Interview de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à France Inter le 11 octobre 2019, sur le rejet de la candidature de Sylvie Goulard au poste de commissaire au Marché intérieur, le Brexit et l'intervention militaire de la Turquie en Syrie.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
L'invitée du "Grand entretien" de la matinale est aujourd'hui la secrétaire d'Etat chargée des Affaires européennes. Questions et réactions, amis auditeurs, au 01 45 24 7000, sur les réseaux sociaux et l'application mobile d'Inter. Bonjour Amélie de MONTCHALIN.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Beaucoup de dossiers à aborder ce matin avec vous, mais commençons par ce qui s'est passé hier, et qui est sans précédent : malgré la pression d'Emmanuel MACRON et de la France, le Parlement européen a nettement rejeté la candidature de la Française Sylvie GOULARD au poste de commissaire au Marché intérieur. C'est la première fois qu'un candidat français subit un tel sort. Alors, comment qualifiez-vous ce vote des parlementaires, qui sonne comme un désaveu et une claque ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est d'abord une crise institutionnelle majeure pour l'Europe, parce que, sans commissaire français, la Commission ne peut pas se mettre en en route. C'est aussi une crise, parce que c'est la suite de ce qui s'est passé au Conseil européen. J'étais venue d'ailleurs vous en parler, il y a eu le pire de l'Europe pendant un jour et une nuit, il y a eu des batailles entre les partis, entre les personnes, et finalement, vous savez il y a eu un sursaut et la proposition qui a été faite par Angela MERKEL, par Emmanuel MACRON, c'était une proposition de consensus. Je veux dire, on passe au-dessus des partis et on met surtout une équipe capable de porter le projet ambitieux, qui est très alimenté par la France, c'est vrai, qui a la faveur du vote des citoyens, et qui d'ailleurs ensuite a fait l'unanimité aussi auprès des chefs d'Etat. Et quand on a fait ça, ça a dérangé.

NICOLAS DEMORAND
Mais est-ce le pire de l'Europe qu'on voit là, ou le meilleur de l'Europe, à savoir un Parlement européen qui montre qu'il n'est pas aux ordres, qu'il joue pleinement son rôle, que face à une candidate qui a démissionné du gouvernement en France, pour une mise en examen, pourquoi appliquer les règles…

AMELIE DE MONTCHALIN
Il n'y a pas de mise en examen.

NICOLAS DEMORAND
Pardon, oui, effectivement…

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est important de le dire.

NICOLAS DEMORAND
Effectivement, vous avez raison, je me reprends sur ce point-là. Mais en tout cas, un Parlement qui a refusé un double standard entre la France et l'Europe, et qui a noté aussi un risque, un soupçon de conflit d'intérêts.

AMELIE DE MONTCHALIN
J'ai été parlementaire, il y a encore 6 mois j'étais à l'Assemblée nationale, donc j'ai un respect immense pour les parlementaires, pour leur indépendance et leur capacité de jugement.

NICOLAS DEMORAND
Là, c'est le cas.

AMELIE DE MONTCHALIN
Sylvie GOULARD est passée devant trois commissions, elle a été auditionnée pendant 6 heures, elle a notamment été auditionnée par... pas auditionnée mais examinée par la Commission des affaires juridiques, qui a la mission dans ce processus de regarder s'il y a des conflits d'intérêts. Ils en ont d'ailleurs trouvé, pour le candidat roumain et pour le candidat hongrois. Manon AUBRY, par exemple, est dans cette grande commission, et cette commission n'a rien trouvé à redire sur les conflits d'intérêts. Donc j'ai un grand respect pour le Parlement, pour son fonctionnement, mais ce que je sais, c'est qu'un Parlement n'est pas un tribunal où on juge des affaires qui ne sont pas jugées par les tribunaux justement, les tribunaux de la justice. Mon sujet…

NICOLAS DEMORAND
Mais le dernier mot revient au Parlement, qui a exercé ses pouvoirs.

AMELIE DE MONTCHALIN
Très bien. Donc aujourd'hui il y a les gens qui crient victoire, BELLAMY, JADOT et d'autres…

NICOLAS DEMORAND
Non, je ne dis pas ça ! Je dis, factuellement, c'est un pouvoir entre les mains du Parlement européen, le Parlement en a usé de manière souveraine.

