Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, sur les mesures prises par le gouvernement face à l'impact négatif du mouvement des "Gilets jaunes" sur l'économie, au Sénat le 19 mars 2019.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Audition devant la Commission des lois et la Commission des affaires économiques du Sénat, le 19 mars 2019

Texte intégral

Monsieur le Président de la commission des lois,
Madame la Présidente de la commission des affaires économiques,
Mesdames et messieurs les Sénateurs,


Les commissions des lois et des affaires économiques ont souhaité m'entendre sur les conséquences économiques de la crise des gilets jaunes et sur les mesures que nous avons prises pour y répondre.

Je suis très heureux de répondre à cette convocation et d'apporter toutes les précisions nécessaires.

Vous me permettrez de commencer par trois remarques générales sur l'impact de cette crise.

1ère remarque : l'impact est direct et de court terme. Il porte sur le chiffre d'affaires des entreprises et sur leurs pertes d'exploitation.

Nous avons évalué cet impact à 0,1 point de PIB pour le quatrième trimestre 2018 et jusqu'à un impact de 0,2 point de PIB pour 2018. Je maintiens cette évaluation après consultation de l'ensemble des fédérations que vous avez évoquées, celle du commerce, de la grande distribution ou des PME. Il faut être prudent sur ces évaluations car il y a des effets de reports qui sont toujours difficiles à évaluer, certains consommateurs pouvant reporter leur consommation. Je rappelle par ailleurs que cet impact s'ajoute à celui de la grève SNCF de 2018, qui est également évalué à 0,1 point de PIB au 2ème trimestre.

Mais ce qui est certain, c'est que la crise a eu un impact significatif sur le niveau notre croissance. Il est d'autant plus fort que la crise a éclaté au moment de consommation le plus important de l'année, celui des fêtes de Noël.

Concrètement, cet impact est lié aux blocages de certains dépôts, aux difficultés d'approvisionnement rencontrées par certaines grandes surfaces, et à la baisse de l'activité touristique, particulièrement à Paris, dans les secteurs de l'hôtellerie et de restauration. La fréquentation hôtelière a reculé de 1,1% en décembre par rapport à décembre 2017, avec un impact important à Paris où la baisse a été de 5,3%.

Il y a également eu un effet psychologique sur les comportements de consommation. Il a entraîné des reports d'achat et une baisse constatée par les professionnels et les élus de la fréquentation des centres-villes ou des artères commerciales les samedis, même s'il n'y avait ni manifestation ni de violence.

2ème : remarque : il y a également un impact indirect de long terme lié aux risques que ces manifestations font peser sur l'attractivité de notre pays.

Les images de violences abîment notre réputation et notre attractivité auprès des investisseurs étrangers et des touristes. Je rejoins ici ce qui a été dit par Christophe Castaner et Laurent Nunez sur la nécessité de prendre toutes les mesures pour mettre fin à ces violences qui nuisent à notre nation et à notre attractivité. Il est de notre responsabilité de rappeler que ces violences inacceptables ne remettent pas en cause les fondamentaux économiques de notre pays, qui restent solides.

Je tiens à rappeler que la France, depuis 2 ans, a retrouvé son attractivité auprès des investisseurs étrangers. Nous avons été la première nation en Europe en termes d'investissements industriels en 2017. Nous nous sommes maintenus au meilleur niveau en 2018.

Nous avons créé 342 000 emplois en 2017, 164 000 en 2018, et le rythme de la création d'emplois se maintient au premier semestre 2019.

Cette attractivité est l'un des éléments-clé du succès économique de notre pays, en particulier dans le contexte du Brexit. Suite au Brexit, les mesures d'attractivité qui ont été prises rapatrieront 4000 à 5000 emplois dans le secteur financier.

3ème remarque : ces impacts directs et indirects rendent d'autant plus remarquable la performance de la croissance française qui se maintient à un niveau robuste dans un environnement international dégradé.

Selon l'ensemble des prévisionnistes, la France devrait faire mieux en 2019 que la moyenne de la zone euro et que ses principaux partenaires - l'Allemagne et l'Italie - dans un environnement international incertain. La croissance devrait être de l'ordre de 1,4% en 2019, je présenterai ces prévisions lors du programme de stabilité.

