Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la zone euro.
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d'abord vous remercier d'être venus nombreux pour ce débat fondamental sur la zone euro.
Je veux dire d'emblée au sénateur Jean-François Rapin que je partage son constat de départ et son ambition conclusive, mais un peu moins certains propos au milieu de son intervention, mais c'est de bonne guerre, je le reconnais bien volontiers. (Sourires.)
Je partage son constat de départ : oui, la zone euro est inachevée et elle est donc fragile face au risque de nouvelles crises économiques ou financières ! Nous sommes au milieu du gué. Or il n'y a pas situation plus défavorable. Soit on est sur une rive, soit on est sur l'autre, mais rester au milieu des courants les plus puissants, ceux d'une zone euro qui n'a pas tiré toutes les conséquences de la crise financière de 2008, qui ne s'est pas dotée de tous les instruments de nature à lui permettre de résister à une nouvelle crise financière, ni d'un budget indispensable pour renforcer la convergence des États membres, serait une erreur profonde. Il n'y a pas de statu quo possible pour la zone euro. Soit nous avançons, soit nous y renonçons, mais le statu quo ne peut pas être une solution. D'ailleurs, ni les marchés ni nos concurrents ne nous en laisseront le loisir.
Je partage également votre ambition, monsieur le sénateur Rapin – vous l'avez parfaitement formulée à la fin de votre intervention –, de faire en sorte que l'euro devienne une monnaie de référence. Entre la monnaie chinoise, qui s'affirme de plus en plus, et le dollar, qui est une monnaie de référence sur les marchés internationaux, l'euro doit bien entendu devenir une monnaie de référence internationale, parce qu'il nous donnera une puissance politique considérable pour peser sur le cours des affaires du monde, notamment sur les questions commerciales. Comment peut-on y arriver ? C'est sur ce point que nos avis vont légèrement diverger.
D'abord, il faut retrouver une crédibilité nationale. Je partage là aussi la nécessité absolue que la France soit crédible auprès de ses partenaires européens. Mais, monsieur Rapin, vous reconnaîtrez tout de même que nous avons réussi à sortir la France de la procédure de déficit public excessif dans laquelle elle était engluée depuis dix ans.
M. Laurent Duplomb. C'est faux !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour la première fois depuis des années, nous respectons enfin la règle de 3 % de déficit public – nous sommes en dessous –,…
M. Laurent Duplomb. Ce ne sera pas le cas en 2019 !
M. Bruno Le Maire, ministre. … et nous allons tenir cet engagement sur la durée du quinquennat. Seule l'année 2019 fera figure d'exception, parce que nous transformons le CICE en allégement de charges définitif. Hormis cet événement exceptionnel, sur la durée du quinquennat, pour la première fois depuis dix ans, la France sera sous la barre des 3 % de déficit public et elle sera sortie de la procédure de déficit public excessif. (MM. André Gattolin et Richard Yung applaudissent.) J'ai entendu « c'est faux ! », mais les faits sont têtus !
Le deuxième élément de nature à garantir la crédibilité nationale, c'est la poursuite des réformes de structure, qui sont d'ailleurs saluées par nos partenaires européens.
Nous avons engagé une réforme de la fiscalité du capital, en l'allégeant : suppression de l'ISF, prélèvement forfaitaire unique, réduction du taux de l'impôt sur les sociétés, qui va être ramené de 33,33 % à 25 % d'ici à 2022. À cet égard, je rappelle que le Président de la République a confirmé avec courage toutes ces orientations fiscales pour la durée du quinquennat.
Nous avons réformé le marché du travail. Nous avons réformé le statut de la SNCF. Nous allons désormais ouvrir le chantier de l'assurance chômage, pour plus de justice et pour permettre à tous ceux qui cherchent un emploi d'en retrouver un plus facilement. Nous allons engager la réforme de la fonction publique, ainsi qu'une réforme sans précédent du régime de retraite, pour avoir un système plus juste, plus équitable et transparent, un système par points, afin de mettre fin aux différences existant entre les agents du service public et ceux du secteur privé, des différences que nous regrettons tous.
Vous le voyez, les réformes structurelles qui garantissent la crédibilité de la France sont bien au rendez-vous.
Une fois que nous sommes d'accord sur l'objectif final – et nous le sommes ! –, sur le risque pesant sur la zone euro – nous le sommes également – et dès lors que la France a retrouvé sa crédibilité nationale, pour quoi doit-elle plaider ? Elle ne doit en aucun cas plaider pour un fédéralisme budgétaire. À cet égard, relisez attentivement les déclarations et les discours du Président de la République : jamais le Président de la République n'a employé le mot « fédéralisme » ! (M. Jean-François Rapin se montre dubitatif.) Ce n'est pas notre projet. Notre projet – je vous invite à lire toutes mes déclarations sur le sujet – vise à créer des États-nations qui travaillent plus étroitement ensemble en vue de rassembler leurs forces et garantir l'efficacité de la zone euro.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le premier objectif, c'est l'union bancaire. Je ne développerai pas longuement ce point, car vous l'avez parfaitement fait. Permettez-moi simplement de dire une chose.
À force de reporter les décisions concernant l'union bancaire pour toutes sortes de prétextes qui ne tiennent absolument pas la route, que se passe-t-il ? Nous ouvrons tout grand le marché unique à nos concurrents américains. Les grandes banques américaines, des banques solides, à succès, sont passées de 43 % à 47 % du marché unique européen en l'espace de quelques années. On peut continuer comme cela et faire du marché unique européen le terrain de jeu des banques américaines. Pour ma part, je préférerais que ce soit le terrain de jeu des banques européennes.
M. André Gattolin. Très bien !
M. Richard Yung. Bravo !
M. Bruno Le Maire, ministre. Mais, pour cela, il nous faut l'union bancaire.
L'union des marchés de capitaux est aussi une nécessité absolue, vous avez eu raison de le rappeler. Sans union des marchés de capitaux, il n'y a pas d'investissements, et, sans investissements, il n'y a pas de champions mondiaux. N'allez pas chercher ailleurs notre incapacité à faire émerger des géants du numérique !
Si l'on considère le nombre de start-up, quel est aujourd'hui le premier État en Europe en termes de créativité technologique ? C'est la France ! Et nous pouvons en être fiers ! Mais qu'est-ce qui pèche ensuite ? C'est la taille de ses entreprises, notre capacité à grandir. Nous n'arrivons pas à faire émerger, au niveau européen, des champions du numérique de taille identique à Google, Facebook, Amazon ou d'autres, parce que nous n'avons pas un marché unique de capitaux efficace. Qui plus est, les montants investis dans le capital-risque en 2018 s'élevaient à 100 milliards de dollars aux États-Unis, 80 milliards de dollars en Chine, contre 20 milliards en Europe. Penser petit n'est pas à la hauteur des circonstances ni du projet politique européen que nous portons.
Enfin, le troisième instrument, c'est le budget, avec deux objectifs : la convergence et la stabilisation. Là non plus, je ne reviendrai pas sur les propos de M. Rapin. J'ai en revanche un point de divergence.
Nous avons obtenu un accord historique entre la Chancelière Angela Merkel et le Président de la République française à Meseberg. Nous y avons travaillé pendant des mois avec mon homologue, le vice-chancelier, ministre fédéral des finances, Olaf Scholz ; nous y avons passé des nuits blanches. Pourquoi ?
Il y a deux ans, quand j'ai été nommé ministre des finances, je ne pouvais même pas prononcer le terme « budget » de la zone euro quand je me rendais en Allemagne. On parlait d'« instrument monétaire », d'« instrument de convergence », mais surtout pas de « budget ». Deux ans après, à Meseberg, la Chancelière allemande et le Président de la République française ont signé un accord en vertu duquel il est écrit : « Nous allons mettre en place un budget de la zone euro pour favoriser la convergence entre les États membres de la zone euro. »
En juin prochain, dans quasiment un mois, nous disposerons de tous les éléments pour mettre en place ce budget de la zone euro. En deux ans, nous avons accompli ce que le Président de la République avait promis aux Français et à la Nation française.
M. Richard Yung. Bravo !
M. Bruno Le Maire, ministre. En revanche, c'est vrai, pour ce qui concerne la stabilisation, je regrette que nous n'ayons pas davantage progressé. Mais le problème n'est pas franco-allemand. J'entends beaucoup dire ici que se poseraient des difficultés entre la France et l'Allemagne. Or, depuis deux ans, les réalisations sont importantes.
Ce n'est pas l'Allemagne qui s'est opposée à la stabilisation. Olaf Scholz lui-même avait proposé un instrument de stabilisation, un instrument d'assurance chômage, que j'estime tout à fait pertinent : si jamais un État membre de la zone euro était en difficulté et voyait son taux de chômage exploser, mais avait, dans le même temps, respecté ses engagements budgétaires et fait tous les efforts de compétitivité nécessaires, nous aurions payé à sa place les allocations chômage supplémentaires. En effet, nous préférons que celui-ci continue à investir, à innover, à financer ses entreprises plutôt qu'à financer l'indemnisation du chômage. C'était un mécanisme vertueux, et je persiste à penser que, au-delà de l'indispensable convergence, il faut aussi un instrument de stabilisation.