AMELIE DE MONTCHALIN
Eh bien ce pouvoir a été utilisé, certains d'ailleurs s'en réjouissent et crient victoire. Ce que je dis, c'est que cela crée une crise institutionnelle en Europe, majeure, puisque la Commission ne peut pas fonctionner, ne peut pas se mettre en route, et donc aujourd'hui il faut qu'on la résolve. Il faut qu'on la résolve avec calme, sans colère, mais il faut qu'Ursula VON DER LEYEN nous dise ce qu'elle attend de la France, parce que c'est elle qui a piloté son équipe, c'est elle qui fait une proposition, c'est elle qui a organisé les choses, et nous devons, nous, en France, à recevoir de sa part les instructions. Pourquoi ? Parce que la France aujourd'hui a proposé, et Emmanuel MACRON l'a très bien dit, il y a trois candidats pour dire à Ursula, voilà, VON DER LEYEN, vous êtes président de la Commission, nous la France on porte des ambitions, on est prêt à vous aider à les mettre en oeuvre, au service des citoyens. On pense qu'il y a un secteur qui est très important, qui est celui de notre souveraineté industrielle, de défense, notre souveraineté économique, comment on crée des emplois demain, comment on résiste aux GAFA ? Et on envoie une personne compétente. Ursula VON DER LEYEN a bien pris la décision de…

NICOLAS DEMORAND
Donc c'est sa faute à elle, ce n'est pas la faute de la France d'avoir présenté une candidature faible et potentiellement problématique.

AMELIE DE MONTCHALIN
Le Président a proposé trois candidats, parce qu'il lui a dit : chacune de mes candidates ou candidats, a des forces et les faiblesses, a des compétences, peut s'occuper de tel ou tel domaine. Ursula VON DER LEYEN connaît les ambitions françaises, connaît les projets où nous voulons servir les citoyens. Mais moi, ce qui me gêne aujourd'hui, c'est que ceux qui crient victoire au Parlement, ils ont souverainement fait leur choix, ils n'ont pas les clés en main pour résoudre cette crise. Et donc cette crise elle doit être résolue au plus haut niveau, par Ursula VON DER LEYEN, par le président de la République, on doit attendre d'elle des instructions, comment elle veut relancer la Commission qu'elle a proposée, et ensuite, comme le dit le président, il faut qu'on comprenne, il y a derrière ça, au fond on voit des partis politiques européens qui sont dérangés. Ils sont dérangés parce que le compromis du Conseil européen, c'est quelque chose qui passe au-dessus de leur tête, qui leur dit : à un moment donné, ce que vous nous proposez ça divise l'Europe, ça ne permet pas de faire le consensus, et on a aussi aujourd'hui quelque chose qui dérange, c'est que projet qu'on porte, oui, le projet français, on y a mis beaucoup de nous-mêmes. On a mis beaucoup d'ambition, et effectivement il y a beaucoup d'idées françaises dans le programme de travail, et donc il ne faut pas que ce soit perdu. Pour moi, la défaite ce serait que nos idées on les range dans un placard et qu'on dise : au fond on continue avec le ronron européen…

NICOLAS DEMORAND
Mais vous, vous êtes sûre que c'est vraiment le sujet ? Est-ce qu'il faut voir un complot là où il y a l'exercice d'un droit autour de deux problèmes, disons éthiques ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais, il n'y a pas de complot, mais je dis juste : la Commission chargée au Parlement européen, de regarder s'il y avait un conflit d'intérêts, n'a rien trouvé à redire sur la candidate française. En revanche, elle l'a trouvé des choses à redire sur la candidate roumaine et sur le candidat hongrois. Ça veut donc dire que sur le pur sujet du conflit d'intérêts de l'éthique, cette commission…

NICOLAS DEMORAND
Oui, donc selon vous c'est injuste ce qui est arrivé à Sylvie GOULARD.

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que je vois, c'est que c'est une crise. Moi je ne vais pas refaire le match, je ne suis pas là pour refaire les auditions.

