Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail à France-Inter le 7 mai 2019, sur la négociation avec les partenaires sociaux et l'impact des revendications des gilets jaunes.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Et avec Alexandra BENSAID nous recevons ce matin dans « Le grand entretien » de la matinale, la ministre du Travail. Questions et réactions, 01.45.24.7000, vous le savez, les réseaux sociaux et l'application mobile de France Inter, vous avez la parole dans une dizaine de minutes. Muriel PENICAUD, bonjour.

MURIEL PENICAUD
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Et merci d'être en studio sur Inter. Il y a 2 ans, jour pour jour, Emmanuel MACRON remportait l'élection présidentielle, hier, à Matignon, Edouard PHILIPPE recevait les associations d'élus et les syndicats, moins la CGT qui a décliné, pour lancer, je cite, « une mobilisation nationale et territoriale pour l'emploi et les transitions écologiques et numériques. » Le Premier ministre a parlé d'un changement de méthode. 2 ans après donc, Muriel PENICAUD, adieu la centralisation et la verticalité, cette première méthode avait échoué ?

MURIEL PENICAUD
Je crois que la premier méthode, elle avait du bon, mais elle n'est pas suffisante. Ce qui était bien, déjà, c'est les concertations, quand on a fait les ordonnances travail ou la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, ou l'égalité entre les femmes et les hommes, moi j'ai toujours travail avec les partenaires sociaux, on faisait de la concertation, mais hier…

NICOLAS DEMORAND
Mais ça ne suffisait pas.

MURIEL PENICAUD
Mais il y a un cap nouveau, c'est d'aller concrètement agir ensemble, donc c'est, si j'ose dire, de la co-construction, ce n'est pas simplement de la concertation. Ce qu'on a, avec le Premier ministre, et plusieurs collègues du gouvernement hier, fait, on a rencontré les partenaires sociaux, patronat et syndicats, et les neuf associations d'élus locaux, donc les régions, les départements, les communes, les maires de villes rurales, et on a regardé ensemble quels sont, ce qu'on appelle les angles morts, comme en voiture, c'est-à-dire ce qu'on ne voit pas dans le rétroviseur, et quelquefois, dans les politiques publiques, il y a des angles morts…

NICOLAS DEMORAND
Et c'est ça qu'il faut va falloir régler.

MURIEL PENICAUD
Ça c'est de l'action, c'est de l'engagement commun, sur le terrain, et ça ne se fait pas à Paris, voilà, je crois que c'est ça qui est important, ça ne se fait pas à Paris, mais c'est partout sur le territoire.

NICOLAS DEMORAND
Deux petites questions encore sur la méthode, il y a eu juillet 2018, il y a eu décembre 2018, c'est la troisième fois que l'exécutif annonce qu'il va associer les corps intermédiaires aux réformes, qu'est-ce qui prouve que cette dernière fois sera la bonne, et pourquoi, surtout, avoir attendu si tard ?

MURIEL PENICAUD
Je crois qu'on est aussi dans une phase, maintenant, où il faut des résultats. Quand vous arrivez au gouvernement, le président de la République a nommé son gouvernement il y a 2 ans, avec un agenda de réformes très important pour faire aller mieux le pays, les Français, ça met du temps à mettre en place les réformes, mais maintenant ça fait 2 ans qu'on est là, on ne peut pas avoir tous les résultats en 2 ans, il y en a qui mettent 3, 4, 5, même plus, c'est pour le long terme qu'on agit, mais il faut des premiers résultats, et pour ça il faut aller sur le terrain, on y va, on visite, mais maintenant agir sur le terrain. Je vous donne un exemple, la loi sur l'apprentissage, je suis très fière de l'avoir portée, dans la loi Avenir Pro, on a eu + 8 % d'apprentis l'année dernière, la tendance est encore meilleure depuis le début de l'année, mais qu'est-ce qu'on voit ? Maintenant il y a une demande des jeunes, c'est formidable, ça y est, les jeunes ont réalisé que c'est une voie royale pour aller vers les métiers. On a + 40 % de demandes de jeunes. Eh bien maintenant, comment on fait, pour être sûr qu'on ait les entreprises en face, et puis il y a des jeunes, ils voudraient aller en apprentissage, mais ils n'ont pas le logement, ou bien ils n'ont pas le transport, eh bien pour régler ces problèmes-là, il faut être sur le terrain, avec les mairies, les partenaires sociaux, l'Etat, on a besoin de tout le monde pour résoudre des problèmes qui ne dépendent pas que de l'un, mais un peu de tout le monde, en gros c'est mobilisation générale pour vraiment apporter des solutions concrètes là où il y a des angles morts.

