Interview de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à Public Sénat le 17 octobre 2019, sur le voile islamique, le Brexit, l'offensive turque en Syrie, les djihadistes, les relations avec les Etats-Unis et la Commission européenne.

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  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Média : Public Sénat

Texte intégral

ORIANE MANCINI
Et notre invité politique ce matin c'est Jean-Baptiste LEMOYNE, bonjour.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Merci d'être avec nous. Vous êtes secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, vous êtes avec nous pendant un peu plus de 20 minutes pour une interview en partenariat avec la presse quotidienne régionale, représentée ce matin par Julien LECUYER, bonjour Julien.

JULIEN LECUYER
Bonjour Oriane.

ORIANE MANCINI
Journaliste à La Voix du Nord. Avant de parler de vos dossiers, ils sont nombreux, le Brexit, la Syrie, ce Conseil européen, un mot sur le voile, le débat sur le voile qui revient sur le devant de la scène, Jean-Baptiste LEMOYNE. La mère voilée qui a été prise à partie par un élu du Rassemblement national au Conseil régional de Bourgogne Franche-Comté a décidé de porter plainte pour violence en réunion et incitation à la haine, qu'est-ce que vous en pensez ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Cette scène était violente, parce que, d'une part un élu la prend à partie, de façon totalement asymétrique, parce que comme elle est en tribune, elle ne peut pas réagir, le public doit rester silencieux, et donc il y a une forme de violence dans cette scène qui, je crois, a interpellé. De façon plus générale, je crois que sur ce sujet du voile il ne faut pas laisser certains vouloir fissurer la Nation, parce qu'on voit bien le petit jeu du Rassemblement national, c'est de créer la polémique, c'est d'aller semer la discorde au sein des Français, et je crois que dans les moments que nous vivons il y a plus que jamais besoin justement d'unité nationale. La France, effectivement, elle doit faire bloc, comme a dit le président de la République hier soir, et faire bloc c'est prendre conscience aussi que la France elle est très diverse et que chacun doit pouvoir vivre et coexister ensemble.

ORIANE MANCINI
Mais vous voyez bien que c'est un sujet compliqué, y compris au sein de votre majorité Jean-Baptiste LEMOYNE. Vous avez par exemple Aurore BERGE, qui est la porte-parole du groupe La République en marche à l'Assemblée nationale, qui dit : « oui, je voterai la loi d'Eric CIOTTI qui est pour l'interdiction du voile. »

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais, c'est parce que le sujet est complexe qu'il n'y a pas de réponse simple, ce n'est pas oui ou non, ce n'est pas stop ou encore…

ORIANE MANCINI
Oui, mais vous ne niez pas les divisions à l'intérieur de votre majorité ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ce que je veux dire c'est que… J'ai travaillé il y a 10 ans aux côtés de Jean-François COPE lorsque nous élaborions une proposition de loi visant à bannir le voile intégral dans l'espace public, je me rappelle de la difficulté juridique de trouver une voie, déjà s'agissant du voile intégral. Et donc, ce que je veux dire c'est que je mets en garde contre toute tentation de réponses simplistes qui, juridiquement d'ailleurs, on le voit, ne tiendraient pas la route, et donc…

JULIEN LECUYER
Monsieur LEMOYNE, est-ce que les déclarations du président ne signent pas la fin du match, de dire arrêtons les polémiques autour de ça, et choisissons la voie de la légalité qui à l'heure actuelle est claire et nette, et n'allons pas plus loin ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Bien sûr. Enfin, le président de la République, je crois, a rappelé parfaitement la situation, le Premier ministre également en disant que la loi elle était là, elle était claire, le voile est interdit s'agissant des élèves, s'agissant, pardon, des enseignants naturellement, qui ne peuvent pas afficher une préférence, maintenant la loi ne traite pas le sujet des étudiants dans le supérieur par exemple, ne traite pas le sujet des accompagnants scolaires, et c'est ainsi.

