Texte intégral
Q - Elle a beaucoup de dossiers sur la table, entre Thierry Breton qui sera peut-être le successeur de Sylvie Goulard, Commissaire français à la Commission européenne et, puisqu'on l'a appris à l'instant, Boris Johnson qui appelle à des élections générales le 12 décembre. Donc, on va prendre les problèmes un par un. Bonsoir, Amélie de Montchalin.
R - Bonsoir.
Q - Merci d'être là, ce soir. La France va donc proposer la candidature de Thierry Breton, actuel patron du groupe Atos pour le poste de Commissaire en charge de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense et de l'espace, est-ce bien raisonnable, Amélie de Montchalin ?
R - Ce qui est extrêmement important c'est que tous ces sujets vont ensemble. Si on veut créer des emplois demain en Europe, si on veut retrouver une Europe souveraine, il faut qu'on s'occupe de notre industrie qui est totalement transformée par le numérique. Il faut qu'on ait une souveraineté de défense qui est un sujet industriel. C'est aussi un sujet de l'espace. L'audiovisuel, par exemple, c'est aujourd'hui à la fois un sujet industriel et numérique. C'est comment on résiste face aux grands acteurs digitaux mondiaux.
Q - Ça c'est la définition du poste qui était la même que pour Sylvie Goulard qui a été retoquée. La question elle se pose sur Thierry Breton qui est aussi le patron d'un géant mondial du numérique, vous le disiez, c'est couvert par son poste, qui touche des subventions européennes, Atos. Est-ce qu'il n'y a pas clairement un risque de conflit d'intérêts ?
R - Sur ces sujets, je veux juste rappeler comment la procédure fonctionne. Au Parlement européen, il y a une procédure très stricte. Il y a d'abord une commission qui va regarder les sujets de conflit d'intérêts, qui va la regarder avec l'indépendance de ces députés qui viennent de toute l'Europe et qui vont regarder la situation.
Q - Mais est-ce que vous, j'imagine, si vous envoyez un candidat, après la claque qui a été prise par Sylvie Goulard, vous n'avez pas envie de prendre une deuxième claque. Est-ce que vous, au gouvernement, vous secrétaire d'Etat aux affaires européennes, vous avez la conviction, ce soir, qu'il n'y a pas de risque de conflit d'intérêts ?
R - J'ai la conviction qu'il y a des systèmes, on peut se déporter d'un sujet. Cela veut dire, on peut, quand on est ministre, cela arrive, il y a eu des députés, il y a des gens, qui ont eu une vie industrielle avant. Moi, cela me rassure qu'il ait été entrepreneur. Cela me rassure qu'il ait une expérience dans un domaine où je pense qu'on a beaucoup à faire et beaucoup à faire différemment en Europe. Mais ce que je veux vous dire, c'est qu'on peut se déporter, c'est-à-dire qu'on peut organiser les choses pour que, quand le sujet de l'entreprise où il travaillait avant soit évoqué, ce ne soit pas lui qui s'en occupe.
Q - Donc, c'est important qu'il ait tous ces secteurs, le marché intérieur, le numérique, la défense, la politique industrielle et l'espace, comme vous le disiez tout à l'heure, mais du coup on va quand même lui enlever le numérique s'il faut ?
R - Non, on ne lui enlève pas le numérique. Le système du déport c'est quand on parle d'un sujet où vous connaissez l'entreprise, donc si on parle de l'entreprise pour laquelle il travaille aujourd'hui, Atos, ce n'est pas lui qui s'en occupe. Maintenant, le numérique c'est beaucoup de choses. C'est comment on fait une taxe sur les GAFA, c'est comment on investit dans l'intelligence artificielle. Ça n'a rien à voir avec l'entreprise dans laquelle il travaille aujourd'hui.
Q - Mais il n'y avait pas moyen de faire plus simple quand même, de trouver un candidat, Michel Barnier peut-être, qui n'aurait posé question à personne ?