Telles sont les quelques remarques que je tenais à formuler ; j'aurai l'occasion d'intervenir dans le débat interactif. Je me félicite de la qualité du débat que Jean-François Rapin a ouvert avec son intervention, et je vous remercie, une fois encore, d'être venus aussi nombreux débattre d'un sujet ardu qui ne suscite pas toujours l'enthousiasme des foules, alors qu'il est décisif pour l'avenir de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
- Débat interactif -
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Les prochains mois seront sans doute déterminants pour l'état de santé de l'Union européenne, en particulier de la zone euro. En effet, le niveau global d'endettement public, qui avait légèrement décru en 2018, semble reprendre sa course en avant, notamment en Grèce et en Italie, où il atteignait plus de 132 % du PIB en 2018.
Dans son dernier bulletin économique, la BCE souligne les risques pesant sur les perspectives de croissance de la zone euro. Là encore, la situation italienne a de quoi préoccuper, puisque le Gouvernement vient d'abaisser ses prévisions de croissance pour 2019 à 0,1 % du PIB, bien loin des espoirs qu'il nourrissait initialement.
Dans un climat déjà des plus atones en raison du Brexit et de la guerre commerciale sino-américaine, cette faiblesse de l'Italie menace aujourd'hui la stabilité de la zone euro, d'autant que l'Allemagne, déjà peu encline à la mansuétude à l'endroit de l'Italie, voit cette année sa croissance connaître un net ralentissement et s'inquiète de l'important déséquilibre des soldes respectifs de leur banque centrale et de celle de l'Italie auprès de la BCE.
Dans ce contexte et dans la perspective de la future réforme de la zone euro, quelles sont les mesures préconisées par le Gouvernement pour éviter que cette situation inquiétante n'influe trop négativement sur la résilience tant attendue de la zone euro ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur Gattolin, je partage votre préoccupation. Il faut peut-être à un moment donné que l'on ouvre les yeux. On peut toujours dire « Tout va très bien, madame la marquise », mais des tensions commerciales fortes conduisent à un ralentissement très marqué de la croissance dans la zone euro, avec une situation de récession en Italie et un niveau de croissance estimé pour 2019 à 0,5 % en l'Allemagne, pays censé être la locomotive de la zone euro. Quand la locomotive est à 0,5 % de croissance, les wagons peuvent s'inquiéter.
Pour ce qui nous concerne, nous enregistrons, je le rappelle, 0,3 point de croissance au premier trimestre de 2019. Il appartient aussi à la France de formuler des propositions pour éviter le marasme. Nous n'y sommes pas encore, mais nous pouvons y tomber. L'art de la politique est non pas de rester scotché à la vitre, mais d'anticiper. C'est pourquoi j'ai proposé à nos partenaires européens – je profite de ce débat pour le rappeler – un contrat de croissance, auquel je crois profondément.
Je ne suis pas le ministre des finances français qui, comme d'habitude, va dire à nos amis Allemands : « Investissez plus, investissez plus, investissez plus ! » Je leur propose un contrat, aux termes duquel la France s'engage à poursuivre ses transformations économiques de fond pour gagner en compétitivité. C'est le premier pilier.
Deuxième pilier : accélérons tous ensemble les décisions nécessaires, qui ont été parfaitement rappelées par M. Rapin, quant à l'achèvement de la zone euro : union bancaire, union des marchés de capitaux, budget de la zone euro. Tout cela doit pouvoir être clos à la fin de l'année 2019. Ce n'est qu'une question de volonté politique. Tous les éléments techniques sont sur la table, et nous les connaissons par coeur. Alors, un peu de volonté politique et un peu de courage !
Troisième pilier de ce contrat de croissance : profitons de la politique accommodante de la BCE, qui ne durera pas éternellement. Utilisons cette fenêtre d'opportunité pour mettre en oeuvre le contrat de croissance que je propose : que les États qui doivent encore le faire engagent des réformes – c'est le cas de la France, je le reconnais avec sincérité et honnêteté – ; que ceux qui peuvent se le permettre réalisent plus d'investissements – je pense à l'Allemagne, aux Pays-Bas et à d'autres États qui ont une situation budgétaire meilleure – ; procédons à l'achèvement des décisions nécessaires sur la zone euro,…
Mme la présidente. Monsieur le ministre, il faut conclure !
M. Bruno Le Maire, ministre. … avec l'union bancaire, l'union des marchés de capitaux et le budget, tout en profitant de la politique accommodante de la BCE. Telle est la proposition que nous faisons à nos partenaires européens.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Si rien ne change, la zone euro s'approche d'une nouvelle crise économique et financière. Les prévisions de croissance sont mauvaises, vous venez de le dire et de le répéter, monsieur le ministre : elles sont faibles en France, plus mauvaises en Allemagne et davantage encore en Italie. La production industrielle de la zone euro recule, particulièrement en Allemagne.
De surcroît, se pose un grave problème de contenu. Le modèle compétitivité-prix qui domine dégrade le contenu social et écologique de cette croissance, en abîmant nos sociétés, les droits sociaux, le pouvoir d'achat, les services publics et en « creusant les inégalités de revenus », comme le reconnaît l'OCDE.
Les réponses apportées depuis la crise de 2008 sont en plus inefficaces. Le niveau de la dette publique est aujourd'hui supérieur à celui de l'avant-crise.
L'impasse économique et les inégalités dans lesquelles ces politiques enfoncent l'Europe coûtent politiquement de plus en plus cher, comme le montre encore le score alarmant de Vox en Allemagne.
M. Roger Karoutchi. En Espagne !
M. Pierre Laurent. La poussée des extrêmes droites en Europe est l'enfant de la faillite libérale européenne.
Face à cette situation, les gouvernements de la zone euro semblent ne pas réagir, cherchant à achever la zone euro, comme vous venez de le dire, mais sans repenser son contenu. La Banque centrale européenne vient d'ailleurs de confirmer son cap sur la politique déjà menée. Il faut changer de trajectoire, monsieur le ministre ! Pour ce faire, les parlementaires communistes avancent notamment deux propositions précises pour mobiliser autrement l'argent de la zone euro.
Première proposition : changer les critères de la BCE pour cibler les refinancements vers un autre type de développement économique, riche en emplois, relocalisant l'activité industrielle, utile socialement et écologiquement.
Seconde proposition : créer un fonds européen dédié au financement des services publics.
Le Gouvernement est-il prêt à soutenir ces deux propositions ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur Laurent, je suis, comme vous, convaincu de la nécessité d'une réorientation des politiques de la zone euro de manière à tenir compte de ce qu'on constate partout : la montée des populismes et des inquiétudes de peuples qui estiment que la zone euro, telle qu'elle est, ne répond pas à leurs attentes.
La première attente, je tiens à le rappeler, c'est la prospérité. La zone euro doit être une garantie de prospérité pour tous les États membres, mais elle doit également garantir leur protection, face à la Chine, aux États-Unis et aux autres grands ensembles économiques. Cela passe par les décisions que j'ai déjà évoquées : elles permettront de renforcer la zone euro et de la rendre plus prospère.
Le contrat de croissance que je propose répond aussi à votre remarque, qui est juste : personne ne peut se satisfaire du ralentissement présent de la croissance de la zone euro et dire simplement que tout ira mieux demain ! Dans ce cas, ne faisons plus de politique, ne prenons plus de décisions et laissons les marchés décider à notre place ! Mais si ce sont les marchés qui décident de tout, plutôt que nous, c'est toute notre ambition politique qui est réduite à néant.
Pour ma part, je crois à la volonté politique, y compris en matière économique ; si je propose ce contrat de croissance, c'est bien parce que je crois profondément que, lorsqu'il y a un tel ralentissement, qui peut avoir un impact immense sur la vie quotidienne de nos compatriotes, notre responsabilité est de dire : il faut faire autrement !
Quant au contenu, je suis prêt à examiner toutes les propositions, même les plus iconoclastes.
Le Président de la République a proposé un bouclier social. Cette proposition est iconoclaste au sein de la zone euro, mais elle pourrait garantir un minimum à toutes les personnes qui travaillent et qui rencontrent des difficultés dans la zone euro. Cela permettait de montrer que le modèle de développement économique européen n'est pas le dumping social – toujours plus vers le bas – ; notre modèle, c'est la dignité du travail et de sa rémunération.
Concernant la Banque centrale européenne, je suis prêt à ce que nous envisagions un engagement de toutes les banques centrales – européenne comme nationales – sur la finance verte.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je crois à la nécessité d'un financement vert. Je suis prêt à étudier cette possibilité.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour la réplique.
M. Pierre Laurent. Monsieur le ministre, en matière de propositions iconoclastes, vous pouvez compter sur nous. (Sourires.) Je vous en ai d'ailleurs soumis une, à laquelle vous n'avez pas réagi : la création d'un fonds consacré au développement des services publics. Vous n'ignorez pas que c'est un grand problème dans notre pays, comme dans beaucoup d'autres pays européens. Si nous voulons combler les inégalités en Europe, il y a de quoi faire, notamment en utilisant la finance de la Banque centrale européenne pour rattraper les retards existants.
Nous avons donc beaucoup de propositions iconoclastes, comme vous les appelez, dont la reprise par le Gouvernement serait utile.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. L'objectif fondamental de l'Union européenne, mais aussi de l'union économique et monétaire, est de garantir le développement économique et la stabilité, ainsi que le progrès et la prospérité pour tous.
En 2016, Jacques Delors lançait un avertissement clair qui demeure, plus que toujours, d'actualité : « Si l'élaboration des politiques européennes compromet la cohésion et sacrifie des normes sociales, le projet européen n'a aucune chance de recueillir le soutien des citoyens européens. »
Or la création de l'union économique et monétaire s'est accompagnée de règles précises relatives aux dépenses publiques, dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance. Il est d'ailleurs à noter que le célèbre économiste Jean Pisani-Ferry, dans une communication très récente, s'interroge sur la pertinence du maintien de ces règles, notamment celle relative aux 3 % de déficit, alors que les conditions ont sensiblement évolué depuis l'entrée en vigueur de ces règles, en 1997.