ALEXANDRE BENSAID
Des solutions qui pourront être différentes selon les régions ?

MURIEL PENICAUD
Oui, parce que… alors, moi je fais deux déplacements par semaine, je passe deux journées sur le terrain, je peux vous dire que, comme tout le monde, je constate quoi ? que les problèmes par exemple de logement, ou de transport, ou d'offre et demande en matière d'emploi, ce n'est pas du tout la même quand vous êtes dans une partie rurale des Pyrénées-Orientales avec 14,5 % de taux de chômage, ou si vous êtes en Mayenne ou en Vendée où le taux de chômage est extrêmement bas, ou en métropole lyonnaise, donc il faut adapter ces solutions. Par exemple, il y a des endroits où le sujet de la garde d'enfants, pour les femmes seules, les hommes seuls aussi, mais enfin c'est souvent des femmes, avec enfants, est l'obstacle numéro 1 pour retrouver un logement, eh bien là il faut se concentrer là-dessus. D'autres ça va être les transports ou le logement. Donc je crois qu'il faut être très pragmatique, et c'est qu'au niveau du terrain, avec tous les acteurs, qu'on peut trouver des solutions concrètes. On a mis en place les dispositifs, on a les lois, on a les financements, maintenant l'action sur le terrain, ensemble.

ALEXANDRE BENSAID
On sait que le chef de l'Etat a sa propre conception, disons, de ce que doivent être les syndicats, les partenaires sociaux, est-ce que là c'est un nouveau rôle que vous leur assignez, c'est-à-dire moins finalement de place dans les grandes orientations, dans ce que le chef de l'Etat appelle lui-même la politique, et puis peser plus au niveau local ?

MURIEL PENICAUD
Alors, il ne faut rien changer sur les grandes orientations, il faut continuer à consulter, à concerter, sur les grandes orientations, mais je crois que l'heure est maintenant à l'engagement commun, concret, qui rentre dans la vie de chacun, et donc il faut…

ALEXANDRE BENSAID
C'est-à-dire, vous dites consulter pour le national et co-construire pour le local, c'est ça ?

MURIEL PENICAUD
C'est, consulter, concerter, et parfois co-construire au plan national, quand il y a une négociation entre les partenaires sociaux, c'est la construction, mais il faut aussi agir ensemble, et ce qui est nouveau c'est que c'est à la fois les partenaires sociaux, mais à la fois aussi les élus locaux. Je reprends mes exemples. On ne peut pas trouver des solutions à la garde d'enfants, ou au logement, aux transports, sans que les mairies, l'intercommunalité, ou la région, ou le département, soient concernés, et ça c'est un peu nouveau, d'être tous ensemble. Hier c'était nouveau d'avoir à la fois tous les partenaires sociaux et tous les élus locaux, donc c'est toute la France des territoires, du terrain, qui était là.

NICOLAS DEMORAND
Il y a, Muriel PENICAUD, un débat qui fait rage entre syndicats et patronat, qui fait écho au mouvement des gilets jaunes, c'est celui d'une prime mobilité pour les trajets domicile-travail. Doit-elle être obligatoire ou pas, c'est la question, qu'en pense la ministre du Travail ?

MURIEL PENICAUD
Je pense d'abord que le sujet des transports est un sujet très important, dans les grandes métropoles le sujet ce n'est pas tellement le coût, puisque les entreprises doivent payer la moitié, par exemple en Ile-de-France, du pass Navigo, mais c'est le temps qu'on y passe qui est quand même un temps volé sur la vie privée, comme la vie professionnelle, c'est pour ça que dans les ordonnances travail j'avais mis le droit au télétravail, qui se développe très bien, je pense qu'on a un sujet de ce type-là. Par contre, sur deux tiers du territoire, les Français sont obligés de prendre leur voiture pour aller travailler, parce qu'il n'y a pas forcément de transports en commun, alors Elisabeth BORNE, dans la loi dit LOM, la loi sur les mobilités, donc les transports, qui sera au Parlement en deuxième lecture début juin, a prévu des choses pour qu'on améliore ce sujet sur le terrain, partout.