ORIANE MANCINI
Vous c'est quoi votre position personnelle sur ce sujet ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non, mais donc, ce que je veux dire c'est que les choses ont été dites, la loi elle est là, elle permet…

ORIANE MANCINI
Mais vos convictions, Aurore BERGE elle a exprimé ses convictions, vous c'est quoi vos convictions sur ce sujet ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je suis en phase avec mes convictions, ce que je veux dire c'est que, la France elle est diverse, et aujourd'hui moi je veux justement me battre contre ceux qui veulent semer la discorde, parce qu'on voit d'un côté, encore une fois, un Rassemblement national qui cherche à chauffer à blanc une opinion publique, et de l'autre côté, qu'est-ce qui se passe ? On voit l'émergence de listes communautaristes dans un certain nombre de villes ou de quartiers, eh bien moi je ne veux pas deux France qui se dressent l'une contre l'autre, et justement, Emmanuel MACRON, en 2017, sa campagne c'est vouloir réunir deux Français sur trois, et donc je crois qu'il faut tenir un équilibre sur ce sujet.

ORIANE MANCINI
Allez, on va passer à vos dossiers parce qu'ils sont nombreux, Jean-Baptiste LEMOYNE. D'abord le Brexit, Conseil européen qui a lieu tout à l'heure, est-ce que pour vous ce Conseil européen sera celui de la validation de l'accord sur le Brexit ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, sur le Brexit, on espère un accord, et s'il peut advenir dans les prochaines heures, ce serait parfait.

ORIANE MANCINI
Vous êtes optimiste ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Il est à portée de main, mais il n'est pas garanti, et, vous savez, avec tout ce qui s'est passé depuis plusieurs mois sur le Brexit je me garderais bien d'avoir un jugement définitif au moment où je vous parle, aussi parce que la situation politique britannique fait qu'on a pu voir dans le passé que la position d'un gouvernement n'était pas forcément celle du Parlement, on l'a vu avec Madame MAY, et que ce que je constate c'est que Boris JOHNSON, enfin, a enclenché un peu la… l'a surmultipliée pour avoir un dialogue dense sur le fond, avec le Premier ministre Irlandais, avec les Européens, et Michel BARNIER et ses équipes s'y attellent, mais encore faut-il, derrière, qu'il y ait un Parlement qui le suive. Parce que, ce que je constate c'est que, il doit négocier avec le parti unioniste DUP, que ce n'est pas facile, et que par ailleurs il n'a plus de majorité à Westminster. Donc c'est pour ça que, encore une fois, un accord semble à portée de main…

ORIANE MANCINI
Mais vous nous dites le « no deal », pas d'accord, c'est encore possible aujourd'hui.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Hélas tout est possible, et la France, nous on s'est préparé à tous les scénarios, à toutes les options.

JULIEN LECUYER
Quels sont les points de détail qui risquent de faire chuter cet accord ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Vous savez, ce qui est très important c'est que, en Irlande, ne renaisse pas une frontière, et je crois que là il y a une prise de conscience de tout le monde pour éviter cela, remettre en cause les accords qui étaient obtenus à la fin des années 90, à la suite d'événements sanglants en Irlande du Nord, et donc je crois qu'il est très important d'arriver à bâtir un mécanisme qui permette à la fois d'éviter cette renaissance d'une frontière et en même temps qui protège aussi le marché européen, parce que nous on ne peut pas laisser entrer des produits qui ne sont pas conformes à nos normes, qui n'auraient pas été contrôlés, etc. etc.

ORIANE MANCINI
Et ça, pour vous c'est en bonne voie, le règlement de cette question de la frontière entre l'Irlande et l'Irlande du Nord (sic) ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
En tous les cas les discussions entre le Premier ministre Irlandais et Boris JOHNSON semblent avoir été fructueuses. Encore une fois, après le Diable est dans les détails. Vous savez, c'est d'une complexité terrible, c'est pour ça que, encore une fois, ce matin je dis un accord est à portée de main, mais il n'est pas garanti, voilà.

ORIANE MANCINI
C'est-à-dire qu'on ne peut pas exclure un nouveau sommet d'ici le 31 octobre.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Par définition je n'exclus rien compte tenu du passé sur cette question, et surtout, ce que je veux dire, c'est que nous, les Français, on est prêts à tous les scénarii, on a fait en sorte d'ailleurs de faire voter par le Parlement un certain nombre d'ordonnances pour que tout simplement les transports puissent continuer à circuler, nous avons préparé les entreprises, avec y compris des démarchages téléphoniques personnalisés vers les entreprises exportatrices vers le Royaume-Uni, bref, nous avons pris toutes les dispositions pour faire face éventuellement à un Brexit sans accord.