NICOLAS DEMORAND
Non mais c'est injuste ou pas ? A vous entendre, la réponse est oui.

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est une défaite européenne, on essaie de travailler pour les citoyens. On a une énorme crise de confiance avec les citoyens européens, qui nous disent : votre truc là-bas, on ne comprend rien. C'est à Bruxelles, ça ronronne, ça n'avance pas vite. Regardez, les eurosceptiques prospèrent sur cette idée d'une Europe qui n'est pas efficace. On essaie de mettre en place des choses, de porter des ambitions, sur, justement, je vous dis, l'industrie, la création d'emploi, l'ambition sociale. Sylvie GOULARD aurait eu la responsabilité de s'occuper notamment la protection des droits des travailleurs des plateformes numériques. On est sur des sujets concrets. Alors, moi je peux ici refaire si vous voulez des auditions, ce n'est pas mon rôle. En revanche, mon rôle, c'est de vous dire qu'avec le président de la République, avec Ursula VON DER LEYEN, on a un devoir aujourd'hui, c'est de résoudre cette crise, de lui apporter des réponses rapides. Pourquoi ? Parce que derrière ce n'est pas seulement les institutions européennes, le Parlement, le Conseil, qui ont des problèmes, c'est les citoyens pour qui on est là pour travailler, pour leur apporter des résultats. Vous savez, je fais un tour de France pour voir comment les fonds européens, comment les politiques européennes se déploient en France. Il y a des gens dans les missions locales, dans les zones rurales, qui attendent des outils européens de soutien, pour les jeunes décrocheurs, pour les agriculteurs, pour les territoires où on recrée de la dynamique économique. Ils n'en ont rien à faire des petits jeux politiques. Et donc c'est pour ça qu'il faut qu'on résolve cette crise.

NICOLAS DEMORAND
La France sort elle affaiblie de cet épisode ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On sera affaibli, si on n'est pas capable effectivement de pouvoir défendre notre vision sur l'industrie, sur la défense, sur les emplois de demain et qu'est-ce qu'on fait par rapport aux géants du numérique. L'affaiblissement se serait qu'on nous dise : après cette affaire, eh bien finalement occupez-vous d'autres choses. Surtout ne…

NICOLAS DEMORAND
En tout cas, la Commission est affaiblie, à vous entendre, avant même d'être en action.

AMELIE DE MONTCHALIN
La Commission, aujourd'hui, elle ne peut pas fonctionner. Ça veut dire qu'aujourd'hui, si cette crise n'est pas résolue, s'il n'y a pas un consensus, si on n'arrive pas à remettre au fond les uns et les autres autour d'une table pour dire "on doit travailler pour les citoyens et pas se mettre dans une espèce de rapport de force", bien sûr que ce n'est pas seulement la Commission, c'est toute l'Europe. Moi, vous savez, je passe ma vie dans des réunions avec des ministres européens pour essayer de trouver des majorités. Il faut quand même que ça puisse fonctionner, sinon c'est des réunions pour rien, sinon c'est du temps perdu.

NICOLAS DEMORAND
Qui allez-vous proposer maintenant ? La France va proposer quel candidat ou quelle candidate ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ça dépend de ce qu'Ursula VON DER LEYEN nous dit. C'est elle…

NICOLAS DEMORAND
Mais ça veut dire quoi ça ? Vous attendez qu'elle vous dise quoi ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais, elle peut nous dire : « je veux un homme, je veux une femme, je veux pouvoir échanger avec vous ». Elle est la…

NICOLAS DEMORAND
C'est fini, la France ne propose plus, c'est elle qui dispose.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais ce n'est pas comme ça, Ursula VON DER LEYEN doit échanger avec le président de la République, pour échanger avec lui sur la voie de sortie face à cette crise. Donc la question, ce n'est pas de savoir qui la France propose, c'est de savoir qu'est-ce qu'Ursula VON DER LEYEN attend de nous. Et donc quand on nous dit : vous êtes des gens arrogants, parce que... Mais la dynamique européenne aujourd'hui elle est dans les mains d'Ursula VON DER LEYEN. On lui a proposé trois candidats, on lui a montré comment ils avaient des forces et des faiblesses, comme ils avaient des compétences, quels étaient leurs atouts. Elle a choisi parmi ces trois candidats, celle qui a été hier retoquée au Parlement européen, c'est à elle d'échanger avec notre président sur la suite qu'elle veut donner à cette affaire.

