de réhabilitation des microcentrales hydroélectriques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Madame la députée, vous ne nous ferez jamais croire que nous voulons privatiser les concessions hydroélectriques en France (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) – jamais ! (Exclamations sur les bancs du groupe FI.)

M. Ugo Bernalicis. C'est le principe de la concession !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. J'ai rappelé l'importance qu'attachait le Gouvernement à la filière de l'hydroélectricité. (Exclamations sur les bancs du groupe FI.)

M. le président. Veuillez écouter la secrétaire d'État, mes chers collègues !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Il est clair que les objectifs affichés par la programmation pluriannuelle de l'énergie, les mesures de soutien à la petite hydroélectricité, les perspectives de suréquipement dans le cadre des renouvellements de concessions et l'entretien des installations existantes vont engendrer des investissements dans ce secteur. Je l'ai dit dans mon propos introductif, et je le répète : l'hydroélectricité est une énergie absolument capitale dans le mix énergétique français, et elle le restera.

Mme Mathilde Panot. Ce n'est pas vrai !

Mme Caroline Fiat. Pour cela, il ne faut pas de concessions !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. C'est une question d'intérêt général. Nous l'avons défendue, et nous continuons à la défendre auprès de la Commission européenne. C'est une priorité, qui demeurera.

En ce qui concerne la petite hydroélectricité, des appels d'offres pour les installations moyennes…

M. Ugo Bernalicis. Des appels d'offres qui ne concernent pas le secteur privé, naturellement !

M. le président. Seule Mme la secrétaire d'État a la parole !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. …vont être lancés. Je crois qu'il est aussi important d'utiliser les ouvrages existants, même si le potentiel total est limité, en France comme, plus généralement, en Europe occidentale. C'est un fait reconnu. Le potentiel hydroélectrique le plus élevé se situe dans des régions qui disposent de peu de barrages, par exemple en Asie, notamment en Inde et en Chine. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

M. Ugo Bernalicis. Nous, nous vous parlons de la France !

M. le président. Le débat est clos.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 15 mars 2019