Texte intégral
Q - Montpellier vient de recevoir le Forum culture, médias et tourisme de la Méditerranée. Quel est l'objectif de ce sommet alors que les rives nord et sud de la Méditerranée sont en crise ?
R - C'est justement lorsqu'il y a des soubresauts de l'Histoire que se construit le meilleur. Regardez la construction européenne, elle a débuté juste après le second conflit mondial et, de cela, on a su tirer des conclusions et travailler main dans la main. Aujourd'hui, ce Sommet des deux rives a l'ambition de retisser des liens pluri-séculaire et indéniables entre nos sociétés. Montpellier en est un exemple : son université, vieille de huit siècles, a accueilli des savants, des étudiants venant de tous les pays de la Méditerranée. À la Renaissance, l'étudiant François Rabelais conseillait à son Pantagruel d'apprendre l'arabe, l'hébraïque, le latin, le grec... C'est pareil aujourd'hui : parce qu'on a besoin de relever ensemble un certain nombre de défis, climatique, environnemental, etc., on a la nécessité urgente de jeter des ponts pour apporter des réponses très concrètes. Et j'insiste sur le côté concret.
Q - C'est-à-dire ?
R - Parfois, on peut avoir le sentiment que la diplomatie se résume à des communiqués, sans impact dans la vie quotidienne des gens. Emmanuel Macron souhaite que naisse de ce Sommet des deux rives des projets qui vont changer la vie dans les dix pays de la Méditerranée occidentale. Cela concerne la mobilité, la traduction, les écoles de la deuxième chance qui pourraient être fédérées, etc. Du concret, du palpable, du tangible. L'intérêt des cinq forums qui auront alors précédé le Sommet tient au fait que ce ne sont pas les gouvernements qui élaborent les projets mais la société civile. On part des besoins qu'elle exprime.
Q - Que répondez-vous aux crispations, aux craintes qui se font jour des deux côtés de la Méditerranée ?
R - Effectivement, la crise des migrants a déchaîné les passions, la Méditerranée est devenue un cimetière. Le sujet migratoire a été mal géré en 2015 car l'Italie et la Grèce se sont retrouvées seules, en première ligne, parce que certains dirigeants populistes en Europe comme Viktor Orban en Hongrie, ont refusé la solidarité la plus élémentaire. Tout ça pour dire que la réponse à ces défis, ce ne sont pas les égoïsmes nationaux, mais la coopération et le travail en commun. De ce point de vue-là, l'Europe comme l'Afrique ont besoin de construire un partenariat stratégique. Quand on regarde la vitalité démographique de l'Afrique subsaharienne, on se rend bien compte qu'il y a nécessité à travailler ensemble, à privilégier le développement durable. La France augmente d'ailleurs ses crédits à l'aide publique au développement pour favoriser la création d'emplois, de petites entreprises, là-bas, afin que les jeunes puissent trouver à s'employer et ne plus prendre les routes de la nécessité. Nous voulons faire de la Méditerranée un lieu où l'on récolte les bonnes idées et non plus un cimetière. On y arrivera ensemble et non pas l'un contre l'autre.
Q - Par quoi pourraient se traduire les projets que vous esquissez alors que dans le même temps on réduit les facilités aux étrangers qui souhaitent venir étudier chez nous ?
R - Toutes les initiatives qui vont être labellisées par les sociétés civiles qui se réuniront à Tunis les 11 et 12 juin pour les présenter ensuite à Marseille, devront être suivies et accompagnées. Nous allons leur ouvrir les portes des bailleurs de fonds, de la Banque mondiale, de l'Agence française de développement, leur ouvrir des partenariats avec des institutions internationales, comme l'Unesco ou la Francophonie. Il faut un suivi. La France l'assurera grâce à un certain nombre de mécanismes comme l'Union pour la Méditerranée ou grâce aux crédits européens qui ne sont pas consommés parce que les projets ne sont pas aboutis.
Q - Et concernant les étudiants...
R - La hausse des frais d'inscription n'a pas engendré de renoncements massifs à venir étudier dans nos universités. Au Sénégal, le nombre de dossier déposé a même augmenté de 20%. Pour faire face aux demandes et ne pas nuire à la mobilité, les bourses, notamment d'exonération, ont été multipliées par trois. Les universités peuvent aussi en accorder.
Q - Comment ont été choisis les membres de la société civile qui participent à ces forums ?
R - La grande nouveauté, c'est que ce sont des personnalités qualifiées. La France a demandé à chacun des pays que ce soient des représentants d'associations, des gens engagés, non des fonctionnaires ou des diplomates. Et aussi, que la parité soit respectée. Cela a été dur à obtenir mais on l'a eue. Les femmes ont beaucoup à apporter de par leur expérience. Huit des dix chefs de file sont des femmes. C'est un très beau symbole au moment où nos sociétés sont rongées par la montée de certains obscurantismes dont le radicalisme islamiste.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mai 2019