Sous l'effet de la crise, ces règles ont conduit les États à adopter des politiques d'austérité : réduction drastique des dépenses, donc des services publics, diminution des investissements, baisse des dépenses sociales, augmentation de la flexibilité du marché du travail et gel des salaires visant à améliorer la compétitivité des entreprises. Ainsi, on a contribué à renforcer le camp des eurosceptiques.
Aussi, monsieur le ministre, ma question est double.
D'une part, quel rôle entend jouer la France pour réformer le pacte de stabilité de manière à permettre aux États de profiter des taux bas pour financer des investissements, tels que ceux qui sont liés à la transition vers une économie bas-carbone ?
D'autre part, en vue de la préparation du prochain sommet pour l'avenir de l'Europe, qui se déroulera le 9 mai prochain, quelles initiatives la France souhaite-t-elle prendre pour traduire dans des lois européennes, au moins à l'échelle de la zone euro, les mesures contenues dans le socle européen des droits sociaux et, en particulier, les annonces faites par le Président de la République relatives à un salaire minimum européen et à l'alignement du paiement des cotisations sociales des travailleurs détachés sur le niveau du pays d'accueil ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. On s'écarte un tout petit peu du débat sur la zone euro, mais je veux vous redire, monsieur le sénateur, la détermination du Gouvernement tout entier à mettre en place le socle européen des droits sociaux, notamment le salaire minimum européen et les exigences que vous avez mentionnées concernant la rémunération des travailleurs détachés. Ce sera à Mme la ministre du travail de porter cette ambition ; elle le fait déjà avec beaucoup de détermination.
Cela étant, je partage votre analyse : il ne peut pas y avoir d'Europe sans une dimension de solidarité. L'Europe ne peut pas être une compétition sans fin des États les uns contre les autres. Il faut que nous ayons cette garantie de solidarité.
En revanche, sur les règles, je vais être très clair avec vous : ce sont toujours les cancres qui contestent les systèmes de notation. Lorsque vous avez de très bons résultats scolaires, vous pouvez dénoncer l'absurdité, la stupidité de la notation ; lorsque vos résultats sont moins bons, vous êtes un petit peu moins fondé à contester le système en vigueur.
Mon exigence, comme ministre des finances, est de faire en sorte que la France apporte à ses partenaires la preuve qu'elle est enfin capable de respecter ses engagements, dont nous sommes tous les dépositaires. C'est important, en premier lieu, pour la règle des 3 % de déficit public. On peut évidemment contester la pertinence du chiffre – pourquoi pas 2 % ou 4 % ? –, mais il faut bien une règle, et la France sera plus crédible pour contester les règles le jour où elle les respectera et les aura respectées plusieurs années d'affilée.
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin. (M. André Gattolin applaudit.)
M. Yvon Collin. Dans quelques mois, l'euro fêtera les vingt ans de sa création ; ce sera sans doute l'occasion de dresser un bilan de cette monnaie commune à dix-neuf pays de l'Union européenne. Nous savons déjà que la progression du PIB par habitant a été de 89 % dans la zone euro depuis 2000, tandis qu'elle n'a été que de 58 % pour nos amis Britanniques restés à la livre. L'euro a permis une stabilité des prix et des changes, des taux de crédit relativement bas à la fois pour les ménages et pour les entreprises, ainsi qu'un cadre bénéfique pour la croissance de la zone euro, même si l'on aurait sans doute souhaité faire mieux encore.
Actuellement, comme d'autres monnaies, l'euro est en repli par rapport au dollar ; il est passé sous 1,12 dollar, soit une perte de 2,8 % depuis le mois de janvier dernier. Souvent qualifié de monnaie de confiance, l'euro doit conforter son assise et, ainsi, mieux affirmer sa souveraineté, en particulier par rapport au dollar. Tout cela suppose évidemment la consolidation des instruments économiques que porte la zone euro, ainsi que la stimulation de la croissance, qui est quelque peu léthargique, malgré un léger rebond finalement observé durant ce trimestre. Aussi, parmi les recommandations du Conseil pour les affaires économiques et financières, je retiendrai celles qui consistent à demander aux pays de la zone euro de soutenir l'investissement public et privé, d'alléger le coût du travail et d'assainir les finances publiques.
En réponse au mouvement des « gilets jaunes », le Président de la République a fait un certain nombre d'annonces sur le plan économique et fiscal ; elles pourraient, à certains égards, envoyer des signaux contradictoires. Je pense notamment à la baisse des impôts, très bien perçue par les marchés de change tant qu'elle ne creuse pas notre déficit public. Dans ces conditions, comment la France va-t-elle articuler les exigences qui nous lient à la zone euro et lesdites promesses qui nous engagent vis-à-vis de nos concitoyens ? (M. André Gattolin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur Yvon Collin, j'entends aujourd'hui beaucoup de contestations de la zone euro. Ces contestations sont parfois artificielles. C'est pourquoi je voudrais rappeler, avec beaucoup de simplicité, les avantages considérables que la zone euro apporte à nos entreprises et à nos concitoyens.
Premièrement, il n'y a plus d'inflation. On peut le regretter, argumenter qu'il en faudrait un tout petit peu, mais il n'y a plus cette inflation massive qui existait il y a quelques décennies encore et qui est un impôt sur les pauvres. Ceux qui perdent le plus lorsqu'il y a une inflation forte, ce sont en effet les ménages les plus modestes. Ne pas avoir d'inflation, c'est une protection pour les plus fragiles de nos compatriotes.
Deuxièmement, c'est un élément décisif, la zone euro permet aux entreprises de bénéficier d'une liberté de circulation. On a la même monnaie : cela facilite le commerce. Or le commerce intra-européen représente 60 % des échanges commerciaux français. C'est donc un avantage considérable pour le développement et la compétitivité de nos entreprises. Quand elles exportent vers Rome, Berlin ou Madrid, elles n'ont pas à payer de frais de change.
Troisièmement, la solidité de cette monnaie nous garantit des capacités d'exportation. Une monnaie forte facilite les échanges commerciaux extérieurs.
Ces trois avantages décisifs de la zone euro doivent être mis en avant sans relâche.
Il demeure une faiblesse, que vous avez parfaitement soulignée : il n'y a pas assez de convergence au sein de la zone euro. Malheureusement, certains États ont davantage bénéficié que d'autres, objectivement, de cette zone. C'est pourquoi le Président de la République et le Gouvernement ont proposé le budget de la zone euro : notre but est d'amener plus de convergence là où, au cours des dernières années, il y a eu trop de divergences.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Quand on a créé l'euro, on nous a expliqué qu'il ferait contrepoids au dollar et qu'il serait une force pour l'Europe en général, et donc pour la France, en matière de commerce international. Or je suis absolument scandalisé de constater la nullité de la zone euro quand il s'agit de résister aux pressions de M. Trump, qui essaie par exemple de nous empêcher de commercer avec l'Iran.
S'il y a bien un domaine où l'euro aurait pu être utile, ç'aurait bien été pour résister à la mainmise et à la domination du dollar. Or notre politique étrangère actuelle est asservie : nous sommes à genoux devant le dollar de M. Trump, qui nous impose les pays avec lesquels nous pouvons commercer et ceux avec qui nous n'avons pas le droit d'être en relations économiques.
Je le dis sans détour, monsieur le ministre : c'est scandaleux ! C'est le fait de la nullité intégrale des gouvernements qui s'occupent de l'euro.
M. Jean Bizet. C'est malheureusement exact !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Heureusement, monsieur le sénateur, vous avez mis en cause les gouvernements, et non pas la France, sinon je vous aurais invité à participer à mes entretiens, à Washington, avec l'administration américaine ; vous auriez pu constater qu'ils sont musclés. On nous reproche quelque chose qu'en bon gaulliste je soutiens fortement : l'indépendance et la souveraineté française.
Quand le Président de la République refuse de s'engager dans une négociation commerciale avec les États-Unis parce qu'ils sont sortis des Accords de Paris, la réponse est musclée.
Quand nous taxons les géants du numérique, parce que nous estimons que c'est une question de justice fiscale, la réponse est musclée également.
En revanche, je vous rejoins totalement sur la nécessité de résister aux sanctions extraterritoriales américaines. Les États-Unis n'ont pas à être le gendarme de la planète ! Le dollar n'a pas à être l'étalon de l'ensemble du commerce mondial !
Ainsi, lorsque les États-Unis ont décidé de mettre en place des sanctions extraterritoriales contre l'Iran, alors même que ce dernier est toujours membre de l'accord que nous avons signé à Vienne, nous avons mis en place, avec le Royaume-Uni et l'Allemagne, un instrument spécifique afin de continuer à commercer avec l'Iran en dépit des sanctions extraterritoriales américaines. S'il n'y avait pas eu cette réaction européenne, j'aurais admis que nous n'avions pas été à la hauteur. Or je constate que les Européens ont eu le courage de mettre en place cet instrument.
Cela dit, je connais suffisamment le manque de détermination de certains face aux États-Unis pour savoir que c'est au pied du mur qu'on verra le maçon. (Sourires.) C'est donc au pied de cette institution financière que nous verrons la détermination des États européens à résister aux États-Unis d'Amérique.
