Déclaration de Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, sur la précarité énergétique des ménages, au Sénat le 14 mars 2019.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Emmanuelle Wargon - Secrétaire d'Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire

Circonstance : Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, au Sénat le 14 mars 2019

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « La précarité énergétique des ménages. »

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande du débat dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(…)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Gay, ce débat est consacré à la précarité énergétique, devenue, vous avez malheureusement raison, une réalité pour nombre de nos concitoyens.

La lutte contre la précarité énergétique est donc un enjeu important de nos politiques de transition énergétique et de lutte contre la pauvreté.

Vous avez cité des données, je parlerai de celles de l'Observatoire national de la précarité énergétique : 11,9 % des Français ont consacré, en 2017, plus de 8 % de leurs revenus au chauffage, contre 13,8 % en 2013. Les progrès sont donc réels, mais extrêmement lents.

L'enquête annuelle du médiateur de l'énergie montre que 15 % des répondants ont souffert du froid plus de vingt-quatre heures dans leur logement, 40 % d'entre eux en raison d'une mauvaise isolation.

La précarité énergétique, ce sont des difficultés individuelles de ménages qui ne vivent pas bien, en tout cas pas dans un logement confortable, pour qui les dépenses de chauffage et de transports sont trop élevées et qui ont, vous l'avez rappelé, du mal à payer leur facture d'énergie.

Pour répondre à cette situation d'urgence énergétique et sociale, le Gouvernement a déjà mis en place des aides dédiées et les améliore chaque année.

En 2015, environ 158 000 ménages ont bénéficié d'une aide du Fonds de solidarité pour le logement pour payer leur facture d'énergie. On a dénombré, en 2017, près de 550 000 interventions des fournisseurs d'énergie à la suite d'impayés.

Depuis 2017, nous avons renforcé ces mesures. Nous les renforcerons encore en 2019 et en 2020. Elles portent d'abord sur les dispositifs facilitant le paiement des factures d'énergie. Je pense notamment au chèque énergie, créé par la loi de 2015 et généralisé en 2018. Il a profité, l'année dernière, à plus de 3,6 millions de ménages. Indépendant du mode de chauffage, il est plus équitable que les anciens tarifs sociaux de l'électricité et du gaz, et les ménages le reçoivent automatiquement, dès qu'ils y sont éligibles.

À l'automne 2018, nous avons annoncé l'élargissement de ce chèque énergie à 5,8 millions de ménages. Nous en avons également augmenté le montant moyen de 150 euros à 200 euros. Nous continuerons à améliorer ce dispositif dans les années à venir à la fois avec une procédure de droit à l'erreur et avec une automaticité du chèque et des droits associés encore plus grande.

Toutefois, ce sont les logements eux-mêmes qui constituent le fond du problème. C'est la raison pour laquelle nous portons notre effort sur la rénovation. Notre objectif est de réaliser 500 000 rénovations énergétiques par an, dont 150 000 pour les passoires énergétiques du parc privé – les plus importantes – et 100 000 logements sociaux que nous rénovons avec le concours de la Caisse des dépôts et du grand plan d'investissement.

Aujourd'hui, la France compte environ 7 à 8 millions de passoires énergétiques dont nous savons que la moitié est habitée par des ménages modestes ou très modestes.

Plusieurs outils existent : le crédit d'impôt pour la transition énergétique, ou CITE, les aides de l'Agence nationale de l'habitat, l'ANAH, la mobilisation des certificats d'économie d'énergie, ou C2E. Tout cela placé dans le cadre du plan Rénovation qui a été adopté en avril 2018.

Cette même année, l'ANAH a accompagné 62 000 rénovations dans le cadre de son programme Habiter mieux, soit près de 20 % de plus qu'en 2017. Son objectif est d'atteindre 75 000 rénovations aidées par an. Vous le savez, l'action de l'Agence permet de rechercher la synergie entre l'efficacité énergétique et d'autres axes d'intervention tels que la lutte contre l'habitat indigne ou le redressement de copropriétés en difficulté.

Ces rénovations sont ambitieuses et ont un effet extrêmement positif en matière d'économies d'énergie : nous constatons en moyenne un gain de 40 %.

Nous nous appuyons également, dans le cadre de cette politique publique, sur les certificats d'économie d'énergie. Entre début 2016 et mars 2018, ces certificats ont permis la rénovation d'environ 200 000 logements. L'obligation précarité énergétique dans le programme des C2E, entre 2018 et 2020, représente un investissement de près de 2 milliards d'euros sur trois ans.

Selon l'enquête « Travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles », ou Trémi, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie – l'Ademe –, nous estimons à environ 350 000 le nombre de rénovations énergétiques de logements chaque année.

Nous travaillons à mieux évaluer ces rénovations. Cela fait partie des objectifs que nous nous sommes donnés dans le plan de rénovation énergétique des bâtiments avec la création d'un observatoire.

Nous travaillons aussi sur le financement complémentaire. En loi de finances pour 2019, nous avons très fortement simplifié l'éco-prêt à taux zéro, ou éco-PTZ, à la fois sur les types de travaux et sur les types de logements éligibles.

Les C2E nous permettent également de mobiliser les banques pour faire en sorte qu'elles expliquent elles-mêmes à nos concitoyens les différentes aides dont ils bénéficient et la capacité à mobiliser des financements complémentaires.

Nos efforts portent également sur le terrain de la mobilité. Vous avez cité l'étalement urbain, monsieur le sénateur, et il est vrai que, dans les territoires ruraux et périurbains, la voiture reste indispensable.

Nous avons un double objectif de réduction des pollutions en termes de consommation de carburant et d'accompagnement des ménages les plus modestes.

Je citerai uniquement la mise en place de la prime à la conversion pour les vieux véhicules : 300 000 dossiers déposés en 2018, 255 000 traités et 71 % de ménages non imposables aidés à hauteur de 2 000 euros.

Nous avons renforcé cette prime en 2019 avec un doublement pouvant atteindre 4 000 euros, voire 5 000 euros, pour l'acquisition d'un véhicule électrique par des personnes relevant des deux premiers déciles de revenus ou des personnes non imposables roulant plus de soixante kilomètres par jour pour leurs déplacements professionnels.

Nous savons que nous devons aller encore plus loin en matière de lutte contre la précarité énergétique. Nous allons d'abord intensifier l'action en faveur des ménages modestes : en 2020, l'ANAH versera directement aux ménages éligibles l'équivalent du CITE sous forme de primes.

En effet, ce crédit d'impôt, versé pour l'instant avec une année de décalage, constitue un facteur bloquant important pour les ménages modestes ou très modestes.

Nous savons aussi que nous devons mieux informer les acteurs de la rénovation et les ménages. Nous devons mieux coordonner les actes, les financeurs et les moyens d'information sur la rénovation énergétique sous la bannière unique du réseau Faire, pour Faciliter, accompagner et informer pour la rénovation énergétique. La charte de ce réseau sera signée par plusieurs dizaines d'acteurs en avril prochain, sous l'égide du ministre d'État, François de Rugy, et de Julien Denormandie, ministre du logement.

Enfin, nous devons repenser l'organisation générale du service public de l'efficacité énergétique. Au regard du travail engagé avec Régions de France sur la définition précise de ses missions et sur ses modalités de financement, l'objectif est de proposer des solutions de mise en oeuvre nationale et des déclinaisons régionales à partir du troisième trimestre de 2019 dans des territoires pilotes.

Nous devons venir à bout des passoires thermiques, en particulier dans le parc locatif privé. L'orientation retenue par la programmation pluriannuelle de l'énergie consiste à renforcer les aides pour les propriétaires bailleurs avant d'envisager d'éventuelles phases plus normatives.

Dès lors, d'ici à 2021, la location d'un logement privé de catégorie F ou G ou la mutation d'un même logement seront soumises à la réalisation d'un audit énergétique. Pour accompagner cette obligation, il est d'ailleurs prévu de financer cet audit pour les ménages modestes, propriétaires de logements de type passoire énergétique.

Nous savons que le chemin est long, que nous devons encore renforcer les moyens et imaginer d'autres formes d'intervention. Nous attendons aussi le retour des propositions issues du grand débat national en cours dont j'espère qu'elles amèneront de nouvelles idées concrètes. En tout cas, soyez assurés que la mobilisation de ce gouvernement pour la lutte contre la précarité énergétique est totale.