NICOLAS DEMORAND
Est-ce que le portefeuille restera de même taille ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais c'est l'enjeu, c'est que moi je vous dis : il faut qu'on puisse continuer à porter pour les Européens, l'ambition qu'on a sur ce sujet. Vous savez, le marché intérieur…

NICOLAS DEMORAND
C'est un portefeuille gigantesque.

AMELIE DE MONTCHALIN
Les gens nous disent : ah, c'est un truc ultralibéral, c'est ça, c'est le marché qui gagne. Le marché intérieur c'est-ce qu'a créé Jacques DELORS, en disant : il faut qu'on crée en Europe un espace où on met en commun des normes, pour qu'on ne se fasse pas de concurrence déloyale entre nous. Est-ce qu'on est arrivé au terme de cette entreprise ? Non. Parce qu'il y a encore de la concurrence déloyale, parce que les entreprises françaises n'arrivent pas à atteindre tous les citoyens consommateurs du marché. On a, on le voit bien dans le domaine du numérique, des énormes enjeux. Qu'est-ce que ça veut dire le numérique en Europe ? On a des enjeux éthiques, comment on régule les algorithmes ? Comment sur la défense on se crée une vraie souveraineté ? Donc oui, pour nous la bataille, si c'est une bataille, c'est de considérer que nous ne renoncerons pas à notre ambition européenne, nous ne renoncerons pas à notre projet et nous ne renonçons surtout pas à agir pour les citoyens européens qui attendent de nous des résultats.

NICOLAS DEMORAND
Le président de la République et Viktor ORBAN déjeunent aujourd'hui ensemble à Paris, à l'Elysée. Est-ce que la Hongrie pourrait présenter une candidate, ce qui permettrait à la France de présenter un candidat après Sylvie GOULARD ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Là aussi je vais vous dire quelque chose, Viktor ORBAN a eu une discussion avec Ursula VON DER LEYEN, a proposé une candidature, qui doit elle-même maintenant passer par le même processus, regarder s'il y a des conflits d'intérêts, puis être auditionné sur le fond. Ce n'est pas les chefs d'Etat entre eux qui nomment les commissaires. J'insiste sur ce point, parce que ce n'est pas de la magouille. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont choisi Ursula VON DER LEYEN pour prendre la tête de la Commission. Elle a pendant tout l'été réfléchi à comment elle voulait l'organiser. Elle a réfléchi à la cohérence, elle a réfléchi aux profils dont elle avait besoin, elle a échangé avec ensuite avec chacun des chefs d'Etat et de gouvernement, qui l'ont fait des propositions, la France en a fait trois, et j'imagine que Viktor ORBAN et Ursula VON DER LEYEN travaillent ensemble, ce n'est pas à l'Elysée que ça se discute. On donne une image totalement fausse de... L'Europe fonctionne par consensus.

NICOLAS DEMORAND
Enfin, là, il y a un dissensus.

AMELIE DE MONTCHALIN
On a nous une ambition, et on voit aujourd'hui qu'il y a une crise, et donc on va la résoudre, par consensus.

NICOLAS DEMORAND
Venons-en, je pense qu'il va y avoir beaucoup de questions d'auditeurs sur ce sujet-là, venons-en au Brexit, Amélie de MONTCHALIN. Au téléphone, dimanche dernier, Boris JOHNSON a dit au président MACRON, alors, je vais le citer : "L'UE ne devrait pas être persuadée que le Royaume-Uni pourrait rester dans l'UE après le 31 octobre". Parlons clairement, je vais essayer de traduire, dites-moi si je me trompe, ça veut dire que nous allons vers un No deal ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Non. Déjà il faut parler vrai aux Français, je pense que plus personne ne comprend plus rien à quoi que ce soit…

NICOLAS DEMORAND
C'est compliqué, je suis resté sur le dernier épisode en date.