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, à la limite, vous me donnez raison, mais on constate tout de même que nos échanges commerciaux avec l'Iran ont diminué de plus de moitié. Franchement, on ne peut pas s'en satisfaire !
Les dirigeants de l'euro et, de manière générale, les pays qui font partie de la zone euro sont totalement nuls. On baisse les bras face aux États-Unis. J'estime que c'est scandaleux : si l'on continue à se laisser faire ainsi, c'est toute notre politique étrangère et tous nos échanges commerciaux internationaux qui, bientôt, seront aux ordres des États-Unis.
J'insiste, monsieur le ministre : il serait temps de mettre un vrai blocage au sein de la zone euro tant que cette affaire n'est pas réglée.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. « Un petit bout d'Europe entre nos mains », c'est ainsi que l'ancien président de la Commission européenne Romano Prodi qualifiait l'euro en 2002. La zone euro est en effet au coeur de l'Europe et représente une étape essentielle de l'achèvement du marché intérieur et de l'intégration économique et financière du continent.
Utilisé par près de 340 millions de citoyens à travers dix-neuf États membres, l'euro constitue la réalisation la plus concrète de l'intégration européenne. Toutefois, il souffre d'un manque d'incarnation politique et peine à avancer en raison de l'obstruction de pays plus eurosceptiques que d'autres. Or le renforcement de l'union économique et monétaire doit être la première des priorités. Dix-neuf États ont choisi de partager une monnaie commune et, ainsi, de mettre en commun leur souveraineté. Il faut à présent aller plus loin et accepter une Europe en cercles concentriques, dont le coeur sera la zone euro, avec un marché du travail beaucoup plus intégré et une convergence sociale assumée.
Une meilleure coordination des politiques économiques et budgétaires permettra de consolider ce coeur de l'Europe. Il est toutefois primordial qu'un instrument budgétaire commun puisse s'articuler avec une politique monétaire par définition communautarisée. Les règles de coordination et de convergence des politiques économiques nationales ne sauront masquer le manque criant d'un outil budgétaire commun qui permettra de facto de limiter les divergences économiques.
Enfin, malgré sa technicité, l'union bancaire lancée en pleine crise des dettes souveraines et européennes doit être achevée. Les deux premiers piliers, à savoir la supervision commune des banques et le mécanisme de résolution des crises et de gestion des faillites bancaires, doivent être approfondis ; le troisième, un système de garantie commune des dépôts bancaires, reste à construire.
Monsieur le ministre, quelles sont les priorités françaises sur ces points en vue de la prochaine réunion de l'Eurogroupe le 16 mai prochain ? Quelles sont les priorités du Gouvernement pour relancer l'Union européenne dans son coeur, alors que le gouverneur de la Banque de France, M. François Villeroy de Galhau, met en garde contre tout attentisme au sein de la zone euro ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Le propos de M. le sénateur Longeot soulève de nombreuses questions.
Il existe une supervision de la zone euro ; il faut une supervision plus solide des banques européennes. Ce qui vient de se passer avec la Danske Bank le montre très clairement : il est indispensable de renforcer la supervision bancaire de l'Union européenne.
Ce sont souvent les mêmes qui nous font des leçons de morale, en nous accusant de ne pas respecter ceci ou cela : eh bien, qu'ils respectent déjà les règles bancaires européennes et qu'ils se conforment aux règles instaurées contre le blanchiment ! On ne peut pas demander de renforcer les règles pour certains et non pour soi-même. Je souhaite donc que nous ayons une supervision bancaire européenne plus solide.
Sur l'incarnation, je vous rejoins là aussi totalement, monsieur le sénateur. Je veux croire que nous aurons mis en place tous ces instruments – union bancaire, union des marchés de capitaux, budget de la zone euro, budget de convergence – d'ici à la fin de 2019 ; si ce n'est pas le cas, c'est que les États membres de la zone euro n'auront pas été à la hauteur de leurs responsabilités historiques.
Dans un second temps, j'espère parvenir à convaincre nos partenaires qu'un instrument de stabilisation est absolument indispensable, mais chacun sait qu'on est aujourd'hui bloqué sur ce point.
Il faudra en tout cas, dans une perspective de long terme, une incarnation. Ce sera le ministre des finances de la zone euro, qui sera un primus inter pares. On rejoint la construction politique que nous vous proposons : plutôt qu'une fédération, des États-nations qui travaillent plus ensemble.
Prenons l'exemple de la Banque centrale européenne, qui fonctionne remarquablement bien : il y a un primus inter pares, Mario Draghi, son président, qui prend ses responsabilités quand cela est nécessaire, mais tous les présidents de banques centrales membres de la zone euro sont également présents autour de la table, donnent leur avis et apportent leur regard sur la situation. C'est à mon avis le bon modèle pour la zone euro de demain.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. La création de l'euro incarne la réussite la plus palpable de l'Union européenne. Avec près de 75 % du PIB de l'Union européenne, la zone euro constitue la troisième puissance économique mondiale. Elle représente le noyau dur de l'Union européenne.
L'euro a délivré deux promesses fondatrices : la stabilité des prix, avec une inflation moyenne de 1,7 % par an en Europe depuis sa création, soit trois fois moins qu'au cours des vingt années précédentes. Les récentes crises ont démontré la solidité de cette monnaie et sa capacité à protéger les économies des États membres. Pourtant, il faut encore progresser et relever les défis qui se présentent à nous : l'achèvement de l'union bancaire, la convergence des réformes économiques nationales, le renforcement et la souveraineté de l'union économique et monétaire, et la défense du rôle international de l'euro.
Les États les plus performants contribuent à la croissance de la zone euro, mais chaque État doit faire preuve de sérieux budgétaire. L'idée d'un contrat de croissance est de bon aloi. Ces avancées sont d'autant plus nécessaires dans un contexte de concurrence accrue, de tensions commerciales et internationales et d'incertitudes liées au Brexit. Il est donc indispensable d'engager des réformes évitant toute divergence entre les politiques menées par les États membres et, surtout, permettant à l'Europe de peser face à de grandes puissances comme les États-Unis ou la Chine.
La zone euro renforce nos positions sur les marchés mondiaux. Alors que la dette européenne baisse globalement et que la croissance semble se maintenir dans la zone euro, l'Italie, qui mène une politique expansionniste, voit sa dette augmenter sans reprise de sa croissance. Les décisions budgétaires que ce pays prend peuvent avoir des répercussions très négatives sur ses voisins, qui font les efforts budgétaires demandés, alors même que ces efforts ne sont pas toujours populaires auprès de leurs citoyens.
Monsieur le ministre, alors même que la Commission doit refaire un point de la situation budgétaire en juin prochain, comment éviter que certains États, comme l'Italie, mènent des politiques économiques allant à l'encontre des autres États membres ? Que compte faire la France pour faire avancer concrètement ces réformes indispensables de la zone euro, pour en convaincre nos partenaires et, notamment, pour développer le soft power de la zone euro ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Je ne suis pas satisfait du niveau de croissance de la zone euro. D'autres orateurs l'ont dit dans ce débat : si l'on se satisfait de ce niveau de croissance, il ne faudra pas s'étonner de la montée des populismes partout en Europe. On nous dira : « Votre euro est bien sympathique, mais si c'est pour avoir 0,2 ou 0,5 point de croissance et être à la traîne alors que d'autres grandes nations, comme les États-Unis, ont de meilleurs résultats que nous, c'est qu'il ne marche pas ! »
Il est temps que nous prenions nos responsabilités. C'est le contrat de croissance que j'ai proposé : d'un côté, des réformes pour ceux qui en ont besoin, dont la France ; de l'autre, plus d'investissements pour ceux qui en ont la capacité budgétaire, dont l'Allemagne. Certes, celle-ci dépense plus qu'elle ne le faisait auparavant, mais elle peut dépenser plus encore pour financer des investissements qui bénéficieront à l'ensemble de la zone euro. Voilà le contrat que je propose.
Vous avez également évoqué la situation italienne, monsieur le sénateur. Je répète toujours à nos partenaires italiens que nous sommes tous dans le même bateau : nous avons abandonné notre souveraineté monétaire.
J'entends certains affirmer, à l'occasion de la campagne pour les élections européennes, qu'il n'y a pas de souveraineté européenne. Dans ce cas, c'est qu'ils ont abandonné l'euro, qui est un instrument de cette souveraineté. Sans souveraineté européenne, il n'y a pas d'euro ! La nier, c'est de facto renoncer à l'euro et à la zone euro.
Dès lors que nous avons partagé cette souveraineté et que nous avons une monnaie commune, il faut que chacun suive les règles. C'est trop facile d'aller voir sa propre population et de lui déclarer : « Nous sommes complètement libres, nous faisons ce que nous voulons, nous sommes indépendants et nous nous moquons de ce que diront l'Allemagne, la France, l'Espagne et les autres ! » C'est notre cohésion qui fait notre force ; les règles que nous respectons tous font la force de notre zone commune. Personne ne peut s'abstraire de règles qu'il a librement et souverainement choisies : elles le protègent et protègent la zone euro dans son ensemble.
Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Le dollar est la monnaie la plus utilisée pour les échanges internationaux de biens et de services, mais aussi pour les réserves de change dans le monde. Cette supériorité du dollar permet aux États-Unis de pratiquer une politique extérieure agressive, au point de faire condamner à de lourdes amendes les entreprises non américaines qui ont utilisé le dollar pour des transactions avec des pays que les États-Unis boycottent.
