Texte intégral
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mon invité ce matin, en effet, est la ministre du Travail, bonjour Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Bonjour.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, on va parler d'un sujet qui intéresse tout le monde, et pourtant qui n'est pas beaucoup revenu dans le grand débat, c'est le thème de l'emploi et du chômage. Est-ce qu'il faut s'inquiéter du ralentissement de la croissance économique sur le nombre de créations d'emplois, et donc sur la baisse du chômage ?
MURIEL PENICAUD
Alors d'abord depuis 2 ans, en France, on recrée des emplois, en 2018 on a recréé 157.000 emplois, quelquefois ce chiffre ça ne parle pas, c'est l'équivalent de toute la population active de la ville de Rennes, c'est comme si on avait créé une ville en plus.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, c'est bien, c'est très bien, mais c'est moitié moins que 2017 !
MURIEL PENICAUD
Oui, c'est bien, et il y a plusieurs…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ce chiffre de 160.000 emplois.
MURIEL PENICAUD
Il y a plusieurs clignotants verts, moi, qui m'intéressent aussi, c'est qu'il y a plus de CDI, l'embauche des jeunes a redémarré, parce que vous savez qu'on a un taux de chômage des jeunes, un niveau de chômage des jeunes qui est insupportable socialement, pour le pays, et pour les jeunes…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Le double du taux de chômage national.
MURIEL PENICAUD
Le double, mais là on a baissé, on est à 18,8, c'est encore beaucoup, pour les jeunes, mais…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est toujours le double.
MURIEL PENICAUD
C'est toujours le double, mais comme on a baissé le chômage en général, on est maintenant à 8,8 au lieu de 9,7 quand on est arrivé. On a aussi augmenté les contrats de plus longue durée, donc il y a des nouvelles positives, je dirais, qui sont liées aux réformes qu'on a commencé à faire, à la croissance, mais aux réformes aussi, l'effet des ordonnances, l'effet de la loi sur l'apprentissage et la formation professionnelle. On a encore beaucoup, et même je dirais plus, à faire, mais on est quand même sur la bonne voie, et l'INSEE vient de sortir ses prévisions de croissance, qui sont…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Qui sont moins bonnes, dans tous les pays d'Europe ça baisse, un peu moins en France d'ailleurs, tant mieux…
MURIEL PENICAUD
… En France, on est un peu plus robuste dans la croissance…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais est-ce que ça va suffire pour continuer à créer des emplois ?
MURIEL PENICAUD
Moi je crois que… d'abord, évidemment ça dépend d'abord de la croissance, de la croissance internationale et européenne, mais ça dépend aussi de nos propres efforts, et dans nos propres efforts je crois que l'industrie ça repart. Vous savez, on a perdu 1 million d'emplois en une vingtaine d'années, en France, dans l'industrie, cette semaine c'est la Semaine de l'industrie, on recrée des emplois, l'année dernière c'était 10.000 emplois, mais ça faisait 10 ans qu'on n'avait pas créé d'emplois dans l'industrie. Et moi je vois tous les jours des entrepreneurs qui cherchent et qui ne trouvent pas les compétences, d'où la loi pour la formation et l'apprentissage, la loi Avenir Pro, d'où le plan d'investissement dans les compétences, on va former 2 millions de personnes en France, parce qu'on en a encore sous le pied, si j'ose dire, puisqu'il y a des entrepreneurs, des entreprises, des cherchent des compétences, et des demandeurs d'emploi qui cherchent un travail et qui n'ont pas les compétences. Donc, on n'a pas épuisé les moyens et les leviers, et l'ensemble de nos réformes va y contribuer.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc, vous nous dites ce matin, même si la croissance sera plus faible, on va continuer à créer des emplois ?
MURIEL PENICAUD
On va continuer à créer des emplois, c'est une bataille de tous les jours, c'est chaque kilomètre, mais je crois qu'on en a encore sous le pied.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Même avec la crise des gilets jaunes ? Certains disent que ça coûte, c'est votre collègue, le ministre de l'Economie, Bruno LE MAIRE, 0,2 point de croissance à la France. Est-ce que vous avez pu mesurer les conséquences en termes d'emploi, à la fois sur le long terme, mais en termes de chômage technique aussi, et de licenciements ?