JULIEN LECUYER
Alors, en France, et Gérald DARMANIN l'a confirmé encore hier, tout semble prêt, mais en Angleterre on a l'impression que, par contre, c'est l'impréparation. Est-ce que vous confirmez que c'est compliqué là-bas ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Nous partageons cette analyse selon laquelle effectivement nous sommes mieux préparés que nos amis Britanniques, ne serait-ce que sur les infrastructures portuaires. A Calais nous avons très rapidement mis en place ce qu'on appelle une sorte de frontière intelligente pour que les marchandises puissent passer rapidement, du côté de Douvres ce n'est pas le cas, on voit que les aménagements n'ont pas forcément étaient faits de façon aussi intensive que chez nous, donc ça risque peut-être de poser des problèmes. De toute façon, de façon générale il se faut dire les choses, le Brexit c'est perdant/ perdant, ce n'est pas une opération gagnante pour quiconque…

ORIANE MANCINI
Donc c'est perdant y compris pour la France.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais c'est perdant pour l'Europe, et c'est perdant pour le Royaume-Uni, plus perdant pour le Royaume-Uni encore que pour l'Europe. Mais, maintenant, les Britanniques ont voté, on est, je crois, dans un moment où il faut respecter le vote des Britanniques, ils ont voté pour le Brexit, il faut que le Brexit advienne, et puis après, dans quelques années, peut-être qu'ils se reposeront la question, mais en tous les cas, à l'ère où justement les populistes fleurissent, il ne saurait être question de contourner un vote du peuple.

ORIANE MANCINI
Alors vous, vous êtes optimiste sur la préparation de la France, le Sénat beaucoup. Jean BIZET était avec nous il y a quelques minutes. Le Sénat a rendu un rapport, très pessimiste, sur les conséquences du Brexit sur la France, il dit notamment que le Brexit va détruire nos richesses, 7,7 milliards par an, c'est ce que ça va nous coûter en perte de richesses. Est-ce que pour vous il faut s'inquiéter quand même ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Encore une fois, je vous l'ai dit, le Brexit c'est perdant pour tout le monde, maintenant il faut arriver à bâtir justement une relation dans le futur avec le Royaume-Uni…

ORIANE MANCINI
Mais vous nous dites, oui, il y aura une perte de richesses pour la France ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ce que je veux dire c'est qu'on ne peut pas modéliser les choses, mais ce qui est sûr c'est que, nous avons des chaînes de valeur qui sont tellement imbriquées que ça aura un impact naturellement, et donc…

ORIANE MANCINI
Impact également sur la croissance française ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Il y aura un impact économique en Europe, c'est clair. Ce que je veux dire c'est que, on doit, du coup, préparer un cadre et une relation future entre l'Europe, la France, le Royaume-Uni, qui soient, qui permettent une proximité la plus grande possible en matière économique, notamment, parce que, vous savez, nous c'est le premier débouché en termes d'exportations par exemple le Royaume-Uni, de la même façon les touristes Britanniques représentent 15% des touristes en France, et ils sont très présents notamment pour la saison d'hiver qui arrive, donc on a tout intérêt à garder cette relation proche. Le Royaume-Uni c'est l'Europe au sens large, n'oublions pas l'Histoire, n'oublions pas la géographie, et donc il est très important, une fois que le Brexit sera fait, d'avoir un cadre de relation très proche.

JULIEN LECUYER
Ce n'est pas tout l'enjeu de la déclaration commune qui doit être faite et qui doit empêcher le Royaume-Uni de faire du dumping social dès lors qu'elle sera sortie de l'Europe ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Tout à fait, c'est l'enjeu de, vous l'avez tout à fait souligné, et donc nous on souhaite qu'il y ait, au maximum, un rapprochement d'un certain nombre de standards, parce qu'il est important, s'ils souhaitent avoir un accès à notre marché, ça sera l'enjeu de l'accord d'échange commercial qui devrait être fait, eh bien qu'on joue avec les mêmes règles du jeu. Il est important que nos producteurs ne soient pas désavantagés avec une concurrence qui aurait des règles plus souples.