Avec son internationalisation, le yuan chinois est intégré aux réserves de change de plusieurs États, dont la Russie. Certes, le FMI estime à moins de 2 % la part du yuan dans le total des réserves de change des 149 pays suivis par cet organisme, mais la part de cette devise a quasiment doublé dans ces pays entre 2017 et 2018. La valeur du yuan et la volonté de la Chine d'en faire progressivement une monnaie concurrente du dollar deviennent le sujet central dans les vifs débats entre la Chine et les États-Unis.
Il n'en est pas de même pour l'euro, dont la position, pourtant bien plus forte, n'inquiète guère les États-Unis, et pour cause ! En effet, l'euro remplit gentiment un rôle d'intermédiaire des échanges internationaux, à hauteur de 36 %, contre 40 % pour le dollar. D'une part, plus de 80 % des importations d'hydrocarbures des pays de l'Union européenne sont payées en dollars ; d'autre part, seulement 22 % des réserves mondiales de change sont détenues en euros, contre 60 % en dollars.
Dans son rapport annuel de 2018, la Banque centrale européenne juge que la place de l'euro dans le monde n'a jamais été aussi réduite. Selon la BCE, l'euro a perdu 3 points dans les réserves mondiales de change entre 2008 et 2017. Certes, la fiabilité économique de l'euro est rassurante, mais sa crédibilité géopolitique n'est pas à la hauteur de la puissance économique que l'Union européenne pourrait être, si elle en avait la volonté politique.
L'alignement des principaux pays de l'Union européenne sur la politique étrangère agressive des États-Unis, comme c'est le cas vis-à-vis de la Russie, ou leur incapacité à s'y soustraire efficacement, comme c'est le cas vis-à-vis de l'Iran, ne permettra pas à l'euro de trouver cette crédibilité géopolitique qui lui manque.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. René Danesi. La France, qui affiche ses ambitions pour une Europe qui protège, est-elle consciente qu'un euro réellement indépendant du dollar serait le meilleur bouclier de l'Europe ? Si tel est le cas, quelles sont les propositions concrètes que la France est prête à faire à ses partenaires pour forger ce bouclier ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, il n'y a ni puissance ni projet politique sans monnaie. L'euro doit être l'instrument de la puissance politique européenne ; sinon, il n'aura pas d'avenir.
Toute notre discussion d'aujourd'hui montre bien le chemin qu'il faut suivre. Il faut une incarnation : le ministre des finances de la zone euro. Il faut des instruments complémentaires : l'union bancaire, l'union des marchés de capitaux, le budget de la zone euro. Enfin, il faut une ambition – n'ayons pas peur d'employer ce mot –, celle de faire de l'euro, demain, une monnaie de réserve équivalente au dollar. C'est possible ! Nous avons en effet le marché de consommateurs le plus riche de la planète, même si nous avons quelque peu tendance à l'oublier. Les 500 millions de consommateurs européens font le marché le plus riche et le plus attractif du monde.
Nous avons une monnaie solide et stable, l'euro. Il nous appartient seulement, à présent, de prendre un certain nombre de décisions très concrètes.
Premièrement, je proposerais volontiers que les facturations se fassent désormais en euros, et non plus en dollars, pour les entreprises européennes qui exportent. C'est un moyen de faire de l'euro une monnaie de référence sur la scène internationale.
Deuxièmement – nous avons évoqué avec M. Masson les contours de cette proposition –, il faudrait avoir un instrument financier doté de réserves en euro qui nous permettraient de financer les échanges commerciaux, y compris avec des États placés sous sanctions extraterritoriales américaines. L'euro peut être un outil d'autonomie, un outil d'indépendance politique, mais il faut pour cela cette institution financière totalement indépendante.
Troisièmement, il faut être capable de développer le commerce en euro, en ayant conscience de ce qui se passe à travers le monde. Le montant total des investissements de l'Exim Bank chinoise en Afrique est supérieur, depuis deux ans, à celui des investissements de la Banque mondiale. Cela dit bien le renversement de puissance que l'on peut observer aujourd'hui.
Face à cela, notre intérêt est de faire de l'euro une monnaie de référence internationale. La Commission européenne a formulé des propositions en ce sens ; nous les soutenons. J'y ajoute celles que je viens d'avancer : la facturation en euros, l'outil financier indépendant et le développement des échanges commerciaux sur la base de notre monnaie commune.
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Lors du Conseil européen du mois de décembre dernier, les vingt-sept États membres se sont accordés sur le principe d'un budget de la zone euro, toutefois éloigné du projet soutenu ces dernières années, tout comme de l'ambition initiale défendue par le Président de la République au début de son mandat. La France a, semble-t-il, reculé sur plusieurs points essentiels, et ce dès la déclaration commune avec l'Allemagne au mois de décembre 2018, loin des déclarations du mois de juin de la même année, à l'occasion du sommet de Meseberg.
Le premier point concerne l'investissement. Un budget à la disposition des États membres de la zone euro devrait favoriser la convergence de ces derniers, afin de réduire les risques de dysfonctionnements économiques. Nous nous en sommes éloignés.
Le deuxième point porte sur l'abandon de la fonction de stabilisation économique que nous n'avons cessé de demander et qui donnerait tout son sens à la dimension budgétaire afin d'en faire un véritable outil de protection en cas de nouvelle crise financière. Or l'idée d'un fonds permettant de résister aux chocs asymétriques et de disposer notamment d'un système d'assurance chômage européen qu'un État membre de la zone euro pourrait activer a littéralement disparu de la position commune franco-allemande.
Le troisième point a trait au financement de ce budget. Celui-ci est réduit à une simple ligne budgétaire du budget général de l'Union européenne. Il court donc le risque de se résumer à un simple fonds européen, très éloigné de ce que l'on aurait pu attendre et de ce qui serait nécessaire.
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, nous sommes préoccupés du tour que prennent aujourd'hui les négociations. Il ne suffit pas d'annoncer un projet, encore faut-il faire en sorte qu'il puisse, une fois adopté, permettre des ambitions.
Ma question est donc double : reste-t-il encore une marge de manoeuvre afin de retrouver un budget de la zone euro qui intégrerait plus étroitement les pays partageant la monnaie unique ? À ce stade, la France peut-elle encore défendre le principe d'une fonction de stabilisation pour ce budget ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur Botrel, moi, je ne suis pas très savant, j'écoute ceux qui savent plus que moi. Le FMI, l'OCDE, le président de la Banque centrale européenne : tous disent qu'il faut que le budget de la zone euro ait une fonction de stabilisation. Je l'ai dit et répété : il existe aujourd'hui chez un certain nombre d'États une opposition farouche à toute fonction de stabilisation de la zone euro. Je pense en particulier aux Pays-Bas, qui se sont fortement opposés à toute idée d'une fonction de stabilisation pour le budget de la zone euro.
L'Union européenne se bâtit pas à pas. Dieu sait que j'aimerais parfois qu'elle chausse des bottes de sept lieues, mais nous sommes obligés, pour avancer, de faire de temps en temps des compromis. Les compromis ne doivent jamais être des renoncements.
Aujourd'hui, le principe d'un budget de la zone euro est acquis, ce qui constitue déjà un progrès considérable par rapport à la situation d'il y a deux ans. Nous avons acté la fonction de convergence, c'est-à-dire des investissements supplémentaires pour que les économies convergent, alors qu'aujourd'hui elles sont en train de diverger, ce qui menace l'avenir de la zone euro.
Je ne renonce pas à la fonction de stabilisation de la zone euro. Je le dis avec beaucoup de simplicité, parce que j'y crois et que je considère que, lors de la prochaine crise économique, nous serons bien contents que ces instruments de stabilisation évitent à deux ou trois États de couler et d'être entraînés vers le fond, faute de solidarité. Il ne faut pas avoir peur de ce mot de solidarité entre les États membres de la zone euro : la compétition, oui, mais à condition qu'il y ait aussi de la solidarité !
Enfin, il faut des ressources propres pour le financement du budget de la zone euro. Je pense à la taxe sur les transactions financières, mais on peut aussi imaginer d'affecter une partie des ressources issues de la taxation des géants du numérique.
Je souhaite insister sur un dernier point : la gouvernance de la zone euro doit se faire à dix-neuf. Si les États non membres de la zone euro veulent participer à la décision, ma recommandation, c'est qu'ils adhèrent à la zone euro !
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet.
Mme Sylvie Vermeillet. Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a déclaré voilà quelques semaines : « Les risques liés aux perspectives de croissance de la zone euro sont toujours orientés à la baisse, en raison de la persistance d'incertitudes liées aux facteurs géopolitiques, à la menace du protectionnisme et aux vulnérabilités des marchés émergents. »
Cette baisse de la croissance, qui, au-delà de la zone euro, affecte l'ensemble des économies industrialisées, a conduit la BCE à poursuivre sa politique monétaire dite « accommodante », notamment avec des taux d'intérêt très bas. Cette politique a deux objectifs principaux : d'une part, relancer l'activité économique – force est de constater que les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes – ; d'autre part, éviter une augmentation brusque des déficits publics, laquelle entraînerait une hausse de la dette publique.
Concernant ce second aspect, il convient de rappeler que la crise des dettes souveraines européennes, entre 2010 et 2012, a failli conduire à la faillite de l'État grec et à l'éclatement de la zone euro. Éviter que ce scénario ne se reproduise est donc une priorité.
Les pays membres de la zone euro ont d'ores et déjà mis en place des mécanismes de stabilité. Ces réformes bienvenues nous semblent cependant trop partielles, voire incomplètes, au regard des enjeux et des risques que la situation économique actuelle fait peser sur la stabilité de la zone euro et de l'Union européenne dans son ensemble.
