Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la politique migratoire de la France et de l'Europe, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
Après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe.
(…)
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'aimerais partager avec vous quelques convictions sur la politique d'immigration.
La première est que notre politique migratoire est, et doit être une question globale. Elle ne concerne évidemment pas uniquement un ministère ou une politique publique ; elle demande une approche globale, ainsi que le travail et la mobilisation de tous.
Ma deuxième conviction est que ce sujet appelle évidemment – M. le Premier ministre l'a souligné – à la sérénité et au sérieux. Parler d'immigration, c'est souvent parler aussi de sa propre histoire, avec son propre vécu. Parler d'immigration, c'est évoquer un sujet qui touche chacune et chacun d'entre nous. Nous devons l'aborder par les faits, en nous tenant éloignés des a priori et des idées reçues, qui sont nombreuses en la matière.
Notre politique d'immigration, c'est d'abord une question internationale. Et c'est au coeur de cet ordre international que se trouve un acteur absolument incontournable sur la question migratoire : l'Europe.
D'abord, c'est la question de Schengen. Schengen, vous le savez, s'est construit sur deux piliers : la libre circulation des personnes à l'intérieur des frontières et la protection des frontières extérieures. Malgré des avancées fortes, indéniables, puissantes sur le premier pilier, jusqu'à il y a peu, le second n'avait été qu'insuffisamment traité.
Malgré des contrôles extrêmement stricts dans certains points, quelques frontières extérieures de l'Union européenne, que nous appelons des « frontières vertes », sont encore insuffisamment contrôlées.
C'est pour cette raison que le Président de la République s'est engagé très tôt pour la réforme de Schengen, notamment afin d'encourager l'établissement de centres contrôlés aux frontières extérieures de l'Europe, de mieux nous appuyer sur l'Agence européenne de garde-frontières et de créer une Agence européenne de l'asile, enfin, de poser la question de la prise en charge financière des procédures.
Corolaire nécessaire de cette réforme de Schengen, nous devons revoir nos règles en matière de droit d'asile.
Fixant un principe en apparence simple – le pays de première entrée d'un demandeur d'asile traite sa demande –, le règlement Dublin s'est révélé difficile à mettre en oeuvre. Ainsi, comme les exemples italien et grec nous l'ont montré, dès lors que les arrivées sont massives, un traitement adapté des demandes est compromis.
Si on ajoute à cela les demandes multiples introduites par les demandeurs d'asile et l'action innommable des trafiquants d'êtres humains, les principes de solidarité entre les États membres ont été totalement compromis.
Pourtant, il est possible de les faire vivre. J'étais la semaine dernière à La Valette avec plusieurs de mes homologues européens. Nous avions des intérêts parfois divergents, mais nous avons trouvé des premières solutions ensemble.
Au conseil des ministres « justice et affaires intérieures » d'hier, où Amélie de Montchalin représentait la France, nous avons exposé notre souhait de poursuivre cette dynamique pour mener une réforme globale et durable du système d'asile sur les deux fondements qu'a rappelés le Premier ministre : solidarité et responsabilité.
En effet, dès l'installation de la nouvelle Commission européenne, nous devons être prêts à proposer des solutions pour avancer sur la refondation de Schengen et sur la réforme du régime d'asile européen. Mesdames, messieurs les sénateurs, la France sera au rendez-vous.
La responsabilité, cela signifie que des règles effectives doivent déterminer les compétences respectives des États membres pour l'examen des demandes d'asile. Certains pays ont plaidé pour une augmentation de la durée de responsabilité. Celle-ci devra naturellement s'effectuer dans une proportion raisonnable. Pour réduire les mouvements secondaires, nous rechercherons des solutions en proposant par exemple qu'un demandeur d'asile ne puisse bénéficier des conditions matérielles d'accueil que dans un seul État, celui qui est responsable de sa demande.