NICOLAS DEMORAND
Et donc ?

MURIEL PENICAUD
Mais il y a un sujet, aussi, qui est donc débattu actuellement, et pour l'instant patronat et syndicats ne sont pas d'accord, on aurait préféré qu'ils se mettent d'accord, s'ils ne se mettent pas d'accord le
gouvernement tranchera… 

NICOLAS DEMORAND
Et vous alors, vous pensez quoi ?

MURIEL PENICAUD
Moi je ne réponds pas avant que ce soit le moment, puisqu'on a dit
qu'on répondrait dans la loi…

NICOLAS DEMORAND
Vous avez bien une petite idée.

MURIEL PENICAUD
Moi je pense que, de toute façon, il faut encourager les transports qui vont permettre d'aller vers plus de transports écologiques, mais en accompagnant chacun là-dessus. Pourquoi il faut le faire ? on le voit bien, regardez le baril du pétrole qui remonte, on est totalement dépendant en France, on ne produit pas de pétrole, on ne produira pas de pétrole, donc il faut qu'on aille, pour la planète, pour notre santé, à tous, mais aussi pour le pouvoir d'achat, pour l'indépendance, il faut qu'on sorte le plus vite possible du tout pétrole, donc ça fait partie du sujet, comment, et c'est dans cette loi, comment on va encourager d'autres modes, aussi, de transport, je pense évidemment aux transports en commun, mais au covoiturage, au vélo, et aux voitures propres avec la prime de conversion.

ALEXANDRE BENSAID
Alors, sur les concertations avec les syndicats, et sur une réforme sur laquelle vous avez mis la main, c'est celle de l'assurance chômage, vous êtes en train de la préparer finalement, au ministère du Travail, il y aura donc un malus pour les entreprises qui abusent des contrats courts, et un bonus pour celles qui sont vertueuses ?

MURIEL PENICAUD
Oui, alors dans la loi… il n'y aura pas une loi, pardon, dans le décret d'assurance chômage, la loi a prévu que c'était un décret si les partenaires sociaux n'aboutissaient pas dans leurs négociations, comme vous le savez ils n'ont pas abouti, donc l'Etat reprend la main, de fait, ce n'est pas une décision, c'est automatique. il y a plusieurs sujets, il faut que ce soit incitatif pour chacun, pour retourner à l'emploi, aujourd'hui il y a des règles qui ne sont pas incitatives pour retourner à l'emploi, et puis il faut responsabiliser les entreprises, car, comme vous le savez, en France, on a un recours, mais excessif, aux contrats extrêmement courts, 1 mois, voire 1 jour, même s'il y a des progrès, parce qu'au premier trimestre on a eu, quand même, + 14 % d'augmentation des contrats à durée indéterminée, donc je suis contente, là je me réjouis qu'on avance dans ce sens-là, parce que dans la vie comment se projeter si on ne voit pas plus loin que la semaine ou le mois.

ALEXANDRE BENSAID
Mais donc il y avait cette promesse de campagne du bonus-malus.

MURIEL PENICAUD
Et donc, il y a cette promesse de campagne, donc qui fait partie des quatre ou cinq mesures qui seront retenues à la fin du processus, et le bonus-malus, oui, il y a… c'est-à-dire qu'il y a les entreprises qui remettent tout le temps les mêmes personnes au chômage en les embauchant de façon très courte, elles auront un taux de cotisation d'assurance chômage plus élevé, c'est ça qu'on appelle le malus, et puis celles qui au contraire emploient plus de CDI, essaient d'aider, même en CDD, les salariés à rebondir, à avoir un emploi, eh bien elles en paieront moins. Vous savez, c'est une responsabilisation, dans une démocratie il y a des droits et des devoirs pour tout le monde, y compris les entreprises.

NICOLAS DEMORAND
Donc c'est acquis, on peut le dire comme ça ?

MURIEL PENICAUD
Oui, oui. Les modalités sont encore en cours de discussion, mais le principe est acquis.

ALEXANDRE BENSAID
Et est-ce que pour les hauts revenus vous allez toucher aux allocations d'assurance chômage, est-ce qu'il peut y avoir une dégressivité, un plafond qui est revu ?

MURIEL PENICAUD
C'est une question qu'on avait posée dans le document de cadrage, que le Premier ministre avait envoyé aux partenaires sociaux, sur l'assurance chômage…

ALEXANDRE BENSAID
Et maintenant vous avez la main, que souhaitez-vous faire ?