- Débat interactif -

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, suivie d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Faisant abstraction de la loi, la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, a décidé de lancer la nouvelle attaque contre le service public de l'électricité, et ce alors même que l'Autorité de la concurrence s'y est opposée.

Pourtant, le 30 novembre dernier, le Premier ministre déclarait que les tarifs réglementés de l'électricité ne seraient pas augmentés durant l'hiver.

Les promesses n'engageant que ceux qui y croient, nous nous étions interrogés sur la portée réelle d'une telle annonce. Bien nous en a pris puisque, le 7 février dernier, la CRE a annoncé une hausse de 5,9 % des tarifs réglementés, au plus tard le 1er juin 2019.

Malgré la réponse du ministre de Rugy à la question d'actualité que je lui avais posée le 14 février dernier, il s'agit bien d'une hausse payée par les ménages sur la facture d'électricité, au mois de juin ou à l'hiver prochains.

Alors que la France traverse une crise sans précédent avec le mouvement des « gilets jaunes », dont l'une des préoccupations, comme l'a souligné mon collègue Fabien Gay, est liée à l'énergie, le silence du Gouvernement en dit finalement beaucoup sur son impuissance, dans ce domaine comme dans d'autres.

Ce silence est d'autant plus gênant que l'annonce de cette hausse a déjà été largement contestée, non seulement par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, mais surtout par l'Autorité de la concurrence qui reproche à la CRE d'abuser de son pouvoir en faisant fi des lois existantes pour imposer par voie réglementaire ce qui relève du pouvoir législatif.

Nous traversons donc une période inédite, puisque jamais deux autorités indépendantes, censées toutes les deux veiller et contrôler la concurrence, ne se sont trouvées publiquement en conflit.

Face à cette cacophonie, le Gouvernement doit prendre position. Les Français doivent savoir où il se situe face à cette hausse annoncée des prix de l'énergie et en matière d'amélioration du pouvoir d'achat de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice, vous m'avez interrogée sur les tarifs réglementés de l'électricité. Je voudrais vous apporter quelques précisions.

Comme vous le savez, les tarifs de l'électricité n'ont pas augmenté pendant l'hiver, comme le Gouvernement s'y était engagé à la suite à la crise que nous avons connue en octobre et novembre dernier. La prochaine augmentation sera donc appliquée, au plus tôt, le 1er juin.

Les formules sont fixées par la loi, en application des directives communautaires. Il n'existe aucun conflit entre les différentes autorités. L'Autorité de la concurrence n'a d'ailleurs pas dit que la CRE outrepassait son pouvoir sur le sujet.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. De 10 % à 12 % de la population est en situation de précarité énergétique et 15 % des personnes interrogées ont déclaré avoir souffert du froid dans leur logement l'hiver dernier. En outre, un tiers des Français ont restreint leur consommation de chauffage, faute de revenus suffisants. Enfin, les ménages en précarité dépensent en moyenne 22 % de plus pour la facture énergétique de leur logement que la moyenne nationale.

Nous connaissons donc les trois facteurs de la précarité énergétique : premièrement, la fragilité des foyers aux maigres ressources financières ; deuxièmement, la mauvaise isolation des logements ; troisièmement, le prix de l'énergie.

Nous connaissons aussi les graves conséquences que cette précarité peut entraîner sur la qualité de vie et la santé des personnes vivant dans les logements concernés.

Figurent parmi les mesures curatives la trêve hivernale des coupures d'énergie, l'interdiction des rattrapages de facturation remontant à plus de quatorze mois, peut-être même la mise en place d'un fournisseur d'électricité universel de dernier recours et, enfin, le chèque énergie, renforcé et élargi à toutes les énergies.

En ce qui concerne ce dernier, nous avions suggéré, par amendement, en décembre dernier, de faire plus – hélas, sans succès.

Il faut donc renforcer les mesures curatives et préventives pour faire face à l'urgence, car si nous voulons agir efficacement sur le moyen et le long terme, il faut faire un immense effort en matière de rénovation thermique des logements.

Je me permettrai deux suggestions, madame la secrétaire d'État, en sus des mesures existantes : transformer en prime le CITE – l'aide doit être directe et rapide – et mettre en place, pour les logements en location, une obligation de niveau minimal de performance afin d'en finir avec les passoires et la double peine pour les locataires.

Quelles sont vos intentions, madame la secrétaire d'État ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous avez isolé trois causes de la précarité énergétique qui me paraissent tout à fait importantes.

En ce qui concerne la fragilité des foyers, je voudrais compléter la présentation de l'action du Gouvernement en soulignant l'augmentation très significative de la prime d'activité, annoncée en décembre et mise en place le mois dernier, qui contribue à soutenir le pouvoir d'achat des ménages les plus modestes.

Pour ce qui est de l'isolation des logements, et pour répondre à votre question, sachez que nous avons l'intention de mener à bien la transformation du CITE en prime à compter du prochain budget. Nous allons fusionner ce crédit d'impôt, qui deviendra donc une prime à l'adresse des ménages les plus modestes, avec les aides de l'ANAH.

En ce qui concerne le durcissement des obligations à la location des passoires thermiques, comme je l'ai indiqué dans mon intervention liminaire, nous commençons par mettre en place une obligation d'audit énergétique, ce qui permettra d'objectiver la situation de ces passoires thermiques avant leur mise en location, avant d'envisager des solutions plus normatives.

Pour ce qui est du prix des énergies, comme je l'ai souligné, l'électricité n'a pas augmenté et le gaz a baissé au début de cette année. Enfin, nous avons étendu très fortement le chèque énergie, qui est passé de 3,6 millions à 5,8 millions de ménages éligibles en ce début d'année.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour la réplique.

M. Roland Courteau. Trop de logements sont des passoires énergétiques, trop de logements sont indécents au sens du décret « décence » de 2002. Des actions en justice sont possibles sur ce dernier fondement ; pourtant, je n'en connais que très peu.

Il est impératif de mettre en place cette obligation de niveau minimal de performance pour les logements en location. Vous ne nous avez pas répondu sur ce point, madame la secrétaire d'État.

Permettez-moi de rappeler les conséquences qu'entraînent ces logements passoires sur la qualité de vie des personnes en situation de précarité énergétique qui les habitent : dépression, anxiété, migraines, bronchites chroniques, mal de vivre permanent…

Enfin, en 2017-2018, les fournisseurs ont déclaré 540 000 suppressions de fourniture ou limitations de puissance à la suite d'impayés. Cela est inacceptable ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. « Dès que le froid arrive, c'est le casse-tête qui recommence. On sait qu'il va falloir dormir tous dans la même pièce. J'ai acheté un radiateur à roulettes que je mets en route le soir quand les enfants rentrent de l'école. En journée, je me débrouille comme je peux, je vais dans des endroits chauffés, comme les galeries marchandes. Dans le salon il fait à peine 12 degrés, pour avoir chaud on dort ensemble ». Voilà l'extrait d'un témoignage du rapport de la Fondation Abbé Pierre, publié en février dernier.

Face à ces situations de détresse, je tiens à souligner, avec l'ensemble de mes collègues du groupe du RDSE, le rôle central des collectivités territoriales pour soutenir, sur le terrain, les ménages en difficulté : les centres communaux et intercommunaux d'action sociale, les CCAS et les CIAS, les conseils départementaux, les régions et les métropoles sont des tiers de confiance, en première ligne, impliqués dans la conduite de politiques de prévention avec, par exemple, la construction ou la rénovation du parc de logements sociaux à basse consommation énergétique.

Selon une enquête conduite en 2017 par l'Union nationale des centres communaux d'action sociale, l'Unccas, l'aide au paiement des factures d'énergie est le second motif d'aide financière, après l'alimentation, mais avant l'aide au logement.

Un impayé d'énergie est un facteur aggravant pour les ménages les plus fragiles. Commence alors le cercle vicieux des arbitrages impossibles de la vie quotidienne tels que choisir entre manger ou se chauffer.

Il faut dire que la part du logement dans le budget des ménages est passée de 9,3 % en 1959 à plus de 22 % aujourd'hui.

En outre, 60 % des ménages les plus pauvres sont contraints par les dépenses fixes, contre 35 % pour les classes moyennes et aisées. La vulnérabilité énergétique des classes populaires est désormais posée dans l'agenda social.