La solidarité, cela signifie qu'une gestion ordonnée des migrations à l'échelle de l'Europe suppose que nous cherchions à aider vraiment les États de première entrée. La France se prononcera en faveur d'un mécanisme de solidarité, qui devra être obligatoire. Obligatoire dans son principe, cette solidarité pourra bien entendu se manifester par des formes différentes selon les États.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pouvons pas envisager notre politique d'immigration sans connaître ce contexte européen, mais nous ne pouvons pas débattre sans partir des faits.
Le premier fait que je veux évoquer, ce sont les entrées régulières sur notre territoire. En 2018, 256 000 personnes sont arrivées régulièrement. Parmi elles, 90 000 sont arrivées par la voie de l'immigration familiale ; ce chiffre est stable depuis de longues années. En outre, 83 000 étudiants ont été accueillis, tout comme 33 000 personnes pour des motifs économiques. Ces deux chiffres sont, eux, en nette hausse ; c'est le reflet des choix que nous avons faits. Or 256 000, c'est deux fois plus que la demande d'asile, sur laquelle, bien souvent, nous nous arrêtons.
Mais il faut noter que la demande d'asile en France présente plusieurs singularités.
La première, c'est son augmentation. Il y a eu, l'année dernière, 123 000 demandes d'asile en France : c'est un record, et cela représente une hausse de 20 % par rapport à 2017, alors même que la demande d'asile en Europe a significativement baissé. J'ajoute qu'elle diminue fortement dans certains pays : en Allemagne, la baisse est de 18 % sur la même période.
Ces données doivent nous conduire à nous interroger, car elles ont des conséquences sur nos capacités à instruire convenablement les demandes et à traiter dignement celles et ceux qui ont besoin de protection.
La deuxième singularité de la demande d'asile en France, c'est qu'elle provient pour une part importante de « pays sûrs ». Cette liste de pays sûrs est établie par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, mais elle découle aussi de la jurisprudence du Conseil d'État. Elle recense les pays où l'État de droit est garanti, où l'État n'est pas une menace pour ses citoyens.
Ainsi, aujourd'hui, un quart de notre demande d'asile provient de pays dits « sûrs », notamment de Géorgie et d'Albanie, deux pays depuis lesquels la demande est en forte augmentation.
À ces demandes s'ajoute la défaillance du système Dublin, puisque 30 % des demandes d'asile effectuées le sont par des personnes ayant déjà introduit une demande dans un autre pays d'Europe.
Ces chiffres ont donc un sens, que nous devons affronter : il est possible que notre système d'asile soit en partie dévoyé, détourné. Et l'on constate qu'une pression très forte s'exerce sur nos services publics, notamment les préfectures ou notre système de santé.
Nous avons pris les choses en main, singulièrement en augmentant nos capacités d'hébergement pour les demandeurs d'asile et les réfugiés. Nous nous sommes aussi emparés, dès le début du mandat, des questions d'immigration, d'asile et d'intégration.
La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a été une première étape. Elle est aujourd'hui pleinement entrée en vigueur. Toutes les mesures réglementaires nécessaires à son application ont été prises et les crédits budgétaires, les moyens matériels, humains et les mesures d'organisation ont été au rendez-vous.
Ce texte a permis des avancées fortes, nécessaires, utiles.
Je pense notamment à l'allongement de la durée maximale de rétention de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours, qui a permis des éloignements que nous n'aurions pas pu réaliser autrement.
Je pense également à la possibilité offerte aux préfets de prendre dans certains cas des mesures d'éloignement après une décision de l'Ofpra confirmée par les juridictions. Depuis son entrée en vigueur, 3 000 OQTF – obligations de quitter le territoire français – ont pu être prises sur ce fondement.
J'ajoute que les lois de finances successives ont concrétisé nos efforts en matière d'asile, d'immigration et d'intégration et qu'ils seront encore amplifiés dans le projet de loi de finances pour 2020.
Concrètement, ce sont 480 places supplémentaires en centres de rétention administrative – CRA – depuis le début du mandat. Ce sont 229 millions d'euros supplémentaires pour l'allocation pour demandeur d'asile – ADA –, dont 112 millions d'euros cette année. Ce sont 3 000 places supplémentaires pour les centres d'accueil des demandeurs d'asile et 5 000 places d'hébergement supplémentaires pour les réfugiés. Ce sont des engagements forts, significatifs, concrets.