ORIANE MANCINI
Un mot pour finir sur ce sujet. Le statut de résident permanent au Royaume-Uni va avoir un coût, il y a de nombreux Français qui vivent au Royaume-Uni, le Sénat dit 1600 livres par personne. Est-ce que le gouvernement va faire quelque chose pour aider ces familles ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Naturellement, on est mobilisés auprès des Français établis hors de France, on renforce notre consulat, d'ailleurs, en termes de personnels, d'effectifs, pour faire face à toutes les demandes. Depuis plusieurs mois, je veux saluer toutes les équipes, du consulat, de l'ambassade, parce qu'il y a eu énormément, je dirais de lignes téléphoniques ouvertes pour que tout le monde puisse se renseigner, et nous on fonctionne sur le principe de la réciprocité. Donc, on a ainsi dispensé de visa, pour les courts séjours, les Britanniques, et donc c'est le cas pour les Européens, et pareil sur les séjours longs, il faudra travailler sur la réciprocité et sur des dispositions qui soient favorables aux uns comme aux autres.

ORIANE MANCINI
Allez, autre sujet la Syrie. Offensive turque dans le Nord-est de la Syrie, ça sera évidemment aussi au menu de ce sommet européen. Est-ce qu'on peut attendre de ce sommet européen plus qu'une condamnation, mais des actes ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, vous savez, je crois que la France elle est très clairement moteur pour avoir d'arrache-pied à la fois la condamnation et obtenir de la Turquie la cessation des hostilités, parce que, ce qui se passe dans le Nord-est de la Syrie, n'est pas acceptable. Il y a là deux actions unilatérales, celle du président TRUMP qui retire des troupes américaines, qui du coup laisse le champ libre à l'action de l'armée turque, et deuxième acte unilatéral, qui n'est pas acceptable, c'est l'entrée sur le territoire syrien de ces troupes turques. Très clairement, le président Turc a une responsabilité immense devant l'Histoire, et ce que je veux dire c'est que cette responsabilité il devra l'assumer, parce qu'on le voit bien, nos frères d'armes de lutte contre le terrorisme qu'étaient les Kurdes connaissent aujourd'hui une situation très compliquée.

JULIEN LECUYER
Monsieur LEMOYNE, excusez-moi, on comprend bien que la France est moteur, mais on a un certain doute sur la cylindrée. Concrètement, on était au Kurdistan grâce au soutien et à l'appui des Etats-Unis, dès lors que cet appui est parti nous sommes obligés de nous retirer, et on voit que les sanctions sont quand même relativement légères vis-à-vis d'Ankara. Est-ce que on est condamné à l'impuissance ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non, il ne faut pas se résoudre à l'impuissance, et dès la semaine dernière nous avons demandé au Conseil de sécurité de l'ONU de se réunir, le Conseil de sécurité va continuer à être saisi de la question, deux fois par semaine il se penche sur justement la question syrienne, maintenant…

ORIANE MANCINI
Qu'est-ce qui se passe au-delà des mots, qu'est-ce qui se passe ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Maintenant, le Conseil de sécurité de l'ONU, il y a un certain nombre d'Etats qui peuvent aussi jouer de leur veto. Donc, ce que je veux dire c'est que, il est très important de pouvoir faire un maximum de pression sur la Turquie pour qu'elle comprenne que ce n'est pas dans son intérêt, et ce n'est pas dans l'intérêt de la sécurité mondiale de poursuivre cette offensive, très clairement.

ORIANE MANCINI
Un maximum de pression ça veut dire quoi, des sanctions économiques ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Y compris économiquement.

ORIANE MANCINI
Donc vous dites oui, on peut mettre des sanctions économiques contre la Turquie ?

JULIEN LECUYER
C'est le troisième partenaire de la France, hors Union européenne et la Suisse, est-ce que vous allez vraiment vous fâcher avec Ankara de ce point de vue-là ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je vous donne un exemple, très concret. Début décembre je devais me rendre en Turquie pour tenir justement la commission mixte économique, où on fait le point sur tous nos partenariats économiques, nous avons fait savoir aux Turcs qu'il n'était pas question que cette commission se réunisse tant que la situation perdurait, naturellement, il y a besoin d'être en cohérence. Et sur la situation je peux vous dire que, les forces kurdes, les FDS, le président de République a reçu la semaine dernière la porte-parole des FDS, nous sont reconnaissantes d'être particulièrement forts pour faire savoir le caractère inacceptable de cette attaque, de cette offensive, et moralement se sentent soutenues et épaulées par la France, ils nous l'ont dit, et donc je tiens à le dire. Et nous avons demandé aussi une réunion de la coalition internationale qui lutte contre Daech parce que le péril il est là, c'est la résurgence de Daech, et on le voit un certain nombre, d'ailleurs, de djihadistes pourraient potentiellement profiter de la situation.