MURIEL PENICAUD
Oui. Alors, il y a le coût immédiat et puis il y a le coût plus large. Le coût immédiat c'est 73.000 salariés, maintenant, qui sont impactés par la fermeture des commerces, des artisans, par les violences samedi après samedi, les blocages des villes…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ce n'est pas 73.000 chômage technique par exemple ?
MURIEL PENICAUD
Non, c'est 73.000 potentiels, puisque, comment ça marche ? Les entreprises déclarent en disant « je vais probablement devoir mettre au chômage technique », ils le déclarent à mon ministère, et mon ministère s'engage à les aider à financer, on finance l'emploi, ce qui est absurde, mais on le finance pour sauver les emplois des salariés concernés.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc là vous avez 73.000 alertes en quelque sorte.
MURIEL PENICAUD
Il y a 73.000 personnes en alerte, et c'est 38 millions d'euros que mon ministère dépense, qu'on pourrait mettre à autre chose, ça serait plus logique de le mettre sur la formation des jeunes, sur les autres sujets, mais évidemment on veut d'abord sauvegarder les emplois, ça c'est le sujet… et la violence, c'est non seulement le contraire de la démocratie, je crois d'ailleurs que tout le monde en a ras-le-bol, mais c'est aussi le contraire de l'emploi, c'est-à-dire que là ça menace, et c'est surtout des petits commerces, des artisans, et ça menace l'emploi.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et à long terme ?
MURIEL PENICAUD
Et à long terme c'est beaucoup plus large, parce que, évidemment, dans cette période-là il y a plein qui hésitent à investir, des investissements étrangers, du coup, qui font défaut. J'ai été à New-York et à Washington, il a fallu que je rassure tout le monde sur le fait qu'on pouvait investir en France, et donc créer des emplois.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ils vous ont posé la question, à New-York ?
MURIEL PENICAUD
Oui, bien sûr, parce qu'ils sont inquiets, en disant la violence, on ne peut pas créer des emplois dans un climat de violence. Et nos PME, aujourd'hui elles veulent créer des emplois, mais c'est vrai que ça tétanise un peu tout le monde. Alors vraiment les violences, c'est inacceptable, à tout point de vue, mais en plus je pense que c'est une machine anti-emplois.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, à l'inverse, Muriel PENICAUD, certains disent que c'est grâce à la crise des gilets jaunes que la France s'en sort mieux que les autres, parce que d'abord il y a eu 10 milliards d'injectés dans l'économie en décembre, et que ça a aussi des conséquences en termes de croissance, certains disent, à l'inverse, + 0,2, + 0,3 % de croissance, grâce au plan lié aux gilets jaunes.
MURIEL PENICAUD
Ça c'est de la justification qui ne marche pas, là on aurait eu un peu plus de croissance…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est l'OFCE qui dit ça !
MURIEL PENICAUD
Oui, mais moi je ne crois pas, d'abord parce que les… la loi elle est du 24 décembre, j'ai eu l'honneur de la porter au Parlement, la loi d'urgence économique et sociale, avec ma collègue Agnès BUZYN, les mesures se mettent en place depuis fin décembre…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais c'est des prévisions pour 2019, il dit ça va mettre du pouvoir d'achat dans l'économie.
MURIEL PENICAUD
Ah, oui, mais ça c'est les décisions du gouvernement…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc c'est bon ?
MURIEL PENICAUD
Oui, mais ça c'est les décisions du gouvernement. Vous avez vu, par exemple, que la prime exceptionnelle, sans impôt et sans charge, eh bien moi ça me fait très plaisir parce qu'en termes de pouvoir d'achat les entreprises ont joué le jeu, c'est 2 millions de salariés qui ont reçu 450 euros chacun, sans charge, sans impôt, et ce qui est intéressant c'est que ce n'est pas simplement les grandes entreprises qui ont injecté ce milliard d'euros qui était arrivé, là, depuis fin décembre, mais c'est aussi dans… 4 fois sur 10 c'est des petites entreprises. Il y a les heures supplémentaires…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc la prime Macron c'est 2 millions de salariés…
MURIEL PENICAUD
C'est déjà, puisque c'est jusqu'au 31 mars, donc il y en aura d'autres…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et combien vous avez mis d'argent ?
MURIEL PENICAUD
C'est 1 milliard d'euros.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
1 milliard de primes.