Je veux dire aussi que Laurent Nunez et moi-même multiplions les déplacements pour améliorer nos coopérations avec les pays d'origine. Nous utilisons également toutes les options qui nous sont offertes pour lutter contre l'immigration irrégulière, qu'il s'agisse de l'aide au retour volontaire, du contrôle des frontières intérieures ou des éloignements forcés, dont le nombre a augmenté de 10 % en 2018 et progresse encore cette année.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux le dire fermement : nous pensons notre politique d'immigration pour réussir notre politique d'intégration. Sur ce point, notre gouvernement s'est engagé fortement.
Les crédits budgétaires dévolus à l'intégration ont été portés à des niveaux sans précédent : ils ont connu une hausse de 75 % depuis 2017. Nous avons revu notre parcours d'intégration pour doubler le nombre d'heures de français et d'instruction civique, en allant parfois jusqu'à 600 heures au total.
Nous avons renforcé les programmes qui favorisent l'insertion professionnelle. Ils font désormais pleinement partie de nos politiques d'intégration et nous devons aller plus loin encore, notamment pour les femmes ou les réfugiés qualifiés. À cette fin, nous avons engagé une réflexion pour simplifier les procédures et revoir la liste des métiers dits « en tension ».
Enfin, nous devons prendre en compte le désir exprimé par de nombreux réfugiés de résider dans les grands centres urbains. C'est une difficulté de gestion supplémentaire. Julien Denormandie et moi-même recevrons bientôt des maires qui se sont engagés pour contribuer à cet accueil, ainsi que ceux qui font face à des situations d'une particulière complexité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la question de notre politique migratoire est une clé pour notre pacte républicain, une clé pour notre intégration, une clé pour la confiance entre les dirigeants et les Français.
Nous ne transigerons pas sur nos valeurs. Nous aborderons toutes les solutions avec sérieux et sérénité, sans caricature. Le Premier ministre a dessiné quelques pistes lundi à l'Assemblée nationale ; elles se précisent aujourd'hui au Sénat.
Nous avons besoin de regarder cette question en face, sans passions excessives ou fantasmes entretenus. Nous avons besoin de faire preuve de courage, d'avancer des propositions et d'aborder tous les aspects du débat, sans exception. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a tenu à ce que ce débat sur les politiques migratoires puisse avoir lieu devant la représentation nationale, d'abord, et avant tout, parce que cette question est un sujet de préoccupation pour nombre de nos concitoyens et élus que vous représentez dans nos territoires, mais aussi parce qu'il est important, comme l'a dit le Premier ministre, d'en revenir aux faits.
Pour débattre de ce sujet, comme l'a souligné Jean-Yves Le Drian devant l'Assemblée nationale, nous avons en premier lieu besoin de clarté. Je concentrerai mon propos sur sa perspective internationale, en particulier européenne.
Nous avons, tout d'abord, besoin de clarté sur la situation réelle des migrations vers l'Europe et vers la France.
Les mouvements migratoires vers l'Europe diminuent. Ainsi, alors que le nombre d'entrées irrégulières sur le territoire de l'Union européenne s'élevait à 1 820 000 en 2015, il est retombé à 180 000, soit dix fois moins, en 2018. Et pour 2019, la baisse est actuellement de 29 % par rapport à l'an dernier.
Pour autant, le sujet reste d'actualité : en Europe, nous le savons, les flux peuvent reprendre, car la situation géopolitique n'est pas stabilisée en Syrie. Je saisis d'ailleurs l'occasion pour condamner très fermement l'offensive turque au nord de la Syrie. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
En France aussi, les flux peuvent reprendre. Notre pays enregistre d'ailleurs en 2018 une forte augmentation en volume de la demande d'asile – 22 % par rapport à l'année précédente –, alors que la tendance générale en Europe s'inscrit en baisse de 10 %. C'est une singularité française, de même que le fait qu'une part importante de ces demandes – un quart d'entre elles – émane de ressortissants de pays européens d'origine sûrs, comme l'Albanie ou la Géorgie.