ORIANE MANCINI
On va venir sur cette question des djihadistes, mais juste, pour être clair, Jean-Baptiste LEMOYNE, est-ce que oui ou non, vous êtes pour des sanctions économiques contre la Turquie ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Encore une fois, le Conseil européen se réunit, les Européens vont en discuter, ce que je peux vous dire c'est que, on a envoyé des signaux, par exemple quand on a des rendez-vous économiques bilatéraux, on a dit « on ne parle pas de cela tant que les hostilités n'ont pas cessé. »

ORIANE MANCINI
Donc oui ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je vous ai répondu.

JULIEN LECUYER
Monsieur LEMOYNE, le ministre Jean-Yves LE DRIAN est actuellement en Irak, va se poser la question du traitement judiciaire des djihadistes. Est-ce que, concrètement, la France va accepter qu'ils puissent être condamnés à mort en Irak ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, Jean-Yves LE DRIAN, effectivement est en Irak, pour justement mettre en place un mécanisme judiciaire, parce que, un certain nombre de ces individus ont oeuvré tant en Irak qu'en Syrie, au sein de l'Etat islamique, et méritent d'être jugés là où aussi ils ont commis des crimes, et ça a d'ailleurs été le cas pour un certain nombre de djihadistes français. Pour autant nous assumons nos obligations consulaires, mais, c'est qui est sûr c'est que ces gens, qui ont commis des atrocités, eh bien doivent être jugés pour ces atrocités et condamnés pour ces atrocités.

JULIEN LECUYER
Mais ce n'est pas de la sous-traitance de la France de laisser à l'Irak le soin de juger ses ressortissants ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais, vous pouvez aussi comprendre que l'Irak, qui a souffert directement des agissements de ces individus, veuille juger ces individus.

JULIEN LECUYER
Il veut contre une contrepartie financière en l'occurrence, puisqu'il a demandé à la France de financer le traitement judiciaire de ces djihadistes.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
On peut le comprendre, l'Irak connaît une situation qui est complexe d'un point de vue économique, et donc, ce que je veux dire c'est que, quelque part, que la communauté internationale se mobilise pour permettre le traitement judiciaire ne me paraît pas anormal.

JULIEN LECUYER
Donc ce n'est pas une façon de se débarrasser, à bon compte finalement, de ces ressortissants ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
C'est une façon tout simplement de faire en sorte que ces gens répondent des actes qu'ils ont commis, voilà. Il y a un moment….

ORIANE MANCINI
Ça ne vous choquerait pas que des Français soient condamnés à mort ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Nous, lorsque c'est le cas, dans tous les pays…

ORIANE MANCINI
Des djihadistes Français !

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non, non, mais, lorsque c'est le cas, quels que soient les motifs, et quels que soient les pays, nous faisons valoir aux autorités que la peine de mort, pour nous, a été abolie, et qu'elle n'est pas un moyen de réponse, et donc il peut y avoir un certain nombre de mécanismes qui permettent, le cas échéant, de commuer ça en perpétuité, etc.

ORIANE MANCINI
Un mot pour finir sur cette question des djihadistes. Est-ce qu'aujourd'hui les Etats-Unis sont encore un allié sûr dans la lutte contre l'Etat islamique ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
On voit que les Etats-Unis ne sont plus un allié, en tous les cas, qui est totalement régulier dans ses prises de position, on le voit avec ce désengagement, et je crois que, quelque part, ça doit nous inciter, nous Européens, plus que jamais, à avoir un sursaut et à bâtir cette autonomie stratégique et de défense. Le président de la République, depuis 1,5 an, porte ce discours, et ce discours commence à entrer en vigueur et en actes. C'était le discours de la Sorbonne, souvenez-vous, au début beaucoup de sarcasme, « la France n'est-elle pas prétentieuse à vouloir donner des leçons à tout le monde ? », ce que je constate c'est que depuis 1 an les choses ont beaucoup avancé, on a mis en place un fonds européen de défense, on a un certain nombre de recherches communes avec les partenaires européens pour l'armement du futur, ça a été vu d'ailleurs hier en franco-allemand par exemple…

