Entretien de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à Europe1 le 27 septembre 2019, sur Jacques Chirac et la diplomatie française.

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  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Bonsoir, Jean-Baptiste Lemoyne.

R - Bonsoir.

Q - Alors lundi, la France dira au revoir à Jacques Chirac, une cérémonie solennelle en l'église Saint-Sulpice, dans le sixième arrondissement de Paris, et un conseiller de l'Elysée me disait tout à l'heure : c'est le monde entier qui arrive lundi à Paris. Est-ce que les services du Quai d'Orsay ont un ordre idée, savent combien de chefs d'Etat et de gouvernement étrangers seront parmi nous lundi ?

R - Je vous confirme, ça a été une nouvelle qui, dans le monde entier, a fait l'effet d'un coup de tonnerre. J'étais moi-même à l'ONU jeudi et tout le monde est venu spontanément pour présenter ses condoléances. Le secrétaire général Guterres a fait une déclaration et donc lundi plusieurs dizaines de chefs d'Etat, de gouvernement en exercice ou d'anciens chefs d'Etats seront présents. Des homologues avec lesquels il a travaillé dans un lien de confiance. Quelqu'un comme Abdou Diouf sera présent. Donc, ce sera un moment fort qui montrait combien Jacques Chirac était à la fois enraciné dans cette France et en même temps tutoyait l'universel, et j'avoue que jeudi à l'ONU, justement, je coprésidais avec le ministre des affaires étrangères japonais une réunion sur les financements innovants en matière de développement et c'est grâce à Jacques Chirac que nous avons mis en place des dispositifs, souvenez-vous, cette taxe sur les billets d'avion qui permet de baisser le prix des médicaments pour des populations qui en ont besoin.

Q - Notamment les malades du sida.

R - Exactement, et on le lui doit. C'était un moment très émouvant et j'ai demandé à ce qu'on puisse respecter une minute de silence. Et spontanément, toute l'Assemblée s'est levée. Philippe Douste-Blazy était à mes côtés ce qui ajoutait une dimension d'émotion puisqu'il avait été celui qui avait oeuvré aux côtés de Jacques Chirac pour mettre en place ce dispositif et je peux vous dire que les témoignages étaient très nombreux, des témoignages authentiques, sincères. Je crois que Jacques Chirac a marqué le monde dans son action internationale.

Q - Donc des dizaines de chefs d'Etat, Angela Merkel, Vladimir Poutine, ils se sont manifestés depuis le décès de Jacques Chirac. Est-ce qu'ils seront là lundi ? Vous le savez ?

R - Ce sont aux pays d'annoncer la présence de leurs responsables, mais je peux vous dire qu'entre les chefs d'Etat et de gouvernement en exercice ou anciens, ils seront effectivement plusieurs dizaines.

Q - Alors venons-en à la trace que Jacques Chirac a laissée sur la diplomatie française. D'abord peut-être pouvez-vous nous raconter, parce que vous au quotidien vous côtoyez nos diplomates au ministère. Est-ce que peut-être pour les plus anciens d'entre eux, ils font référence parfois dans la discussion à la période Jacques Chirac en matière de diplomatie ?

R - Il est vrai que Jacques Chirac a posé les bases d'une action de la France, par exemple, en tant qu'acteur, défenseur du multilatéralisme. Le fait de se dire : nous devons coopérer ensemble pour apporter des réponses aux problèmes que connaît le monde et d'ailleurs le président de la République lui-même a repris ce flambeau au moment où il est attaqué. Pour vous donner un exemple, un de ces diplomates m'en parlait encore hier, je pense à Christophe Arnaud, qui était en charge du Moyen-Orient auprès de Dominique de Villepin et qui avait travaillé du coup étroitement avec le président de la République et naturellement revenait cet épisode de 2003 où Jacques Chirac a fait en sorte que le Conseil de sécurité de l'ONU n'autorise pas cette guerre en Irak.

Q - Il a refusé que la France se joigne à la coalition derrière les Etats-Unis...

R - Et justement on a vu qu'il avait été clairvoyant, qu'il avait pris les bonnes décisions au bon moment et cela compte.

Q - Les bonnes décisions aussi parce que ce conflit en 2003 en réalité il a débouché hier, sur l'Etat islamique, sur les attentats aussi qui ont éventré la France en 2015. Est-ce que vous pensez que Jacques Chirac, quand il prend cette décision en 2003, il se dit aussi : je protège les Français.