MURIEL PENICAUD
Qu'ont donné les entreprises, à leurs salariés, donc je pense que c'est une dynamique intéressante. Il y a les heures supplémentaires, là, qui démarrent, qui n'ont pas de charge, pas d'impôt, pour les salariés aussi, et les négociations en cours sur les salaires dans toutes les branches, donc au-delà du SMIC, qui est de 1,5 % d'augmentation, il va y avoir une augmentation des salaires aussi.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors l'OFCE d'ailleurs chiffre, dit 440 euros en plus par ménage en 2019, avec le plan, avec la prime.
MURIEL PENICAUD
Avec la prime d'activité aussi, et la taxe d'habitation, ça fait beaucoup d'argent qui est injecté, et qui contribue à relancer la consommation.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Muriel PENICAUD, j'ai envie de vous dire allons plus loin. Ecoutez d'ailleurs ce que disait Adrien QUATENNENS à votre place hier, on l'écoute.
ADRIEN QUATENNENS, DEPUTE LFI DU NORD
Aujourd'hui, si vous augmentez les salaires de 1 %, par exemple, vous avez à peu près 2,5 milliards de cotisations en plus, donc quand nous proposons, par exemple, la hausse du SMIC, et le fait d'augmenter les salaires, qui plus est c'est vertueux pour l'économie, parce que ceux qui gagnent un peu de salaire ne vont pas aller faire des tas avec, mais vont consommer, ce qui va relancer l'activité, mais qui plus est ça bénéficie au financement des retraites.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Voilà la solution, est-ce qu'il ne faut pas augmenter encore davantage les salaires ?
MURIEL PENICAUD
Alors, il y a plusieurs différences entre Adrien QUATENNENS et moi, ça ne vous a pas échappé, il y en a une très forte, c'est qu'il n'a jamais mis les pieds dans une entreprise, il ne sait pas comment ça se passe dans la vraie vie si vous augmentez les salaires. Allez demander à votre boulanger, allez demander à votre coiffeur, si vous les obligez à augmenter les salaires, nous on les encourage, mais on ne veut pas les obliger, si on les oblige à augmenter les salaires, c'est contre l'emploi, il y a plein d'entreprises, dans les PME, qui n'ont pas beaucoup de marge, qui ne peuvent pas augmenter les salaires sans diminuer la capacité d'investir dans le futur, voire même de faire vivre l'entreprise.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il raconte n'importe quoi sur le plan économique ?
MURIEL PENICAUD
Ben il… ce n'est pas sa spécialité on va dire, et je pense que l'idée magique qu'il suffit d'augmenter les salaires et que ça relance le pays, sans tenir compte que les salaires c'est le partage de la valeur. Quand on est dans une entreprise, il faut qu'une partie aille à l'investissement, une partie aille aux actionnaires, pour les rétribuer, une partie aille aux salariés, et une partie aille aux consommateurs pour ne pas augmenter les prix. Vous augmentez tous les salaires, vous augmentez les prix, et donc les citoyens ils n'y arriveront pas en termes de pouvoir d'achat, et en plus l'entreprise ne fonctionnera pas, il faut un équilibre subtil. C'est pour ça que, pour moi, tout l'art c'est l'équilibre entre tout ce qu'on fait sur le pouvoir d'achat, et tout ce qu'on fait pour l'emploi, ça ne va pas toujours dans le même sens, et il faut trouver un équilibre dans une démocratie moderne et une démocratie sociale.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous ne trouvez pas que globalement, dans le grand débat, les entreprises s'en sortent bien ? On ne leur demande pas grand chose. On demande plein de choses à l'Etat, on demande plus de prestations, des nouveaux impôts, etc., mais les entreprises, globalement, elles ont été un peu tranquilles, comment ça se fait, comment vous expliquez d'ailleurs ?
MURIEL PENICAUD
Alors d'abord moi je… on est en train de leur demander des choses, aux entreprises, c'est plutôt le gouvernement qui les demande. A la demande du président de la République, et avec plusieurs de mes collègues, moi je suis en train de réunir de très nombreuses entreprises pour leur demander, toutes, de participer à ce qu'on appelle l'inclusion, c'est-à-dire tendre la main à ceux qui sont les plus éloignés du marché du travail.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Dans les quartiers sensibles par exemple !