Sans préfigurer les conclusions du grand débat national, quelles mesures compte prendre le Gouvernement pour alléger la charge financière des millions de ménages les plus précaires énergétiquement ? Comment comptez-vous renforcer la lutte contre la fracture sociale et territoriale qui s'exprime dans la rue depuis plusieurs mois déjà ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Je vous remercie, madame la sénatrice, d'avoir cité ce témoignage tiré du rapport de la Fondation Abbé Pierre. Nous devons garder à l'esprit la situation de tous ces hommes, de toutes ces femmes, de toutes ces familles qui sont dans la difficulté. C'est pour eux que nous travaillons tous les jours à améliorer les politiques publiques.

Je vous remercie aussi d'avoir souligné le rôle central des collectivités territoriales. Je partage votre point de vue : les communes et les intercommunalités notamment sont en première ligne.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous favorisons la contractualisation entre l'ANAH et les collectivités territoriales. L'Agence contractualise aujourd'hui avec environ 70 % des collectivités territoriales – communes ou intercommunalités – pour accompagner ces politiques, les démultiplier et favoriser l'accès des ménages les plus modestes, à des aides à la fois au paiement des factures et à la rénovation.

En ce qui concerne le chauffage, nous avons concentré des certificats d'économie d'énergie dans le dispositif Coup de pouce qui permet de changer des chaudières, au fioul ou au gaz, pour un euro. La famille n'a donc aucun investissement à faire. Le changement de chaudière permet aussi un gain vraiment significatif sur la facture d'énergie.

Le drame, tel qu'il ressort du témoignage que vous nous avez rapporté, c'est qu'il est très probable que cette famille, qui ne se chauffe pas ou très mal, ait néanmoins une facture énergétique élevée, du fait d'un radiateur électrique d'appoint qui n'est ni aux normes de qualité ni aux normes de consommation.

Nous devons promouvoir ensemble ces dispositifs auprès des ménages les plus modestes. Ce sujet devrait bien évidemment faire partie du grand débat. Nous serons à l'écoute de nos concitoyens pour compléter les solutions.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince.

M. Jean-Paul Prince. Madame la secrétaire d'État, je souhaite attirer votre attention sur la forte augmentation, ces dernières années, des tarifs de l'abonnement « effacement jour de pointe », ou EJP, proposé par EDF.

Cet abonnement, je le rappelle, permet aux consommateurs de bénéficier d'un tarif d'électricité avantageux la majorité de l'année, hormis certains jours en automne et en hiver, où ce tarif augmente fortement. Cet abonnement est profitable tant aux consommateurs, qui allègent leur facture, qu'au fournisseur d'électricité, qui profite de leur consommation réduite au cours des 22 « jours de pointe ».

L'abonnement « effacement jour de pointe » n'est plus disponible à la vente depuis 1998, et seules les personnes l'ayant souscrit antérieurement à cette date ont encore le droit d'en bénéficier. Toutefois, pas moins de 450 000 foyers l'utilisent encore, et c'est d'ailleurs par des abonnés que j'ai été alerté d'une augmentation des tarifs.

En effet, on assiste depuis plusieurs années à une augmentation continue de l'option EJP pour les « jours classiques ». En 2017, elle a été de 6,5 %. Parallèlement, on constate une baisse du prix des tarifs les « jours de pointe ».

Le tarif de l'électricité pour les « jours classiques » ayant quasiment rejoint celui d'autres abonnements, l'option EJP est de plus en plus dénuée d'intérêt.

Plusieurs arguments plaident en faveur de la préservation d'un tarif EJP distinct du tarif de base. Premièrement, il est à craindre qu'une telle augmentation mette certains abonnés en situation de précarité énergétique. Deuxièmement, le tarif EJP permet de baisser la demande d'énergie pendant les « jours de pointe », où la consommation est la plus forte et où l'offre peine parfois à suivre la demande. Enfin, troisièmement, ce système s'inscrit pleinement dans les engagements pris par notre pays en matière de réduction de sa consommation d'énergie.

Par conséquent, ne pensez-vous pas, madame la secrétaire d'État, qu'il serait pertinent de ne pas priver d'effet l'option EJP, à moins d'offrir une alternative aux abonnés ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous m'avez posé une question sur le tarif EJP. L'option EJP, ou « effacement des jours de pointe », a été mise en place en 1982. Il s'agit d'un tarif à effacement destiné à faire baisser la consommation lors des jours de pointe, soit vingt-deux jours par an, avec dix-huit heures de pointe dans chacune de ces journées, choisies la veille pour le lendemain en fonction des prévisions de court terme de la demande et de la disponibilité des moyens de production.

Pendant ces jours de pointe, le prix de l'électricité est plus cher, pour inciter à une diminution, voire à un effacement, de la consommation. Les autres jours, le prix de l'électricité est plus faible que la moyenne.

La création de l'option Tempo en 1996 poursuivait la même logique que l'option EJP, en offrant des prix contrastés selon un découpage en trois types de jours. Cette option a permis une avancée dans le domaine de la flexibilité, en permettant une gestion plus fine des incitations, mieux à même de s'adapter aux variations de prix sur toute l'année, alors qu'EJP propose une approche plus simple, sur vingt-deux jours de pointe.

En 1997, EDF et l'État ont considéré qu'il n'était pas nécessaire de faire coexister ces deux offres à effacement dans l'option des tarifs réglementés de vente, et l'option EJP, comme vous l'avez signalé, a été mise en extinction. Aucune nouvelle souscription n'est donc plus possible depuis 1997.

Il faut savoir que ces deux options, EJP comme Tempo, ne sont pas des outils de lutte contre la précarité énergétique. Ce sont des outils permettant de limiter la consommation les jours de grande tension sur le système électrique. Ils peuvent néanmoins permettre aux ménages de réduire leur facture, si ces derniers sont prêts à faire des efforts significatifs de flexibilité sur leur consommation. Ces efforts sont facilités par le développement des équipements connectés et pilotables à distance.

Vous m'alertez sur l'évolution des tarifs EJP, à laquelle je porterai une attention particulière. En attendant, le ministère conduit des études avec l'Ademe et la CRE, pour voir s'il y a un intérêt à développer davantage ces types d'effacement dits tarifaires et définir les outils à développer pour ce faire.

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, 6,7 millions de Français dépensent plus de 8 % de leurs revenus dans l'énergie. Ma collègue Françoise Laborde l'a dit, il faut calfeutrer portes et fenêtres, dormir habillé, vivre dans une seule pièce l'hiver ou s'endetter pour payer les factures. En effet, 10 % des Français éprouvent des difficultés à chauffer leur logement.

La pauvreté et l'accès à un logement décent font partie depuis longtemps des politiques publiques, mais la question de l'énergie est plus récente et trouve sa définition officielle dans la loi Grenelle II de 2010.

Cette précarité est un facteur aggravant de la pauvreté, qui va bien au-delà du mal-logement. Elle pousse les ménages au surendettement, sans compter que le manque de chauffage est également dangereux pour la santé physique et psychologique.

Certes, des dispositifs existent pour limiter cette précarité et des fonds européens dédiés aux collectivités locales permettent de financer l'isolation des appartements HLM anciens, mais également des propriétés dégradées.

Pour exemple, la communauté d'agglomération Melun Val de Seine a permis à l'office public départemental de recevoir un million d'euros, soit 50 % du coût de la rénovation thermique de 234 logements. Cela devrait représenter 30 % d'économies sur les charges de chauffage des locataires.

La précarité énergétique est l'un des sujets sur lesquels l'écologie s'accorde le mieux avec l'économie. Parvenir à mieux utiliser l'énergie, pour en consommer moins, voilà qui serait bon pour le pouvoir d'achat et l'environnement.

Madame la secrétaire d'État, m'appuyant sur une recommandation formulée le 29 janvier dernier dans un rapport d'information parlementaire, je voudrais savoir si le Gouvernement compte augmenter les aides aux opérateurs et les contraindre, pour ce qui concerne les opérateurs privés, pour en finir avec les passoires énergétiques. De quelle manière et à quelle échéance ? (Mme Nassimah Dindar applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice, vous rappelez dans votre intervention la difficulté des familles, évoquée également par votre collègue, qui font face, dans des situations de pauvreté, à la précarité énergétique et, plus généralement, au mal-logement.