AMELIE DE MONTCHALIN
Oh, il y en a eu d'autres depuis, je vous rassure, donc il y en a tous les jours, mais je pense qu'on ne va pas faire la chronique ici de la vie parlementaire et de la vie politique britannique, ce n'est pas le but.

NICOLAS DEMORAND
C'est compliqué, on essaie de le faire, mais c'est compliqué. En tout cas, ça veut dire que l'on va vers le no deal ou pas ?

AMELIE DE MONTCHALIN
J'ai la responsabilité ce matin, je pense, à votre micro, de dire des choses clairement. Il y a trois scénarios devant nous. Il y a le scénario qui est un chemin étroit, qui est encore possible, que nous souhaitons depuis 3 ans, c'est de faire les choses de manière ordonnée, et donc que nous trouvions un accord. Il y a eu des discussions hier entre le Premier ministre irlandais, Boris JOHNSON, il y a aujourd'hui des discussions très poussées qui ont lieu entre Michel BARNIER et mon homologue britannique, qui est ministre des Affaires européennes au Royaume-Uni. Et donc nous travaillons à un accord. Pas à n'importe quel accord, pas à n'importe quelle condition, on ne va pas se coucher, alors que ça fait 2 ans et demi qu'on a posé les principes, des principes simples : on veut la paix en Irlande, on veut protéger nos entreprises face à la concurrence déloyale, et on veut que dans le futur, notre relation future soit équilibrée. Ce n'est pas très compliqué. Et donc ce chemin-là, on le poursuit. Il y a un deuxième scénario, c'est le scénario du no deal, c'est le scénario où on n'arrive pas à se mettre d'accord, parce qu'on va poser des principes, et que les Britanniques, d'une certaine manière, ne nous suivent pas.

NICOLAS DEMORAND
N'est-il pas de plus en plus évident, ce scénario-là, du no deal ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Il est probable.

NICOLAS DEMORAND
Il est probable.

AMELIE DE MONTCHALIN
A ce stade, si les négociations dont je vous parle, ne se passent pas comme on pourrait espérer qu'elles se passent, s'il n'y a pas de part et d'autre de la table, et surtout du côté britannique, l'envie d'aller vers justement des compromis, parce que nos principes sont clairs, ils sont compréhensibles et ils sont dans l'intérêt des Européens, c'est d'ailleurs pour ça que depuis 3 ans tout le monde est d'accord. Alors le no deal est possible. Je voudrais parlent aux Français de ce que ça veut dire le no deal. Ça va secouer. Ça va secouer parce que ça ne pourra pas être le lendemain, aussi bien que la veille. Donc nous, le gouvernement, on se prépare. On se prépare pour organiser ce qui se passe dans les ports, pour indemniser les secteurs où il peut y avoir des répercussions directes, je pense aux pêcheurs. Vous savez, moi, le premier déplacement que j'ai fait en tant que ministre, c'était à Boulogne-sur-Mer. Parce que ce sont des gens qui sont directement impactés par un éventuel no deal. Donc je ne vais pas dire ici à votre micro : ça va être formidable, ça va être compliqué. Mais on s'est préparé et on se donne les outils. Et puis il y a un troisième scénario, c'est qu'on se dise finalement, et vous savez, des Britanniques, dont notamment de membres de l'opposition britannique attendent ça, c'est qu'on donne plus de temps.

NICOLAS DEMORAND
Un report, un nouveau report.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais moi, sur ce sujet, j'ai une question quand même fondamentale : pourquoi donner plus de temps ? Si c'est du temps pour du temps, ça fait déjà un an que ça dure, ça fait même 3 ans que ça dure, et on n'a pas bien compris. Donc il faut qu'il y ait des justifications. Et donc, ce que je veux dire aux Français aujourd'hui, c'est que l'on ne va pas poursuivre l'incertitude, on ne va pas se lancer dans un processus sans fin, si on n'a pas, j'allais dire, une forme de garantie que ça nous aide vraiment à dépasser la crise.