MURIEL PENICAUD
En disant tout le monde n'est pas égal par rapport au chômage, ce qui est important c'est que chacun puisse être accompagné, d'ailleurs qu'on ait un accompagnement plus précoce, plus fort, de Pôle emploi, on sait que plus on est accompagné vite et plus on retrouve un emploi parce que, après on se décourage aussi, enfin il y un sujet d'accompagnement. Et puis il y a un sujet, quand même, sur les très hauts revenus, là où il n'y a plus de chômage, là où on est au plein emploi, est-ce qu'il faut que ce soit les mêmes règles, eh bien on discute de ça, mais c'est vraiment, c'est un sujet qui n'est pas le sujet central de la réforme de l'assurance chômage, mais qui en fait partie.

ALEXANDRE BENSAID
Mais qui avait fait parler, donc vous allez y toucher.

MURIEL PENICAUD
On regarde sérieusement oui… on veut un système juste, si vous voulez, ce n'est pas pareil d'être au chômage si vous n'avez pas de qualification, c'est 18 % de taux de chômage quand on n'a pas de qualification, où vous êtes dans un bassin d'emploi très difficile, que quand il n'y a pas de chômage.

NICOLAS DEMORAND
Sur tous ces sujets il y a beaucoup de questions au standard de France Inter, quelques questions politiques. Je le mentionnais tout à l'heure, c'est donc aujourd'hui le deuxième anniversaire de l'élection d'Emmanuel MACRON, quel bilan faites-vous, pour commencer le bilan positif, qu'avez-vous réussi, pas s'il-vous-plaît, 25 mesures, mais celle qui vous semble la plus importante, qu'avez-vous réussi en 2 ans ?

MURIEL PENICAUD
Pour moi, dans le champ du travail on a réussi quatre choses, si je le droit jusqu'à quatre, pas 50. La première c'est qu'on a commencé à faire baisser le taux de chômage, on était à 9,7 %, on est à 8,8, c'est encore beaucoup, moi je pense à tous les chômeurs, enfin, pour ceux qui n'ont toujours pas retrouvé un emploi ce n'est qu'un chiffre, mais ça veut dire que, on a vaincu la fatalité, oui il n'y a pas de fatalité, et on va continuer à descendre le taux de chômage.

NICOLAS DEMORAND
Elle est irréversible cette pente, selon vous, à court terme ?

MURIEL PENICAUD
On peut continuer, moi je suis sûr qu'on en a sous le pied. Pourquoi je dis ça ? Parce qu'on a 300, 400.000 emplois, aujourd'hui, qui ne sont pas couverts faute des compétences, donc c'est pour ça qu'on met le paquet sur la formation et la compétence. La deuxième c'est l'apprentissage, parce que franchement, ça décolle, et moi je n'en peux plus d'avoir plus d'1 million de jeunes, dans notre pays, qui n'ont pas d'emploi, qui ne sont pas en formation, l'apprentissage c'est une des voies qui va permettre l'accès à l'emploi, et puis à des métiers de passionnés. Le troisième c'est l'égalité hommes/ femmes, et le quatrième c'est, c'est le début, mais vous verrez, le dialogue social, dans les entreprises, il va grandir grâce aux ordonnances.

NICOLAS DEMORAND
Et qu'avez-vous raté, quand on voit l'état du pays, profondément divisé ?

MURIEL PENICAUD
Je crois qu'on a sous-estimé, comme tout le monde d'ailleurs, le fait qu'il y a certains territoires qui sont… quand on habite dans certains territoires on se sent loin de tout, et ce n'est pas complètement faux, des services de l'Etat, ou des autres services, mais disons les services publics en général, d'où l'idée des Maisons France service que le président de la République a lancée, et on n'a pas un même accès à la formation, à la richesse, à la culture, à l'emploi…

NICOLAS DEMORAND
Vous l'avez découvert ça ?

MURIEL PENICAUD
Non, mais je pense qu'on a sous-estimé à quel point c'était profond, c'est ancien, c'est depuis longtemps, mais je crois que maintenant ça appelle justement des actions beaucoup plus territoriales, je reviens à la mobilisation, il faut être beaucoup plus sur les actions concrètes, sur le terrain, et être proche des citoyens, les Maisons France service ça va servir à ça.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 mai 2019