R - C'est intéressant votre question parce qu'on veut créer des emplois en Europe. On veut une Europe souveraine, c'est-à-dire une Europe qui sait se protéger contre la Chine, contre les Etats-Unis qui ont beaucoup d'idées pour nous mais qui ne sont pas les nôtres. On a besoin d'avoir des résultats pour les Français. On trouve un capitaine d'industrie, un entrepreneur, quelqu'un qui a eu des expériences à la fois publiques et donc dans ces entreprises qui sont celles dont il va avoir à travailler. On nous dit aujourd'hui : "vous savez, on préférerait quelqu'un qui n'ait pas d'expérience dans le domaine". Je pense que pour les Français et pour les gens qui attendent des résultats c'est une bonne nouvelle d'avoir des gens qui connaissent ce dont ils parlent.
Q - Nous, on ne préfère rien du tout. Mais on est face à des parlementaires européens qui font de la politique et vous le savez, et il y a un rapport de force qui n'est pas forcément favorable à Emmanuel Macron en ce moment en Europe. On l'entendait à 18 heures, Anticor a déposé une plainte avec constitution de partie civile contre Thierry Breton. Alors, c'est une vieille affaire, qui date de l'époque où il était ministre de l'économie et qui concerne un éventuel mélange des genres entre son activité et le traitement réservé alors à Atos, juste avant qu'il en prenne la présidence. Ça a fait réactiver le 27 septembre dernier. OK, il y a la présomption d'innocence, elle est hyper importante. Mais politiquement, ne craignez-vous pas de refaire une Sylvie Goulard, de vous prendre un nouveau camouflet des parlementaires ?
R - Je ne vais pas refaire ici ni les élections, ni les auditions qui ont eu lieu, ni celles qui sont à venir. Je pense qu'aujourd'hui l'Europe a besoin de résultats. Elle a besoin de gens pragmatiques. Elle besoin de gens qui puissent faire avancer les sujets. Il y a une commission qui s'occupe des conflits d'intérêts au Parlement, qui prendra une décision. Il aura à fournir des éléments, il pourra lui-même répondre à des questions.
Q - La Commission a pris une décision favorable pour Sylvie Goulard et elle a été retoquée encore une fois pour des raisons politiques par les parlementaires. Donc, la Commission ce n'est pas la garantie que derrière ça sera un champ de fleurs.
R - Ce n'est pas une garantie mais c'est aussi pour tout ça. Vous voyez, là le débat qu'on a il est un peu décalé et c'est pour cela qu'on veut proposer une Haute autorité de la transparence de la vie publique en Europe. Parce qu'au fond, ce sont des hommes et des femmes politiques, qui discutent de sujets qui ne sont pas des sujets politiques. Ce sont des sujets juridiques, ce sont des sujets d'éthique. C'est pour cela qu'en France on a une HATVP et que quand vous êtes député, quand vous êtes ministre, quand vous êtes membre de cabinet, cette Haute autorité, indépendante, s'occupe des sujets de droits et des sujets juridiques, et les politiques s'occupent de sujets politiques. On ne va le réformer là, vous voyez, dans les deux prochaines semaines. Maintenant je pense que ça nous montre que ce système il faut qu'on le réforme et bien sûr il y aura des auditions. Ce qui compte vraiment pour les Français, c'est qu'on puisse leur dire, au-delà des débats de personnes, pourquoi on pense que sur l'industrie, sur le numérique, sur la défense, il faut qu'on ait des gens solides, qui connaissent les enjeux. Parce qu'aujourd'hui on n'en est pas à avoir une feuille de route ou une stratégie. Aujourd'hui, il faut que l'on se muscle en Europe pour pouvoir répondre à une attaque quasiment permanente et quotidienne de ce qu'est notre souveraineté. Il faut qu'on puisse décider par nous-mêmes et pour nous-mêmes.
Q - Une dernière question avant de passer au Brexit. Fin 2018 si on en croit le document de référence d'Atos, Thierry Breton détenait 508 085 actions. Est-ce qu'il doit se séparer de ses actions ?