Nous pouvons par ailleurs nous demander si c'est bien le rôle de la Banque centrale européenne que de veiller à ce que les États ne se retrouvent pas en faillite. Qui plus est, sa politique monétaire « accommodante » ne pourra se poursuivre éternellement, vous l'avez souligné, monsieur le ministre.
Nous devons sortir de cette situation inconfortable. Où en sont donc les propositions de la France en faveur d'une intégration politique plus poussée des pays membres de la zone euro ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, les divergences actuelles de situations économiques entre les États membres de la zone euro ne sont pas tenables. Je le redis avec beaucoup de gravité : vous ne pouvez pas avoir une union monétaire et des divergences croissantes entre les États membres de cette zone monétaire.
M. Jean Bizet. Exact !
M. Bruno Le Maire, ministre. La faiblesse de la croissance de la zone euro n'est pas non plus tenable sur le long terme. Je partage donc l'appréciation du président de la Banque centrale européenne : il est urgent de réagir.
Certaines responsabilités sont nationales, je le martèle. Je pense à la poursuite des transformations pour gagner en compétitivité et réussir davantage économiquement. Toutefois, il faut également que l'Union européenne et la zone euro soient capables de faire preuve de plus de solidarité – je l'ai dit à M. Botrel. Vous ne pouvez pas, d'un côté, exiger des réformes structurelles, le rétablissement des finances publiques et, de l'autre, ne rien proposer en contrepartie ; ce n'est pas possible. La contrepartie, c'est de la solidarité, la garantie des dépôts bancaires et un instrument budgétaire permettant aussi de faire de la stabilisation.
Enfin, puisque vous avez beaucoup cité la Banque centrale européenne, je tiens à rendre hommage à son président, Mario Draghi, qui, en pleine crise des dettes souveraines, à un moment où les spreads entre l'Italie, la Grèce et l'Allemagne pouvaient atteindre 300, 400, 600 points de base et où la zone euro était menacée d'éclater, a eu le courage de dire devant la presse et l'opinion publique européenne : « Nous prendrons toutes les décisions nécessaires pour rétablir la situation. » Souvenez-vous de sa fameuse expression : « whatever it takes ».
Moi, j'aime l'Europe quand, à la tête de l'une de ses institutions, on trouve un homme qui a le courage et la lucidité de prendre les décisions qui s'imposent. Or je veux dire à tous mes homologues européens que nous sommes aujourd'hui dans une situation analogue.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Le 15 décembre 2018, le sommet de la zone euro a demandé à l'Eurogroupe d'élaborer, d'ici à la fin du mois de juin prochain, une proposition détaillée pour un instrument budgétaire spécifique à la zone euro. Selon le mandat donné aux ministres des finances par les chefs d'État ou de gouvernement, cet instrument se concentrera uniquement sur le soutien à la convergence et à la compétitivité.
La Commission européenne a proposé au mois de mai dernier un outil de stabilisation reposant sur un système de prêts, proposition déjà en retrait par rapport à celle qui avait été formulée par le Président de la République. Toutefois, aucun consensus n'a pu émerger pour soutenir cette idée, qui a donc été exclue du mandat adopté au mois de décembre 2018.
Malgré cette première clarification, les divergences d'appréciation semblent toujours très fortes entre les États membres et de nombreuses questions demeurent en suspens sur les principaux aspects de cette capacité budgétaire, notamment sur la nature et la finalité de ses dépenses, sur sa base juridique, sa gouvernance, son lien avec le semestre européen et, surtout, l'origine et le montant de ses recettes. La France et l'Allemagne ont notamment proposé que ce fonds soit alimenté par des ressources propres issues de nouvelles taxes, par des contributions nationales et par des financements européens. À ce titre, la Commission européenne a proposé, dans son projet de cadre financier pluriannuel 2021-2027, un programme doté de 25 milliards d'euros sur sept ans pour financer un outil d'aide à la mise en place de réformes structurelles ainsi qu'un mécanisme de convergence.
Monsieur le ministre, même si les négociations sur le volume financier de l'instrument budgétaire pour la zone euro sont toujours en cours, pouvez-vous nous indiquer sur quelle base travaillent la Commission européenne et les États membres ?
Par ailleurs, les difficultés rencontrées par la taxe sur les services numériques ou la taxe sur les transactions financières semblent indiquer que ce fonds ne sera pas financé, dans un horizon prévisible, par de nouvelles ressources propres, mais le sera essentiellement par des contributions budgétaires nationales. Pouvez-vous dès lors nous préciser le montant attendu de la participation française et son impact sur nos finances publiques ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, pour qu'il y ait un accord sur le budget de la zone euro, d'abord un accord avec l'Allemagne, puis un accord à dix-neuf, nous avons accepté des compromis.
Nous avons d'abord accepté qu'il y ait un lien entre le budget de la zone euro et les perspectives financières pour l'Union européenne pour les années à venir, alors que l'on aurait pu très bien imaginer une indépendance totale.
Nous avons également accepté – cela a été souligné par beaucoup d'entre vous – que ce soit un budget de convergence et non un budget de stabilisation, qui privilégie l'investissement, mais qui ne permet pas de réagir en cas de crise économique.
Nous n'irons pas plus loin dans les concessions. Nous devons désormais prendre un certain nombre de décisions au mois de juin prochain. Je le redis : la gouvernance doit se faire à dix-neuf, et la France n'acceptera pas que la gouvernance de la zone euro se fasse par des États qui n'en sont pas membres. Je ne vois pas pourquoi ceux qui ont abandonné leur souveraineté monétaire pour avoir une monnaie commune se verraient dicter l'avenir de la zone euro par ceux qui n'ont pas renoncé à leur souveraineté monétaire.
M. Jean Bizet. C'est essentiel !
M. Bruno Le Maire, ministre. Là-dessus, que les choses soient bien claires : nous voulons une gouvernance à dix-neuf.
M. André Gattolin. Absolument !
M. Yvon Collin. Oui !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il faut aussi des ressources propres. La taxe sur les transactions financières, à propos de laquelle nous ne sommes pas loin d'un accord, peut être une ressource propre pour la zone euro.
Enfin, et je veux y insister, en réponse à votre question, madame la sénatrice, il s'agit là d'un point de départ et non d'un point d'arrivée. Je continue à considérer qu'il faudra, à un moment ou un autre, une fonction de stabilisation au budget de la zone euro, et je préfère qu'on le décide en dehors d'une période de crise plutôt que, comme à chaque fois, commencer par dire non et dire oui quand la crise survient. Il serait plus raisonnable de dire oui tout de suite. (M. André Gattolin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. L'Europe ne produit plus d'Européens. Ce constat est terrible, mais bien réel dans cette aire géopolitique qu'est l'Union européenne, la première pourtant à s'être bâtie sur la base du choix des États et non pas sous le joug de telle ou telle armée.
L'une des plus grandes réussites de l'Union européenne, c'est l'euro. Toutefois, alors que l'euro a été initialement pensé comme un outil au service de l'Union européenne, comme un instrument de protection et de développement des économies, tant en interne qu'en externe, nous devons aujourd'hui dresser un constat d'échec quant à son rôle au sein de l'Union européenne.
Aujourd'hui, au-delà de cette monnaie que nous partageons, qu'est-ce qui compose l'Union européenne ? Une gouvernance démocratique ? Pas vraiment. Une convergence fiscale ? Pas davantage. Une convergence sociale ? Encore moins. En effet, dans cet ensemble, plusieurs États censés coopérer se livrent à une véritable concurrence, parfois fiscale – de ce point de vue, la France a, récemment encore, apporté sa pierre à l'édifice avec la flat tax ou la suppression de l'exit tax.
Nous aurions souhaité que le budget de la zone euro soit orienté non seulement vers le développement économique, mais également vers une politique sociale digne de ce nom, digne de la puissance économique qu'est l'Europe. Je pense bien évidemment au mécanisme européen d'assurance chômage, à la sécurité sociale européenne, en passant par le droit à la formation, mais aussi un salaire minimum européen – dans le débat préalable aux élections européennes, certains ont tenté d'en parler, mais se sont pris les pieds dans le tapis – ou à l'intégration des indicateurs sociaux dans le processus de semestre européen. À ce titre, la directive des travailleurs détachés est un contre-exemple.
Aussi, monsieur le ministre, comment comptez-vous peser dorénavant dans les discussions à l'échelon européen par des actions concrètes pour que le budget de la zone euro soit réellement un outil au service de la croissance, mais surtout de la convergence sociale dans l'Union européenne – sujet qui nourrit aujourd'hui beaucoup d'extrémisme ? Comment faire en sorte qu'il y ait une véritable direction et une véritable gouvernance politique de la zone euro à dix-neuf ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur Temal, l'une des conditions de la convergence sociale, c'est la convergence fiscale, car celle-ci permet d'éviter ce qui peut, à mon avis, profondément déstabiliser la zone euro, le dumping fiscal. Le dumping fiscal est une plaie dont il ne sortira rien de bon : ni croissance, ni emploi, ni capacité de résistance face aux États-Unis ou à la Chine.
La convergence fiscale est au coeur de l'accord de Meseberg. Je le redis : cet accord entre la Chancelière allemande et le Président de la République est historique. Il prévoit la convergence fiscale sur l'impôt sur les sociétés. Nous la construisons, notamment en rapprochant les droits des faillites français et allemand. Tout cela avance, et je souhaite que les autres États membres de la zone euro nous suivent dans cette voie.