Vous avez raison, cette notion a été définie dans la loi Grenelle II. C'est important, parce que cela permet de nommer la difficulté et, donc, de la traiter.

Vous avez évoqué les situations de surendettement. C'est la raison pour laquelle nous insistons aujourd'hui sur le travail avec les banques, à la fois pour qu'elles soient en état de repérer ces situations, mais aussi de proposer des solutions à leurs clients, solutions financées par la puissance publique au travers du CITE ou des programmes d'économie d'énergie, et cofinancées par elles-mêmes au travers d'un prêt à taux zéro amélioré.

L'exemple de Melun Val de Seine montre qu'il est effectivement possible de concilier écologie et économie. La politique de rénovation bénéficie à la fois à la planète et à la solidarité.

S'agissant des bailleurs sociaux, nous avons un objectif annuel de 100 000 rénovations de logements sociaux chaque année, financées à hauteur de 3 milliards d'euros par la Caisse des dépôts et consignations et le grand plan d'investissement. Elles font l'objet d'une très large contractualisation avec les bailleurs sociaux. Nous atteignons d'ailleurs ces résultats annuellement depuis quelques années. Peut-être sera-t-il temps, un jour, d'augmenter notre ambition.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Aujourd'hui, en France, la précarité énergétique est un enjeu social, sanitaire et environnemental préoccupant. Elle touche 5,1 millions de ménages. Ce sont des jeunes, des retraités, des inactifs, qui vivent dans de véritables passoires thermiques et consacrent plus de 10 % de leurs revenus aux dépenses d'énergie. Dans les territoires ruraux, ils sont aussi les premières victimes de la hausse des prix du carburant.

Depuis de nombreuses années, les pouvoirs publics se sont pourtant mobilisés et ont mis en place un certain nombre de dispositifs pour aider au paiement des factures.

Certains d'entre eux, notamment le chèque énergie, s'inscrivent en prévention des situations d'impayés, alors que d'autres, par exemple le Fonds de solidarité pour le logement, le FSL, interviennent directement. Il y a aussi les aides de l'Agence nationale de l'habitat, qui ciblent les ménages les plus modestes.

J'ai échangé avec l'Agence départementale pour l'information sur le logement de la Mayenne à ce propos. Elle m'a fait part du manque de lisibilité, pour les locataires, les propriétaires et les artisans, de ces dispositifs, ainsi que de l'émiettement des aides au niveau local, régional et national, qui freine leur efficacité.

Mon collègue Vincent Segouin le dira tout à l'heure, il rencontre le même problème avec les aides versées en amont pour la rénovation énergétique.

J'ajoute que le démarchage téléphonique frauduleux dans ce secteur est exponentiel et abuse la confiance des consommateurs.

Madame la secrétaire d'État, comment optimiser les aides dans le parc privé, au bénéfice des habitants, mais aussi des entreprises du secteur ?

J'aimerais également vous alerter sur le fait que certains bailleurs n'investissent pas dans la rénovation énergétique de leur bien, profitant de la pauvreté de leurs locataires. Comment remédier à une telle situation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous avez raison, il existe de nombreuses aides, que vous avez citées. Pourtant, elles ne sont pas toutes lisibles ni suffisamment connues et garanties. Ainsi, le Fonds de solidarité pour le logement aide chaque année 300 000 ménages à hauteur de 250 euros environ. Ces fonds sont gérés par les conseils départementaux. J'ai également cité le chèque énergie, qui concernera bientôt 5,8 millions de ménages, pour une moyenne d'environ 200 euros par ménage, et le CITE, qui sera, l'année prochaine, transformé en prime pour les ménages les plus modestes et fusionné avec les aides de l'ANAH.

La question posée est bien celle de la lisibilité, de la transparence et de la garantie données à toutes ces aides. C'est la raison pour laquelle nous massifions les programmes de rénovation financés par les certificats d'économie d'énergie, désormais portés par les grands énergéticiens eux-mêmes, qui sont en mesure de convaincre leurs clients du sérieux et de la réalité de ces aides.

C'est également la raison pour laquelle nous développons le programme Faire, qui est une plateforme destinée à tous les acteurs. Il doit permettre de créer un label reconnu par nos concitoyens et par les professionnels, pour porter des offres garanties par l'État et de qualité.

C'est enfin la raison pour laquelle nous travaillons, depuis la loi de 2015, en reprenant cette réflexion avec Régions de France, sur la mise en place d'un service public de l'efficacité énergétique, qui nécessite la simplification des guichets, voire le passage à un guichet unique, mais aussi la capacité à certifier l'existence de tiers de confiance, qui sont seuls capables de convaincre nos concitoyens de mener des actions de rénovation.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.

M. Guillaume Chevrollier. Madame la secrétaire d'État, effectivement, dans le domaine du logement, comme dans beaucoup d'autres d'ailleurs, les dispositifs doivent être simples, lisibles et stables, pour permettre une appréhension globale du sujet, à la fois par les clients et les opérateurs économiques – je pense aux artisans qui sont mobilisés sur le terrain.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. Ma question s'inscrit bien évidemment, madame la secrétaire d'État, dans le prolongement des questions qui viennent de vous être posées.

La précarité énergétique s'est imposée, en France, comme un sujet de préoccupation majeur.

Selon l'Observatoire national de la précarité énergétique, 6,7 millions de Françaises et Français dépensent plus de 8 % de leurs revenus dans l'énergie. Au cours de l'hiver dernier, 15 % des ménages ont affirmé avoir souffert du froid dans leur domicile.

Les raisons évoquées ? Des défauts d'isolation dans 40 % des cas et/ou un manque de chauffage. Un ménage sur quatre est en situation de vulnérabilité énergétique, avec une surreprésentation des ruraux, des agriculteurs et des retraités.

Afin de limiter les effets de la précarité énergétique, un certain nombre de dispositifs ont été mis en place par le législateur. Les tarifs sociaux de l'énergie ont été remplacés en 2018 par un chèque énergie d'un montant moyen de 150 euros. Il a été perçu par 3,6 millions de ménages. Cette année, il passera à 200 euros en moyenne et sera largement étendu. D'autres organismes – le FSL, les CCAS, les CIAS et des associations – aident au paiement des factures d'énergie.

À long terme, la meilleure façon d'éradiquer la précarité énergétique reste la rénovation des logements. L'ANAH a ainsi mis en place un programme « Habiter mieux », qui permet de subventionner, pour les ménages modestes, jusqu'à 50 % des travaux. Des éco-prêts à taux zéro peuvent aussi être alloués. Mais tous n'y ont pas recours, parfois par manque d'information.

Ma question est donc la suivante : quels sont les moyens développés aujourd'hui afin de mieux informer les ménages en situation de précarité énergétique sur tous ces dispositifs ? Je veux parler de celles et ceux qui se perçoivent aujourd'hui comme « invisibles ».

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice, je vous rejoins pour ce qui concerne une meilleure prise en compte de ceux qui ont parfois l'impression d'être « invisibles ». L'enjeu est de réussir à atteindre chacun d'entre eux pour leur permettre d'améliorer leur situation.

Les questions du non-recours et de l'information sont donc extrêmement importantes dans cette politique, à la fois de lutte contre la précarité énergétique par le soutien du pouvoir d'achat, mais aussi de rénovation.

Le chèque énergie a fait l'objet de nombreux travaux. Pour la campagne de 2017, son taux de recours a été de 82,5 %, ce qui est plutôt encourageant, si l'on considère le taux de recours aux aides sociales traditionnelles. Nous devons néanmoins faire mieux. Nous continuons donc à simplifier ce dispositif et à relancer les personnes n'ayant pas activé leur chèque énergie. Toutefois, 93 % des bénéficiaires affirment qu'ils ont compris le dispositif et qu'ils savent s'en servir.

Au-delà du chèque énergie, il y a l'accès au programme de rénovation de l'ANAH. Dans la mesure où 65 000 rénovations ont lieu chaque année dans ce cadre, l'objectif de 75 000 rénovations n'est pas atteint. Nous pouvons donc aller plus loin, en sensibilisant les ménages modestes au fait qu'ils peuvent avoir accès à ce programme. Tel est l'objectif de la plateforme FAIRE, que je citais dans mon propos précédent.