R - Tout ça, ce sont des mesures qu'il doit prendre, définir, expliquer. Il y a plein de façons différentes. Il peut les faire gérer par quelqu'un d'autre. Il y a plein de façons. Je l'ai eu au téléphone ce matin. Aujourd'hui, ce sont des auditions sur le fond, il se prépare à ces auditions par le Parlement.
Q - Vous êtes confiante, en tout cas ?
R - Mais moi, ce qui compte, c'est que je suis surtout confiante sur le fait qu'on va pouvoir faire des choses en Europe. Cette période d'installation à la Commission, elle est importante. Mais le plus important c'est tout ce que ces gens vont faire après pour nous dans tous les domaines où les citoyens européens, lors des élections européennes, ont dit : "on attend de vous des résultats sur le climat, sur la création d'emplois, sur notre souveraineté et sur la défense".
Q - Et pour tout ça, c'est Thierry Breton le bon candidat pour vous ?
R - Oui, c'est le bon candidat.
Q - Il paraît que vous aviez proposé une liste de huit noms, dont six femmes, au chef de l'Etat pour ce poste de Commissaire. Il y avait le nom de Thierry Breton dedans ou pas ?
R - Il y avait plein de noms, mais je ne vais pas vous faire part des messages que j'envoie au président.
Q - Cela veut dire qu'il n'y avait pas le nom de Thierry Breton.
R - Il y avait plein de noms. Il y aurait pu avoir son nom.
Q - Il y aurait pu, il y aurait pu, OK.
R - Il y a eu plein de noms. Vous savez, en France, on a énormément de gens qui ont des compétences, qui ont une vraie expérience européenne et chacun a pu donner des idées. On cherche des résultats pour les Français, on veut des gens pragmatiques, de terrain et c'est cela qui compte. Et donc, dans ma liste de noms, il y avait plein de gens qui avaient des profils assez similaires à celui de Thierry Breton.
Q - Assez similaires, mais il n'y avait donc pas Thierry Breton. L'autre sujet du moment, c'est le Brexit avec une couche de bazar supplémentaire ce soir, puisqu'on a appris il y a quelques minutes que Boris Johnson, le Premier ministre a appelé à des élections générales le 12 décembre. Les Anglais ont besoin d'un nouveau délai, ça on le sait. "Donnons leur jusqu'au 31 janvier" a dit le président du Conseil européen, Donald Tusk. Ça, c'était juste avant cette nouvelle annonce. Quelle est la position de la France ? Jusqu'à quand Emmanuel Macron est-il prêt à laisser aux Anglais... On va jusqu'au 31 janvier, on leur laisse trois mois, ou pas ?
R - D'abord, il y a des discussions entre chefs d'Etat, avec Donald Tusk à haut niveau sur la position qui doit être la nôtre à 27. C'est très important que ce soit une position à 27 parce qu'on a toujours travaillé par consensus. Maintenant, nous, aujourd'hui, on a une position finalement assez simple. Il faut que l'on retrouve le plus rapidement de la clarté pour les citoyens. Parce que le pire de cette affaire ce n'est même pas tellement le no deal. Le no deal c'est un moment. Le pire c'est l'incertitude qui se prolonge. Il y a des métiers, des pêcheurs...
Q - Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que vous préférez que la Grande-Bretagne sorte rapidement, quitte à ce que ce soit sans deal ou pas ?
R - Non, mon point, c'est de dire : il faut qu'on ait le scénario clair de pourquoi on donne du temps. Est-ce que c'est pour ratifier un accord parce qu'on a besoin de quelques jours en plus ? C'est un scénario, on y réfléchit. Est-ce que c'est pour organiser les élections, pour qu'on puisse avoir une clarification démocratique alors qu'aujourd'hui on voit qu'entre le peuple britannique, le Parlement et le gouvernement, les choses sont très divergentes. Cela peut être une raison. Mais on a besoin de clarté.
Q - Ma question est très claire. Si les Britanniques ont besoin de trois mois, est-ce que la France sera d'accord pour leur donner trois mois ?