1/ Au-delà de ces remarques générales, je suis heureux de présenter au Sénat l'action résolue et déterminée du ministère de l'Economie et des Finances depuis les premiers jours des manifestations.

Nous avons pris, dès le début, toute la mesure de la crise. Nous y avons apporté des réponses rapides, efficaces, en concertation étroite avec les professionnels.

J'en veux pour preuve la réactivation, dès le 27 novembre, de la cellule de continuité économique, réunie dès les premiers jours et comportant un rôle de prévention des risques qui sont susceptibles de peser sur les commerçants, artisans et PME.

Elle a apporté les informations et les expertises nécessaires pour répondre le plus rapidement possible aux conséquences économiques de la crise des gilets jaunes.

Ces réponses se sont accompagnées de réunions et de déplacements effectués par la secrétaire d'Etat ou moi-même, et une mobilisation permanente des services de mon ministère, à Paris (la DGE) et sur le terrain (DIRECCTEs). Je tiens à les remercier.

Le 26 novembre, j'ai reçu les représentants des organisations professionnelles et j'ai annoncé les premières mesures d'accompagnement. J'y reviendrai plus loin.
Le 3 décembre, en présence d'Agnès Pannier-Runacher et de Jean-Baptiste Lemoyne, j'ai confirmé les 6 mesures d'accompagnement pour les professionnels touchés.
Le 3 décembre également, Agnès Pannier-Runacher s'est déplacée auprès des artisans touchés par les violences à Paris.
Le 9 décembre, j'allais à la rencontre des commerçants touchés à Paris par la violente manifestation de la veille. Je suis allé voir un commerce de proximité, une librairie dégradée et une banque. Je rappelle que ces banques, qui ont systématiquement été prises à partie comme symbole du capitalisme, représentent 350 000 emplois et que le secteur financier représente au total 750 000 emplois. Lorsqu'on attaque les banques, on attaque ces employés.
Le 20 décembre, Agnès Pannier-Runacher échangeait avec des commerçants à Sens sur leur situation économique.
Le 8 janvier, j'organisais à Bercy une réunion avec les fédérations nationales de commerçants, les banques et les assureurs.
Le lendemain, Agnès Pannier-Runacher faisait l'ouverture des soldes à Paris et échangeait avec les commerçants sur les moyens de compenser les pertes subies à cause des manifestations.
Le 14 janvier, Agnès Pannier-Runacher se déplaçait à Chartres à la rencontre des commerçants.
Le 25 janvier, une autre réunion avec les fédérations locales de commerçants était organisée et une lettre était envoyée aux fédérations de commerçants.
Le 8 février, nous échangions avec la Fédération Bancaire Française sur les dispositifs de soutien aux commerçants. Agnès Pannier-Runacher, la même journée, allait rencontrer des commerçants de Paris ayant bénéficié des dispositifs mis en place.
Le 13 février, nous avons organisé à Bercy, en présence de Laurent Nunez, une réunion avec des maires et présidents de grandes villes sur l'impact des manifestations sur les habitants et les commerçants.
Le 14 février, Agnès Pannier-Runacher se rendait à Toulouse auprès des commerçants en difficulté.
Le 6 mars, Agnès Pannier-Runacher rencontrait de nouveau les fédérations locales de commerçants.
Le 7 mars, j'organisais une nouvelle réunion, en présence de Jacqueline Gourault et les représentants du ministère de l'Intérieur, avec à nouveau les maires et présidents des grandes villes, pour faire un nouveau point sur l'impact des manifestations sur les habitants et commerçants.
Enfin, hier, j'ai reçu à Bercy les artisans, les commerçants et les organisations professionnelles affectés par les manifestations des dernières semaines et en particulier du dernier week-end.
J'estime que toutes ces rencontres, ces contacts permanents assurés depuis le premier jour de la crise, ont garanti une réponse efficace et une attention de tous les instants aux risques.
Ces déplacements et rencontres se sont accompagnés de mesures concrètes.

2/ Quelles mesures ont été prises ?

Dès le 27 novembre, tous les professionnels ont pu solliciter l'étalement des échéances fiscales et sociales pour éviter des difficultés de trésorerie. Nous avons prolongé hier jusqu'au 30 avril ces dispositifs qui s'arrêtaient au 30 mars.