NICOLAS DEMORAND
Xavier BERTRAND, qui est l'élu d'une région directement concernée, s'inquiète pour les entreprises, si des entreprises de sa région seront pénalisées, il ne va pas falloir attendre un 2 ou 3 mois, dit-il, pour se rendre compte qu'elles ont besoin d'être soutenues. C'est donc un plan d'urgence déployable en temps qu'il demande. Il est prêt se plan ou pas ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Il existe. Ça tombe bien, parce que les gouvernements ont travaillé avec la Commission, on a un plan de contingence, c'est un grand mot pour dire qu'on a un plan de soutien, évidemment, aux secteurs, aux régions les plus impactés. Vous savez parfois j'entends et je regarde la Presse britannique…

NICOLAS DEMORAND
Ça va secouer, mais on est prêt en France, vous diriez que la France est prête à un no deal ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, on est prêt. On est prêt au sens où on a pris toutes les dispositions, à la fois pour protéger les citoyens, pour que les Britanniques qui habitent en France, pour que les Français qui habitent au Royaume-Uni soient protégés. On a fait des plans pour protéger les entreprises, on a mis de l'argent de côté, on a des dispositifs de côté, on a même pris les ordonnances, vous savez, d'urgence, qui peuvent être déployées, qui ont été votées au cas où. Donc on s'est préparé. Maintenant on est quand même le pays qui est à 50 km des rives du Royaume-Uni. 50 km qui ne vont pas changer. Ce n'est pas parce qu'un jour il y a une décision au Parlement britannique de dire : « finalement on sort », que le tunnel va être rallongé en nombre de kilomètres. Donc on est des voisins proches. Là où Xavier BERTRAND a raison, c'est : on sait que ça va secouer, mais on sait aussi qu'on va être extrêmement soudé, que tous les ministres, dans chacun de leur secteur, aujourd'hui, ont des mesures, ont travaillé pour nous assurer que, eh bien nous accompagnons le plus possible ceux que ça met en difficulté.

NICOLAS DEMORAND
Deux questions avant de donner la parole aux auditeurs, très nombreux de FRANCE INTER qui veulent s'exprimer ce matin. Le président ERDOGAN a poursuivi et poursuit son offensive contre les Kurdes du nord de la Syrie ; le président de la République a déclaré hier que la Turquie prend le risque d'aider Daesh à reconstruire son califat. Que fait concrètement la France pour éviter ça ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qu'on fait, c'est qu'on croit au multilatéralisme.

NICOLAS DEMORAND
Oui, bah, on voit dans quel état il est !

AMELIE DE MONTCHALIN
Et on va mettre chacun au pied du mur, chacun en face de ses responsabilités. Ça fait 5 ans qu'il y a une coalition qui se bat contre le terrorisme en Syrie. Dans cette coalition, il y avait des Turcs et les Américains. Aujourd'hui, on va les mettre au pied du mur. On leur dit : on n'a pas fait tout ça pour en arriver à ce point-là où certains agissent, font des offensives et d'autres laissent faire. Donc ça, c'est comme l'a dit Jean-Yves LE DRIAN très clairement hier soir, c'est notre priorité, c'est que chacun prenne ses responsabilités. Notre combat, c'est un combat contre le terrorisme ; c'est surtout un combat parce qu'on sait qu'on ne résoudra pas la situation en Syrie par les armes. Il y a un processus qui a commencé en 2012 à Genève ; il y a eu des résolutions au Conseil de sécurité innombrables et aucune d'entre elles ne dit « on va résoudre ça par les armes ».

NICOLAS DEMORAND
Mais avec quel espoir ? Une fois que vous mettez les gens au pied du mur, des gens qui ont repris leur liberté et agissent comme ils le souhaitent, une fois que vous avez dit ça, il va se passer quoi ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais vous savez dans l'ordre multilatéral, il y a des processus coordonnés de sanction ; il y a des processus coordonnés de réaction ; il y a des processus coordonnés pour que …

NICOLAS DEMORAND
Il pourrait y avoir des sanctions de l'UE, par exemple, de la France ou de l'UE contre la Turquie ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce sera débattu au Conseil européen la semaine prochaine évidemment.