ORIANE MANCINI
Vous en avez parlé à Toulouse exactement, en Conseil des ministres. Qu'est-ce qui s'est dit sur cette question de l'Europe de la défense ? Il y a des divergences entre la France et l'Allemagne.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Eh bien, déjà, qu'on puisse travailler à une forme de préférence européenne. Je parlais du spatial, ça a été évoqué pour le spatial, quand on a des Européens qui vont utiliser des prestataires non-européens pour le spatial, ça pique un peu. Lorsque des pays font le choix, encore une fois, d'armements qui ne sont pas européens, ça pique un peu. Et donc, il y a besoin à un moment d'affirmer cette autonomie stratégique parce que nous, Français, et Européens, je crois que nous voulons être, ni les vassaux d'untel ou d'untel, ni les vassaux des Etats-Unis…

JULIEN LECUYER
Est-ce que ça doit passer par une armée européenne selon vous ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Armée européenne, je pense que c'est complexe à mettre en oeuvre, ce qui est sûr c'est que…

JULIEN LECUYER
C'est la volonté du président.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non, mais ce que je veux dire c'est que c'est complexe à mettre en oeuvre, je veux dire dans l'immédiat, ce qui est important c'est qu'il y ait des unités qui puissent opérer ensemble, des unités qui puissent opérer ensemble, qui soient interopérables dans les matériels, c'est ça qui doit être recherché pour une action commune, le cas échéant.

JULIEN LECUYER
Un autre dossier Monsieur LEMOYNE, qu'on n'a pas abordé sur les relations transatlantiques, c'est les sanctions américaines dans le cadre du conflit BOEING ? AIRBUS. L'Europe va-t-elle réussir à s'entendre pour faire front face à ces pressions américaines économiques ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, l'Europe a fait preuve d'unité dans ce dossier, jusqu'à maintenant, et donc cette unité elle doit continuer, unité et fermeté, parce que, très clairement, nous…

JULIEN LECUYER
Il y aura des sanctions européennes ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Dans quelques mois l'OMC devrait autoriser l'Union européenne à imposer des sanctions aux Etats-Unis parce que les Etats-Unis ne se sont pas mis en conformité sur un certain nombre de subventions à BOEING, et donc, dans ces cas-là, nous n'aurons pas la main qui tremble, et oui nous mettrons des sanctions.

JULIEN LECUYER
C'est la suite d'une guerre économique.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Nous, nous avons toujours tendu la main, nous sommes pour la désescalade, avec Bruno LE MAIRE j'ai rencontré Rob LIGHTHIZER, le ministre du Commerce de Donald TRUMP, nous avons porté ce message que, il était plus intelligent d'avoir un règlement à l'amiable, parce que nous serions autorisés à frapper également dans quelques mois, et que pendant qu'il y a cette guerre commerciale, eh bien les Chinois, eux, sont en train de préparer leur industrie aéronautique, et dans 10 ans ils seront sur le marché. Donc, il y a un moment, il faut peut-être être intelligent et regarder les choses en face, et trouver des accords, et en tous les cas nous réaffirmons cela parce que, moi je suis très préoccupé, je ne souhaite pas que la filière, viticole par exemple, soit frappée, soit l'objet d'une vengeance américaine alors qu'elle n'a rien à voir avec ça.

ORIANE MANCINI
Un mot sur la Commission européenne, est-ce que vous avez trouvé, la France a trouvé le nom du remplaçant de Sylvie GOULARD ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, le président de la République a dit que le préalable au fait que la France donne un nom était déjà de trouver une stabilité institutionnelle au Parlement européen. Parce que, on l'a vu, ce qui s'est passé c'est quoi ? C'est que tout simplement la majorité parlementaire au Parlement européen a fait défaut. Il y a une majorité PPE, socio-démocrates, Renaissance…

JULIEN LECUYER
Ce qui a fait défaut ce n'est pas la stratégie française ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ce qui a fait défaut c'est vraiment cette majorité qui ne s'est pas exprimée, et donc, il y a un moment il faut d'abord retrouver les fondements, les bases, y a-t-il une majorité pour mener ce mandat européen, 5 ans c'est long, et 5 ans on a surtout des choses, des chantiers importants…

ORIANE MANCINI
Donc, si on vous suit, quel que soit le nom du commissaire proposé par Emmanuel MACRON, il peut être retoqué.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non, non, ce que je dis c'est que le président de la République souhaite en premier lieu qu'on règle cette question du fonctionnement des institutions européennes parce qu'on ne peut pas se permettre…