MURIEL PENICAUD
Là on est en train, on va mobiliser 100 clubs, enfin dans tous les départements, et j'étais l'autre jour à Bobigny, premier jour il y avait déjà 100 entreprises prêtes à aller dans le club, on en vise 10.000 dans le pays.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Comment vous les encouragez à embaucher des gens des quartiers par exemple ?
MURIEL PENICAUD
Alors, le sujet des quartiers. Il y a une discrimination, il faut le dire, c'est une honte, mais c'est une réalité, lorsque vous n'avez pas la bonne adresse, lorsque vous n'habitez pas au bon endroit, vous avez 2 fois moins de chance de trouver un emploi avec le même diplôme ou la même expérience, ça c'est scandaleux. C'est pour ça qu'on a lancé les emplois francs, les emplois francs c'est une mesure qui permet de donner une prime à l'entreprise qui elle va prendre le pari d'aller chercher un jeune, ou un moins jeune, ou une moins jeune, qui habite dans un quartier populaire, un quartier prioritaire, auquel elle n'aurait pas pensé, parce que vous, vous savez, on recrute beaucoup par réseaux, dans l'entreprise….
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais ça fait longtemps que ça existe les emplois francs.
MURIEL PENICAUD
Non, ça existait dans une autre formule sous le quinquennat précédent, ça avait complètement fait un flop, là, aujourd'hui, on a mis en place, depuis 10 mois, une nouvelle formule, ça y est, elle est en vitesse de croisière, et ce matin, à Cachan, avec mes collègues Annick GIRARDIN, puisque ça concernera les Outre-mer, et Julien DENORMANDIE, je vais annoncer l'extension du dispositif emplois francs à la moitié des habitants des quartiers…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Aujourd'hui c'est combien ?
MURIEL PENICAUD
Aujourd'hui c'est un quart, dans l'expérimentation…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc vous allez doubler en fait !
MURIEL PENICAUD
On va doubler, on va élargir. Pourquoi ? Parce qu'on s'aperçoit que… vous savez, comment il fait un jeune pour trouver un stage de 3e ? C'est les parents le plus souvent. Comment on fait pour trouver un apprentissage ? C'est le réseau. Comment on fait pour trouver un emploi ? Il y a Pôle emploi, qui fait un super boulot, mais c'est aussi le réseau. Eh bien, quand on habite dans un quartier populaire, où le taux de chômage est très élevé, on n'a pas de réseau, c'est pour ça qu'on veut créer ce réseau, entre des entreprises qui tendent la main, il y en a qui l'ont fait déjà, ça donne des résultats formidables. Ce qui découvre la réalité, c'est que dans les quartiers populaires, les quartiers prioritaires, il y a plein de talents cachés, il y a plein de vies empêchées, et en tendant la main on aura des résultats, là aussi c'est de l'emploi, et c'est de l'emploi qui va chercher chacun, parce que le but c'est d'avoir non seulement plus d'emplois, mais aussi mieux d'emplois, et que tout le monde ait l'espérance de trouver un emploi.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Le grand débat, comment on en sort, dans vos sujets en particulier ? Est-ce que ça a changé votre vision sur les grands dossiers du moment ? Par exemple, l'assurance chômage, on sait que les partenaires sociaux ont échoué à se mettre d'accord, donc c'est vous qui prenez la main. Ce grand débat national, est-ce que ça change la donne sur ce que vous allez proposer ?
MURIEL PENICAUD
Alors d'abord moi je crois que, je suis très frappée par ce qui se passe dans le grand débat, je trouve que c'est assez fantastique, il y a 2 millions de personnes qui ont fait une contribution en ligne, il y a 10.000 débats qui ont eu lieu, il y a 16.000 cahiers citoyens…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il ne faut pas décevoir, Muriel PENICAUD, maintenant.
MURIEL PENICAUD
Il ne faut pas décevoir, mais moi je trouve qu'on a une soif de participation dans ce débat, dans la vie…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, mais qu'est-ce que vous allez en faire de tout ça ?
MURIEL PENICAUD
Attendez, la vitalité démocratique, le pire ce serait si tout le monde s'en fichait, ce n'est pas vrai…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Bien sûr, c'est bien, mais qu'est-ce qu'on en fait ?