Pour l'étalement des échéances sociales, l'ACOSS a enregistré 5 187 accords de délais de paiements et de reports de termes.
Pour l'étalement des échéances fiscales, la DGFIP a accordé à 925 entreprises des mesures de bienveillance, sous forme de délais de paiements, de reports de pénalités, de remboursements accélérés de crédit d'impôt.

Dès le 27 novembre, les entreprises ont également pu bénéficier du chômage partiel mis en oeuvre par les services de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud.

5 100 entreprises et 73 500 salariés ont bénéficié de cette mesure de chômage partiel. Cela représente un effort de 38,5 millions d'euros pour l'Etat.

J'ai également pris la décision exceptionnelle de mettre en place une annulation d'impôts directs – impôt sur les sociétés ou impôt sur le revenu – pour tous les commerçants qui auraient subi à cause de la crise des gilets jaunes une perte significative de leur chiffre d'affaires, et dont la survie serait menacée. Cette mesure ne veut aucune défaillance de commerçants, d'artisans ou de PME liée à la crise des gilets jaunes. Cette mesure est simple d'accès, disponible sur Internet.

Nous avons exigé une implication totale des services économiques de l'Etat dans les territoires pour que toutes les entreprises soient accompagnées le plus vite possible.

Les commissions départementales des chefs des services financiers (CCSF) ont été mobilisées pour traiter avec bienveillance les demandes d'étalement de dettes fiscales et sociales. Les CCSF ont accordés 103 délais de paiement. Ce sont autant de défaillances d'entreprise qui ont été évitées.
Des cellules d'information et d'aides aux entreprises ont été mises en place dans chaque région. Ce sont plus de 400 entreprises qui y ont eu recours.
Hier, j'ai annoncé que ce dispositif serait renforcé par des équipes mobiles, composées des services de l'Etat - DGFIP, URSSAF, DIRECCTE - et des collectivités. Ces équipes seront mises en place dans tous les départements et toutes les villes les plus touchées. Elles viendront conseiller et aider les commerçants pour solliciter les aides à disposition.

Enfin, nous avons mobilisé les fédérations professionnelles qui se sont engagées pour réparer les dégâts causés et permettre à chacun de reprendre une activité normale le plus vite possible.

Les assureurs ont accéléré les indemnisations pour les entreprises concernées par les sinistres matériels et les pertes d'exploitation. Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, la Fédération Française de l'Assurance a recensé 10 000 sinistres pour un coût de 170 millions d'euros. Après ce week-end, j'estime, en liaison avec la Fédération Française de l'Assurance, ces sinistres à 200 millions d'euros. Les assureurs se sont également engagés à ne pas cumuler les franchises pour les dommages matériels causés par les manifestations aux commerçants. Comme vous m'avez posé la question, c'est évidemment le droit des commerçants de se retourner contre l'Etat s'ils estiment qu'ils ont subi un préjudice grave du fait d'un défaut de maintien de l'ordre et c'est le juge administratif qui rendra ses décisions.
La Fédération Bancaire Française s'est engagée à examiner avec la plus haute bienveillance, et au cas par cas, les situations des entreprises affectées dans leur activité afin de rechercher des solutions adaptées, notamment pour les besoins de financement à court terme et pour les besoins de trésorerie.

Je rappelle également que les banques et leurs salariés sont également touchés par le mouvement de manière particulièrement violente : la FBF a constaté plus de 500 dégradations graves d'agences bancaires pouvant entraîner des fermetures.

Voilà les quelques réponses que je voulais vous apporter.

Je condamne avec la plus grande fermeté les pillages et les violences dont les commerçants et les artisans ont été les premières victimes.

J'estime en conscience que nous avons pris toutes les mesures simples, efficaces et nécessaires pour répondre aux besoins des commerçants et des artisans.

J'en veux pour preuve le climat de confiance dans lequel nous travaillons depuis le début avec les fédérations professionnelles de commerçants et d'artisans.

Je continuerai, avec la secrétaire d'Etat, à accompagner les entreprises affectées par ces manifestations, à dialoguer avec chacune d'entre elles et à trouver les solutions adaptées.


Je vous remercie, et je vous écoute pour vos questions.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 20 mars 2019