Nous avons ensuite besoin de clarté sur nos valeurs, notre histoire et nos principes. Notre responsabilité, à cet égard, est de toujours rappeler ce que nous sommes et d'y rester fidèles.
La France ne saurait ainsi renoncer aux valeurs humanistes inscrites dans sa Constitution sans renoncer à elle-même. Alors que nous fêtions les soixante-dix ans du Conseil de l'Europe mardi dernier à Strasbourg, nous ne pouvons abandonner les principes auxquels notre pays a adhéré à titre individuel ou en tant que membre d'organisations internationales et européennes. Ces principes nous obligent.
Je veux rappeler aussi notre histoire d'ouverture : ceux qui pensent que la nation française s'est construite dans le repli ou le rejet de l'autre méconnaissent notre passé. Car le passé de la France, son identité ont été forgés par la contribution irremplaçable de celles et ceux qui sont venus d'ailleurs.
Nous avons enfin besoin de clarté sur ce que doivent être les grandes orientations de notre action. C'est un point essentiel.
Aujourd'hui, un constat s'impose : le système d'accueil et d'intégration que nous avons édifié pour que ces valeurs, ces principes et cet héritage ne restent pas lettre morte est mis à l'épreuve.
Il nous faut agir, maintenant. Agir pour conserver notre capacité à accueillir dans les meilleures conditions ceux qui ont droit à l'asile dans notre pays ; agir pour pouvoir continuer à intégrer à notre société ceux qui viennent d'obtenir la nationalité française ou un titre de séjour régulier ; surtout, agir en Europe.
Si nous n'agissons pas, nous risquons de voir l'espace Schengen imploser et l'Europe se défaire. Les Européens doivent avancer ensemble sur ce sujet sans attendre qu'une nouvelle crise se profile. Il ne peut y avoir parmi les États membres européens certains qui choisissent la résignation, d'autres qui choisissent l'indifférence.
Nous devons être capables de nous organiser pour faire preuve d'humanité à l'égard de ceux qui demandent protection et d'une absolue fermeté contre les trafiquants et les passeurs qui exploitent la détresse de ceux qui souffrent.
M. Philippe Bas. En même temps !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Tel était l'objet, hier à Luxembourg, des discussions du conseil « justice et affaires intérieures », auquel je représentais Christophe Castaner.
Pour conjurer ce risque, nous devons être à la fois efficaces et justes. Notre approche doit prendre en compte l'ensemble des géographies concernées : les pays d'origine et de transit, la Méditerranée et l'Union européenne.
Sur ces trois volets, l'Europe a un rôle essentiel à jouer : il n'y aura de vraie solution au défi des migrations que si les Européens choisissent explicitement d'agir ensemble.
Nous pouvons, dans un premier temps, agir en amont. Le partenariat que nous construisons avec les pays d'origine et de transit repose sur notre action commune en faveur du développement. L'aide publique au développement a bien sûr un objectif propre : la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités. Mais elle est aussi un levier essentiel de notre politique migratoire, et ce pour trois raisons.
D'abord, elle nous permet de mener des actions humanitaires au plus près des populations. La France s'est engagée – cet engagement a été réitéré le 22 juillet dernier devant le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l'Organisation internationale des migrations à Paris – à réinstaller 10 000 réfugiés en 2018 et 2019. À ce jour, 8 528 personnes l'ont déjà été effectivement.
Ensuite, notre aide publique au développement permet à nos partenaires du Sud de se doter des capacités indispensables pour maîtriser eux-mêmes les flux migratoires. On le sait, en effet, le défi migratoire est d'abord un défi pour les pays du Sud, et tout le sens de notre action est de les aider à y faire face.