MURIEL PENICAUD
Les Français ils ont envie d'avoir leur mot à dire, ils disent ce qu'ils ont à dire, alors il y a des critiques, des suggestions, des propositions, comme tous mes collègues j'ai participé à plusieurs débats, les gens s'écoutent, les gens parlent…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous allez être à la hauteur des demandes des Français ?
MURIEL PENICAUD
Je crois que la demande, elle porte sur deux choses, il y a certaines demandes de mesures, de programmes, qui sont souvent contradictoires d'ailleurs, tout le monde ne dit pas la même chose, certains pensent plutôt ça, d'autres pensent plutôt ça, et puis il y a une demande aussi de participer plus au débat. Je ne crois pas qu'aujourd'hui, dans une société moderne, qui évolue si vite, on peut juste donner un mandat, à un maire, un député, un président de la République, pour 4, 5 ou 6 ans, c'est le socle de la démocratie, c'est ce qu'on appelle la démocratie représentative, nos ancêtres se sont battus pour ça, sinon c'est la dictature, mais il faut en plus nourrir et que tout au long du mandat, tout au long du chemin, les citoyens, au plan local, ou au plan national, puissent contribuer. Donc il va falloir, aussi, que dans la sortie du grand débat il n'y ait pas simplement des aspects de programmes, mais des aspects aussi, comment on vivre cette démocratie en continu.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On va être très concret. L'assurance chômage, les partenaires sociaux, ils n'ont pas réussi à se mettre d'accord, donc c'est vous, unilatéralement, qui allez prendre des décisions, est-ce que, par exemple, les Français, dans le grand débat, vous demandent la dégressivité des allocations chômage, est-ce que les Français vous demandent le plafonnement des allocations chômage ? Ce que vous allez faire.
MURIEL PENICAUD
Alors, dans le grand débat il y a eu très peu de sujets qui ont été abordés autour de l'assurance chômage, ce n'est pas un sujet dont les citoyens se sont saisis dans le grand débat. Après, c'est la loi qui prévoit que si les partenaires sociaux ne définissent pas les règles c'est l'Etat, parce qu'il faut bien que quelqu'un définisse les règles.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Qu'est-ce qui marche – on va être très concret – qu'est-ce qui marche à l'étranger, quelles sont les méthodes, les recettes, qui font que, en changeant les modalités de l'indemnisation, on a réussi à faire baisser le chômage ?
MURIEL PENICAUD
Alors, on n'a pas les mêmes situations, donc c'est toujours un peu difficile à comparer, parce qu'on ne peut pas plaquer la réalité d'un autre pays. Je dirais, les problèmes qu'on a en France, dans l'assurance chômage, c'est qu'on a un système qui encourage, tant du côté employeur, qu'une partie des demandeurs d'emploi, qui privilégie le contrat court, et moi je ne crois pas qu'on peut… les contrats courts c'est des contrats d'1 mois ou 2 mois, c'est ça dont on parle…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et les contrats courts permettent parfois d'être indemnisé par le chômage dans l'intervalle.
MURIEL PENICAUD
Eh ben heureusement d'ailleurs…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, heureusement, mais des fois il y a des abus.
MURIEL PENICAUD
Ce n'est pas des abus, les gens ils se conforment aux règles, et si vous avez... Aujourd'hui 8 offres d'emploi sur 10 c'est un intérim ou un CDD extrêmement court, et donc je crois qu'on ne peut pas imaginer qu'on projette sa vie si uniquement on est en contrats courts. On est dans un espèce de piège où, tant les employeurs que les demandeurs d'emploi, finalement les règles encouragent un contrat très court.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc vous voulez changer les règles de telle manière à ce que ça dissuade les contrats courts ?
MURIEL PENICAUD
Changer les règles pour qu'on mette plus d'emplois, ça encourage d'aller vers plus d'emplois et plus d'emplois durables.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc la taxation des contrats courts par exemple.
MURIEL PENICAUD
Vous savez, quand c'est… 9 fois sur 10 c'est la même personne qui revient dans la même entreprise, pour un autre contrat court, on sait qu'elle est compétente, je crois que, à un moment, il faut aussi qu'on ait un système qui respire mieux et qui privilégie une qualité d'emploi, et pas simplement une quantité d'emploi…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc vous allez taxer les contrats courts, ou en tout cas faire en sorte qu'il y en ait moins ?