ORIANE MANCINI
Ça, ça va durer combien de temps ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Justement, c'est l'objet des prochains jours, le Conseil européen sera utile pour un certain nombre de prises de contact parce qu'il n'est pas concevable qu'il n'y ait pas une stabilité qui permette, sur les plus grands chantiers, d'avancer dans la sérénité. Le Conseil européen il va se pencher sur l'agenda stratégique, c'est-à-dire sur les grands axes que la Commission européenne va porter, et donc il est important, au préalable, de s'assurer qu'il y a un socle parlementaire solide, parce qu'on a vu que ce n'était pas le cas sur les nominations, voilà.

ORIANE MANCINI
Si on vous suit, une entrée en fonction de la Commission européenne au 1er novembre c'est désormais enterré.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Tout à fait, je vous le confirme, c'est reporté au moins au 1er décembre.

ORIANE MANCINI
Au moins au 1er décembre, ça veut dire que ça peut être plus tard ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Dans le passé ça a été plus tard, en tous les cas, voilà, nous allons…

JULIEN LECUYER
Vous vous préparez pour…

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Il y a une Commission qui est en fonction et qui continue à faire le job.

ORIANE MANCINI
Mais vous nous dites ce matin, c'est acté, le 1er novembre il n'y aura pas de nouvelle Commission européenne ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Tout conduit à ça.

JULIEN LECUYER
Une petite question simplement sur l'aide au développement, puisque ça a été l'un des leviers sur la politique migratoire qui a été souligné par Edouard PHILIPPE. Qu'est-ce que vous préparez pour justement permettre aux pays concernés de participer à cette politique migratoire ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, sur l'aide publique au développement, la France s'est réengagée fortement, nous avons augmenté l'année dernière d'1 milliard d'euros notre budget en la matière, et surtout, ce que nous voulons, eh bien c'est nous engager pour l'éducation, l'éducation notamment des jeunes femmes, faire en sorte qu'on crée des opportunités économiques à toutes les jeunesses des pays, notamment d'Afrique subsaharienne, j'étais la semaine dernière au Sénégal et au Cap Vert, et donc il y a ce besoin pour tout simplement que ces jeunes n'empruntent pas ce qui sont des routes de la nécessité plus que des routes de la liberté, et pour certains terminent dans ce cimetière…

JULIEN LECUYER
Concrètement, est-ce que vous demandez aux pays d'accentuer leur lutte contre l'immigration clandestine ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ça je vous confirme. Systématiquement, dans tous les entretiens que nous avons, et que j'ai eus, par exemple avec des chefs d'Etat la semaine dernière, nous demandons à ce que par exemple la délivrance des laissez-passer consulaires soit améliorée, soit augmentée, pour que les clandestins irréguliers puissent être réadmis sur leur territoire national.

JULIEN LECUYER
Et ce sera mis en contrepartie de l'aide au développement.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ce n'est pas une histoire de contrepartie, c'est une exigence liée à un partenariat solide, et autant nous sommes là pour faire respecter les règles constitutionnelles, y compris de droit d'asile, autant quelqu'un qui n'est pas en séjour régulier sur notre sol, eh bien devra être reconduit, ce sont les règles de la République.

ORIANE MANCINI
Un mot pour terminer sur ce qui se passe en Catalogne, troisième nuit de violences consécutive, les indépendantistes catalans en colère dans les rues de Barcelone après la condamnation de 9 de leurs dirigeants à des peines de prison pour tentative de sécession de la Catalogne en 2017. Est-ce que, selon vous, la voie de l'intransigeance qu'a choisie Madrid est aussi responsable de cette violence ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
C'est compliqué de prendre position dans un débat qui concerne un pays voisin. Ce qui est sûr c'est que, là aussi, je crois qu'il faut qu'il y ait une sorte d'unité espagnole, les débats ont été très vifs, et aujourd'hui je crois que, voilà, le besoin…

ORIANE MANCINI
La France ne prendra pas position ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Le besoin il est d'arriver à faire que, voilà, tous les Espagnols, quelles que soient leurs autonomies, puissent se retrouver, c'est le voeu ardent que l'on souhaite.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup, merci Jean-Baptiste LEMOYNE d'avoir été avec nous ce matin, les sujets étaient nombreux vous concernant, merci d'être venu.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 octobre 2019