Enfin, l'aide publique au développement est essentielle pour traiter dans la durée les causes profondes des migrations irrégulières. Nous devons aider les populations tentées par l'émigration par désespoir à retrouver des perspectives, un avenir et des conditions économiques de développement, là où elles vivent.
C'est pour mieux affronter ces défis que notre aide publique au développement sera portée à 0,55 % de la richesse nationale d'ici à la fin du quinquennat.
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Ce partenariat avec les pays d'origine et de transit, nous y travaillons au plan national comme à l'échelon européen. Le prochain cadre financier pluriannuel, le budget européen 2021-2027, prévoit ainsi des instruments de financement dédiés aux questions migratoires, notamment la capacité des pays du Sud à se doter de réels systèmes de gestion de leurs frontières et un renforcement de leur état civil. La France demande que 10 % de l'enveloppe de ce nouvel instrument de coopération et de développement international soient alloués à ces questions.
C'est une priorité des négociations que je soutiens avec mes homologues sur ce budget.
Nous pouvons par ailleurs agir ensemble face aux situations d'urgence, comme celle que nous avons connue l'an dernier en Méditerranée, où 2 000 personnes ont péri en mer, aux portes de notre continent. C'est inacceptable ! Nous devons nous mobiliser et, comme l'a rappelé Christophe Castaner, mettre en place un mécanisme de sauvetage et de débarquement efficace et pérenne. Le Président de la République l'a proposé, afin de trouver une solution européenne collective de responsabilité et de solidarité. Des avancées ont été obtenues le 23 septembre à La Valette. Mais les migrations ne sont pas seulement l'affaire de quatre pays, l'Allemagne, l'Italie, Malte et la France. C'est pourquoi, hier, au conseil JAI à Luxembourg, avec le soutien d'autres États membres, nous avons réussi à créer une dynamique positive. Une dizaine de pays déclarent être prêts à participer au prochain débarquement.
M. Bruno Retailleau. Sur vingt-sept ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Il s'agit d'un mécanisme temporaire et volontaire. Je rappelle, pour la bonne compréhension de tous, que cela concerne 600 personnes en France, 300 personnes en Allemagne, 60 personnes au Luxembourg. Nous sommes bien face à un enjeu humanitaire à nos portes, contrairement à l'effet d'attraction, voire de submersion – un terme qui me semble absolument condamnable – détaillé par certains.
Nous devons enfin agir ensemble sur le sol européen.
Nous devons poursuivre nos efforts pour mieux contrôler nos frontières extérieures. L'agence Frontex pourra mobiliser 10 000 garde-côtes et garde-frontières dans les prochaines années, afin d'aider les États membres en matière de contrôles frontaliers et de reconduites. Il y a là un enjeu évident de souveraineté européenne.
Il faut bien entendu refonder Schengen, qui repose sur deux jambes : la liberté intérieure de circulation et de réels contrôles aux frontières extérieures.
Depuis maintenant trente ans, ce système est boiteux : la jambe « liberté intérieure » est forte, mais la jambe « protection de nos frontières extérieures » est faible.
Il nous faut donc revoir ce système pour préserver notre liberté de circulation en Europe. Si nous voulons que soit mieux appliquée la règle selon laquelle l'État membre de première entrée est chargé de l'examen des demandes, il nous faut créer de la solidarité. L'Italie, la Grèce et l'Espagne ne peuvent pas, seules, gérer le système tel qu'il est conçu aujourd'hui, car il est profondément déséquilibré.
C'est l'un des enjeux de la révision du régime d'asile européen, le fameux règlement de Dublin, qui doit nous permettre d'harmoniser nos systèmes nationaux et de limiter les demandes multiples et parallèles d'asile successivement dans plusieurs pays, qui créent des mouvements secondaires extrêmement difficiles à contrôler.
Tel sera l'essentiel de notre action pour les prochains mois. Ursula von der Leyen a annoncé vouloir un pacte sur l'asile et l'immigration. La France est à ses côtés, et je peux vous dire qu'il y a eu aujourd'hui une unanimité en Europe sur le besoin de refonder profondément ces deux piliers : asile et immigration, et espace Schengen.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre modèle d'accueil et d'intégration est, je le crois, l'honneur de notre République. Notre devoir est bien de tout faire pour en préserver la viabilité.