Si nous voulons véritablement une convergence, je vais vous dire le fond de ma pensée, il faut passer de l'unanimité à la majorité qualifiée en matière fiscale.
M. Roger Karoutchi. Évidemment !
M. Jean Bizet. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. C'est la seule façon d'avancer. Regardez ce qui s'est passé sur la taxation des géants du numérique ! Nous étions seuls au départ, puis cinq. Ensuite, vingt-trois États européens se sont totalement mobilisés là-dessus. La Commission européenne a proposé un texte solide, convaincant, même s'il n'est pas parfait. Malheureusement, quatre États, qui se mettent systématiquement en posture d'opposition à la taxation du numérique, ont bloqué cette décision, et c'est l'Union européenne tout entière qui est fragilisée.
Si nous voulons véritablement la convergence, ayons du courage et passons de l'unanimité à la majorité qualifiée en matière fiscale ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary.
M. Serge Babary. Monsieur le ministre, vous venez de proposer à nos partenaires européens « un nouveau contrat de croissance pour la zone euro ». Ce nouveau contrat est justifié par le constat d'un ralentissement de la croissance mondiale. Il repose sur quatre piliers, notamment l'accélération de la transformation de la zone euro, avec un budget disponible pour le mois de juin prochain, et une union bancaire réalisée d'ici à la fin de 2019.
La zone euro a déjà connu plusieurs réformes qui lui ont permis de surmonter les crises. Je pense ici aux prémices de cette union bancaire, au renforcement de la gouvernance économique ou encore à la création d'un mécanisme de sauvetage permanent qui peut mobiliser jusqu'à 700 milliards d'euros.
La zone euro se réinvente grâce aux crises. Ces réformes, à l'écart desquelles les peuples ont été tenus, ont cependant eu un prix démocratique : le Brexit, l'émergence d'eurosceptiques, voire d'europhobes, en témoignent.
Aussi, ce contrat est un premier pas, mais il ne remplacera pas la réforme d'envergure qui est attendue et qui conditionnera l'avenir de la zone euro. S'il est indispensable de renforcer le pilotage exécutif de la zone euro en se posant la question du contrôle démocratique, de la place des parlements nationaux, l'enjeu démocratique n'est pas qu'institutionnel.
La zone euro a été mise en place, mais les politiques budgétaires, économiques, fiscales et sociales sont restées indépendantes. C'est l'existence d'une Union européenne à vingt-sept et d'une union monétaire à dix-neuf sans aucune convergence des législations qui pose aujourd'hui problème. L'Europe est perçue par les peuples de la zone euro comme celle qui entrave et qui admet le déséquilibre. Si un État est exigeant, s'il s'impose des normes de qualité, il sera confronté, au sein même de la zone euro, à la concurrence de produits émanant d'autres États fabriqués à un moindre coût et de moindre qualité.
Il est urgent de renforcer la confiance des peuples dans l'Europe. Redonner confiance, c'est d'abord créer une Europe et une union monétaire intelligibles. C'est aussi, à mon sens, créer les conditions d'un marché structuré.
Le choix est simple : se contente-t-on d'administrer et de réfléchir à une gouvernance ou crée-t-on les conditions d'un marché structuré au sein de l'union monétaire, en renforçant l'équilibre, l'équité, la concurrence loyale entre États de l'Union par une convergence économique, fiscale et sociale ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur Babary, vous le savez : qui aime bien châtie bien ! Si je suis parfois sévère envers l'Union européenne, c'est parce que je l'aime profondément et que je crois profondément au destin français en Europe et au destin européen.
Vous l'avez parfaitement dit, l'Europe ne se réforme qu'en situation de crise. Cependant, nous pouvions nous permettre cela jusqu'au Brexit, jusqu'à l'émergence des partis extrémistes partout en Europe. Maintenant que nous voyons le danger, tous ceux qui croient dans la démocratie libérale et dans la nécessité de garder un système d��mocratique comme celui que nous avons devraient se dire qu'il y a urgence à décider, à faire progresser la zone euro, à mettre en place les instruments dont nous avons parlé.
Je le dis très simplement : je pense qu'aujourd'hui l'organisation institutionnelle de la zone euro n'est pas satisfaisante, que tout est fait pour que l'on ne puisse pas décider.
La politique, c'est très concret. Vous qui êtes tous des élus et des responsables politiques chevronnés, vous savez que les formats et les quorums sont décisifs. Autour de la table se trouvent réunis non seulement les dix-neuf ministres des finances de la zone euro, la Commission européenne, le vice-président de la Banque centrale européenne, le représentant du mécanisme européen de stabilité, le représentant du service légal de la Commission européenne, mais aussi les États non membres de la zone euro, parce qu'il faut bien qu'ils participent à la discussion… On pourrait aussi inviter tous les États étrangers à venir assister à nos réunions pour savoir ce qui s'y passe ! Tout est fait et organisé pour que l'on ne décide pas. Ça suffit !
Je le dis avec beaucoup de gravité : il faut passer à autre chose. Il existe d'autres modèles de gouvernance qui seraient mille fois plus efficaces. Il faut être capable d'anticiper le jour où se trouveront autour de la table les dix-neuf ministres des finances et un primus inter pares ministre des finances de la zone euro qui aura la voix décisive supplémentaire pour dire : « Voilà où nous allons ! Certains ne sont pas d'accord ? Certains ont des réticences ? Ce n'est pas grave. Avançons dans cette direction, parce que c'est comme cela que nous serons tous ensemble plus forts. » Nous aurons alors franchi le cap décisif qui nous manque aujourd'hui. Monsieur le sénateur Babary, je préfère le faire dans une période calme plutôt qu'en période de crise.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Le temps a passé depuis la signature de la déclaration de Meseberg au mois de juin 2018 et la signature du traité d'Aix-la-Chapelle au mois de janvier dernier.
Le premier texte nous engageait à réaliser des progrès décisifs vers une union des marchés de capitaux et à créer un budget de la zone euro, dont le but serait de promouvoir la compétitivité, la convergence et la stabilisation dans ladite zone. Le second texte affichait plusieurs projets prioritaires, dont le suivi serait assuré par le conseil des ministres franco-allemand, avec une volonté de coopération au sein de l'Union européenne dans le domaine des services et des marchés financiers.
La Chancelière Angela Merkel, puis les pays nordiques groupés derrière le chef du gouvernement néerlandais ont largement minoré l'ambition et les objectifs de ce projet de budget. Ils refusent que ce budget joue un rôle de stabilisateur en cas de choc économique – à juste titre, compte tenu de la situation économique et financière de la France. Nous ne pouvons pas convaincre nos partenaires européens sans leur apporter la preuve que nous pouvons restaurer nos comptes publics, au risque de donner l'image d'un projet déresponsabilisant les États, qui, quelle que soit leur gestion, seront de toute façon sauvés par ce fonds. Ce dernier n'aura que peu de réserves en raison de la mauvaise santé économique de ses contributeurs.
Plus récemment, la tribune intitulée « Pour une Renaissance européenne », que le Président de la République a publiée au mois de mars dernier, n'évoque pas une seule fois la zone euro. Voilà qui est très significatif d'un renoncement à réformer en profondeur l'union économique et monétaire au profit d'un repositionnement sur les questions de liberté et de sécurité.
L'accord entre la France et l'Allemagne est fragile, car il ne semble pas vouloir aller pour l'instant au-delà des bonnes intentions.
Monsieur le ministre, vous avez répondu en partie à mes questions sur les intentions de la France pour maintenir ses finances publiques et rassurer nos partenaires européens. Reste que la trajectoire d'ici à 2022 est loin de celle de ses partenaires de la zone euro. Pouvez-vous me préciser qu'en matière de convergence il y aura une concrétisation de ses ambitions ? Quelles sont les pistes et les discussions du mois de juin prochain ? Nos concitoyens et nos partenaires européens ont besoin d'être rassurés sur l'engagement de la France.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice Duranton, la France a pris deux engagements vis-à-vis de ses partenaires européens et, plus encore, vis-à-vis des Français. Le premier, c'est le rétablissement des finances publiques. Le second engagement, c'est la poursuite de la transformation économique de notre pays. Nous tiendrons ces deux engagements.
J'ai eu l'occasion de le dire, ces transformations économiques – indemnisation du chômage, retraites, fonction publique – feront l'objet de réformes structurelles dès 2019. Le Président de la République et le Premier ministre l'ont indiqué.
S'agissant des finances publiques, nous resterons sous les 3 % de déficit public. Nous devons continuer non seulement à stabiliser, mais aussi à baisser la dette publique, point noir de la situation des finances publiques françaises, je le reconnais bien volontiers. Cela veut tout simplement dire que, si nous ne voulons pas aggraver la charge de la dette, chaque fois qu'une nouvelle dépense est engagée, il faut trouver des recettes équivalentes.
Il faut donc un financement pour les 5 milliards d'euros de baisses d'impôt sur le revenu. Le Président de la République a été très clair sur ce sujet : ce financement doit reposer sur les organismes publics, dont un certain nombre doivent être transformés en profondeur, sur quelques niches fiscales destinées aux entreprises. Je le répète, cela concernera seulement une partie du financement. On ne financera pas l'intégralité des 5 milliards d'euros de baisse d'impôt sur le revenu par la remise en cause de niches fiscales destinées aux entreprises ; ce serait totalement incohérent.
Le troisième volet qu'a indiqué le Président de la République, c'est la durée du travail.