NICOLAS DEMORAND
Et ça c'est sur la table ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Évidemment que c'est sur la table ! Vous imaginez bien qu'on ne va pas rester impuissant face à une situation qui non seulement est absolument choquante pour les civils qui sont soumis à ça, qui est choquante pour les forces syriennes qui ont depuis 5 ans accompagné les travaux de la coalition mais c'est aussi surtout choquant pour la stabilité de la région. On est dans une région, on le sait, qui est extrêmement fragilisée ; on a mené un combat contre Daesh qui a permis d'en réduire au maximum les capacités. Aujourd'hui, on lui donne toutes les occasions de se relancer. Donc la condamnation, elle est ferme mais elle n'est pas juste ferme dans les mots. On va agir ; vous imaginez bien qu'on ne va pas rester là autour de la table en disant « bien, voilà, on constate que c'est compliqué. »

NICOLAS DEMORAND
Le président de la République, l'ancien président François HOLLANDE, demande également à suspendre la participation de la Turquie à l'OTAN. Est-ce que ça aussi, c'est sur la table ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Toutes ces discussions-là vont avoir lieu au niveau européen.

NICOLAS DEMORAND
Mais c'est sur la table, enfin je veux dire, rien n'est fermé ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Aujourd'hui, rien n'est fermé parce que tout se discute ; c'est pour ça qu'on a un Conseil de sécurité, c'est pour ça qu'on a une Union européenne. C'est pour ça qu'on a fait une déclaration unie des 28 pays pour dire : d'abord, on arrête ça tout de suite, cessez-le-feu immédiat parce qu'on ne peut pas continuer déjà non plus à se parler quand tout ça est en cours.

NICOLAS DEMORAND
On parle de 2 000 soldats américains en Syrie selon les chiffres qu'on peut voir, donnés notamment par l'AFP. L'Europe ne peut pas envoyer 2 000 soldats sur place pour remplacer les 2 000 soldats américains s'ils venaient tous à être retirés par Donald TRUMP ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui est certain, c'est que je pense que le but aujourd'hui, ce n'est pas d'aller militariser encore plus un endroit qui l'est déjà beaucoup trop.

NICOLAS DEMORAND
Non, je dis "à la place" !

AMELIE DE MONTCHALIN
Tout ça, ça se discute. Si on doit déployer des forces, vous savez, ça s'appelle par le Conseil de sécurité de l'ONU, on ne déploie pas des forces dans un pays …

NICOLAS DEMORAND
Mais l'Union a 2 000 soldats éventuellement pour prendre la relève des Américains si jamais ce scénario était sur la table ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Cette capacité d'intervention, c'est pour ça que le 14 juillet dernier quand vous étiez tous, on a tous regardé le défilé, il avait dix chefs d'Etat qui ont regardé le défilé ensemble pas parce que c'est sympathique et que l'on trouvait que les avions de la Patrouille de France cette année étaient plus jolis que les autres, parce qu'il y avait dix forces armées européennes qui ensemble travaillent et c'est pour ça que le président de la République sur ce sujet-là, c'est pour ça qu'on en revient sur la défense européenne, il faut qu'on ait de la souveraineté, il faut qu'on ait la capacité d'être autonome et donc l'initiative européenne d'intervention, aujourd'hui, je vous ne dis pas qu'elle va le faire mais on a créé les mécanismes pour nous permettre dans des situations si on le décide ensemble, si le Conseil de sécurité considère que c'est une bonne idée de pouvoir le faire.

Questions des auditeurs

NICOLAS DEMORAND
Merci Amélie de MONTCHALIN, secrétaire d'Etat chargée des affaires européennes et pas future commissaire en lieu et place de Sylvie GOULARD !

AMELIE DE MONTCHALIN
Je peux vous dire qu'aujourd'hui, je crois que ce que vous avez entendu, c'est surtout mon engagement à faire que ça avance et les discussions qui se passeront entre … VON DER LEYEN et le président MACRON, je crois, pour l'instant ne me concernent pas du tout.

NICOLAS DEMORAND
D'accord, ce n'est pas « non » mais c'est …

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce n'est pas au travail aujourd'hui et ça me passe très, très haut, vous voyez !

NICOLAS DEMORAND
Et ça vous passe au-dessus de la tête pour l'instant. Merci encore d'avoir été au micro d'INTER.

AMELIE DE MONTCHALIN
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 octobre 2019