R - Vous savez, il a été souvent en responsabilité et devant faire face à des événements tragiques. On se souvient des attentats terroristes dans les années 86-88, mais également dès 95 lorsqu'il devient président de la République. Souvenez-vous de ce terrible attentat au métro Saint-Michel. Et donc, il avait cette conscience aiguë qu'un certain nombre de personnes voulaient s'en prendre à nos intérêts. Et ce que je crois c'est qu'il avait une profondeur d'analyse qui faisait qu'il s'inscrivait dans le temps long et qu'il ne souhaitait pas que des décisions trop précipitées puissent dans le temps long, et c'est ce qui est arrivé, causer des dommages graves...

Q - Chez nous, sur les concitoyens français.

R - Et également sur les autres territoires puisque, regardez, l'Irak a été quand même déchiré pendant plusieurs années.

Q - C'était aussi, Jacques Chirac, le champion du monde arabe. On se souvient de la scène dans la vieille ville de Jérusalem, lorsqu'il menace de retourner à son avion. Pourquoi avait-il ce prisme diplomatique pro-arabe ?

R - Je crois que surtout, c'était un champion de la France comme puissance d'équilibre. C'est-à-dire que, souvenez-vous, en 89 s'effondre ce monde bipolaire où on avait d'un côté l'Union soviétique, de l'autre côté les Etats-Unis, et donc émerge aussi un monde avec de nouveaux acteurs. C'est à ce moment-là qu'émergent des puissances régionales, comme le Brésil, comme l'Afrique du sud, comme l'Egypte, et donc il a souhaité travailler avec ces nouveaux acteurs et faire en sorte qu'ils aient toute leur place sur la scène internationale. C'est vrai que c'est avec eux qu'on doit travailler sur le climat, sur le développement, je crois que c'est sa volonté d'inclusivité...

Q - Oui, mais c'est finalement Nicolas Sarkozy qui a fait le G20. Il y a quand même une filiation malgré tout ce qui les séparait. Jean-Baptiste Lemoyne, aucun tweet, aucune réaction de la part de Donald Trump, pas même un communiqué de la part du Département d'Etat américain. Est-ce que ça vous surprend ? Est-ce que c'est l'Amérique des fredom fries qui se venge ? Comment expliquez-vous cela ?

R - Je crois que lundi, d'une façon ou d'une autre, l'amitié du peuple américain, de ses dirigeants se manifestera.

Q - C'est-à-dire ? Vous avez des informations, manifestement.

R - Non. Elle se manifestera parce que... Non, je n'ai pas d'annonce à vous faire là-dessus. Ce que je peux dire c'est que le président Chirac a toujours eu une amitié exigeante avec le peuple américain. Une amitié, parce que nous sommes des alliés, mais exigeante parce que, justement, il s'agit de ne pas être non plus des vassaux. Il était en 2001 un des premiers à survoler...

Q - ...Le premier, le premier chef d'Etat étranger... à New York

R - ...à survoler ces twin towers qui avaient été effondrées suite à cet attentat terrible. Et surtout la France s'était engagée en Afghanistan à la suite de cela à la fin de 2001. Donc, nous savions être au rendez-vous lorsqu'il en était besoin aux côtés de nos alliés. Mais nous étions aussi exigeants. Et deux ans plus tard, c'est ce qu'il a fait valoir, lorsque nous n'étions pas convaincus par les éléments mis sur la table par les Etats-Unis s'agissant du conflit en Irak.

Q - Un dernier point, Jean-Baptiste Lemoyne, puisque vous faites partie des ministres de gouvernement venu de la droite. Selon vous, quel regard porterait aujourd'hui Jacques Chirac sur sa famille politique, les Républicains, la période Laurent Wauquiez, 8 % aux européennes.

R - Je crois que ce n'est pas le moment de faire parler le président Chirac. Moi, j'ai fait partie de cette génération qui, en 2001-2002, s'est engagée pour bâtir l'UMP, l'Union pour un Mouvement Populaire qui était son projet avec Alain Juppé de fédérer les différentes sensibilités de la droite, les libéraux, les centristes, les gaullistes pour en faire une grande famille et ce que je constate c'est que quinze ans plus tard, hélas, cette grande famille s'est rétrécie, s'est rabougrie et qu'en réalité nous sommes nombreux à avoir été chiraquiens, juppéistes, à ne plus nous retrouver dans ce qu'est devenu "les Républicains".

Q - Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre des affaires étrangères, merci d'avoir accepté mon invitation, ce soir.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2019