R - Si les Britanniques nous disent qu'ils font des élections... Parce qu'aujourd'hui, vous savez qu'entre le moment où Boris Johnson dit : "je voudrais des élections" et le moment où il y a des élections, il faut qu'il y ait un vote. Nous, nous avons besoin d'avoir de la clarté. On a besoin de savoir non pas quel est le scénario rêvé...
Q - Moi, j'aimerais bien avoir de la clarté dans votre réponse, pardon.
R - Mais parce que je ne peux pas vous dire. Boris Johnson dit : "j'aimerais faire des élections" mais pour qu'elles aient lieu, il faut que son Parlement lui dise qu'il est d'accord pour organiser des élections.
Q - Pour l'instant il n'y a pas d'élection. Pour l'instant il en veut mais il n'y en a pas. Parce qu'Emmanuel Macron disait vendredi au Conseil européen : "je ne pense pas que de nouveaux délais doivent être accordés". C'était la dernière position officielle d'Emmanuel Macron.
R - Oui, notre position c'est la même. C'est du temps, tout seul, s'il n'y a pas un changement politique, s'il n'y a pas une ratification, s'il n'y a pas des élections, ça ne sert à rien.
Q - Mais s'il y a des élections et que ça renvoie cela encore en janvier, en mars, en juin prochain, ce sera acceptable ou pas ?
R - Mais s'il y a des élections, c'est un changement majeur. Ça veut dire que peut-être le Parlement et le gouvernement parleront dans le même sens et d'une même voix. C'est en soi un progrès. Parce que ça fait déjà trois ans que ça ne marche pas.
Q - L'accord global il a été voté. Après, ce sont des lois à voter par le Parlement britannique mais sur l'accord, le Parlement a dit oui quand même.
R - Je vais clarifier. La position française, c'est de donner du temps si c'est justifié, si on comprend pourquoi on le fait. Du temps pour ratifier évidemment parce qu'il y a un accord sur la table. Il faut bien qu'il puisse aller au bout de sa ratification si elle commence. Si on nous dit : "on veut faire des élections", on regardera le sujet des élections. Mais c'est une chose de dire : "on aimerait pouvoir peut-être faire des élections", c'est une autre chose de dire : "elles sont organisées, on a besoin de temps".
Q - En tout cas aujourd'hui la France ne donne pas d'ultimatum à la Grande-Bretagne.
R - On est des partenaires. On habite à 50 km les uns des autres. C'est la distance du tunnel sous la Manche. On restera des partenaires forts. On restera des voisins. On aura une relation future. On n'est pas une question d'ultimatum. On est dans une question de clarté.
Q - Et la volonté c'est d'aboutir ?
R - Il faut qu'on ait de la clarté et qu'un jour on puisse dire aux Français, dire aux Européens, dire aux Britanniques : "il y a eu un référendum, on a travaillé, aujourd'hui les choses sont lisibles". Donc, le travail qui le nôtre, c'est de dire : "il n'y a pas de sujet, on n'est pas dans l'ultimatum, on n'est pas dans la confrontation, mais on a besoin de savoir pourquoi on donne du temps". On sait que le temps tout seul, cela n'amène à rien d'autre qu'à l'enlisement. S'il y a un scénario clair, s'il y a des choses qui changent, s'il y a une ratification, s'il y a des élections, pas juste qui sont souhaitées, mais qui sont annoncées, qui sont organisées, nous pourrons prendre des décisions. Mais ce qu'on demande aux Britanniques, c'est qu'on ne va pas faire de la politique-fiction. On a besoin de faits pour prendre des décisions et donc ce sont des décisions qui vont être prises dans les heures et les jours qui viennent en fonction de ce que le Parlement nous annonce comme étant des choses, pas juste voulues, mais des choses réellement actées.
Q - Comment dit-on c'est le bazar, quand on est ministre en charge du Brexit ?
R - On dit parfois que cela ressemble à une impasse. C'est pour cela qu'on a besoin de clarté.
Q - Merci beaucoup, Amélie de Montchalin, d'être venue ce soir sur RTL.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 octobre 2019