Enfin, nous mettons une partie de l'argent des certificats d'économie d'énergie dans des programmes d'accompagnement. Je vous ai cité celui qui concerne les banques, mais il existe d'autres programmes d'accompagnement à la rénovation énergétique, par exemple un programme porté par le collectif CLER-Réseau pour la transition énergétique, nommé Slime, pour service local d'intervention pour la maîtrise de l'énergie. Ce programme d'information permet de sensibiliser les ménages en situation de précarité énergétique, pour qu'ils puissent avoir accès à la rénovation.

La Poste mène également un travail de proximité, pour permettre à tous ses clients de connaître les aides et d'avoir accès à ce type de travaux. Nous poursuivrons nos démarches en ce sens.

M. le président. La parole est à M. Joël Bigot.

M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la veille du dépôt du projet de loi Énergie, le Gouvernement a décidé de revoir sa copie, jugeant le texte trop peu ambitieux sur le climat. Ce report intervient alors qu'est déposé aujourd'hui un recours au tribunal administratif pour inaction climatique, dans un contexte de mobilisation citoyenne sans précédent en faveur du climat, lancée par la jeune Suédoise Greta Thunberg.

L'avis du Conseil national de la transition écologique, le CNTE, dont j'ai l'honneur d'être membre, était pour le moins réservé sur ce projet de loi qui entérine des reculs importants par rapport à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

En effet, le texte n'aborde pas la question centrale qui nous réunit ici, à savoir la lutte contre la précarité énergétique, laquelle est au coeur du nouveau contrat social et écologique à mettre en place. Madame la secrétaire d'État, les deux questions sont intimement liées.

Nous sommes heureux de constater que le Gouvernement, après avoir développé pléthore d'éléments de langage, considère maintenant qu'il lui faut revoir sa copie.

J'espère que cette révision vous permettra, madame la secrétaire d'État, de prendre en compte les remarques du CNTE, qui vous invitait à « instaurer le service public de performance énergétique de l'habitat prévu par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ».

La programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit 500 000 rénovations par an. Alors que nous sommes encore très loin de cet objectif, vous annoncez aujourd'hui 350 000 rénovations par an.

L'Autorité environnementale vient de rendre un avis acerbe sur le manque d'ambition du Gouvernement s'agissant du plan de rénovation thermique. Selon cette instance, 15 milliards à 30 milliards d'euros devraient être dépensés chaque année pendant trente ans pour rattraper le retard pris.

Au-delà du manque de financement, l'absence de structuration du service public de performance énergétique fait courir un très grand risque aux ménages, qui peuvent être confrontés à des maîtres d'ouvrage indélicats, que les associations de consommateurs ne cessent de dénoncer.

Madame la secrétaire d'État, allez-vous prendre à bras-le-corps la lutte contre les passoires thermiques ? Des outils simples, fondés sur les données de consommation, peuvent permettre de les identifier. Ils existent chez nos voisins belges ou scandinaves et peuvent être mis en place rapidement.

S'il est utile d'informer et de coordonner, il faut surtout être lisible !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous m'avez interrogée sur l'ambition de la loi de programmation pluriannuelle de l'énergie. J'aimerais vous rassurer, cette dernière ne témoigne pas d'un retrait de notre ambition, bien au contraire ! Elle porte la volonté d'atteindre la neutralité carbone en 2050. C'est plus que l'objectif précédent, à savoir une division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre.

Je sais que ce sujet a pu donner lieu à certaines incompréhensions. C'est la raison pour laquelle nous allons clarifier ce point. La neutralité carbone en 2050 suppose une réduction de nos émissions par un facteur plus élevé que le facteur précédent, c'est-à-dire la division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, nous conservons la même ambition en matière de réduction de la consommation d'énergie.

S'agissant du service public de l'efficacité énergétique, comme j'ai eu l'occasion de le dire dans mon propos introductif, il doit maintenant être mis en oeuvre. Pour ce faire, nous devons travailler avec les collectivités territoriales, en particulier avec les régions.

Il est exact que nous faisons face à un empilement important d'aides. Il est donc nécessaire d'aller vers plus de simplicité et de lisibilité. En outre, de nombreux niveaux de collectivités locales interviennent. Il convient donc d'instaurer une meilleure coordination entre les régions, les départements, les communes, les intercommunalités et l'État. Tel est l'objet du travail qui commence dans trois régions pilotes. Il doit nous permettre de trouver la meilleure organisation possible au service de nos concitoyens.

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. La précarité énergétique des ménages est un sujet de préoccupation majeur. Un seul chiffre en témoigne : entre 5,8 millions et 6,7 millions de ménages sont concernés en France, dans tous les territoires.

Trois problèmes se posent. Il convient tout d'abord de renforcer les moyens de toutes les parties prenantes s'agissant de la mauvaise qualité énergétique des bâtiments.

Ensuite, face à l'augmentation progressive du prix de l'énergie, ne faudrait-il pas, madame la secrétaire d'État, s'interroger sur les méthodes de calcul des tarifs ?

Enfin, dans un contexte de vulnérabilité financière des ménages aux plus faibles revenus, l'indicateur du « taux d'effort énergétique » par rapport aux revenus exclut de l'analyse ceux qui ont froid parce qu'ils ne se chauffent pas. Or ils sont nombreux.

Le Gouvernement ne doit pas, dans le cadre du projet de loi sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, revoir ses ambitions à la baisse. Sinon, nous laisserons davantage de pauvres au bord de la route.

Quant au chèque énergie, son taux d'utilisation atteignait, à la fin de 2018, 70,57 % en moyenne sur le territoire national. Des textes réglementaires ont été publiés pour en améliorer le fonctionnement.

Néanmoins, très concrètement, que comptez-vous faire, madame la secrétaire d'État, pour combler les failles du dispositif s'agissant de la non-utilisation par les bénéficiaires des attestations leur permettant d'avoir recours à des droits protecteurs complémentaires ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice, vous m'avez interrogée sur la manière dont on peut accompagner les ménages les plus vulnérables. Il s'agit effectivement de l'un de nos objectifs de politique publique en matière de lutte contre la précarité énergétique.

C'est bien la raison pour laquelle nous avons mis en place le chèque énergie, qui remplace les tarifs sociaux de l'électricité et du gaz, ce chèque énergie étant à la fois plus juste et plus simple d'utilisation.

D'abord, les ménages éligibles le sont sur la base de leurs revenus, donc indépendamment de la réalité de leur effort, pour tenir compte du fait que, comme vous le signalez, certains ont simplement abandonné leur capacité à se chauffer et donc à consommer. Mais ce sont bien tous les ménages modestes qui sont accompagnés. Nous avons augmenté le seuil de revenus pour l'éligibilité à ce chèque énergie, ce qui nous permet de viser près de 6 millions de ménages cette année, contre moins de 4 millions de ménages l'année précédente.

Le montant moyen de l'aide était de 150 euros environ jusqu'en 2018. Il passera à 200 euros environ cette année.

Par ailleurs, nous n'avons pas revu nos ambitions à la baisse dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie, pas plus que dans la loi Énergie qui vient d'être citée, puisque nous maintenons notre ambition de 500 000 rénovations par an. Nous maintenons également notre ambition d'une baisse globale de la consommation d'énergie de 20 % sur la durée de la PPE. Notre ambition est donc inchangée en matière de rénovation et d'accompagnement des ménages les plus modestes.

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, pour la réplique.

Mme Denise Saint-Pé. Madame la secrétaire d'État, le chèque énergie doit faire mieux, dans la mesure où seulement 70,57 % des bénéficiaires potentiels – 69,70 % dans mon département – en font aujourd'hui usage.

Par ailleurs, comment se fait-il que les personnes bénéficiant du chèque énergie ne puissent pas bénéficier des autres services ? Vous ne m'avez pas répondu sur ce point ! En effet, on leur demande de renvoyer à leur fournisseur d'électricité ou de gaz des documents, alors que, nous le savons tous, ces personnes sont, face à une situation complexe, plus vulnérables que la moyenne des Français. (Mmes Nassimah Dindar et Jocelyne Guidez applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Mouiller. Le traitement de la précarité énergétique par le biais du tarif de première nécessité, le TPN, alloué à une catégorie de clientèle définie par décret du 8 avril 2004 a fonctionné de 2005 à 2017. Cette disposition permettait d'accorder une déduction forfaitaire pouvant aller jusqu'à 140 euros par an, selon la puissance souscrite et la composition familiale. Ce dispositif était entièrement automatisé.