En plus d'y consacrer nos politiques nationales, nous y employons, vous le voyez, nos leviers d'action internationaux et européens.
Mais pour mieux répondre aux défis migratoires d'aujourd'hui et de demain, nous avons également besoin de vous, élus de nos territoires, et je sais à cet égard la qualité des travaux du Sénat, informés et sérieux, sur les thèmes de nos débats.
Je suis donc particulièrement heureuse d'échanger avec vous sur ces sujets, dans la transparence et la responsabilité, sous le regard des Français. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'occasion nous est donnée d'évoquer sereinement et en responsabilité un sujet qui, trop souvent, déchaîne les passions.
C'est, me semble-t-il, une bonne occasion de tordre le cou à beaucoup d'idées reçues, tout en nous montrant vigilants et fermes quand les situations l'exigent.
Si je pense qu'il est important que nous puissions débattre ensemble de cette question, c'est évidemment parce qu'elle interpelle nos concitoyens, mais c'est aussi parce que, pendant plus de vingt ans, comme travailleuse sociale, j'ai été confrontée à tout ce que l'incompréhension et la confusion peuvent provoquer comme rejet de l'autre et comme dégâts pour notre cohésion sociale.
Ma conviction profonde, c'est qu'il faut ouvrir ce sujet à tous nos concitoyens, et ne pas le laisser à une seule famille politique qui dupe nos concitoyens avec un discours aussi brutal que simpliste.
Dans la foulée d'un grand débat historique, le Président de la République n'a pas éludé la question migratoire, allant jusqu'à affirmer que « le deuxième grand combat européen avec le climat, c'est le combat en matière de migration ».
Oui, l'enjeu des migrations dépasse largement les frontières de la France, et l'Europe doit construire cet espace commun, parce qu'une Europe qui sait maîtriser les flux migratoires, ce sont des États membres qui accueillent mieux.
Mieux accueillir, c'est respecter des conventions auxquelles la France est partie et dont l'accès aux droits fondamentaux est un pilier essentiel.
En France, et nous pouvons en être fiers, chacun, quelle que soit sa situation, peut accéder aux soins. C'est tout le sens d'une protection maladie qui est universelle, puisqu'elle permet à chaque personne qui travaille ou qui réside en France de manière stable et régulière de bénéficier de la prise en charge de ses frais de santé. En France, votre couverture maladie ne dépend pas de votre emploi ou de votre statut.
Cette protection est donc accessible quelle que soit la nationalité de l'assuré, et elle inclut les ressortissants étrangers titulaires d'un titre de séjour, les réfugiés, mais aussi les demandeurs d'asile.
Des dispositifs sont aussi prévus pour la prise en charge des soins des personnes migrantes en situation irrégulière.
C'est le cas de l'aide médicale de l'État, l'AME, qui permet de couvrir les soins essentiels des ressortissants étrangers en situation irrégulière, en médecine de ville comme à l'hôpital.
Cette couverture n'est pas immédiate, puisqu'elle nécessite une présence d'au moins trois mois sur le territoire. Par ailleurs, elle est délivrée sous condition de ressources.
Si ces conditions ne sont pas remplies, la prise en charge est alors limitée à celle des soins urgents.
Ces procédures sont indispensables. Agnès Buzyn l'a bien rappelé lundi à l'Assemblée nationale : « en France, on ne laisse pas des personnes périr parce qu'il leur manque le bon tampon sur le bon document. »
Elles sont aussi indispensables pour des raisons de santé publique et pour éviter la propagation de maladies.
L'aide médicale de l'État répond également à un impératif d'économies : si elle n'existait pas, elle aurait pour conséquence une dépense plus grande, parce qu'une prise en charge tardive d'une maladie est toujours plus coûteuse qu'une prise en charge à temps par la médecine de ville.