MURIEL PENICAUD
On va faire en sorte que ceux qui vont vers l'emploi plus durable, eh bien ils y aient intérêt.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, c'est le concours Lépine en ce moment au gouvernement sur qu'est-ce qu'il faut faire, quelles nouvelle taxes, par exemple la réforme des retraites, Agnès BUZYN au « Grand jury RTL/ LCI/ Le Figaro » dimanche, a dit que peut-être qu'il fallait quand même réfléchir à la durée, l'âge de départ à la retraite, parce qu'au fond on vivait plus longtemps en meilleure santé, c'est ce qu'elle dit. Gérald DARMANIN, à votre place, il y a 2 jours, a dit la même chose. Qu'est-ce que vous dites, vous ?
MURIEL PENICAUD
Moi je dis que le Premier ministre, je pense, a clarifié ce débat hier…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Non, pas vraiment.
MURIEL PENICAUD
En fait il y a deux sujets…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il dit que…
MURIEL PENICAUD
Il y a un sujet. Il y a un sujet qui est la réforme des retraites, dont la discussion a commencé il y a 1 an, parce que Jean-Paul DELEVOYE, comme je fais, et comme je le ferai pour l'assurance chômage, on passe d'abord du temps avec les partenaires pour discuter, pour écouter, pour se convaincre…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que c'est tabou l'âge de départ à la retraite ?
MURIEL PENICAUD
Eh bien, ça a été reconfirmé hier, l'âge minimum de départ à la retraite, de 62 ans, ne va pas être modifié dans le cadre de cette réforme des retraites. Mais une fois qu'on a dit ça, on n'a pas fait le tour de la question du vieillissement. Pourquoi ?
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Le Diable est dans les détails.
MURIEL PENICAUD
Non…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Une fois qu'on a dit ça.
MURIEL PENICAUD
C'est plus que ça, c'est que, en 2050, si tout va bien, en principe on va être 5 millions, j'en ferai partie, si je suis vivante, 5 millions de personnes qui seront à plus de 85 ans, donc il y a un énorme sujet, qui est déjà difficile aujourd'hui, c'est déjà douloureux pour les familles le…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et donc on va encourager les gens à travailler plus longtemps, même si on ne va pas les obliger ?
MURIEL PENICAUD
Attendez, il faut poser le problème avant, on ne répond pas aux questions avant d'avoir posé la question, le problème c'est comment on finance, demain, les EHPAD, des EHPAD de qualité, ou du maintien à domicile de qualité, enfin c'est une chance qu'on vieillisse tous plus longtemps, mais il faut bien s'occuper de nos anciens. Et donc, la question c'est que, comment on va faire pour ça ? Eh bien c'est un débat, qui s'ouvre, mais qui n'est pas encore ouvert, et ce n'est pas… moi je ne crois pas aux solutions qu'on sort comme ça en 5 minutes…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il y aura peut-être un bonus si on travaille plus longtemps, la retraite sera un peu plus élevée.
MURIEL PENICAUD
Voilà, il faudra un débat, il y a plein de solutions, différentes, pour ce genre de sujet, mais ce qui est certain c'est qu'il faudra en parler.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors il y a un concours Lépine des nouvelles taxes, je vais vous l'épargne, mais celle du jour c'est le Conseil d'Analyse Economique qui dit : il faut la taxe carbone pour tous, quitte à la redistribuer ensuite en fonction de la situation géographique, des revenus, mais il faut la taxe carbone pour tous.
MURIEL PENICAUD
Alors moi je trouve que… voilà, ça c'est une spécificité française. Tout le monde a une idée sur la taxe, alors la meilleure taxe c'est toujours celle que paye l'autre, pas soi, mais ça c'est humain, tout le monde a une idée des taxes qu'il faudrait supprimer, des taxes qu'il faudrait rajouter…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il y a plus d'idées de taxes qu'il faudrait rajouter.
MURIEL PENICAUD
Voilà, c'est une spécificité française, là ça part dans tous les sens parce que je peux vous dire que dans le grand débat les gens proposent des choses évidemment contradictoires sur le sujet, donc à un moment donné… je crois que, il faut quand même qu'on sache, c'est qu'on est le pays d'Europe qui a le plus de taxes et de contributions sociales, donc il y a une chose qu'il ne faut pas faire, c'est augmenter le niveau d'impôts, je crois que tout le monde est saturé avec le niveau d'impôts. On est aussi le pays qui redistribue le plus, c'est-à-dire que c'est grâce à toutes ces taxes qu'on a la santé gratuite, l'école gratuite, et plein d'autres choses, mais il faut trouver un équilibre, aujourd'hui on est plutôt…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc, pas de nouvelle taxe, même si elle s'appelle carbone ?