Les charges induites par la mise en oeuvre du dispositif TPN pour les fournisseurs d'énergie faisaient l'objet d'une déclaration au régulateur, la CRE, et étaient financièrement compensées. Des champs spécifiques étaient prévus dans la déclaration à cet effet.

Depuis janvier 2018, un nouveau dispositif appelé chèque énergie, institué par décret du 6 mai 2016, a été mis en place et s'est substitué au TPN après deux années d'expérimentation. Il s'agit d'un moyen de paiement qui est distribué aux bénéficiaires par l'Agence de services et de paiement, l'ASP, suivant un calendrier prédéfini par la région.

Ce dispositif n'est pour l'instant pas entièrement automatisé, car les bénéficiaires adressent leur chèque énergie au format papier, ce qui entraîne pour les fournisseurs des charges de gestion administrative et de traitement des appels téléphoniques.

Pour ce nouveau dispositif, aucune rubrique n'est prévue dans le formulaire de déclaration de la CSPE au régulateur, pour se faire compenser ces charges supplémentaires.

Madame la secrétaire d'État, comment comptez-vous remédier à cette situation, qui nécessite une compensation des charges induites ? Ces dernières seront amplifiées en 2019 par l'augmentation du nombre de bénéficiaires du chèque énergie, qui devrait passer de 3,6 millions à 5,8 millions au niveau national ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous avez raison, le chèque énergie s'est substitué au dispositif précédent des tarifs sociaux de l'énergie à compter de 2018.

Vous l'avez mentionné dans votre question, ce chèque a d'abord été expérimenté dans plusieurs départements pendant deux campagnes, ce qui me paraît intéressant. Il s'agissait de trouver le dispositif le plus opérationnel possible. Son taux de recours est aujourd'hui, comme je le disais, d'un peu moins de 83 %. Néanmoins, il est perfectible, vous avez raison, les uns et les autres, de le rappeler.

Nous travaillons dans trois directions pour l'amélioration de ce dispositif, certaines actions ayant déjà été mises en place.

D'abord, il s'agit de la possibilité d'utiliser le chèque énergie pour payer en ligne. Le chèque devient donc un moyen de paiement pour 30 % de ses utilisations, pour les fournisseurs qui ont déjà réalisé les développements nécessaires.

Ensuite, nous organisons également la possibilité de préaffecter le chèque directement au fournisseur. Environ 600 000 demandes ont eu lieu au titre de la campagne de 2018. Dans ce cas, le bénéficiaire reçoit non plus directement son chèque, mais simplement un courrier lui rappelant son choix de préaffectation, accompagné des attestations nécessaires.

Enfin, nous prévoyons la possibilité, à compter de la campagne de 2019, de préaffecter également l'attestation, afin que la personne dont la situation n'évolue pas d'une année sur l'autre n'ait plus aucune action à réaliser et bénéficie automatiquement du chèque et de ses droits associés. Pour les fournisseurs, le remboursement du montant du chèque sera donc dématérialisé. Les flux sont signés pour les fournisseurs les plus importants et la remise dématérialisée sera disponible dans les prochaines semaines pour les plus petits.

Nous sommes donc attentifs à faire évoluer le dispositif, pour répondre au mieux aux attentes et aux enjeux des personnes les plus démunies, pour un coût le plus juste possible.

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville.

Mme Angèle Préville. On calfeutre son habitat, on vit dans une pièce unique ou on s'endette pour payer son électricité, c'est devenu une réalité dans notre pays.

Aujourd'hui, le fait d'être locataire est de plus en plus un indice de situation financière délicate. Parmi les ménages concernés, certains n'accéderont jamais à la propriété ; ils sont et seront toujours captifs d'un marché insuffisamment réglementé.

Ce débat est donc l'occasion de se pencher sur le cas particulier des locataires en situation de précarité énergétique. Les difficultés financières conduisent ces personnes à se tourner vers les loyers les moins onéreux, les moins-disants du marché, c'est-à-dire vers les habitats qui ont une mauvaise performance énergétique, ceux qui correspondent souvent aux classes F et G du diagnostic de performance énergétique, le DPE. Mal isolées, humides, voire dégradées, ces résidences font exploser la part du budget de ces ménages consacrée aux factures énergétiques. Ainsi, vous n'êtes pas sans le savoir, en ce moment même, des familles ne se chauffent pas et renoncent à l'eau chaude.

Certes, le système actuel apporte des réponses – chèque énergie, aides sociales, obligation du DPE, qui est opposable au bailleur depuis la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN –, mais ce modèle est largement perfectible. À terme, pour éradiquer cette précarité, il faudra rendre obligatoire la rénovation de ces passoires énergétiques.

Nous le savons parfaitement, les propriétaires peuvent rester sourds aux demandes des locataires, qui n'ont ni le choix de changer d'habitat ni les moyens légaux de contraindre leur bailleur à engager les travaux nécessaires.

M. Roland Courteau. Eh oui !

Mme Angèle Préville. Face à ce défi majeur pour notre société, en proie à une crise profonde et dans laquelle la justice sociale est plus que jamais au coeur du débat, que comptez-vous mettre en place, madame la secrétaire d'État, pour résoudre cette épineuse équation ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous avez raison, madame la sénatrice, la question des locataires est particulièrement délicate pour les politiques de rénovation énergétique.

Bien évidemment, nous en avons parlé, nous aidons les locataires à payer leurs factures – au moyen du soutien général au pouvoir d'achat via la prime d'activité, du chèque énergie, que vous avez mentionné, ou du Fonds de solidarité pour le logement. Néanmoins, il est vrai que la porte d'entrée des aides aux travaux de rénovation demeure plutôt, vous l'avez souligné, le bailleur que le locataire. Or il est particulièrement difficile d'atteindre, au travers de ces politiques publiques, les propriétaires bailleurs, qui financent les travaux, mais n'en tirent pas de bénéfice immédiat dans leur facture énergétique, alors même que leurs locataires sont très souvent dans une situation de précarité énergétique.

Pour agir, nous passons d'abord par une phase incitative ; ainsi, en 2020, le bénéfice du CITE sera étendu aux propriétaires bailleurs. Cela permettra de les inciter, au moyen d'une aide fiscale, à réaliser des travaux pour leurs locataires.

Ensuite, nous travaillons sur une obligation, applicable dès 2021, de réaliser un audit sur les logements énergétivores, ayant un DPE de classe F ou G, qu'ils soient mis en location ou vendus.

Enfin, à plus long terme, si ces mesures ne s'avèrent pas suffisantes, la question d'une éventuelle interdiction de location des passoires énergétiques, que vous avez mentionnée, pourra se poser.

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.

Mme Angèle Préville. La France a adopté le programme de développement durable dans le cadre des objectifs de développement durable de l'ONU, dont le premier concerne la fin de la pauvreté, le septième le coût abordable de l'énergie, et le dixième la réduction des inégalités. Notre débat rejoint pleinement ces questions ; cela nous oblige.

Ne faudrait-il pas anticiper les problèmes plutôt que de mal panser les plaies ? Ne pensez-vous pas qu'il serait plus juste de faire, plutôt que du curatif, du préventif et surtout du normatif ? Ainsi, pourquoi ne pas avoir préconisé le plafonnement des loyers des habitations classées F ou G, sur un modèle similaire à celui de l'encadrement des loyers ?

Nous sommes dans une triple problématique d'urgence sociale, climatique et énergétique ; nous serons très attentifs à la future loi relative à l'énergie.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nicole Duranton. Selon l'Institut français d'opinion publique, l'IFOP, six Français sur dix ont confirmé, au cours du grand débat national, leur attachement à la transition énergétique, pour eux-mêmes, pour leurs enfants et pour la survie de notre planète. Il n'en demeure pas moins que les travaux liés au logement ont un coût substantiel, et que les prêts consentis pour financer, par exemple, des travaux d'économie d'énergie restent des prêts à rembourser, fussent-ils à taux zéro, comme l'éco-PTZ.