Pourtant, certaines caricatures ont la vie dure, et l'aide médicale de l'État n'y échappe pas. Elle est même devenue, au fil des années, un motif récurrent des discours de peur et de repli. Il est temps de clarifier les choses !
Avec l'AME, le niveau de prise en charge est moins important que celui des assurés en situation régulière qui, à ressources égales, bénéficient de la CMU-C.
Ainsi, les actes de PMA, les médicaments à service médical rendu faible, remboursés à 15 %, et, bien sûr, les frais de cures thermales ne sont pas pris en charge par l'AME.
Les frais pris en charge en grande partie par les complémentaires santé, tels que les frais dentaires ou optiques, ne le sont pas par l'AME.
Enfin, les soins à visée esthétique ne sont, bien évidemment, pas pris en charge par l'AME.
S'agissant des autres droits sociaux, l'objectif est de faciliter l'intégration des personnes.
Sur ce sujet, je veux mettre fin, là encore, aux idées reçues, qui voudraient que les étrangers en situation irrégulière aient un large accès aux prestations sociales.
Les personnes en situation irrégulière n'ont droit à aucune prestation en dehors de la prise en charge de leurs soins. Je n'inclus pas dans ce propos les demandeurs d'asile, qui ne sont pas considérés comme étant en situation irrégulière sur notre territoire.
S'agissant des personnes en situation régulière, nous appliquons des principes constitutionnels et des règles internationales qui s'imposent à tous et par lesquelles se matérialise l'accès aux droits fondamentaux. Ces principes, nous y tenons.
Pour autant, l'égalité de traitement n'est pas totale : la plupart des minima sociaux sont soumis à des conditions de résidence plus restrictives pour les ressortissants étrangers en situation régulière que pour les ressortissants français. Par exemple, pour percevoir le RSA, une condition de cinq ans de résidence sur le territoire est requise.
Cette différence de traitement n'est pas contraire à notre exigence de cibler les besoins des populations concernées, parce qu'il en va de leur santé et de leur intégration.
Il ne faut pas oublier que les personnes migrantes sont souvent plus vulnérables : il est donc indispensable d'aller vers elles pour qu'elles puissent accéder aux soins et aux droits.
C'est la raison pour laquelle nous avons structuré un parcours de santé des primo-arrivants, en lien avec le secteur associatif, les professionnels de santé, les travailleurs sociaux et les agences régionales de santé, pour organiser une prise en charge des besoins le plus rapidement possible.
C'est aussi la raison pour laquelle nous avons augmenté les moyens alloués aux permanences d'accès aux soins de santé, les PASS, qui réunissent soignants et travailleurs sociaux, accueillent de manière inconditionnelle et exercent cette mission d'accompagnement médico-social des personnes les plus vulnérables.
Je profite de ce débat pour saluer le travail remarquable des travailleurs sociaux et des associations, qui oeuvrent chaque jour avec une énergie remarquable au service de cette intégration.
Quand certains cultivent une rente en alimentant le rejet, d'autres sont sur le terrain et trouvent des solutions pour que la cohésion sociale soit autre chose qu'une belle expression dans un discours.
Pour autant, nous sommes vigilants : comme pour toutes les politiques publiques, nous nous interrogeons sur l'efficience du système et nous ne fermons pas la porte à l'identification d'éventuels abus. Cette démarche est indispensable pour restaurer la confiance dans notre système, qui semble aujourd'hui faire défaut.
Je pense en particulier à l'aide médicale de l'État, qui représente une dépense de 848 millions d'euros en 2018. C'est une dépense importante. Pourtant, je rappelle que la dépense par bénéficiaire de l'AME est équivalente à la dépense par bénéficiaire d'un assuré, alors même que l'état de santé des bénéficiaires de l'AME est notoirement plus dégradé.
Une mission a donc été confiée aux inspections générales pour faire la lumière sur d'éventuels fraudes ou abus et pour proposer des pistes de progression.
Ces pistes pourront tenir compte des modèles en vigueur chez nos principaux voisins, même si, au-delà des comparaisons, c'est bien le cadre de prise en charge le plus pertinent et le plus efficace qu'il nous faut examiner.