MURIEL PENICAUD
Aujourd'hui, après c'est l'équilibre de l'ensemble des taxes, mais on ne peut pas rajouter un volume de taxes à ce pays, tout le monde n'en peut plus des taxes !
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Encore une question sur l'Europe. Est-ce que l'Europe est une passoire ? Le président chinois arrive en Europe aujourd'hui, il va commencer par l'Italie, où il va signer un accord avec les Italiens pour que le port de Trieste devienne le port d'entrée, le cheval de Troie des routes de la soie, les nouvelles routes de la soie chinoises, c'est ça l'Europe, c'est l'Europe passoire ?
MURIEL PENICAUD
Non, ce n'est pas l'Europe passoire, mais pour qu'on pèse dans les négociations internationales, avec la Chine, avec les Etats-Unis, c'est clair qu'il faut une Europe plus forte, plus forte qu'aujourd'hui, ça va être dans notre projet européen…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ce n'est pas le cas !
MURIEL PENICAUD
Oui, mais c'est ça le débat des…. Ça va être ça le débat des élections. Je vais vous donner un exemple. Vendredi dernier j'étais à Bruxelles, pour convaincre mes collègues qu'il fallait absolument soutenir un projet de règlement sur la Sécurité sociale – ça a l'air très technique – c'est essentiel pour lutter contre la fraude au travail détaché. On a déjà gagné, et franchement c'est la France qui l'a gagné, qui a convaincu les autres pays, la Directive travail détaché, l'autorité européenne du travail, maintenant il faut ce règlement qui traite des financements de l'assurance chômage et de la Sécurité sociale. Eh bien le débat c'est, est-ce qu'on veut plus d'Europe et mieux d'Europe – il y a plein de trucs à changer, la bureaucratie, etc. – mais est-ce qu'on veut plus d'Europe, mieux d'Europe, ce qui est ma conviction, ce qui est notre conviction – ou sinon, si on laisse, si au contraire on recule, eh bien alors là, pour le coup, l'Europe pourrait devenir passoire, et ça on y perdrait, de l'autonomie, de la souveraineté et de l'emploi.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Dernière question. Emmanuel MACRON, hier, a haussé le ton contre le Royaume-Uni en disant qu'il n'était pas question de reporter le délai si ça ne servait à rien. Est-ce qu'on va vers un Brexit dur le 29 mars et est-ce que c'est grave pour nos entreprises ?
MURIEL PENICAUD
Il y a eu 17 mois de négociations, et en novembre dernier la Première ministre du Royaume-Uni s'est mis d'accord avec l'Europe sur un accord de retrait. Il y a deux accords, il y a d'abord comment ils se retirent, et puis après quelles seront les relations futures, on n'en n'est même pas à discuter de la relation future, on est juste sur l'accord de retrait. Depuis novembre il y a eu plusieurs votes…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Au Parlement britannique…
MURIEL PENICAUD
…Chambre des communes, qui est le Parlement du Royaume-Uni, qui n'ont pas abouti. Ce qui est clair c'est que l'Europe ne peut pas accepter, comme ça à la sauvette, en 3 jours – parce que c'est le 29 mars la date limite – donc on est à quelques jours, que l'accord de retrait change, donc s'il y a un besoin d'un petit délai technique pour que l'accord soit ratifié, ça c'est envisageable, mais si c'est juste pour délayer, et sans que les Britanniques participent aux élections européennes, parce qu'ils disent qu'ils quittent l'Europe, ça serait quand même baroque qu'ils participent aux élections européennes.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça ne vous fait pas peur un Brexit hard, comme on dit ?
MURIEL PENICAUD
On s'est préparé en France, on est parfaitement préparé pour protéger, en termes d'emplois, de Sécurité sociale, de chômage, de pêche, on a pris toutes les mesures, on a pris des ordonnances, ce n'est évidemment pas ce qu'on souhaitait, mais si ça arrive on sera prêt.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci beaucoup Muriel PENICAUD d'avoir été notre invitée ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 mars 2019