Ce dispositif, prorogé récemment jusqu'en 2021, s'adresse à tous les propriétaires, occupants ou bailleurs, sans condition de ressources, et il est plafonné à 30 000 euros. Les emprunteurs disposent de trois ans, à partir de l'émission de l'offre de prêt, pour effectuer les travaux. Il s'agit donc, a priori, d'un dispositif incitatif.

Cela dit, le problème réside dans le risque d'explosion des défaillances, à cause de l'endettement élevé des ménages en France. Les ménages peuvent avoir contracté des crédits à taux fixe, mais l'assouplissement, relevé par les économistes, des conditions d'obtention des prêts n'est pas sans danger. La Banque de France recommande donc aux autorités d'exercer une vigilance accrue, sachant que le nombre de dossiers de surendettement a augmenté de 8,5 % entre janvier et février 2019.

Faute de pouvoir négocier des prêts supplémentaires auprès des banques, les ménages devront, pour alléger leurs mensualités et retrouver un peu de pouvoir d'achat, se tourner vers des solutions telles que le rachat de crédit.

Il est bon de rappeler que, pour un revenu de 1 500 euros, le taux maximal d'endettement autorisé est de 33 %, ce qui correspond à 495 euros de remboursement d'emprunt par mois. Un emprunt à taux zéro de 30 000 euros, à rembourser sur quinze ans, correspond à une dépense de 166 euros par mois, hors assurance et garantie bancaire ; c'est énorme pour des ménages en situation de précarité !

In fine, la bonne volonté des ménages, conjuguée aux facilités octroyées par le Gouvernement, se trouve réduite à néant, faute d'avoir un reste à vivre digne et de pouvoir emprunter, même à taux zéro.

J'en arrive à ma question : pour optimiser encore le système en faveur des ménages les plus précaires, l'État pourrait-il se substituer au débiteur pour ce qui concerne son assurance de prêt et la garantie demandée par les organismes de crédits ? (Mme Nassimah Dindar applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous avez raison, madame la sénatrice, il ne faut pas que la politique de développement de la rénovation se traduise par une augmentation des risques de surendettement. C'est la raison pour laquelle le premier objectif de nos politiques publiques est de réduire le reste à charge, en particulier pour les ménages modestes.

D'où deux mesures, dont je parlais. La première consiste en la concentration des certificats d'économies d'énergie, afin d'avoir des offres à un euro – chaudière à un euro, combles à un euro –, qui font masse de financements publics de natures différentes. Sans faire appel à l'endettement, ces offres permettent l'achat ou le remplacement d'un matériel sans avoir de reste à charge. Ce dispositif est bien évidemment proposé sous condition de ressources, afin de cibler les ménages les plus modestes.

La seconde mesure consiste à transformer le CITE en prime pour les ménages modestes, en fusionnant cette prime avec les aides de l'ANAH. Cela conduira ainsi à des mécanismes plus simples, sans avance de frais. L'aide de l'ANAH ainsi renforcée permettra de financer l'essentiel des travaux qui sont accompagnés.

Du côté du secteur bancaire, nous avons cherché à simplifier l'éco-PTZ et à mieux sensibiliser les banques.

Nous simplifions l'éco-PTZ de différentes manières : d'abord, nous supprimons l'obligation de bouquet de travaux – cela veut dire que ce prêt pourra être utilisé pour des travaux simples, donc avec un reste à charge moins élevé, ce qui réduit le risque de surendettement –, et, ensuite, nous allongeons la durée des prêts.

Quant au programme de sensibilisation des banques que nous menons au travers du certificat d'économie d'énergie, il sert à mieux faire connaître les aides aux banquiers, afin que ceux-ci puissent les faire connaître à leurs clients, et à les alerter sur le risque de surendettement, afin d'éviter la validation de dossiers qui poseront ensuite problème.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Je souhaite évoquer l'autre précarité énergétique, celle qui est issue de l'enjeu de la mobilité.

Plus de 6,7 millions de nos compatriotes se sont trouvés en situation de précarité énergétique au cours de l'hiver 2017-2018. Or les disparités au sein de la société continuent de se creuser inexorablement et, en la matière, la France, qui se veut pourtant leader de l'Europe, fait figure de mauvais élève. Ainsi, dans son étude publiée voilà quelques jours, le cercle de réflexion OpenEXP classait la France au dixième rang pour la précarité énergétique liée au logement, et au onzième rang pour la précarité énergétique liée aux transports. Dans ses recommandations, cette organisation enjoignait aux États membres de l'Union européenne d'agir en faveur de l'allégement de la précarité énergétique dans les transports.

Cette vulnérabilité énergétique est donc une réalité, à l'heure où 40 % des dépenses énergétiques des Français sont consacrées à l'achat de carburant.

Dans la région Occitanie, l'une des plus vastes de France, la politique ferroviaire doit être un levier pour lutter contre la vulnérabilité liée à la mobilité. Le maintien des petites lignes et l'investissement dans les transports en commun du quotidien répondent aussi à la précarité énergétique dans les transports, en permettant à une part croissante de la population de se déplacer. Les collectivités doivent être pleinement associées à cet objectif.

L'examen imminent du projet de loi d'orientation des mobilités est une occasion importante pour rendre aux territoires leur rôle d'acteurs dans la lutte contre la précarité énergétique. J'ajoute que s'en remettre aux résultats du grand débat est inutile, car cette situation est déjà parfaitement connue.

À titre d'exemple, il serait intéressant d'ouvrir la gestion de certaines lignes du réseau ferré national aux collectivités locales ou de permettre aux communes et à leurs groupements de mettre en place une tarification de stationnement spécifique pour les personnes en situation de vulnérabilité économique, sur le modèle des tarifications solidaires pouvant être prévues pour l'usage des transports publics.

Ma question est double, madame la secrétaire d'État. En premier lieu, quels outils, quelles politiques publiques, entendez-vous mettre en oeuvre pour lutter, de manière réelle et efficace, contre la précarité énergétique dans les transports ? En second lieu, quel rôle entendez-vous donner aux collectivités locales pour atteindre cet objectif ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous m'avez interrogé, monsieur le sénateur, sur la précarité énergétique dans le champ de la mobilité, et, vous avez raison, on a jusqu'à présent beaucoup parlé de rénovation, mais, je le disais dans mon propos introductif, la mobilité est également très importante.

En la matière, nous renforçons notre action selon plusieurs axes.

Le premier consiste à penser une mobilité plus durable et accessible à tous. Pour ce faire, nous avons tenu les assises de la mobilité, auxquelles les collectivités ont été très largement associées, sous l'égide de Mme Élisabeth Borne, dont le projet de loi d'orientation des mobilités sera bientôt discuté au Sénat. Ce projet de loi pose le principe de la généralisation des autorités organisatrices de la mobilité sur tous les territoires, pour développer de façon homogène les offres de mobilité, et il prévoit des mesures favorisant des mobilités actives, telles que le vélo, le covoiturage ou les véhicules en autopartage.

Dans le cadre du grand débat, nous avons également sollicité les organisations syndicales salariales et patronales pour discuter d'un élargissement possible de la contribution des entreprises aux mobilités alternatives que je viens de citer.

Nous avons aussi beaucoup travaillé pour renforcer les actions concrètes et soutenir les personnes dans leur choix de mobilité. Je veux à cet égard redire un mot de la prime à la conversion, dispositif qui a été sensiblement renforcé en 2018, notamment au travers des véhicules éligibles et du montant des primes.

Ce dispositif a connu un grand succès, avec près de 300 000 demandes et 255 000 dossiers déposés en 2018. En outre, 71 % des bénéficiaires sont non imposables, ce qui montre bien que la cible de nos concitoyens les plus modestes est atteinte. Nous allons encore renforcer ce dispositif en 2019, afin d'accroître la capacité de renouvellement de leur véhicule pour les ménages modestes, au moyen d'une prime doublée pour les 20 % des ménages les plus modestes et pour les actifs non imposables qui habitent à plus de trente kilomètres de leur lieu de travail. Il est encore un peu trop tôt pour avoir un bilan de ce dispositif, cette « super-prime à la conversion », mais son démarrage est extrêmement encourageant.

Enfin, nous mobilisons là encore les programmes de C2E, pour accompagner les ménages en précarité vers des solutions de mobilité. Je veux citer, à cet égard, le programme Wimoov – quarante-trois plateformes tournées vers les personnes en insertion. En outre, un nouvel appel à projets de C2E mobilité sera lancé en 2019.