Plusieurs options sont actuellement étudiées par la mission d'inspection. Nous regarderons l'ensemble des options proposées avec une grande attention, mais je souhaite préciser dès aujourd'hui que nous ne retiendrons pas la solution d'une participation financière des personnes admises à l'AME : cela constituerait un obstacle trop important pour l'accès effectif aux soins. L'introduction éphémère d'un droit de timbre en 2011 a montré qu'une telle mesure ne faisait que reporter les coûts de prise en charge sur les soins urgents.
Deux autres pistes sont étudiées par la mission d'inspection : subordonner à un accord préalable l'accès à certaines prestations, en dehors des soins urgents ou vitaux ; ajuster le périmètre du panier de soins pris en charge par l'AME.
Mais encore une fois, ce ne sont que des pistes, et nous attendons que la mission rende ses conclusions à la fin de ce mois.
En revanche, nous n'attendons pas les conclusions de cette mission pour renforcer les contrôles : l'AME et les soins urgents ne doivent pas être détournés de leur vocation, et ils doivent bénéficier à ceux qui y ont effectivement droit.
Ces contrôles portent sur les conditions d'éligibilité à l'AME, comme la durée du séjour et les ressources effectives des demandeurs, mais peuvent également avoir lieu a posteriori, en particulier pour ce qui concerne les bénéficiaires qui ont le plus recours aux soins.
Le regroupement des demandes d'AME dans trois caisses primaires d'assurance maladie permettra de mieux les contrôler.
Nous allons ainsi déployer un plan de lutte contre les fraudes. L'une des mesures de ce plan permettra de lutter contre le phénomène des détournements de procédure de ressortissants étrangers bénéficiant d'une assurance privée dans le cadre d'un visa Schengen, mais qui demandent l'AME pour bénéficier de soins considérés comme étant de meilleure qualité en France.
Les caisses d'assurance maladie auront accès, dès la fin de l'année, à la base Visabio du ministère de l'intérieur, qui permettra d'identifier les demandeurs dissimulant un visa et n'ayant donc aucunement vocation à bénéficier de l'AME ou des soins urgents.
Voilà de manière très concrète et pragmatique comment nous voulons redonner confiance dans un système auquel nous sommes très attachés.
S'agissant du cas particulier des demandeurs d'asile, le régime est celui d'une affiliation à l'assurance maladie, et donc souvent à la CMU-C, dès le dépôt de la demande.
Une hausse significative de demandes d'asile a été observée par des personnes en provenance de pays signalés « d'origine sûre », ce qui signifie que dans l'immense majorité des cas, ces demandes d'asile n'aboutiront pas.
L'abus est par conséquent rendu possible par cette affiliation immédiate à l'assurance maladie.
Seule une étude approfondie nous permettra d'en savoir plus sur l'existence de ces filières et donc de repenser, si cela est nécessaire, les conditions d'affiliation à l'assurance maladie pour les demandeurs d'asile.
Cette étude est en cours et la mission d'inspection est au travail.
Un délai de carence, pendant lequel nous prendrions évidemment en charge les soins urgents, pourrait se concevoir, comme c'est le cas d'ailleurs pour les Français qui rentrent de l'étranger sans activité professionnelle.
Lutter contre les fraudes, c'est mettre fin à une suspicion qui nuit à tous les autres : ce n'est pas remettre en question notre obligation constitutionnelle d'un accès à la santé pour tous.
C'est surtout le moyen le plus sûr de mettre enfin un terme aux idées fausses qui circulent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, faire vivre les grands principes sans être naïfs, c'est être fidèles à nos valeurs sans laisser prospérer des discours de peur.
Notre exigence doit être celle de la justice envers les populations vulnérables, pour que la manière dont nous les accueillons soit conforme à l'image que nous nous faisons de la grandeur de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. - Mme Michèle Vullien applaudit également.)
http://www.senat.fr, le 18 octobre 2019