Telles sont les modalités de financement sur lesquelles, à la demande du Premier ministre, Gérald Darmanin et moi-même travaillons dès aujourd'hui.
Prenons l'exemple des organismes publics. Gérald Darmanin et moi-même allons, dès cette semaine, en vue de la réunion avec le Premier ministre qui se tiendra lundi prochain, faire la revue de l'ensemble des organismes publics pour voir lesquels sont efficaces, lesquels le sont moins et où nous pouvons réaliser des économies.
Nous avons eu ici même une longue discussion sur les chambres de commerce et d'industrie. Je veux les citer en exemple, car ces structures, qui bénéficiaient d'une taxe affectée de plus de 1 milliard d'euros, ont accepté une transformation en profondeur : la réforme de leur statut, un financement par prestation et non plus uniquement par taxe affectée. Tout cela se solde par un demi-milliard d'euros d'économies.
Les économies sur la dépense publique sont une affaire de volonté. Gérald Darmanin et moi-même avons la volonté, à la demande du Premier ministre et du Président de la République, d'examiner attentivement tous les organismes publics pour voir où nous pouvons faire des économies.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur la question de la stabilité financière. Voilà quelques semaines, vous déclariez dans une interview accordée à Reuters qu'il nous fallait mettre en place l'union bancaire « dans les prochains mois et pas dans les prochaines années ». Difficile de ne pas partager cet objectif… Toutefois, le contexte politique actuel est tel que cette affirmation présente une valeur relative dans le débat public, d'autant plus que vous parlez de « mesures techniques » sans préciser lesquelles. Or la plupart d'entre elles sont de facto des mesures politiques.
Aujourd'hui, avant même l'achèvement de l'union bancaire, nous avons une forme d'union au sein de la zone euro. Nous avons notamment un Fonds de résolution unique, qui doit être doté de 55 milliards d'euros à l'horizon de 2023 et qui, l'été dernier, était doté de 24,9 milliards d'euros. Nous avons un système européen d'assurance des dépôts qui prendra la forme d'un mécanisme commun de coassurance en 2020-2024, à hauteur de 45 milliards d'euros.
Face à cette union bancaire, on peut relever deux types de risques.
Le premier est structurel et concerne les prêts non performants. D'après une étude publiée l'année dernière par l'OFCE, le solde de prêts non performants – qui n'a pas été provisionné – atteignait 395 milliards d'euros à la fin de 2017.
Le second risque est celui d'une crise financière et économique dans les mois ou les années à venir, sur laquelle plusieurs économistes et responsables d'organisations internationales nous alertent déjà. Pour avoir une idée de l'ampleur potentielle d'une crise d'un point de vue financier, on peut regarder les montants des aides d'État accordées aux banques après la crise, entre 2008 et 2017 : au cours de cette période, l'Union européenne a déboursé 665 milliards d'euros en capital et 1 296 milliards d'euros d'aide en trésorerie. Ces chiffres ne sauraient suffire à évaluer la robustesse de notre système européen, mais ils donnent une idée des ordres de grandeur.
Hier, au Sénat, lors du débat sur le projet de programme européen de stabilité, lequel n'a malheureusement pas donné lieu à un vote, vous avez déclaré que la zone euro « n'est pas armée pour faire face à une nouvelle crise économique et financière » et que « les instruments mis en place après la crise de 2008 sont insuffisants ». Quelle serait l'ampleur du péril pour nos finances publiques si une crise financière se déclenchait demain, ce que nul ne peut exclure ? De quels instruments concrets disposerions-nous pour y faire face ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Nous avançons, monsieur le sénateur, mais trop lentement. Or je ne veux pas que nous soyons pris de court par les événements, car il n'y a rien de pire en politique.
Vous m'interrogez sur les instruments concrets dont nous disposerions en cas de crise.
Nous avons mis en place le backstop du Fonds de résolution unique. Ce filet de sécurité, de l'ordre de 55 milliards d'euros, permettra de doubler le montant du Fonds de résolution unique et de disposer d'un peu plus de 100 milliards d'euros en cas de crise financière. Il sera disponible à partir de 2024.
M. Jackie Pierre. À partir de 2024…
M. Bruno Le Maire, ministre. Si nous pouvons avancer son entrée en vigueur, nous le ferons ; nous y travaillons. C'est l'une des décisions clés prises à Meseberg par le Président de la République française et la Chancelière allemande.
Par ailleurs, vous avez parfaitement raison, il faut assainir la situation des banques. Il nous faut nous débarrasser le plus vite possible des fameux prêts non performants, les NPL, inscrits au bilan des banques, car ils font peser une menace sur la stabilité financière de la zone euro. Nous avons là aussi engagé le processus. Dans l'accord franco-allemand de Meseberg, nous avons fixé un niveau cible de prêts non performants, niveau que nous sommes en train d'atteindre à un rythme tout à fait régulier.
En outre, comme je l'ai indiqué précédemment, il faut renforcer la supervision bancaire de l'ensemble des banques européennes afin d'éviter les défaillances telles que celle d'une grande banque danoise.
Enfin, j'insisterai sur un dernier point : une consolidation bancaire est nécessaire en Europe. Nos banques sont trop petites, ce qui empêche le développement économique et ouvre notre marché à nos concurrents américains.
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Comme cela a été indiqué, afin de soutenir les réformes et les investissements nationaux, la France et l'Allemagne ont fait une proposition commune afin de créer un « nouvel instrument budgétaire pour la zone euro ». Ce nouvel instrument fiscal, qui ne sera pas mis en place avant 2021, aura pour objectif d'améliorer la compétitivité et la convergence parmi les pays de la zone euro et les États candidats à la monnaie unique.
La revendication du Président Emmanuel Macron concernant la fonction stabilisatrice de ce budget en cas de crise n'a en revanche pas été satisfaite. Cet instrument ne permettra donc pas de soutenir un État en cas de crise. La France et l'Allemagne estiment néanmoins qu'avec plus de compétitivité et de convergence la stabilité de la zone euro s'améliorera.
Ce nouvel instrument budgétaire pour la zone euro peut paraître utile pour accroître la convergence à l'échelon de la zone euro, la divergence étant plus forte au sein de la zone euro qu'à l'échelle de l'Union européenne. Considérez-vous toutefois, monsieur le ministre, qu'une occasion a été manquée d'instaurer une fonction stabilisatrice ?
Pour atteindre ses objectifs de compétitivité et de convergence, ce nouveau fonds financera les coûts occasionnés par les réformes et les dépenses d'investissement « dans des domaines stratégiques liés aux réformes et aux priorités d'investissement identifiées au cours du semestre européen ». Il s'agirait surtout d'investissements dans l'innovation et le capital humain, qui remplaceraient des dépenses aujourd'hui purement nationales.
Alors que le montant du budget de la zone euro n'est pas encore fixé – il sera déterminé lors des négociations du prochain budget européen pluriannuel pour la période 2021-2027 –, je m'interroge sur la finalité peu précise et le fonctionnement de ce budget. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce que ce budget est censé financer et sur ses règles de fonctionnement ? Sera-t-il utilisé sous forme de subventions ou de prêts ? Pourra-t-il servir à financer des investissements publics ou non ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. La réponse est oui, monsieur le sénateur Pellevat, ce budget de la zone euro pourra servir au financement d'investissements publics.
Je ne reviens pas sur le fonds de stabilisation, que nous avons déjà longuement abordé. Sachez simplement que je ne renonce absolument pas à l'idée que, au cours des années à venir, le budget européen puisse comprendre une dimension de stabilisation. On me dit parfois que c'est absolument hors de portée, qu'il existe des oppositions farouches. Reste que je pense à des exemples très récents d'opposition totale à des projets portés par la France, tels que le budget de la zone euro : au bout de deux ans, nous y sommes arrivés.
Je pense à un exemple encore plus frappant : les aides d'État. Il y a cinq ans, on ne pouvait même pas prononcer les mots « aide d'État » ou « aide publique » s'agissant des investissements dans l'innovation ou la recherche. C'était impensable ! Nous avons depuis apporté la preuve qu'il était tout de même compliqué de se passer des aides publiques pour financer des projets d'investissement, sachant que les Chinois et les Américains ne se privaient pas, eux, d'y avoir recours.
SpaceX n'est pas né du seul génie de M. Musk. Ce dernier a bénéficié des infrastructures et des commandes de l'État fédéral américain et des installations de la NASA. Résultat : les Américains ont aujourd'hui un lanceur renouvelable, mais pas nous, hélas ! La Chine, quant à elle, subventionne massivement ses véhicules et ses batteries électriques. Et nous serions, nous, au milieu, le dindon de la farce, adeptes d'un libéralisme absolu et animés d'une croyance aveugle dans les forces du marché, les seuls à dire : « jamais d'intervention publique » ?
Ce que je constate, c'est que, grâce à la persévérance française, il est aujourd'hui possible de financer des projets d'innovation structurants avec des aides publiques, des aides d'État. Peter Altmaier et moi, nous annoncerons dans deux jours la création d'une filière européenne de batteries électriques, qui nous permettra d'être souverains et indépendants de la Chine et de la Corée du Sud. Si une telle filière est possible, c'est parce qu'on a accepté qu'elle soit financée non seulement par des entreprises privées allemandes et françaises, mais également par des aides d'État, des aides publiques. C'est comme cela que l'Europe réussira. Il nous faut non pas répéter sans cesse un mantra idéologique dépassé, mais être capables d'inventer l'économie du XXIe siècle. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
source http://www.senat.fr, le 10 mai 2019