M. le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Je souhaite appeler votre attention sur les C2E, qui constituent un dispositif sensiblement efficace pour déclencher des travaux d'économie d'énergie, et ainsi contribuer aux objectifs fixés par le Gouvernement en ce domaine.

Si ce dispositif est vertueux dans son modèle, il reste en pratique vicié et, par conséquent, peu efficace. Il souffre tout d'abord de lourdeurs administratives et d'un manque de transparence, car le recours aux C2E doit être signifié très en amont, avant d'avoir signé le devis, mais c'est une fois les travaux réalisés que le consommateur saura s'il est ou non éligible à la prime. Or, pour gagner en efficacité et éviter tout refus a posteriori, ne faudrait-il pas que le fournisseur se charge lui-même du contrôle de l'éligibilité du consommateur ?

En outre, du fait d'une information peu claire, les ménages peuvent difficilement faire jouer la concurrence ; on a d'ailleurs pu constater sur le territoire dont je suis élu jusqu'à 900 euros d'écart pour une même opération.

De plus, le montant de la prime est calculé sur la base d'un gain moyen d'énergie, estimé par l'administration, et non sur le gain réellement obtenu grâce à une action d'économie d'énergie. Il faut donc renforcer la transparence sur les prix, en demandant notamment aux acheteurs de C2E de publier le prix du mégawattheure d'énergie finale cumulée et actualisée sur la durée de vie du produit, ou mégawattheure cumac.

Ensuite, le dispositif des C2E pèche encore du point de vue de l'efficacité et de l'équité, car, étant payés par les vendeurs d'énergie qui les rachètent, ces coûts sont répercutés sur les factures d'énergie des consommateurs. Comme trop souvent avec les aides à la rénovation énergétique, les locataires sont les grands perdants, car ils sont contributeurs, mais non bénéficiaires. Aussi, ne faudrait-il pas plutôt inciter les bailleurs aux travaux, via un système de bonus-malus ?

Enfin, après dix ans, le C2E reste un dispositif encore peu connu et donc peu utilisé, les pouvoirs publics faisant davantage la promotion des aides publiques – TVA à taux réduit ou CITE –, alors même qu'ils sont cumulables.

M. le président. Veuillez conclure.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Vous arguez sans cesse de la nécessité d'une rénovation énergétique efficace, mais les moyens offerts restent peu lisibles et trop contraignants à mettre en place. Comment comptez-vous pallier cette difficulté ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous m'interrogez sur le dispositif des C2E.

Quelques chiffres, tout d'abord : entre le début de 2016 et mars 2018, les C2E ont permis de financer 146 000 interventions sur les combles ou toitures, 40 000 interventions sur les murs ou le plancher, 46 000 interventions sur des chaudières collectives, 43 000 changements de chaudière à condensation et 250 000 fenêtres. Il s'agit donc d'un dispositif massif, vous avez raison de le souligner, et il est financé de façon extensive.

Bien évidemment, ce dispositif peut toujours être amélioré, et nous y travaillons – d'ailleurs de nombreux rapports ont été récemment remis pour savoir comment augmenter son efficacité.

En ce qui concerne le contrôle, je vous rassure, les fournisseurs ont l'obligation de faire des contrôles ; ils en font sur 5 % à 10 % des programmes, et nous y veillons.

Pour ce qui touche à la transparence, le travail que nous menons actuellement sur les « coups de pouce » consiste à mettre en place une offre forfaitisée, au travers de laquelle les fournisseurs « obligés de C2E » informent les particuliers des tarifs auxquels le certificat permet de financer un changement de chaudière ou une autre opération énergétique.

Nous allons continuer de travailler à la lisibilité des C2E, et, vous avez raison, il faut rendre ce dispositif plus clair pour nos concitoyens, afin que ceux-ci puissent faire jouer le mieux possible la concurrence.

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin.

M. Vincent Segouin. La précarité énergétique des ménages nous touche au quotidien, surtout lorsque nous sommes maires et en contact avec les ménages en détresse. Nous devons faciliter la rénovation ; nous avons donc mis en place des opérations programmées d'amélioration de l'habitat, des OPAH, avec l'espoir d'avoir enfin un guichet unique, d'avoir une personne qui prenne en charge les dossiers des ménages.

Au sein des communautés de communes, plus de 100 000 euros ont été engagés – pour des études, des audits et j'en passe – avant d'instruire le premier dossier, et cent trente dossiers ont été réalisés sur une période de trois ans. Le résultat est décevant, non en raison d'un manque de moyens, mais simplement à cause d'une gestion administrative inadaptée. Prime énergie, crédit d'impôt, ANAH, éco-PTZ, aides locales ; impossible de s'y retrouver…

Je me suis donc replongé hier dans cet exercice en tant que particulier, pour étudier les aides disponibles.

Naturellement, je commence par me diriger vers le site de l'ANAH ; celui-ci me demande mon numéro fiscal. « Intéressant », me dis-je, mais, malgré une dizaine de tentatives, le site ne reconnaît pas mon numéro fiscal. Je contacte alors l'assistance par courriel ; j'attends encore que l'on me rappelle. Je contacte alors le numéro vert, qui me dirige vers le service de l'Orne ; j'ai beaucoup de chance, celui-ci tient une permanence une fois par semaine, le jeudi jusqu'à midi et il est onze heures trente. Je tombe pourtant sur un message vocal me précisant que la permanence est fermée parce que le conseiller est absent et m'orientant vers le site de l'ANAH, lequel ne reconnaît toujours pas mon numéro fiscal… (Sourires.) Bref, rien n'a changé ! (M. Roger Karoutchi lève les bras au ciel. – M. Fabien Gay s'esclaffe.)

L'argent, il y en a, mais il est très mal utilisé ; il passe principalement dans les frais de fonctionnement et peu dans l'investissement.

Aussi, madame la secrétaire d'État, quand allez-vous vous simplifier et améliorer le fonctionnement des services de l'État ? Quand allez-vous uniformiser les critères d'éligibilité en fonction des financeurs ? Et quand allez-vous avoir un système stable permettant aux ménages de programmer leurs travaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, je veux d'abord vous remercier de ce témoignage du parcours client. Nous avons, en effet, absolument besoin de nous mettre dans la situation de la personne qui cherche à faire des travaux, et ces parcours sont riches d'enseignements. Nous le savons, nous avons besoin de simplifier l'accès à l'information et aux aides.

Cet accès ne relève pas uniquement de la responsabilité de l'État. Sans doute, l'État met à disposition différents outils, qui ont été cités lors de ce débat – le crédit d'impôt, les aides de l'ANAH et les certificats d'économies énergie –, mais il existe aussi des aides des collectivités locales, à divers échelons territoriaux.

C'est la raison pour laquelle nous devons continuer de travailler ensemble sur le service public de l'efficacité énergétique, afin de trouver enfin des mécanismes de guichet unique. Cela démontre aussi l'utilité de la contractualisation entre l'ANAH et les collectivités territoriales, qui permet d'unifier les aides. Enfin, c'est pour cela que nous allons fusionner le crédit d'impôt avec les aides de cette agence, pour les ménages les plus modestes, afin de continuer d'améliorer l'accès à l'information. L'accès au système peut d'ailleurs également passer, pour les certificats d'économie d'énergie, par le biais des grands fournisseurs d'électricité ou de gaz.

Par ailleurs, nous réalisons aussi, malgré tout, des rénovations, dans ce pays. Il y a eu, l'année dernière, un million de bénéficiaires du CITE, 350 000 logements rénovés, 100 000 logements dans le parc social et 65 000 dossiers suivis par l'ANAH.

Nous pouvons progresser, nous allons le faire, et l'aide de tous nous sera très utile.

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.

M. Vincent Segouin. Madame la secrétaire d'État, croyez-en mon expérience, je suis issu d'une société de services, et, si je gérais cette société comme l'État gère ses dossiers, il y a longtemps que j'aurais fait faillite.

M. Roger Karoutchi. Mais l'État ne peut pas faire faillite…

M. Vincent Segouin. Il faut donc commencer par cela, avant de changer et de rechanger sans arrêt les critères. (Mme Jacky Deromedi et M. Marc Laménie applaudissent.)


source http://www.senat.fr, le 20 mars 2019